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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20110202

Dossier : T-1298-09

Référence : 2011 CF 113

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

 

RADGE MARKEVICH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit de l’un des cinq contrôles judiciaires instruits conjointement à Vancouver découlant du réexamen des décisions par lesquelles le ministre a refusé d’approuver les demandes de transfèrement de prisons américaines à des prisons canadiennes sur le fondement de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.C. 2004, ch. 21.

 

[2]               Les principales questions en litige et l’analyse se trouvent dans la décision Holmes c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 112, laquelle porte sur des questions de droit administratif et sur des questions fondées sur la Charte. Comme la Cour conclut en l’espèce que la décision du ministre est raisonnable, ses conclusions dans la décision Holmes relativement aux questions fondées sur la Charte s’appliquent également.

 

II.         CONTEXTE

[3]               Monsieur Markevich, un Canadien d’une quarantaine d’années, a été condamné à 7 ans et 3 mois d’emprisonnement dans une prison américaine suivie d’une période de trois ans de mise en liberté sous surveillance. Il a été arrêté en tentant de prendre possession d’un sac de plastique contenant 100 000 pilules d’ecstasy d’un coaccusé qui collaborait avec les autorités.

 

[4]               Dans la première évaluation, les agents du Service correctionnel du Canada ont fait remarquer au ministre que M. Markevich est né en Ukraine et a obtenu sa citoyenneté canadienne en 1995. Il a déménagé à New York muni d’une autorisation d’emploi temporaire environ un an avant son arrestation. À cette époque, il voyageait à Vancouver tous les deux mois pour visiter ses parents et sa fille (il était séparé de sa femme).

 

[5]               L’avis du ministère portant que M. Markevich avait selon lui des liens avec le crime organisé, où il était impliqué dans le trafic d’ecstasy aux É.‑U., revêt une importance capitale. Il a agi à titre d’informateur de police à Vancouver de 1990 à 1992 après quoi il a été emprisonné en Équateur.

 

[6]               Dans la partie de l’évaluation portant sur la menace pour la sécurité publique, il est indiqué que M. Markevich avait purgé une peine de huit ans pour trafic de cocaïne en Équateur, antécédent qui n’a pas été vérifié. Il se serait évadé de cette prison. Les agents se sont dits préoccupés par le fait que M. Markevich, selon des sources de renseignement, avait des liens avec un syndicat du crime organisé expérimenté. Ils ont affirmé que si les renseignements à propos de l’Équateur se révélaient exacts, ses infractions actuelles reflètent son cycle de délinquance et M. Markevich présente donc une certaine menace pour la collectivité. Le soutien qu’il allait recevoir après sa mise en liberté était considéré comme douteux, de même que la probabilité qu’il retourne à une vie prosociale, compte tenu de ses liens avec le syndicat du crime organisé.

 

[7]               Dans sa première décision par laquelle il a refusé la demande, le ministre a examiné divers intérêts et facteurs apparemment conformes à la Loi, mais qui étaient différents des facteurs prévus à l’art. 10 de la Loi. Ces intérêts et facteurs ainsi que leur relation avec l’objet de la Loi n’étaient pas précisés ni expliqués.

 

[8]               Malgré ces intérêts et facteurs non précisés, le ministre s’est penché sur des facteurs plus clairement liés à la Loi pour rejeter la demande. Il a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’administration de la justice ni conforme à son objectif que M. Markevich renonce à sa période de 3 ans de mise en liberté sous surveillance visant sa réinsertion, ce qui se produirait s’il était transféré dans une prison canadienne.

 

[9]               Le ministre a porté particulièrement attention aux liens limités que M. Markevich entretient avec le Canada (liens sociaux et familiaux) par rapport à ceux qu’il entretient avec le crime organisé. À cet égard, il a conclu qu’il n’était pas acceptable dans le contexte de l’administration de la justice et des al. 10(2)a) et 10 (1)a) de la Loi d’autoriser son transfèrement.

 

[10]           Pour justifier ses conclusions et son pouvoir, le ministre a une fois de plus renvoyé aux facteurs non précisés de la Loi, facteurs qui seraient conformes à la Loi et auxquels le ministre aurait eu recours dans le cadre de son pouvoir de décision résiduel.

 

[11]           Dans la deuxième évaluation de la première décision du ministre, le ministère est plus favorable au demandeur. Il a conclu, apparemment en fonction des vérifications des homologues du Service correctionnel du Canada qui travaillent à la division du renseignement de sécurité et au SCRS, que les renseignements disponibles ne leur permettaient pas de croire que M. Markevich commettrait un acte de terrorisme ou un crime organisé.

