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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110209

Dossier : T-369-09

Référence : 2011 CF 149

Ottawa (Ontario), 9 février 2011

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON

 

 

ENTRE :

 

LIEUTENANT-COLONEL R.D. MCILROY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LES PROCÉDURES

 

[1]               Le Lieutenant-colonel R.D. McIlroy (le demandeur) a demandé le contrôle judiciaire d’une décision datée du 22 janvier 2009, dans laquelle le chef d’état-major de la défense (le CEMD) a rejeté sa demande de réparation d’un grief (la décision). La demande est présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

 

[2]               De son côté, le défendeur a présenté une requête (la requête) en radiation de l’affidavit du Brigadier-général Robert P. Alden souscrit le 17 avril 2009 (l’affidavit Alden).

 

LES FAITS

 

[3]               La présente affaire concerne des événements qui se sont produits à la fin de l’été et à l’automne 2005. À cette époque, le demandeur servait à titre d’officier d’état-major au poste de G3 au sein du 1er groupe-brigade mécanisé du Canada (1 GBMC), dont le quartier général (QG) est en Alberta.

 

[4]               Les revues annuelles du demandeur dans les Forces canadiennes sont appelées rapports d’appréciation du personnel (RAP). Le RAP daté du 30 mai 2005 couvrait la période du 1er avril 2004 au 31 mars 2005. À cette époque, le Lcol S.B. Schreiber, était le superviseur du demandeur. Le Lcol Schreiber, qui était chef d’état-major au QG, a écrit le commentaire très élogieux suivant dans le RAP du demandeur :

[traduction] Le Maj McIlroy a clairement MAÎTRISÉ les habiletés nécessaires pour un major. Sa période de revue a commencé par un rapport extraordinaire de la part du CECFC, dans lequel on a recommandé sa promotion immédiate et sa nomination à un poste de commandement d’une unité. Il a ensuite assumé avec succès les grandes responsabilités du poste de G3 du 1 GBMC dans une période de cadence opérationnelle sans précédent pour cette formation. Il a fait preuve de beaucoup d’initiative, d’une grande attention aux détails et d’une grande compétence dans la façon dont il a dirigé la révision des IPO pour la formation sur le terrain. Il a fait montre d’un sens de l’initiative hors du commun et d’une grande intuition dans le cadre de son travail concernant le plan d’opération pour la formation et dans la conception d’une trousse sur l’équipement et la formation pour les opérations en milieu urbain. Il était un expert dans la façon de guider le changement et il a joué un rôle essentiel dans les activités de développement et les jeux de guerre de la brigade et pour la communication de données concernant le plan de grande disponibilité opérationnelle de l’Armée. Ses habiletés à communiquer oralement et par écrit sont excellentes et il transmet des renseignements complexes et pertinents de manière directe et simple. Il a travaillé fort à mettre au point des entraînements efficaces et importants pour l’état-major et l’ensemble de la Brigade et sa participation a été déterminante pour la coordination du plus important cycle d’entraînement individuel jamais mené au sein du 1 GBMC. Il donne l’exemple en faisant preuve d’une éthique de travail remarquable et d’une attention minutieuse pour les détails. Le Maj McIlroy a clairement démontré sa capacité à gérer simultanément de nombreuses tâches complexes et il était un excellent formateur G3. Par conséquent, le Maj McIlroy est considéré comme le meilleur Major du 1 GBMC.

 

 

[5]               L’agent de révision pour le RAP était le Col T.J. Grant. Il commandait alors la brigade du demandeur. Il était également très impressionné par le demandeur. Il a écrit ce qui suit :

Le Maj McIllroy possède un potentiel extraordinaire pour être promu au grade supérieur. Il est un officier intelligent et dévoué qui donne un excellent exemple. Il est mon meilleur major. Il investit énormément dans son perfectionnement professionnel et il suit actuellement des cours qui lui permettront d’obtenir un baccalauréat spécialisé et une maîtrise à l’été 2005. Il a d’excellentes aptitudes pour la communication et il a conservé un profil BBB en français en date de février 2003. Il est un maître de la planification mûrement réfléchie et détaillée et on peut se fier à lui pour effectuer des tâches complexes avec aplomb, comme la formation. Il est un administrateur extrêmement consciencieux qui démontre en permanence une connaissance exceptionnelle des FC et des politiques et procédures ministérielles. Il est extrêmement dévoué dans tous les aspects du métier des armes et il aime agir comme mentor pour ses subalternes, comme le démontre sa participation aux périodes de perfectionnement professionnel pour les membres du personnel. Il conserve une forme physique extraordinaire et il était un membre important de l’équipe de soccer de l’escadron. Le Major McIlroy est intelligent, dévoué, très déterminé et il a démontré qu’il est prêt à assumer les responsabilités du grade de Lieutenant-Colonel. Il a 15 ans de service à faire. Je le recommande fortement pour le commandement d’un bataillon d’infanterie.

 

 

[6]               Le RAP comprenait une revue additionnelle rédigée par le BGén Beare. Ce dernier a déclaré ce qui suit :

Le Maj McIlroy a terminé 2e sur 116 majors dans le SOFT [Secteur de l’Ouest de la Force terrestre]. Il est un employé exceptionnel, il devrait commander un bataillon d’infanterie. Il possède un excellent potentiel et sa carrière doit être gérée en conséquence. Il devrait être promu immédiatement.

