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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101223

Dossier : IMM-2017-10

Référence : 2010 CF 1323

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

 

ANA ELVIA HERNANDEZ HERNANDEZ ET WANDA PATRICIA ROJAS HERNANDEZ

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et visant une décision de la Section de la protection des réfugiés (la Commission), datée du 3 mars 2010, aux termes de laquelle Elvia Hernandez Hernandez (la demanderesse principale ou la DP) et Wanda Patricia Rojas Hernandez (la deuxième demanderesse) ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention ou des personnes à protéger.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs exposés ci-dessous.

 

Les faits

[3]               Les deux demanderesses sont des citoyennes de la Colombie. La demanderesse principale est la mère de la deuxième demanderesse.

 

[4]               Les demanderesses ont fui la Colombie en 2007 et ont demandé l’asile au Canada en raison de leur crainte des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Arrivées au Canada en 2003, les deux autres filles de la DP avaient déjà été acceptées comme réfugiées au sens de la Convention.

 

La demanderesse principale

[5]               La demanderesse principale était auparavant avocate et substitut du procureur général en Colombie. Son mari, décédé en 1980, était juge. La famille possédait une exploitation bovine dans une région qui est passée sous la domination des FARC. La famille a commencé à faire régulièrement l’objet de menaces des FARC en 1986, en raison de sa position en vue dans le pays. En l’an 2000, les FARC se sont emparées complètement de l’exploitation et ont volé tout le cheptel. En 2003, les demandeurs ont recommencé à recevoir des menaces.

 

[6]               Durant ce temps, la DP connaissait également des difficultés avec son patron. Selon ses allégations, son patron la harcelait sexuellement et, comme elle refusait ses propositions, il avait ordonné sa mutation dans une région du pays réputée comme dangereuse à cause des activités des FARC. Étant donné ce que les FARC lui avaient déjà fait subir, la DP s’est opposée à sa mutation et s’est plainte qu’il s’agissait là de [traduction] « représailles ».

 

[7]                Elle allègue que son patron, à titre de représailles supplémentaires pour son refus, avait ordonné la tenue d’une enquête à son sujet en matière de corruption. Il avait accusé la DP d’avoir, en contrepartie d’argent pour elle-même, donné son accord pour que trois agents de police accusés d’avoir extorqué de l’argent d’un criminel ne soient pas poursuivis. Suite à ces accusations, la DP a été arrêtée en 2003 et incarcérée dans l’attente d’un procès. Son procès a eu lieu en 2005 et elle a été déclarée coupable d’abus d’autorité et de concussion (l’équivalent de la corruption).

 

[8]               La DP soutient qu’elle n’a pas commis les crimes allégués et que sa poursuite judiciaire avait comporté de nombreuses irrégularités. De plus, le procureur responsable de son dossier avait des liens étroits avec son ancien patron. Elle a interjeté appel de sa peine, laquelle a été réduite.

 

[9]               Elle a été finalement libérée en 2006 sous conditions, l’une d’entre elles étant qu’elle ne devait pas quitter le pays sans autorisation. La DP allègue que, dès sa libération en juillet 2006, elle a commencé à solliciter l'autorisation de quitter le pays, car elle croyait ne plus bénéficier de la protection contre les FARC. Elle avait auparavant bénéficié d’une protection officielle en raison de son emploi jusqu’en 2000.

 

[10]           La deuxième demanderesse a déclaré avoir joint l’ambassade du Canada dans le cadre de ses tentatives pour quitter la Colombie, mais n’avoir reçu aucune réponse. La DP a aussi déclaré avoir demandé l'autorisation de quitter le pays à la Cour d’exécution des jugements. Elle allègue également avoir aussi fait une déclaration au procureur général à propos de sa crainte des FARC.

 

[11]           Le 28 août 2007, l’avocat de la DP a dit à celle‑ci que le temps du jugement s’était écoulé et qu’elle pouvait quitter le pays. Il était parvenu à cette conclusion après s’être rendu au ministère de la Sécurité administrative (le MSA) pour quérir un rapport en son nom, rappport selon lequel tout était réglé. De l’avis de la demanderesse principale, la Cour d’exécution des jugements n’a pas répondu en temps opportun à sa requête de quitter le pays. La Cour d’exécution des jugements a alors refusé son départ de la Colombie sans donner de raisons. La DP a de nouveau interjeté appel de cette décision et le même magistrat qui avait rejeté son appel n’a pas répondu à sa deuxième demande.

