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Date : 20110209

Dossier : IMM‑305‑10

Référence : 2011 CF 152

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

DAMEON LODGE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Lodge demande, conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 22 décembre 2009 par laquelle un agent d’immigration (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada a rejeté une demande fondée sur des considérations humanitaires (CH). L’agent a conclu que la situation de M. Lodge ne permettait pas de le dispenser de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada et que cette obligation ne constituait pas une difficulté inhabituelle, injuste ou indue.

 

[2]               Le demandeur est citoyen de la Jamaïque. Il a été parrainé par sa mère pour venir au Canada en 1999. Il était alors âgé de 18 ans. Outre sa mère, son beau‑père et ses trois sœurs habitent aussi au Canada. Son père et ses deux frères sont restés en Jamaïque.

 

[3]               M. Lodge a commencé à tremper dans des activités criminelles peu après son arrivée au Canada. En juillet 2001, M. Lodge a été déclaré coupable d’omission de se conformer à un engagement et de port d’une arme dissimulée. Il a été condamné à 15 jours de prison pour chaque déclaration de culpabilité. En novembre 2001, M. Lodge a été déclaré coupable d’omission de se conformer à un engagement, de possession d’outils de cambriolage, de tentative de vol, de vol et de possession de biens criminellement obtenus. Il a été condamné à un jour de prison, compte tenu des trois mois de détention présentencielle, et à 18 mois de probation. Il ressort de la décision et des motifs de l’agent que M. Lodge a également été détenu brièvement en 2004.

 

[4]               Par suite de ces condamnations, pour lesquelles il a maintenant une demande de réhabilitation en instance, le demandeur a perdu son statut de résident permanent du Canada et une mesure d’expulsion a été prise contre lui en 2006. Après sa remise en liberté, le demandeur a quitté Toronto, où les infractions ont été commises, pour s’installer à London, en Ontario, où il a rencontré et épousé Kongham (Kay) Phouttharath. Ils se sont mariés en 2006 et, depuis, ont acheté une maison et ont eu un fils ensemble. Le demandeur a aussi deux filles nées au Canada qui sont issues de deux relations antérieures. Elles sont nées en décembre 2002 et en mai 2003. Chacune de ses filles vit avec sa mère respective à Toronto. Le demandeur a aussi une fille en Jamaïque.

 

[5]               Une demande de dispense fondée sur des considérations humanitaires a été présentée en février 2007. La demande a été rejetée en décembre 2008. En 2009, cette décision a été annulée par suite d’un contrôle judiciaire et renvoyée pour nouvel examen. Le juge Russell Zinn a conclu que l’agent avait commis une erreur dans son appréciation de la preuve et, en particulier, dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants du demandeur : Lodge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 870, 83 Imm. L.R. (3d) 121.

 

[6]               La demande CH a été rejetée une seconde fois en décembre 2009. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour accueillir la demande de dispense et que l’obligation de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada ne constituait pas une difficulté inhabituelle, injuste ou indue. La demande a donc été rejetée. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               Le demandeur a soulevé plusieurs questions concernant l’appréciation faite par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants, le degré d’établissement au Canada du demandeur, l’appréciation de la question de savoir si l’obligation de présenter une demande de l’extérieur du Canada constitue une difficulté inhabituelle, injuste ou indue et le caractère suffisant des motifs de la décision de l’agent.

 

ANALYSE

 

[8]               La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable : Ahmad c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 646, au par. 11. Tel que la Cour l’a indiqué dans Inneh c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 108, au par. 13, les décisions pour CH sont de nature discrétionnaire et bénéficient donc d’une gamme plus vaste d’issues possibles acceptables. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au par. 47.

 

[9]               Contrairement à ce que prétend le demandeur, l’agent a tenu compte du préjudice que pourraient subir les enfants de M. Lodge en raison de son renvoi. L’agent a souscrit à l’argument du demandeur selon lequel renvoyer M. Lodge priverait ses enfants [traduction] « d’un soutien financier et affectif » et leur ferait [traduction] « perdre l’amour et le soutien de leur père ». Cependant, l’agent a jugé que si le demandeur retournait en Jamaïque, ses enfants ne grandiraient pas sans leur père. Il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que ce n’est pas parce qu’un père est géographiquement séparé de ses enfants qu’il ne les aime plus et ne peut plus leur apporter son soutien.

 

[10]           La situation en l’espèce est différente des affaires invoquées par le demandeur : Kolosovs c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 165; Soto c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1524. Dans l’affaire Kolosovs, la Cour a conclu que le demandeur était pour ainsi dire le soutien affectif et financier de ses quatre petits‑enfants, dont l’un avait des besoins spéciaux qui nécessitaient une attention particulière. En l’espèce, il serait exagéré de dire que M. Lodge joue un rôle similaire dans la vie de chacun de ses trois enfants nés au Canada. Même s’il joue sûrement un rôle, de l’incertitude subsiste quant à son emploi et à sa capacité financière. Ce sont les mères de ses deux filles qui s’occupent surtout de celles‑ci.