 

 

[7]               Le demandeur était en congé personnel et de formation à partir du début avril jusqu’au 8 août 2005. Il a suivi des cours offerts en apprentissage à distance par le Collège militaire royal à Kingston, en Ontario, et a obtenu une maîtrise en études de la défense. Au cours de cette période de cinq mois, il est retourné à ses obligations au QG pendant deux semaines en juin pour aider à la préparation du transfert prochain du commandement de la brigade. Le BGén Fraser a pris le commandement de la brigade et de la force opérationnelle du Canada en Afghanistan en juillet 2005.

 

[8]               Le 14 octobre 2005, la brigade du demandeur a commencé un exercice de brigade (EB). Il s’agit d’un exercice de campagne qui s’est tenu en Alberta, peu de temps avant le déploiement de la brigade en Afghanistan. Le demandeur s’attendait à participer à la mission en Afghanistan comme G5.

 

[9]               Le 15 octobre 2005, 36 heures après le début de l’EB, le Bgén Fraser a destitué deux officiers. L’un d’eux était le demandeur. Il a été démis de son poste de G3 et on lui a ordonné de quitter le terrain (le renvoi). Le Bgén Fraser a pris cette initiative suivant le conseil du Major général Leslie et avec la permission d’autres officiers supérieurs de la chaîne de commandement. À la suite de son renvoi, le demandeur a été assigné à un travail de bureau et est devenu commandant adjoint de la base des forces canadiennes/unité de soutien de secteur (BFC/USS) à Edmonton. Le demandeur n’a pas été déployé en Afghanistan.

 

[10]           Le 15 novembre 2005, le journal National Post a publié un article qui comprenait une entrevue avec le Bgén Fraser concernant son commandement prochain en Afghanistan (l’article). L’article faisait référence au congédiement et à la réaffectation récente d’officiers supérieurs sous ses ordres et il cite les propos du Bgén Fraser selon lesquels il se déployait avec son « équipe A ». Cependant, les noms des officiers « congédiés » n’ont pas été révélés dans l’article. Néanmoins, le demandeur déclare que tous ceux qui connaissaient les faits concernant l’EB et le renvoi savaient que l’article faisait en partie référence à lui.

 

[11]           Deux mois après le renvoi, le Bgén Fraser - à titre d’agent de révision - a signé une revue du développement du personnel (RDP) concernant le demandeur. Elle était datée du 15 décembre 2005 et elle couvrait la période du 1er avril au 1er novembre 2005. La RDP était également signée par le demandeur et le Lieutenant-colonel S.B. Schreiber, à titre de superviseur du demandeur. Les RDP portent sur des questions de performance précises.

 

[12]           À la page un, la RDP indique qu’après son congé de formation, le demandeur a accompli plusieurs tâches avec brio. Cependant, elle souligne qu’au cours de l’EB, il a été observé qu’il « … n’avait plus vraiment le cœur à la tâche ».

 

[13]           À la page deux de la RDP, le Bgén Fraser et le LCol Schreiber ont fourni davantage de motifs pour le renvoi dans la partie « Points à améliorer » :

La plus grande force du Maj McIlroy – son approche méthodique et décidée – s’est également avérée sa plus grande faiblesse. Il semblait mal à l’aise ou malheureux dans l’environnement très dynamique dans lequel évoluait le QG du 1 GBMC au cours de la dernière année, et plus précisément durant la période de l’été à l’automne 2005. Il suit les ordres à la lettre et avec détermination, il s’attend à ce que les autres fassent de même et peut se montrer très mécontent lorsque ce n’est pas le cas. Sa frustration s’est accrue en raison de ce qu’il percevait comme étant un manque de planification ou une analyse trop longue lors de l’EB et il s’est senti laissé de côté lors de bon nombre de décisions importantes. De plus, il sentait que son travail n’était pas apprécié et non désiré et qu’il avait été marginalisé au sein du QG par le CEM [chef d’état-major, le LCol Schreiber] et le Cmdt. [le Bgén Fraser]. Par conséquent, il était de plus en plus frustré et mécontent de son poste de G3 et il avait de la difficulté à cacher ces sentiments. Cela a nui à la confiance du Cmdt à l’endroit du Maj McIlroy et a entraîné son remplacement à titre de G3 du 1 GBMC. Le Maj McIlroy a ensuite été affecté à un poste où ses grandes capacités et son expérience seraient mieux exploitées.

 

[14]           Dans la partie de la RDP intitulée « Forces », le demandeur a été décrit dans les termes suivants :

Le Maj McIlroy a démontré une dévotion hors de l’ordinaire à l’égard de son perfectionnement professionnel, comme le montrent les efforts considérables qu’il a investis dans la poursuite de son baccalauréat et de sa maîtrise. Il était un mentor compétent pour ses subalternes, bien que certains puissent avoir besoin de temps pour s’habituer à son comportement direct. Il porte une attention remarquable aux détails et son approche aux problèmes est méthodique et mûrement réfléchie. Il a une riche expérience et son approche aux problèmes est extrêmement pratique et pragmatique. Il a une très grande confiance en ses grandes capacités et son jugement, ce qui fait qu’il éprouve parfois des difficultés à accepter une décision qui va à l’encontre de son opinion ou de ses conseils. Il est très préoccupé du bien et du développement de ses subalternes et il était respecté par sa branche et dans tout le QG. En résumé, il est un officier très compétent qui a démontré de grandes compétences dans les domaines de la planification, de la formation et de l’analyse.

 

[15]           La partie de la RDP intitulée « Plan d’action » indiquait ce qui suit :

Réaffecté comme cmdtA ASU Edmonton.

Devrait être employé en tant que planificateur long terme au niveau opérationnel ou stratégique, c’est-à-dire G5, pour un secteur/QG de Formation. Employé comme cmdt d’une unité/école/base /ASU.

