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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110203

Dossier : IMM-3174-10

Référence : 2011 CF 123

 

Montréal (Québec), le 3 février 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

DAVID STEPHEN LLORENS FARFAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de refugié (CISR) rendue le 28 avril 2010, dans laquelle le tribunal a conclu que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention et n’est pas non plus une personne à protéger au terme des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               Le demandeur n’a pas réussi à établir que les conclusions du tribunal, fondées sur l’absence de crainte subjective et objective, étaient déraisonnables.

 

I. Les faits

[3]               Le demandeur est citoyen de la Colombie. Il a quitté son pays pour aller étudier aux États-Unis en août 2000.

 

[4]               Alors qu’il se trouvait aux États-Unis, sa mère a fait l’objet de persécution par les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), et après avoir été kidnappée, elle a quitté son pays pour se rendre aux États-Unis en 2002. Elle a présenté une demande d’asile dans ce pays, ainsi que le demandeur et sa sœur, demande qui fut rejetée en 2006.

 

[5]               Selon les allégations du demandeur, sa mère aurait alors quitté les États-Unis à son insu, et demandé l’asile au Canada. Cette demande a été accueillie par la SPR le 26 septembre 2007.

 

[6]               Le demandeur prétend n’avoir eu connaissance du fait que sa mère s’était réfugiée au Canada qu’en juillet 2007. Il est arrivé au Canada le 9 janvier 2008 et a demandé l’asile cette même journée. Il allègue essentiellement craindre les FARC, du fait que ces dernières auraient menacé sa mère de s’en prendre à ses enfants si elle ne coopérait avec elles.

 

II. La décision contestée

[7]               Le tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas démontré une crainte subjective crédible de persécution, dans la mesure où il n’avait pas fait preuve d’un comportement compatible avec celui d’une personne qui allègue craindre pour sa vie. D’une part, le demandeur a témoigné s’être marié à une américaine en 2005, mais n’a soulevé la possibilité de parrainage et/ou de résidence permanente aux États-Unis qu’en 2006. Questionné à ce sujet, il a expliqué son retard en invoquant la procrastination.

 

[8]               Le tribunal a par ailleurs conclu qu’il n’était pas plausible ni logique que sa mère ne l’ait pas avisé de son départ pour le Canada, alors même qu’elle lui avait dit de ne pas retourner en Colombie et qu’elle l’avait inclus dans sa demande de protection aux États-Unis.

 

[9]               Enfin, la SPR s’est également dite d’avis que si le demandeur craignait vraiment pour sa vie, il aurait immédiatement quitté les États-Unis pour suivre sa mère au Canada en juillet 2007 plutôt que d’attendre six mois prétendument pour compléter un cours qu’il avait entrepris et qu’il n’a de toute façon pas terminé.

 

[10]           Le tribunal a également rejeté la demande d’asile du demandeur au motif que sa crainte n’était pas objectivement fondée. Non seulement la persécution dont sa mère a été victime remonte à plus de neuf ans, mais la preuve documentaire révèle que la situation s’est beaucoup améliorée en Colombie.  Bref, le tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution s’il devait maintenant retourner dans son pays.

 

III. Question en litige

[11]           La seule question en litige dans ce dossier est celle de savoir si les conclusions du tribunal sont raisonnables.

 

IV. Analyse

[12]           Il n’est pas contesté que la norme de contrôle applicable en matière de crédibilité est celle de la raisonnabilité. Il en va de même lorsqu’il s’agit d’évaluer les conclusions du tribunal portant sur l’absence de crainte objective. Il incombait donc au demandeur de démontrer que la décision du tribunal sur ces deux plans ne faisait pas partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[13]           La jurisprudence de cette Cour établit clairement que le demandeur d’asile doit établir qu’il possède une crainte subjective d’être persécuté dans son pays d’origine et que cette crainte possède un fondement objectif : voir, à titre d’exemples, Canada (Procureur Général) c Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Bondar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 972.