 

[12]           Comme elles ne recevaient pas de réponse, les demanderesses se sont rendues le 4 septembre 2007 à l’aéroport, où elles ont rencontré des agents du MSA que la PD avait connus autrefois dans le cadre de son travail à cet endroit. À l’aéroport, les autorités ont procédé à une vérification dans leur ordinateur et, ne trouvant rien, ont souhaité un bon voyage aux demanderesses, lesquelles ont alors quitté la Colombie pour se rendre au Canada. La demanderesse principale croyait qu’il n’y avait pas de procès contre elle en Colombie et qu’elle avait obtenu un certificat de dossier criminel blanchi.

 

La deuxième demanderesse

[13]           Pendant que sa mère était en prison, la deuxième demanderesse l’aidait relativement à ses problèmes judiciaires. Elle s’est également mise à fréquenter l’université dans l’attente du procès de sa mère. En décembre 2004, les FARC l’ont abordée et lui ont remis un message pour sa mère. Après cet incident, elle a déménagé tout en continuant d’aller à l’université.

 

[14]           Près de cinq mois plus tard, les FARC ont bandé les yeux de la deuxième demanderesse, l’ont bâillonnée et mise dans un véhicule. Ils l’ont informée que sa mère leur devait une grosse somme d’argent et que, si elle ne payait pas, il lui serait causé du tort. Après cet incident, la deuxième demanderesse a cessé de fréquenter l’université et s’est cachée, se déplaçant souvent d’une maison à une autre.

 

[15]           Après la libération de la DP, les demanderesses ont de nouveau déménagé et ont tenté de vendre l’exploitation bovine pour éviter d'avoir d'autres ennuis avec les FARC. L’exploitation bovine a été vendue en mai 2007. Peu après la vente, les FARC ont de nouveau trouvé les demanderesses et leur ont dit qu’elles avaient huit jours pour leur remettre le produit de la vente de l’exploitation bovine, faute de quoi elles seraient tuées. Les FARC les ont également averties qu’elles constituaient désormais toutes les deux des cibles militaires. Les demanderesses ont immédiatement cherché à se cacher chez un ami qui possédait une exploitation agricole. Elles y sont restées pendant trois mois. Elles se sont ensuite rendues à Bogotá, se sont envolées vers les États-Unis et sont entrées au Canada où elles ont déposé leurs demandes d’asile.

 

La décision contestée

[16]           Les questions déterminantes en l’espèce sont l’exclusion, le bien-fondé de la crainte de persécution, le défaut de présenter une demande ailleurs, la crédibilité, les opinions politiques imputées et la menace à la vie et le risque de traitements ou peines cruels et inusités, ainsi que la question de savoir si les demanderesses ont réfuté la présomption de protection de l’État.

 

La demanderesse principale

[17]           La Commission a conclu à l’exclusion de la demanderesse principale en application de la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies. En parvenant à cette conclusion, la Commission a noté que le gouvernement de la Colombie avait pris des mesures pour remédier à la corruption, bien que ce ne fût pas parfait. La Commission n’a pas souscrit à l’argument de l’avocat de la demanderesse selon lequel elle devait conclure que le crime dont la demanderesse avait été déclarée coupable n’avait pas été commis. La Commission estimait qu’elle n’avait pas compétence pour rendre ce type de décision. Elle a également déclaré que la demanderesse avait eu la possibilité de se faire entendre par une cour en Colombie et que ce n’était pas à la Commission de rendre une décision relativement au jugement de la cour.

 

La deuxième demanderesse

[18]            Les questions déterminantes en ce qui concerne la deuxième demanderesse étaient de savoir si les préjudices qu’elle craignait de subir équivalaient à de la persécution ou à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[19]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’il existait des raisons sérieuses de penser qu’elle s’exposerait à la persécution ou à des préjudices graves si elle retournait en Colombie. La Commission a conclu au caractère déraisonnable de la crainte de la deuxième demanderesse de faire l’objet de persécution de la part des FARC advenant son retour à Bogotá, en Colombie. La Commission a noté que, bien que les menaces d’assassinat eussent commencé en l'an 2000 et que la deuxième demanderesse eût dû apparemment se cacher continuellement, la deuxième demanderesse avait pu résider à Bogotá où elle avait fréquenté l’école de 1991 jusqu’à 2006, ayant été à l’école aux États-Unis d’août 2001 à mai 2002 et étant revenue à Bogotá pour y résider et y aller à l’école, et que rien ne lui avait été fait par les membres des FARC.