 

 

[16]           Le RAP régulier suivant du demandeur couvrait la période d’avril 2005 à mars 2006. Il ne comportait aucune référence au renvoi. Il ne faisait que traiter de son travail de G3 au QG du 1 GBMC et de sa contribution en tant que cmdtA de la BFC/ASU à Edmonton dans des termes très positifs. Le RAP comprenait une recommandation par son agent de révision selon laquelle le demandeur devrait commander une unité ou une école et le Bgén Grant, qui était devenu le commandant du Secteur de l’Ouest de la Force terrestre, a recommandé le demandeur pour le commandement d’un bataillon d’infanterie. Une telle promotion aurait permis au demandeur de retourner sur le terrain, où il désirait énormément servir.

 

[17]           En juin 2006, huit mois après le renvoi, le comité de sélection de 2006 a promu le demandeur au grade de Lieutenant-colonel. Après sa promotion, il a été transféré à un autre travail de bureau au quartier général du Système de la doctrine et de l’instruction de la Force terrestre à Kingston, en Ontario. Il est devenu officier supérieur d’état-major, Directeur – Doctrine de l’Armée de terre.

 

[18]           Suivant sa promotion au grade de Lcol, les RAP du demandeur ont continué de s’améliorer et dans son RAP de 2007/2008, on a dit de lui qu’il était « prêt » à être promu et une recommandation a été faite pour qu’il reçoive le commandement d’une unité. Cela aurait constitué le commandement de campagne que le demandeur avait espéré recevoir. Toutefois, cette promotion n’a pas eu lieu et le demandeur a démissionné des Forces canadiennes en date du 1er juin 2009.

 

LE GRIEF

 

[19]           Le grief est daté du 14 février 2006 (le grief). Il comprend des déclarations de 12 membres des Forces canadiennes (les témoins du demandeur). Le demandeur a également décrit ses préoccupations de la manière suivante :

a.                   J’ai été destitué de mon poste de G3 sans motif, sans tentative de justification et en contravention des politiques des Forces canadiennes;

 

b.                  Ma destitution du poste de G3 a été aggravée par le fait qu’elle a été effectuée de manière inutilement blessante et d’une manière qui a eu le plus mauvais effet imaginable sur ma réputation et mon statut au sein des Forces canadiennes (FC);

 

c.                   Dans les faits, la destitution de ce poste impose un obstacle incontournable quant à mes perspectives d’être promu à un poste de commandant, ce qui porte préjudice à ma recommandation pour une promotion au poste de commandant, et elle m’empêche donc de réaliser un objectif de vie. À moins d’une réparation, cela a entraîné un congédiement injustifié et la fin de ma carrière militaire;

 

d.                  La destitution de mon poste a été aggravée par les déclarations publiques non justifiées faites à l’échelle nationale par le Brigadier-général (Bgén) Fraser au journaliste du National Post Chris Wattie, qui ont été reproduites dans un article publié dans l’édition du 15 novembre 2005 (pièce C). Encore une fois, cela était blessant et constituait une atteinte très grave à ma réputation et à mon statut au sein des Forces canadiennes et contre ma réputation à mon emploi potentiel hors des forces armées;

 

e.                   La revue du développement du personnel (RDP) concernant ma performance est erronée, ne respecte pas la politique des FC (pièce D) et semble constituer un effort préjudiciable pour justifier rétroactivement ma destitution du poste de G3 (pièce E).

 

L’ENQUÊTE

 

[20]           L’enquête a été menée par la Direction des griefs spéciaux – renseignements et enquêtes (l’autorité des griefs). Elle a entrepris d’établir les faits, ce qui impliquait notamment de recueillir les déclarations du Bgén Fraser et du Lcol Schreiber.

 

[21]           Le Bgén Fraser a fait sa déclaration le 7 mai 2008, approximativement deux ans et demi après l’EB. Elle comprend des motifs additionnels portant sur les préoccupations du Bgén Fraser à propos du demandeur. On y disait pour la première fois que le demandeur n’avait pas bien travaillé avec les membres de son équipe et que le Bgén Fraser avait discuté de cette question avec le demandeur. La déclaration disait ce qui suit :

●         Le Bgén Fraser a pris le commandement de la brigade en juillet 2005.

●         En août 2005, le QG et les unités de la brigade étaient sur le terrain pour un entrainement préparatoire à leur déploiement en Afghanistan (il s’agissait d’une évaluation opérationnelle menée par d’autres services).

●         Il est devenu évident que le G3 (le Maj McIlroy, tel qu’il était alors) ne s’intégrait pas à l’équipe et le Bgén Fraser a eu des discussions avec le G3 à ce sujet.

●         Il est également devenu évident que certains des autres officiers d’état-major (OEM) étaient forcés de corriger la situation attribuable au comportement du Maj McIlroy.

●         Les commandants de la brigade l’ignoraient et traitaient avec les autres officiers de la brigade.

●         Le fait que les officiers d’état-major de la brigade et les commandants ont dû ajuster leurs activités signifiait qu’une pression additionnelle s’ajoutait sur les épaules des autres personnes.

●         Le G3 avait de la difficulté à travailler avec les autres, ce qui a entraîné des problèmes interpersonnels qui ont affecté l’ensemble de l’équipe.

●         Cela a été noté par de nombreuses personnes dans la chaîne de commandement (CC), y compris par le Bridagier-général Grant, qui commandait la zone, et le Lieutenant-général Leslie. Pour le bien de l’ensemble de l’équipe, le G3 et une autre personne ont été renvoyés de l’équipe par le Bgén Fraser. Cela n’a eu aucune incidence sur la recommandation de promotion du G3.

