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Date : 20110209

Dossier : T-988-10

Référence : 2011 CF 145

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

MOHAMAD RAGHEB ABBAS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté (L.R. 1985, ch. C-29) (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 16 avril 2010 par laquelle un juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté du demandeur.

 

Rappel des faits

[2]               Le demandeur est arrivé au Canada le 17 septembre 2003. Il est devenu résident permanent le 12 mai 2005 et a présenté une demande de citoyenneté le 21 mars 2008. Pour justifier son refus de la demande, le juge de la citoyenneté a indiqué qu’il était préoccupé par l’absence de « piste de vérification » permettant de savoir si le demandeur avait effectivement résidé au Canada. Le demandeur s’était trouvé à l’extérieur du Canada pendant 186 jours aux Émirats arabes unis de sorte qu’après déduction de sa période de résidence totale de 1 252 jours, il se retrouvait avec 1 095 jours de présumée résidence au Canada.

 

[3]               Au moment de la présentation de sa demande de citoyenneté canadienne, en mars 2008, M. Abbas croyait avoir accumulé exactement le nombre minimum de jours de résidence au Canada requis par l’alinéa 5(1)c) de la Loi. L’alinéa 5(1)c) de la Loi oblige le candidat à la citoyenneté à résider au Canada pendant trois des quatre années précédant sa demande de résidence permanente (c.-à-d. 1 095 sur 1 460 jours). Le juge de la citoyenneté a rejeté la demande de M. Abbas en concluant ce qui suit :

[traduction]

 

Le principal problème que comporte le présent dossier est l’absence d’éléments de preuve objectifs démontrant l’existence d’une « piste de vérification » confirmant que l’intéressé a vécu au Canada pendant la période en cause, et ce, dans le but de démontrer que M. Abbas a établi et maintenu sa résidence pendant le nombre de jours exigé par la Loi.

 

En matière de résidence, c’est au demandeur qu’il appartient de démontrer qu’il a résidé au Canada pendant trois des quatre années au cours de la période en cause pour démontrer qu’il satisfait aux obligations de résidence prévues par la Loi qui ont été énoncées dans la décision Maharatnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté), [2000] A.C.F. no 405 (C.F. 1re inst.). Le demandeur ne l’a pas fait.

 

Appliquant le critère de résidence proposé par le juge Muldoon dans la décision Pourghasemi, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que vous satisfaites aux exigences en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

 

[4]               Le juge de la citoyenneté, qui mettait en doute la véracité du témoignage et des documents, a déclaré qu’il n’était pas convaincu que les renseignements fournis par M. Abbas dans sa demande de citoyenneté correspondaient fidèlement au nombre de jours pendant lesquels il avait effectivement été présent au Canada. En appliquant le critère posé dans la décision Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232, le juge de la citoyenneté a conclu que M. Abbas ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. M. Abbas sollicite le contrôle judiciaire de cette décision en faisant valoir que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en appliquant la décision Pourghasemi.

 

La question en litige

[5]               Le demandeur soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en appliquant le critère de résidence énoncé dans la décision Pourghasemi. Il fait valoir qu’il n’existe qu’un seul bon critère juridique, à savoir l’analyse à six volets proposée dans la décision Koo, [1993] 1 C.F. 286, que notre Cour a par la suite suivie dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Takla, 2009 C.F. 1120, et que le juge de la citoyenneté aurait dû appliquer ce critère lors de l’examen de sa demande. M. Abbas affirme que le juge de la citoyenneté était tenu de suivre la décision Takla, qui avait été rendue environ cinq mois avant la décision du juge de la citoyenneté et qui avait été suivie par d’autres juges de la Cour fédérale. La question en litige en l’espèce est donc celle de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en suivant la décision Pourghasemi et non la décision Takla.

 

Analyse

[6]               À l’appui de sa thèse, le demandeur signale diverses décisions récentes dans lesquelles notre Cour a appliqué le critère qualitatif des décisions Koo et Takla, notamment : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Elzubair, 2010 CF 298; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Cobos, 2010 CF 903; Dedaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 777.

 

 

[7]               L’avocate du défendeur signale toutefois que le critère quantitatif énoncé dans la décision Pourghasemi a également été appliqué par notre Cour, à la suite de la décision Takla, ainsi que dans d’autres affaires, de sorte que le choix du critère à appliquer revient toujours au juge de la citoyenneté, à condition que celui‑ci exprime clairement et de façon raisonnable les raisons de son choix (voir, par exemple : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Jeizan, 2010 CF 323; Sarvarian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1117; Alexander David Cardin c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 29). Le défendeur fait par ailleurs observer que le raisonnement suivi dans la décision Takla n’est qu’une opinion incidente et que la décision ne lie pas les autres juges de la Cour.

 

[8]               Indépendamment du critère qui est retenu, il incombe à tout candidat à la citoyenneté de soumettre des éléments de preuve suffisamment crédibles pour permettre l’appréciation de la résidence, qu’elle soit quantitative (Pourghasemi) ou qualitative (Koo). À cet égard, le juge de la citoyenneté doit tirer des conclusions de fait que notre Cour ne peut modifier que si elles sont déraisonnables.

 

[9]               La nécessité de présenter des éléments de preuve crédibles et cohérents pour établir la résidence, peu importe la définition que l’on en donne, ne disparaît pas lorsqu’on applique le critère quantitatif ou le critère qualitatif. C’est bien ce qu’a reconnu le juge Mainville dans la décision Takla :

Finalement, comme dernier point, il est utile de souligner que l’application du critère de la décision Koo et l’analyse en six questions qui y est rattaché ne sont utiles que dans la mesure où la résidence au Canada a été effectivement établie à une date préalable à la demande de citoyenneté afin de permettre effectivement le calcul d’une période de résidence en vertu de la Loi sur la citoyenneté. En effet, si la résidence n’a pas été établie au préalable, il n’y a pas lieu de procéder à une analyse plus poussée (par. 50).