 

[11]           Il est également possible d’établir une distinction entre l’affaire Soto et la présente affaire. Dans cette affaire, la décision de l’agente ne comportait qu’un seul paragraphe qui portait sur l’intérêt des enfants. En l’espèce, les notes de l’agent versées au dossier étaient dactylographiées sur deux pages et demie, à simple interligne, et tenaient compte de nombreux aspects de l’intérêt des enfants de M. Lodge. L’agent a peut‑être mal compris le témoignage de l’une des mères concernant la fréquence des contacts avec l’un des enfants à Toronto, mais cela ne rend pas la décision déraisonnable dans son ensemble.

 

[12]           L’agent a souligné l’âge du jeune fils de M. Lodge, estimant que, comme il n’avait que cinq mois, le renvoi du demandeur aurait une incidence moins grande. L’agent a également examiné le degré de dépendance entre les enfants du demandeur et ce dernier, soulignant que ce sont les mères des deux filles de M. Lodge qui s’occupent surtout de celles‑ci. Par conséquent, il était raisonnable pour l’agent de penser qu’on continuerait de prendre soin d’elles si le demandeur devait retourner en Jamaïque.

 

[13]           Quant au degré d’établissement, l’agent a relevé des facteurs positifs que le demandeur a invoqués, comme ses liens familiaux. La mère et les sœurs de M. Lodge vivent à Toronto, de même que deux de ses trois enfants. Son troisième enfant et son épouse vivent ensemble avec lui à London. De plus, il possède une maison avec son épouse, Kay.

 

[14]           Quant à son emploi, l’agent a examiné les renseignements fournis, mais a conclu qu’ils n’étaient pas favorables au demandeur. L’agent a également pris en considération les activités bénévoles de M. Lodge, mais ne leur a accordé que peu d’importance parce que la preuve ne donnait aucun détail concernant la nature de son travail, la durée de sa contribution ou les effets positifs de son bénévolat sur la collectivité. Il était loisible à l’agent de n’accorder que peu de poids aux éléments de preuve soumis et cette décision ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

 

[15]           Le demandeur a raison d’affirmer que l’agent doit rendre des décisions « motivées » : Adu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 565, aux par. 10 et 11. Les motifs doivent être « suffisamment clairs, précis et intelligibles pour que le demandeur puisse savoir pourquoi sa demande a été rejetée et décider s’il doit demander le contrôle judiciaire » : Ogunfowora c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 471, 63 Imm. L.R. (3d) 157, au par. 58. Toutefois, le demandeur ne fait valoir aucun argument convaincant pour expliquer pourquoi les motifs sont insuffisants en l’espèce. Il allègue, dans l’ensemble, que l’agent n’a accordé que peu de poids à certains éléments de preuve, voire pas du tout. Cela ne permet pas de conclure que les motifs sont insuffisants.

 

[16]           En l’espèce, je suis d’avis que l’agent a analysé les renseignements fournis de façon claire et détaillée. La plupart des éléments de preuve pertinents qui ont été soumis étaient mentionnés dans les notes de l’agent versées au dossier, notamment : des lettres d’appui au demandeur, des lettres concernant ses activités bénévoles, son emploi et son état matrimonial, ainsi que ses liens familiaux au Canada et à l’étranger.

 

[17]           L’agent n’a rien dit en ce qui concerne la possibilité pour le demandeur de présenter une demande de réhabilitation. Le dossier n’indique pas clairement que cette demande avait été déposée lorsque l’agent a été saisi de l’affaire. Au moment du dépôt de la présente demande, la demande de réhabilitation avait été présentée mais retournée au demandeur afin d’obtenir des renseignements supplémentaires. L’agent est présumé tenir compte de tous les éléments de preuve, mais il n’est pas tenu de tous les mentionner dans sa décision : Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 741, au par. 15; Wynter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 185 F.T.R. 211, 24 Admin. L.R. (3d) 99, au par. 38; Rodriguez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 414, au par. 18. En l’espèce, il importe peu que l’agent n’ait pas fait référence à l’admissibilité du demandeur puisque celui‑ci était toujours interdit de territoire pour criminalité lorsque la demande a été examinée. Comme l’a fait remarquer l’avocat à l’audience, l’octroi d’une réhabilitation aura, bien entendu, une incidence significative sur le moment où le demandeur pourrait être autorisé à revenir par suite du parrainage par son épouse et du consentement du ministre, à supposer qu’il soit renvoyé.

 

[18]           La demande est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 22 décembre 2009 par un agent d’immigration relativement à une demande de dispense fondée sur des considérations humanitaires est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑305‑10

 

INTITULÉ :                                                   DAMEON LODGE

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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