●         Le Bgén Fraser a parlé avec la CC, et la « Regimental Guard » du G3 et a expliqué ce qui allait se produire – tous ont compris qu’il était nécessaire d’agir.

●         Les délais pour prendre la décision étaient très serrés, car la brigade s’apprêtait à partir pour l’Afghanistan.

●         Il n’y avait pas le temps de lui transmettre un avis quant à l’intention de le réaffecter et le G3 n’avait pas le temps de faire des commentaires – la décision devait être prise, et elle était appuyée par la CC. On a transmis au G3 les motifs précités au moment du renvoi du poste.

●         Le G3 était un OEM à l’époque et il a été transféré d’un poste d’OEM à un autre.

●         Le Bgén Fraser a parlé avec le personnel de la brigade après le renvoi des membres de l’équipe et il a indiqué qu’il ne s’agissait pas d’une question de savoir qui était le meilleur ou le pire, mais qu’il était plutôt question de la cohésion de l’équipe et de ceux qui s’y intégraient le mieux à ce moment. De plus, il s’agissait également de rassembler l’équipe adéquate sur le théâtre d’opérations en vue des défis particuliers qui étaient en vu.

●         Le Bgén Fraser était toujours convaincu que le Maj McIlroy était un bon officier d’état-major qui pouvait contribuer aux FC. Il a recommandé sa promotion.

●         Concernant l’article du National Post daté de novembre 2005, le Bgén Fraser n’a nommé personne et il a déclaré dans l’article qu’il était accompagné d’une bonne équipe, qui serait en mesure de relever les défis posés par la mission en Afghanistan.

 

[22]           La déclaration du Lcol Schreiber est datée du 10 avril 2008. Elle ne fait aucunement référence à l’incapacité du demandeur à travailler avec les autres membres de son équipe. Il a déclaré ce qui suit :

●         Je dois dire d’emblée que je considère que le Lcol McIlroy est un officier très compétent et doué et que la décision de le renvoyer du poste de G3 dans le QG, bien que cela a été fait à un moment malencontreux, a été prise dans les meilleurs intérêts du Lcol McIlroy et, surtout, de la force opérationnelle. Son renvoi n’avait pas pour but de mettre fin à sa carrière, bien que les parties impliquées à l’époque comprenaient qu’un geste aussi drastique aurait naturellement une incidence négative importante sur la réputation professionnelle du Lcol McIlroy, mais également sur le QG du 1 GBMC;

●         Jusqu’alors, l’ancien commandant de brigade (le Col Grant, aujourd’hui Mgén) et le Bgén Fraser avaient largement appuyé le perfectionnement professionnel de Rob. Malgré une cadence des opérations sans précédent au sein de la brigade, le Lcol McIlroy a été autorisé à prendre un congé de formation prolongé lors du printemps et de l’été 2005 pour terminer sa maîtrise;

●         Les motifs écrits pour le renvoi du Lcol McIlroy du poste de G3 figurent dans sa RDP datée de 2005 et lui ont été remis sous cette forme;

●         Compte tenu de son approche mûrement réfléchie, méthodique et détaillée, il a été décidé que le Lcol McIlroy performerait mieux dans un poste de planification (G5) que dans un poste aux opérations (G3), et son transfert au poste de G5 au sein de l’état-major de la brigade multinationale a été prévu à la fin de l’exercice de brigade (EB), c’est-à-dire en octobre 2005. De plus, comme le QG se transformait en une entité multinationale, le poste que le Lcol McIlroy occupait (G3) a été alloué à l’époque à un autre pays (cela a changé par la suite);

●         En tant que G3, le Lcol McIlroy n’était pas toujours d’accord avec les décisions prises par le commandant du 1 GBMC, le Bgén Fraser, et par moments, son désaccord était évident. Cela a entraîné des frictions entre eux;

●         Ultimement, les frictions ont entraîné une baisse de confiance de la part du Bgén Fraser à l’égard du Lcol McIlroy. Le commandant de la zone, le Bgén Grant, avait également senti les frictions et a donné son appui à la décision éventuelle du Bgén Fraser;

●         Le LCol McIlroy et moi avons parlé de sa frustration concernant son travail avec le Bgén Fraser, bien que je n’aie pas considéré cela comme constituant une forme de « discussion officielle ».

●         Lors du très stressant EB final d’octobre 2005, les officiers supérieurs étaient présents pour évaluer l’état-major. Il est devenu évident que les officiers supérieurs n’avaient plus confiance dans le LCol McIlroy. Par conséquent, le Mgén Leslie, un des officiers supérieurs présents, a recommandé au Bgén Fraser de considérer le renvoi du Lcol McIlroy du poste de G3;

●         Le Bgén Fraser a ensuite décidé de renvoyer le Lcol McIlroy, ce qui devait être fait au cours de cette semaine-là compte tenu des délais très serrés avant le départ pour l’Afghanistan;

●         Le Bgén Fraser a écarté la possibilité de transférer le Lcol McIlroy à un autre poste au sein du QG parce qu’il ne voulait pas mettre le Lcol McIlroy dans ce qui constituait à son avis une position embarrassante sur le plan personnel;

●         Le remplaçant du Lcol McIlroy a été nommé le même jour où ce dernier a été renvoyé de son poste de G3, car il devait prendre le rythme en raison du départ pour l’Afghanistan, prévu pour la semaine suivante;

●         La même décision a été prise pour un autre officier supérieur du QG, le G4, qui a été remplacé de manière similaire à la même époque;

●         Compte tenu des délais très serrés, il n’y avait tout simplement pas assez de temps pour permettre au Lcol McIlroy de corriger ses défauts – il fallait agir immédiatement;

●         Il s’agissait d’une décision très difficile à prendre pour le Bgén Fraser, une décision qu’il n’a pas prise à la légère. Il a longuement réfléchi dans les heures qui ont précédé le renvoi;

●         Il est vrai que le renvoi n’a pas été fait de façon idéale, mais c’était la seule option à l’époque. Cependant, l’intention n’était pas de briser la carrière du Lcol McIlroy, et il y avait encore un poste et une place pour lui dans les FC.

