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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110204

Dossier : IMM-2789-10

Référence : 2011 CF 131

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 février 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

SHAHIN KASHANI AGHDAM

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Shahin Kashani Aghdam sollicite une ordonnance de mandamus obligeant le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à rendre une décision relativement à sa demande d’exception ministérielle. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le mandamus doit être accordé.  

 

Le contexte

[2]               Mme Aghdam est une citoyenne de l’Iran qui est arrivée au Canada en 1986. Elle a demandé l’asile et sa demande a par la suite été considérée comme ayant un minimum de fondement dans le cadre du programme d’élimination de l’arriéré en matière de réfugiés.

 

[3]               En 1992, Mme Aghdam a demandé la résidence permanente. Le Service canadien du renseignement de sécurité l’a interrogée en 1993, puis en 1996, au sujet de son appartenance aux Mujahedin e-Khalq (ou MEK), une organisation qui fait dorénavant partie de la liste des organisations liées au terrorisme maintenue par Sécurité publique Canada.

 

[4]               Mme Aghdam a été avisée en 2000 que sa demande de résidence permanente pourrait être rejetée en raison de son soutien aux MEK. Elle a participé à une entrevue avec un agent d’immigration en 2001. Mme Aghdam affirme que l’objet de l’entrevue était de déterminer si elle devait se voir accorder l’exception ministérielle et si la Cour, dans son examen quant à savoir s’il y a eu retard indu dans la présente affaire, devait tenir pour acquis que sa demande d’exception ministérielle avait été présentée en 2001.

 

[5]               Je ne crois pas que 2001 soit l’année pertinente dont il faille tenir compte pour déterminer si le mandamus devrait être accordé. Le mois pertinent est janvier 2005.

 

[6]               Pour tirer cette conclusion, je relève que le dossier certifié du tribunal de 2001 ne contient aucune demande d’exception ministérielle au nom de Mme Aghdam. Mme Aghdam a en fait présenté en 2005 une demande écrite d’exception ministérielle en vertu du paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Je me demande pourquoi elle présenté cette demande si elle croyait avoir une demande d’exception en attente depuis 2001.

 

[7]               De plus, les notes de l’entrevue sur lesquelles la demanderesse se fonde pour affirmer que 2001 était l’année pertinente mentionnent expressément qu’elle ne pouvait pas bénéficier de l’exception ministérielle selon l’ancienne Loi sur l’immigration. Mme Aghdam avait reçu ces notes au moment de l’entrevue de 2001.    

 

[8]               En février 2005, Mme Aghdam a été interviewée au sujet de sa demande d’exception ministérielle. Le 10 septembre 2008, on lui a fourni copie d’une note d’information qui avait été rédigée par l’Agence des services frontaliers du Canada à l’intention du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et qui recommandait que sa demande soit rejetée.

 

[9]               Mme Aghdam a produit des observations en réponse deux semaines plus tard. Malgré plusieurs demandes en ce sens de Mme Aghdam au cours des deux années et demie ayant suivies, aucune décision n’a été prise relativement à sa demande.

 

[10]           Peu après que Mme Aghdam eut présenté sa demande de mandamus, on lui a mentionné qu’on lui fournirait un « dossier relatif à l’équité » contenant une révision de la recommandation concernant l’exception ministérielle; ce dossier lui a été donné cette semaine. Elle bénéficie d’un délai de 15 jours pour produire une réponse, après quoi une recommandation définitive sera faite au ministre.

 

[11]           Mme Aghdam vit au Canada depuis 25 ans sans avoir le statut de résidente permanente. Elle déclare que l’incertitude découlant de cette situation lui a causé un stress extrême et qu’elle a aussi nuit à son accès à des prestations pour soins de santé. Cet élément est particulièrement préoccupant pour Mme Aghdam, parce qu’elle souffre du cancer du sein ainsi que du diabète.

 

[12]           Le défendeur n’a pas fourni d’affidavit expliquant les raisons du retard dans la présente affaire.