 

[14]           Le tribunal était en droit de retenir contre le demandeur les incohérences et les invraisemblances de sa preuve et son retard à revendiquer le statut de réfugié ou à se soustraire au danger, ainsi que les ajustements à son témoignage : Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183, au para 19; Sinan c M.C.I., 2004 CF 87, au para 10-11; Gabeyehu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), [1995] A.C.F. no 1493, au para 8.

 

[15]           Le demandeur prétend qu’il savait ne pouvoir retourner en Colombie depuis 2002. Or, il n’a fait aucune démarche pour régulariser sa situation aux États-Unis après son mariage. Même après que sa demande d’asile ait été refusée en 2006, il n’a pas accompagné sa mère au Canada pour des raisons qui ne sont pas entièrement claires. Pire encore, il a attendu jusqu’en janvier 2008 avant de venir au Canada alors qu’il a su, en juillet 2007, que sa mère était au Canada, et en août 2007, qu’elle avait obtenu le statut de réfugié.

 

[16]           Le tribunal pouvait certainement tenir compte de ce comportement pour évaluer la crainte subjective du demandeur d’être persécuté : Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 1324, aux paras 16-17.Or, l’absence d’une crainte subjective est fatale à une demande d’asile : Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 345, au para 33.

 

[17]           D’autre part, le tribunal ne s’est pas contenté de conclure à l’absence de crainte subjective, mais a poursuivi son analyse en examinant le fondement objectif de la crainte alléguée par le demandeur. À cet égard, un certain nombre de remarques s’imposent.

 

[18]           Je note tout d’abord que le lien de parenté avec une personne qui a été victime de persécution ne suffit pas à lui seul pour établir le statut de réfugié : encore faut-il démontrer que la famille est, en tant que groupe social, victime de persécution : Garcia Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 847. Qui plus est, le seul fait que la mère du demandeur ait été reconnue comme réfugiée dans une autre instance n’est pas suffisant pour lui reconnaître le même statut : Bakary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1111, au para 10.

 

[19]           Or, le demandeur n’a jamais été personnellement ciblé, et n’a jamais été victime d’actes de persécution. Par contre, il est vrai que le demandeur a témoigné à l’effet que les FARC pourraient se servir de lui pour attirer sa mère et la faire revenir au pays; sa mère a également fait valoir, dans son propre formulaire de renseignements personnels, que les FARC avaient menacé de s’en prendre à sa famille. Je suis donc prêt à admettre que le tribunal n’a peut-être pas apprécié à sa juste valeur le lien qui pouvait exister entre le demandeur et la crainte éprouvée par sa mère.

 

[20]           Ceci étant dit, le tribunal a souligné que les événements sur lesquels la demande de M. Llorens Farfan se fonde remontent à neuf ans, et que la situation en Colombie s’était considérablement améliorée depuis. Le tribunal s’est livré à une analyse exhaustive de la situation dans le cadre de ses motifs, et s’est dit d’avis que les actes de violence attribués aux FARC ont considérablement diminué au cours des récentes années. Au surplus, le tribunal s’est appuyé sur la preuve documentaire pour conclure que le demandeur ne présenterait aucun intérêt particulier pour les FARC.  Une telle conclusion ne me paraît pas déraisonnable, surtout lorsque l’on tient compte du fait que le risque allégué doit être prospectif et non rétrospectif : Pour-Shariati c M.E.I., [1995] 1 C.F. 767, au para 17; Katwaru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 196, au para 29.

 

[21]           Compte tenu de tout ce qui précède, j’estime que la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile du demandeur fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les parties n’ont pas soumis de questions à certifier, et aucune ne mérite de l’être.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3174-10

 

INTITULÉ :                                       DAVID STEPHEN LLORENS FARFAN et M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Karkar

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Charles Junior Jean

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anthony Karkar

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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