 

[23]           Une fois cette preuve réunie, elle a été analysée, en même temps que le grief, et un document appelé synopsis a été préparé (le synopsis). Ce dernier était daté du 22 juillet 2008; il comprenait les déclarations et formulait une recommandation au CEMD. Le synopsis a été fourni au demandeur et, dans une lettre datée du 29 août 2008, il a répondu à son contenu et à ses conclusions (la réponse). Le synopsis et la réponse ont été transmis au CEMD pour décision.

 

LA DÉCISION

 

[24]           Le CEMD a annulé la décision du Bgén Fraser de renvoyer le demandeur au motif qu’il avait été privé du droit à l’équité procédurale au moment du renvoi. Plus précisément, le CEMD a conclu que le demandeur n’avait pas reçu d’avis et qu’on ne lui avait pas donné l’occasion de présenter des observations avant que la décision de le renvoyer soit prise.

 

[25]           Le CEMD a ensuite rendu sa propre décision concernant la raisonnabilité du renvoi et a déterminé qu’il était raisonnable dans les circonstances. Il a donc rejeté le grief. Il a également conclu que le processus de grief avait permis au demandeur de se prévaloir de l’équité procédurale à laquelle il n’avait pas eu droit au moment du renvoi parce qu’il avait reçu une explication et une occasion de répondre.

 

[26]           Le CEMD a conclu que le renvoi n’avait pas eu d’incidence négative à long terme sur les perspectives de promotion du demandeur pour le commandement d’un bataillon d’infanterie. Il a observé que cette promotion n’était pas un dû dont le demandeur pouvait se prévaloir et il a ajouté qu’il était un membre important des Forces canadiennes.

 

[27]           Le CEMD a également examiné l’article et a conclu que le Bgén Fraser n’avait pas explicitement parlé au journaliste du congédiement de deux officiers. Il n’était pas clair non plus que le Bgén Fraser a utilisé le mot « congédier » parce que les autres commentaires qui lui étaient attribués étaient entre guillemets dans l’article, alors que ce mot ne l’était pas.

 

LES RÉPARATIONS DEMANDÉES

 

[28]           En l’espèce, le demandeur a demandé ce qui suit :

a.                   Une ordonnance annulant ou rejetant la décision, à l'exception de la conclusion selon laquelle le Lcol McIlroy n’a pas eu droit à l’équité procédurale;

b.                  Une ordonnance rendant les décisions énoncées dans les sous‑alinéas suivants et accordant les réparations appropriées ou ordonnant au chef d’état‑major de la défense de réexaminer la demande de réparation de grief en conformité avec les principes appropriés de l’équité procédurale, de la justice naturelle, de l’application adéquate de la loi et de l’exercice approprié de sa compétence et de rendre une nouvelle décision accordant la réparation de grief, rendant les décisions énumérées dans les sous-alinéas ci‑dessous et accordant les réparations appropriées. Plus précisément, le Lcol McIlroy demande ce qui suit :

 

(i)                  Une décision selon laquelle le Lcol McIlroy (à l’époque, le Major McIlroy) a été destitué sans motif ou justification du poste de G3 par le Brigadier-général David Fraser [Bgén Fraser] au cours d’un exercice de brigade [EB], le 15 octobre 2005 [la destitution];

 

(ii)                Une décision selon laquelle la destitution a entraîné la fin de la carrière du Lcol McIlroy en tant qu’officier d’infanterie sur le terrain en portant un préjudice irréparable à ses perspectives de promotion au poste de commandant d’un bataillon; il a plutôt été affecté ou relégué à un travail de bureau de façon permanente;

 

(iii)               Une décision selon laquelle le caractère préjudiciable de la destitution a été aggravé par le fait que la destitution a été effectuée de manière publique et humiliante et par le fait qu’elle a ensuite été publiée dans un média national par le Bgén Fraser;

 

(iv)              Une décision selon laquelle la revue de développement du personnel [RDP] du Lcol McIlroy du 15 décembre 2005 devrait être radiée;

 

(v)                Une décision selon laquelle le conseil de relève de la brigade tenu en novembre 2005 et les processus de nominations subséquents de l’Armée pour les postes de commandement auraient dû être reconsidérés sans faire référence à la destitution ou à la RDP du 15 décembre 2005, et sans la participation du Bgén Fraser et du Brigadier général Grant [Bgén Grant];

 

(vi)              Une décision selon laquelle le Lcol McIlroy aurait dû être réaffecté à un poste opérationnel et/ou un poste de commandant approprié, pour lequel le statut et les exigences concernant les aptitudes opérationnelles équivalaient au poste duquel il a été destitué en attendant la décision concernant la réparation de grief;

 

(vii)             Une décision selon laquelle le caractère inapproprié de la destitution aurait dû être reconnu et communiqué aux membres des Forces canadiennes qui ont participé à l’EB, et plus généralement, à tous les membres des Forces canadiennes;

 

(viii)           Une décision accordant une indemnité financière dans le cas ou tout ce qui précède n’aurait pas permis la réintégration du Lcol McIlroy dans son poste en temps opportun;

 

(ix)              Une décision fixant à 500 000 $ le montant de la compensation monétaire à payer au Lcol McIlroy.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[29]           Les deux parties disent que la norme de contrôle pour les décisions rendues par le CEMD dans une affaire de grief présentée en vertu de l’article 29 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 est celle de la raisonnabilité. À cet égard, elles citent Moodie c Canada (Ministre de la Défense nationale), 2009 CF 1217, 356 FTR 304, au paragraphe 18. J’ai examiné la décision du juge Near et je conviens que la norme de contrôle en l’espèce doit être celle de la raisonnabilité.