 

Le critère juridique

[13]           Suivant la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, pour qu’on lui accorde le mandamus, le demandeur doit établir ce qui suit :

1.   Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

2.   L’obligation doit exister envers le requérant;

3.   Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a)   le requérant doit avoir rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b)   il y a eu une demande d’exécution de l’obligation, un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, et il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

[…]

4.   Le requérant n’a aucun autre recours;

5.   L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

6.   Le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

7.   Compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

 

[14]           La décision Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33, [1999] A.C.F. no 1553 (C.F. 1re inst.), faisait état de trois conditions pertinentes quant à question de savoir si un retard est déraisonnable. Les voici :

1)    Le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2)    Le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables;

3)    L’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

Analyse

[15]           Je suis d’avis que le critère a été respecté en l’espèce.

 

[16]           La demande d’exception ministérielle de Mme Aghdam est pendante depuis maintenant six ans. La question est de savoir si Mme Aghdam a convaincu le ministre qu’il ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national de lui accorder une exception concernant la conclusion d’interdiction de territoire découlant de son soutien aux MEK. Rien ne laisse croire que des enquêtes de sécurité relativement au soutien de Mme Aghdam aux MEK retardent le traitement de son dossier. Il semble plutôt que les retards s’expliquent par des raisons administratives au sein du gouvernement.

 

[17]           Je suis convaincue que le retard dans le traitement de la demande d’exception ministérielle présentée par Mme Aghdam est devenu déraisonnable. Elle a satisfait à toutes les conditions préalables donnant naissance à l’obligation du ministre avant la présentation de sa demande de mandamus. Le fait que sa demande semble avoir entraîné dernièrement la prise de quelques mesures dans son dossier ne devrait pas lui enlever son droit à l’obtention d’une réparation.

 

[18]           Par conséquent, je vais rendre une ordonnance enjoignant au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de rendre une décision relativement à la demande d’exception ministérielle de Mme Aghdam dans les 120 jours suivant la réception des observations de celle‑ci concernant le « dossier relatif à l’équité » qu’on lui a fait parvenir cette semaine.

 

Dépens

[19]           Mme Aghdam demande que les dépens en l’espèce, qu’elle évalue à 6 500 $, ce qui comprend la TVH et les débours, lui soient accordés. Règle générale, la Cour n’adjuge pas de dépens lors d’instances en matière d’immigration. L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés prévoit que « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens ».

 

[20]           La Cour a conclu que constituent des raisons spéciales le fait, pour une partie, d’agir de mauvaise foi ou d’une manière qui peut être qualifiée d’inéquitable, d’oppressive ou d’inappropriée : voir Manivannan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1392, [2008] A.C.F. no 1754, au paragraphe 51. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Il n’existe pas de preuve d’une telle inconduite du défendeur qui justifierait une telle ordonnance. De plus, les avocats du défendeur ont grandement aidé à faire avancer la présente affaire.

 

[21]           Cependant, la Cour a aussi considéré qu’un retard indu dans le traitement d’une demande constitue une des « raisons spéciales » qui justifie l’adjudication de dépens : à titre d’exemple, voir Manivannan, précitée, au paragraphe 60; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 544, [2005] A.C.F. no 669, au paragraphe 24; Ben-Musa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 764, [2005] A.C.F. no 942, au paragraphe 36.

 

[22]           Je suis convaincue qu’il existe des raisons spéciales dans la présente affaire qui justifient l’adjudication de dépens en faveur de Mme Aghdam. Cela dit, dans la présente affaire, il n’y a pas eu de conduite qui nécessite l’imposition d’une sanction au moyen de l’adjudication de dépens sur la base avocat-client visant à accorder une indemnisation substantielle. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je fixerai les dépens adjugés à Mme Aghdam à 3 500 $, somme qui comprend la TVH et les débours.

 

[23]           Je suis d’accord avec les parties que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que :

 

            La demande est accueillie, et les dépens sont fixés à 3 500 $. Le ministre devra rendre une décision relativement à la demande d’exception ministérielle de Mme Aghdam dans les 120 jours suivant la réception des observations de Mme Aghdam en réponse au « dossier relatif à l’équité ».  

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2789-10

 

 

INTITULÉ :                                       SHAHIN KASHANI AGHDAM c.

                                                            MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 février 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

James Todd

Sybil Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RAOUL BOULAKIA

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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