 

[12]           La deuxième évaluation du ministère contient des renvois étranges à l’incarcération de M. Markevich en Équateur. Dans un paragraphe, il est énoncé que M. Markevich a indiqué qu’il avait purgé huit ans dans une prison équatorienne pour trafic de cocaïne. Toutefois, dans le paragraphe suivant, le ministère indique que les renseignements démontrant que M. Markevich a purgé une peine de huit ans sont insuffisants, mais que s’ils s’avèrent exacts, ils reflètent son cycle de délinquance. Le ministère n’indique pas pourquoi il doute de l’aveu du demandeur selon lequel il a été incarcéré en Équateur pour trafic de stupéfiants.

 

[13]           Dans la deuxième évaluation, s’agissant de la question de la probabilité que le demandeur récidive, le ministère a conclu que les renseignements provenant de sources américaines indiquent que M. Markevich n’a aucun lien avec des cartels de la drogue ou des gangs.

 

[14]           Dans sa deuxième décision, le ministre (un ministre différent) laisse tomber les conclusions hautement problématiques concernant les facteurs et intérêts non précisés et porte de nouveau son attention sur l’objet de la Loi. Il conclut que M. Markevich a des liens avec le crime organisé.

 

[15]           Le ministre reconnaît que le demandeur a été incarcéré pendant huit ans dans une prison équatorienne et qu’il est toujours impliqué dans le trafic de stupéfiants.

 

[16]           Plus important encore, le ministre se concentre sur la question de l’abandon – à savoir si M. Markevich a quitté le Canada avec l’intention de ne plus le considérer comme le lieu de sa résidence permanente. La question de l’abandon est prévue à l’al. 10(1)b) de la Loi.

10. (1) Le ministre tient compte des facteurs ci-après pour décider s’il consent au transfèrement du délinquant canadien :

 

[…]

 

b) le délinquant a quitté le Canada ou est demeuré à l’étranger avec l’intention de ne plus considérer le Canada comme le lieu de sa résidence permanente;

10. (1) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian offender, the Minister shall consider the following factors:

 

 

 (b) whether the offender left or remained outside Canada with the intention of abandoning Canada as their place of permanent residence;

 

 

[17]           Le ministre a tenu compte du fait que M. Markevich a obtenu une autorisation d’emploi, a travaillé aux É.‑U. pendant 11 mois avant son arrestation et restait dans son propre appartement lorsqu’il venait visiter périodiquement sa famille au Canada. Il a également tenu compte de la preuve de son ex‑femme selon laquelle il a indiqué que tant qu’il y aurait du travail à New York, il n’avait aucunement l’intention de retourner à Vancouver. Le ministre a conclu que M. Markevich avait l’intention de ne plus considérer le Canada comme le lieu de sa résidence permanente. C’est pourquoi, après avoir tenu compte des facteurs prévus à l’art. 10, il a refusé de consentir au transfèrement.

 

III.       ANALYSE

[18]           La norme de contrôle a été décrite dans la décision Holmes, précitée.

 

[19]           Il ressort clairement de la nature et du contenu de la deuxième décision du ministre que ce dernier a véritablement examiné la présente espèce. Il est revenu au cadre législatif applicable et à l’objet de la Loi, et il a tenu compte des facteurs pertinents d’une manière claire et intelligible. À cet égard, la décision répond aux exigences de la transparence et de l’intelligibilité établies dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, qui étaient pratiquement absentes dans la première décision.

 

[20]           Dans sa décision, le ministre n’a pas suivi l’avis du ministère – et n’est pas obligé de le faire non plus. Toutefois, dans la mesure où le ministre s’éloigne de cet avis ou accorde de l’importance à d’autres facteurs pertinents, il explique clairement pourquoi il le fait (sauf à l’égard des liens avec le crime organisé).

 

[21]           La conclusion que le ministre a tirée quant aux liens qu’entretient M. Markevich avec le crime organisé n’est pas conforme à la preuve dont il disposait. Le ministre n’indique pas comment il en est arrivé à cette conclusion au vu de tous les éléments de preuve contraires. Cependant, ce raisonnement déraisonnable n’entache pas sa décision.

 

[22]           Le ministre a conclu que M. Markevich a abandonné le Canada, une conclusion qui peut à elle seule servir de fondement à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Suivant la preuve dont il disposait, le ministre pouvait tirer cette conclusion même si son ministère lui avait dit de ne pas le faire. Le fondement de cette décision est bien présenté, clair et appartient aux issues possibles acceptables.

 

[23]           À cet égard, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard du jugement du ministre quant à la question de savoir si ce facteur suffit à justifier l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser de consentir au transfèrement. La décision du ministre doit être examinée tant selon ses éléments constitutifs que dans son ensemble. Il n’y a rien de déraisonnable dans la conclusion du ministre.

 

IV.       CONCLUSION

[24]           Pour ces motifs, le présent contrôle judiciaire sera rejeté avec dépens.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR CONCLUT que le contrôle judiciaire est rejeté avec dépens.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1298-09

 

INTITULÉ :                                                   RADGE MARKEVICH

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           les 27 et 28 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 2 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Conroy, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

Curtis Workun

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Conroy & Company

Avocats

Abbotsford (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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