 

LES OBSERVATIONS DU DEMANDEUR

 

[30]           L’avocat du demandeur a critiqué la décision en faisant valoir qu’elle était fondée sur une preuve contradictoire et incomplète. Il a déclaré ce qui suit :

●          L’enquête n’a pas été effectuée correctement en ce qu’aucune déclaration n’a été recueillie auprès du MGen Leslie, qui a recommandé le renvoi, ni auprès du Bgén Grant, qui a dit au demandeur qu’il était renvoyé parce que le Bgén Fraser n’a pas reçu de communications adéquates au cours de l’EB. De plus, aucune déclaration n’a été recueillie auprès des témoins du demandeur concernant la déclaration du Lcol Schreiber selon laquelle des frictions s’étaient développées lorsque le demandeur a fait connaître ses divergences concernant les décisions du Bgén Fraser. Le demandeur critique également le fait qu’aucune question n’a été posée au Lcol Schreiber concernant, par exemple, la question de savoir quelles décisions prises par le Bgén Fraser ont fait l’objet des désaccords.

●          Le demandeur s’est vu refuser l’accès à des renseignements pertinents;

●          Ces éléments, pris conjointement avec le temps qu’il a fallu pour traiter le grief, montrent qu’il y avait partialité.

 

CONCLUSIONS

 

[31]           Dans l’ensemble, la preuve montre que le demandeur avait d’excellentes aptitudes en matière de planification et d’organisation qui comprenaient une « attention minutieuse pour les détails » et une maîtrise de « la planification mûrement réfléchie et détaillée ». Cependant, la preuve montre également qu’à l’approche de la date du déploiement en Afghanistan, le demandeur était devenu frustré et malheureux à l’égard de ses nouveaux commandants parce qu’ils ne le consultaient pas et parce qu’il était d’avis que la mission était mal planifiée. De plus, il était en désaccord avec des décisions prises par le Bgén Fraser et il a laissé ses sentiments transparaître. Ces problèmes ont entraîné des frictions entre le demandeur et le Bgén Fraser et en définitive, ils ont entraîné la perte de confiance du Bgén Fraser. Son opinion au sujet du demandeur était partagée par d’autres officiers supérieurs au cours de l’EB.

 

[32]           Le fait que le demandeur faisait des critiques étendues et fondamentales sur les opérations de la brigade, la validité de l’EB et les préparatifs pour l’Afghanistan est démontré dans sa réponse au synopsis. Il y déclare notamment ce qui suit :

10…Lors des exercices de préparation au combat pour le déploiement en Afghanistan, j’ai soulevé des préoccupations concernant les questions précises suivantes, lesquelles portaient toutes sur des éléments qui étaient de mon ressort compte tenu des responsabilités propres à mon poste de G3 :

 

a.                   Niveau des effectifs pour le quartier général arrière de la brigade;

b.                  Niveau des effectifs pour le quartier général de la brigade pendant l’exercice de brigade (EB);

c.                   Niveau des effectifs pour la mission en Afghanistan;

d.                  Attention insuffisante accordée à l’entraînement et la validité de l’EG;

e.                   Attention portée à l’entraînement du personnel de la brigade et faiblesses perçues au sein du personnel;

f.                    Attention portée à l’entraînement de l’escadron des transmissions de l’état-major de la brigade;

g.                   Attention insuffisante accordée aux mesures antiinsurrectionnelles et plus précisément, à la mission en Afghanistan;

h.                   Remaniement constant de la structure de l’état-major et le fait de ne pas avoir mis d’instructions permanentes d’opération en place (une préoccupation soulevée également dans la réponse du Major Tollas aux questions 8 et 10 et dans les réponses du Major Wright aux questions 9, 12 et 13 dans la pièce B);

i.                     Entraînements préparatoires inadéquats pour la mission;

j.                    Mauvais cycles de planification;

k.                  La relation entre le Bgén Fraser et le Lcol Hope.

[Les caractères gras sont de moi]

 

11. Lors des deux occasions où j’ai eu la possibilité de discuter individuellement avec le Bgén Fraser, j’ai soulevé les préoccupations suivantes concernant les préparatifs de la mission :

 

a.         Attention accordée à l’entrainement insuffisante et validité de l’EG;

b.         Attention insuffisante accordée aux mesures antiinsurrectionnelles et plus précisément, à la mission en Afghanistan;

c.         Préparatifs inadéquats pour la mission.

[Les caractères gras sont de moi]

 

[33]           La preuve montre que le demandeur était ouvertement mécontent au sujet de l’EB et de la mission en Afghanistan, qui étaient sous le commandement du Bgén Fraser, et qu’il a critiqué publiquement et de manière répétée les décisions du Bgén Fraser et le caractère adéquat des préparatifs pour la mission. À mon avis, cette preuve permet d’appuyer la conclusion du CEMD selon laquelle la décision était raisonnable en raison de la perte de confiance. Cependant, le CEMD s’est également appuyé sur le témoignage du Bgén Fraser selon lequel le demandeur n’avait pas bien travaillé avec son équipe à l’automne 2005. Ce problème n’a pas été mentionné par le Lcol Schreiber dans sa déclaration et la RDP n’en a pas traité. De plus, aucun des témoins du demandeur n’a parlé d’un problème de travail en équipe. J’ai donc conclu que le CEMD ne pouvait raisonnablement s’être appuyé sur ce témoignage comme justification du renvoi sans en confirmer la justesse avec le Bgén Fraser, car il semble possible, compte tenu du temps qui s’est écoulé, qu’il ait confondu les deux officiers qu’il a renvoyés du terrain au cours de l’EB. Cela dit, j’ai conclu que cette erreur n’était pas importante parce que, même s’il n’y avait pas de problème de travail en équipe, le reste de la preuve était suffisant pour justifier la perte de confiance.