 

[10]           De même, la juge Layden-Stevenson (maintenant juge à la Cour d’appel) propose un cadre d’analyse efficace au sujet de la façon de procéder au contrôle des décisions en matière de citoyenneté. Dans la décision Goudimenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 447, au paragraphe 13, elle déclare ce qui suit :

Le problème que pose le raisonnement de l’appelant est qu’il ne tient pas compte de la question préliminaire, soit l’établissement de sa résidence au Canada. Si le critère préliminaire n’est pas respecté, les absences du Canada ne sont pas pertinentes […] Autrement dit, à l’égard des exigences de résidence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, l’enquête se déroule en deux étapes. À la première étape, il faut décider au préalable si la résidence au Canada a été établie et à quel moment. Si la résidence n’a pas été établie, l’enquête s’arrête là. Si ce critère est respecté, la deuxième étape de l’enquête consiste à décider si le demandeur en cause a été résident pendant le nombre total de jours de résidence requis. C’est à l’égard de la deuxième étape de l’enquête, et particulièrement à l’égard de la question de savoir si les périodes d’absence peuvent être considérées comme des périodes de résidence, qu’il y a divergence d’opinion au sein de la Cour fédérale.

 

[11]           Le raisonnement de la juge Layden-Stevenson s’applique à la présente demande. La résidence elle-même doit être établie par preuve prépondérante. Dans le cas qui nous occupe, le juge de la citoyenneté a conclu que la preuve était insuffisante pour établir la résidence, étant donné que la preuve n’était ni claire ni cohérente. Le juge de la citoyenneté a notamment fait observer ce qui suit :

a.       Dans son questionnaire de résidence, le demandeur avait indiqué qu’il vivait et travaillait à Dubai, aux Émirats arabes unis, depuis mars 2008, ce qui contredisait carrément ce qu’il avait déclaré à CIC lors de son examen pour l’obtention de la citoyenneté;

 

b.      Il y avait des contradictions au sujet de son adresse en mars 2008; on ne savait pas avec certitude s’il vivait à Windsor, en Ontario, ou aux Émirats arabes unis;

 

c.       La preuve était contradictoire au sujet de la question de savoir s’il vivait avec sa femme à Windsor ou si sa femme avait vécu avec lui aux Émirats arabes unis pendant 18 mois;

 

d.      Il y avait une contradiction entre l’adresse canadienne indiquée dans le questionnaire sur la résidence et la résidence indiquée sur son permis de conduire temporaire de l’Ontario;

 

e.       Il avait demandé son permis de conduire temporaire de l’Ontario la veille de l’audience.

 

[12]           Le demandeur ne conteste pas ces conclusions, mais fait reposer sa cause sur son assertion que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le critère articulé dans la décision Takla, précitée. Ainsi qu’il a été signalé, conformément à la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999), 164 FTR 177, dès lors que le juge de la citoyenneté adopte et applique un critère correctement, sa décision ne sera pas modifiée. La décision Takla n’a pas eu pour effet d’infirmer la décision Lam, contrairement à ce que le demandeur prétend, et elle ne pouvait avoir cet effet.

 

[13]           De plus, ainsi que nous l’avons déjà signalé, peu importe le critère que le juge de la citoyenneté applique, il doit y avoir un fondement factuel suffisant pour justifier dès le départ l’application d’un critère. À mon avis, si le juge de la citoyenneté avait appliqué la décision Takla, l’issue de la cause de M. Abbas n’aurait pas été différente que celle à laquelle aurait donné lieu l’application de la décision Pourghasemi. Il y avait tout simplement trop de contradictions inexpliquées en ce qui concerne la résidence dans sa demande et ces contradictions ne pouvaient se volatiliser comme par magie en recourant à l’analyse qualitative préconisée dans les décisions Koo et Takla. Des éléments de preuve contradictoires ou ambigus, s’agissant de la résidence, ne deviendront pas plus solides ou plus cohérents par suite de l’application du critère qualitatif de la décision Koo.

 

[14]           Il est bien établi en droit que la norme de contrôle des décisions des juges de la citoyenneté est celle de la décision raisonnable (Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 483; El Falah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 736). En conséquence, lorsqu’on a affaire à des questions mixtes de fait et de droit, comme c’est le cas lorsqu’il s’agit d’appliquer le critère de la résidence aux faits particuliers de l’espèce, ou lorsqu’on a affaire à des questions purement factuelles, comme lorsqu’on calcule le nombre de jours de présence au Canada, la juridiction de révision doit analyser les motifs de la juridiction inférieure pour s’assurer qu’ils appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190). En l’espèce, les diverses explications fournies par le demandeur au sujet de sa résidence de facto au Canada, de l’endroit où résidait sa femme et de la question de savoir s’ils vivaient ensemble ne permettaient pas de savoir, selon la prépondérance des probabilités, si la question préliminaire de la résidence avait été établie conformément aux exigences de la décision Goudimenko, précitée.

 

[15]           Pour ces motifs, j’estime que la décision du juge de la citoyenneté appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« Donald J. Rennie »  

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-988-10

 

INTITULÉ :                                                   MOHAMAD RAGHEB ABBAS c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 11 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Wennie Lee

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Sally Thomas

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Wennie Lee

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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