 

PARTIALITÉ

 

[34]           J’ai conclu que la période de temps qu’a nécessité le processus de grief ne signifie pas qu’il y a eu partialité à l’encontre du demandeur. Le dossier montre que les délais ont été causés par des pénuries de personnel et par le fait que le grief du demandeur ne satisfaisait pas au critère pour le traitement prioritaire, parce qu’il était toujours un employé. De plus, le fait que le demandeur a reçu des versions expurgées des documents concernant l’EB n’est pas un signe de partialité, car il s’agissait d‘un exercice confidentiel. Enfin, bien que le demandeur ait demandé au CEMD de l’aider dans ses efforts pour obtenir les documents, tel n’est pas le rôle du CEMD et le fait qu’il n’a pas reçu d’aide ne signifie donc pas qu’il y a eu partialité.

 

[35]           Le demandeur fait également valoir que l’enquête est incomplète et que cela signifie qu’il y a eu partialité.

 

[36]           Lors de l’examen de la preuve, j’ai ciblé les questions non répondues suivantes :

1.                  Pourquoi n’y avait-il aucune déclaration du Bgén Grant ou du Bgén Fraser portant sur la déclaration du Bgén Grant au demandeur le 16 octobre 2005, qui laissait entendre que le renvoi avait été provoqué parce que le Bgén Fraser n’avait pas reçu des communications adéquates au cours de l’EB?

2.                  Pourquoi personne n’a demandé au Lcol Schreiber pour quelle raison sa déclaration et la RDP ne disaient rien au sujet du fait que le demandeur n’était supposément pas capable de bien travailler en équipe avant l’EB?

3.                  Pourquoi personne n’a demandé au Bgén Fraser la raison pour laquelle la RDP ne faisait pas état de l’incapacité du demandeur à bien travailler avec les autres membres de son équipe?

 

[37]           Dans un monde parfait, l’enquête aurait fourni des réponses à ces questions. Toutefois, le CEMD avait recueilli le témoignage des deux officiers supérieurs qui étaient les mieux placés pour décrire le renvoi, et leurs témoignages lui permettaient de conclure que le renvoi était raisonnable. Il est clair que les officiers supérieurs avaient perdu confiance dans le demandeur en raison de son attitude ouvertement critique. Dans ces présentes circonstances, je ne peux conclure que l’enquête était partiale.

 

LES OBSERVATIONS ADDITIONNELLES DU DEMANDEUR

 

[38]           Comme j’ai conclu que la décision du CEMD était raisonnable, il n’est pas nécessaire d’examiner les observations du demandeur concernant les réparations. Cependant, comme le demandeur a semblé attacher une grande importance à plusieurs autres questions, je les commenterai à titre d’obiter. Ces questions sont les suivantes :

(i)             La façon dont le renvoi a été effectué et l’article;

(ii)           L’incidence du renvoi sur ses perspectives de promotion;

(iii)          L’importance accordée aux témoins du demandeur par le CEMD;

 

(i)         La façon dont le renvoi a été effectué et l’article

 

[39]           Je suis convaincue que le renvoi n’a pas été effectué lors de l’EB dans le but d’accentuer l’incidence négative de ce dernier sur le demandeur. La réponse montre que les problèmes entre le Bgén Fraser et le demandeur se développaient depuis un certain temps. De plus, le grief montre qu’avant l’EB, le Lcol Schreiber avait suggéré que le demandeur soit moins critique à l’endroit du Bgén Fraser et il avait dit au demandeur que le Bgén Fraser considérait la possibilité de ne pas le déployer en Afghanistan. Cependant, il est clair qu’avant l’EB, aucune décision n’avait été prise concernant le déploiement du demandeur.

 

[40]           À mon avis, ce n’est que pendant la période stressante de l’EB que le Bgén Fraser et les autres membres de la chaîne de commandement ont reconnu que l’attitude du demandeur envers ses commandants signifiait qu’il ne pouvait demeurer sur le terrain.

 

[41]           Enfin, je note qu’en dépit du renvoi, les compétences du demandeur étaient grandement appréciées dans les domaines de la planification et de la formation et il était reconnu qu’il était en mesure de faire d’importantes et inépuisables contributions aux Forces canadiennes. Cela explique pourquoi le Bgén Fraser a ultérieurement recommandé le demandeur pour une promotion au grade de Lcol.

 

[42]           Concernant l’article, la déclaration du Bgén Fraser n’indique pas s’il a employé le mot « congédier » ou non et s’il a donné les renseignements au journaliste concernant les renvois. Le CEMD a conclu que le Bgén Fraser n’avait pas utilisé le mot « congédier » parce que le mot n’était pas entre guillemets. À mon avis, compte tenu du fait que les guillemets ont été utilisés à profusion et compte tenu de l’absence de preuve au sujet de la source de l’information concernant les renvois, j’estime que la conclusion du CEMD était raisonnable.

 

[43]           Cependant, même si le Bgén Fraser avait parlé des renvois au journaliste et qu’il avait utilisé le mot « congédiement », il avait le droit de dire la vérité dans le cadre de ses efforts pour persuader le public que seuls ses meilleurs officiers étaient déployés en Afghanistan. J’ai de la difficulté à comprendre la colère du demandeur concertant l’article parce que les membres des Forces canadiennes ayant participé à l’EB étaient probablement au courant du renvoi du demandeur, de sorte que l’article ne leur a pas fourni de nouveaux renseignements, et comme les noms des personnes « congédiées » n’ont pas été dévoilés, le public ne pouvait pas savoir que le demandeur ne faisait pas partie de « l’équipe A ».

 

(ii)        L’incidence du renvoi sur les perspectives de promotion du demandeur

 

[44]           La preuve n’est pas claire en ce qui concerne la question de savoir si la promotion du demandeur a été envisagée en 2007. Le CEMD a conclu que deux scénarios étaient possibles : soit le nom du demandeur n’a pas été soumis pour la promotion, soit il a été soumis, mais n’a pas été choisi. Le CEMD a déterminé que compte tenu du renvoi, le fait que son nom n’a pas été proposé ou qu’il n’a pas été promu était une conséquence du renvoi. Le demandeur ne conteste pas cette conclusion.

 

[45]           Cependant, le CEMD a également conclu que le renvoi n’avait eu aucune incidence à long terme parce qu’en 2008, le nom du demandeur a été soumis pour une promotion à un poste de commandement avec d’excellentes recommandations. Le CEMD a déclaré que le fait qu’il n’ait pas été choisi ne pouvait être attribuable au renvoi.

 

[46]           À mon avis, cette conclusion n’était pas raisonnable parce que le CEMD n’a pas considéré le témoignage du demandeur selon lequel le Col Simms lui a dit qu’après 2008, il ne serait pas considéré pour le poste de chef de bataillon et que sans avoir servi en Afghanistan, il n’aurait pas l’expérience nécessaire pour ce genre de promotion. De plus, une bonne partie des témoins du demandeur ont déclaré qu’ils pensaient que ses chances d’être promu étaient faibles. Cependant, il ne s’agit pas d’une erreur importante, car comme son renvoi était raisonnable, telles en étaient les conséquences.

 

(iii)       L’avis du CEMD sur les témoins du demandeur

 

[47]           Sur ce point, le CEMD a indiqué ce qui suit :

Comme cela a été dit précédemment, vous avez contesté les déclarations du Bgén Fraser et du Lcol Schreiber et vous avez réaffirmé que leurs opinions et leurs décisions étaient partiales. Vous avez fait valoir que plus de dix personnes ont déclaré appuyer votre point de vue. J’ai considéré ces déclarations et je note qu’elles ont été faites principalement par des pairs et des collègues qui ne connaissaient pas nécessairement l’ensemble de la situation ayant mené à votre renvoi ou les préoccupations du Bgén Fraser et du Lcol Schreiber. Votre renvoi était essentiellement une question de confiance. Comme je suis confronté à des points de vue divergents, je dois apprécier les témoignages fournis par vos supérieurs et les opinions fournies par vous et vos pairs. La question de confiance entre un CFO [commandant de la force opérationnelle] et les membres clés de son personnel est d’une grande importance pour le succès d’une mission dans son ensemble. Il s’agit principalement d’une relation orientée du haut vers le bas. Dans votre cas, compte tenu des circonstances et de l’importance de la mission en Afghanistan, je donnerai plus de poids aux arguments fournis par votre chaîne de commandement qu’aux vôtres ou celles de vos pairs pour ce qui est de la perte de confiance dans vos capacités de G3. La preuve montre que le Bgén Fraser n’avait plus confiance en vous pour être son G3. Ce faisant, il devait agir. Il a choisi de vous renvoyer de votre poste. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que la décision du Bgén Fraser, à titre de CFO, de vous renvoyer de votre poste de G3 était raisonnable dans les circonstances.

 

 

[48]           À mon avis, la conclusion du CEMD sur cette question était raisonnable parce que les témoins du demandeur n’étaient pas dans la meilleure position possible pour observer les officiers supérieurs et comprendre comment ils réagissaient aux critiques du demandeur à l’égard des préparatifs pour la mission en Afghanistan et des décisions du Bgén Fraser en la matière.

 

LA REQUÊTE

 

[49]           Le demandeur a défendu la demande devant moi sans s’appuyer sur l’affidavit Alden.

 

[50]           Par conséquent, une ordonnance sera rendue pour accueillir la requête en radiation du défendeur concernant l’affidavit Alden parce qu’il n’était pas nécessaire pour disposer de la présente demande.

 

[51]           Cependant, l’ordonnance sera rendue sans préjudice au droit du demandeur, s’il le juge opportun, de demander l’autorisation de produire l’affidavit Alden comme nouvel élément de preuve en appel.

 

DÉPENS

 

[52]           Les défendeurs ont demandé que les dépens leur soient adjugés. Mais, compte tenu du délai important (trois ans) pour la résolution du grief, dans des circonstances où le demandeur considérait raisonnablement que le temps était important et où il a communiqué ce fait à de nombreuses reprises à l’autorité des griefs, j’ai décidé d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et de ne pas adjuger de dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR DÉCIDE que :

 

(i)                    La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

(ii)                  L’affidavit Alden est radié du dossier sans qu’il ne soit porté préjudice au droit du demandeur de demander l’autorisation de le produire en preuve en appel.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-369-09

 

INTITULÉ :                                       LIEUTENANT-COLONEL R.D. McILROY c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :   LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

LLOYD HOFFER

POUR LE DEMANDEUR

 

JACQUELINE DAIS-VISCA

STEWART PHILIPS

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HOFFER ADLER s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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