 

[20]           La Commission a également tiré des inférences négatives du fait que les demanderesses n’avaient pas joint les autorités relativement aux allégations de menaces de mort proférées par les FARC. La Commission a déclaré que, si elles avaient été vraiment intéressées à lui causer des préjudices ou à la tuer, les FARC auraient trouvé la deuxième demanderesse dans la période de deux ans entre mai 2005 et son départ de la Colombie pour les États-Unis en septembre 2007.

 

[21]           La Commission a en outre affirmé que si les FARC avaient donné huit jours à la demanderesse principale pour payer l’argent provenant de la vente de l’exploitation bovine et que cet argent n’eût pas été payé, les FARC auraient sûrement fait en sorte que ni la demanderesse principale, ni la deuxième demanderesse ne pussent fuir la Colombie sans payer le produit de la vente de l’exploitation bovine, dans les cinq mois écoulés entre la vente du 9 mai 2007 et leur départ pour les États‑Unis le 4 septembre 2007.

 

[22]           La Commission a déclaré que les allégations de la deuxième demanderesse selon lesquelles elle s’était cachée pendant deux ans n’étaient pas étayées par la preuve. La Commission a conclu que la déclaration de la deuxième demanderesse dans son FRP selon laquelle elle avait fréquenté l’école durant ce temps était contredite par sa déclaration selon laquelle elle s’était cachée.

 

Les questions litigieuses

[23]           Les questions litigieuses sont les suivantes :

a.       La conclusion de la Commission selon laquelle elle n’avait pas compétence pour « intervenir relativement à une décision des tribunaux colombiens » était-elle erronée?

b.      La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse principale n’avait pas qualité de réfugiée en application de la section Fb) de l’article premier était-elle déraisonnable à la lumière de la preuve dont elle disposait?

c.       La conclusion de Commission selon laquelle les FARC seraient parvenues à trouver la deuxième demanderesse et à lui causer des préjudices si elles avaient vraiment été intéressées à elle était‑elle déraisonnable?

 

La norme de contrôle applicable

[24]           La Cour a conclu que la question de l’exclusion découlant de la section F) de l’article premier est une question mixte de fait et de droit à laquelle la raisonnabilité s'applique comme norme de contrôle (Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 238, 324 FTR 62 (C.F.), au paragraphe 10).

 

[25]           Les autres questions, ayant trait à la considération de la preuve par la Commission, qui sont des questions de fait, appellent une norme de contrôle exigeant la retenue judiciaire (Villicana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1205, 357 FTR 139, aux paragraphes 35 à 39). En conséquence, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

a. La conclusion de la Commission selon laquelle elle n’avait pas compétence pour « intervenir relativement à une décision des tribunaux colombiens » était-elle erronée?

Les observations des demanderesses

[26]           Les demanderesses soutiennent que la Commission a refusé d’examiner le moindrement en détail les circonstances dans lesquelles la déclaration de culpabilité de la DP avait eu lieu et la preuve dont elle disposait, parce qu’elle croyait qu’elle n’avait pas compétence pour le faire (paragraphes 32 à 38 de la décision).

 

[27]           Les demanderesses soutiennent en outre que la déclaration de la Commission selon laquelle elle n’avait pas compétence pour intervenir relativement à la déclaration de culpabilité et pour examiner les circonstances et les faits qui avaient été allégués constituait une erreur de droit manifeste. Les demanderesses font valoir qu’un tel examen est, dans le contexte d’une évaluation fondée sur la section Fb) de l’article premier, tout à fait opportun, voire requis.

 

[28]           Les demanderesses soutiennent que, selon la jurisprudence, la Commission n’a pas le droit de considérer la seule existence d’une déclaration de culpabilité comme étant une preuve suffisante de la participation à un crime grave de droit commun. La Commission doit prendre en compte des facteurs comme les circonstances du crime, la méthode de la poursuite et la peine avant de parvenir à une telle conclusion (Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164, au paragraphe 44 (Jayasekara (CAF)); Rihan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 123, [2010] A.C.F. no 134 (QL)). Les demanderesses font valoir que l’obligation de la Commission de procéder à une analyse des circonstances d’une déclaration de culpabilité est encore plus grande lorsque le demandeur allègue que des facteurs atténuants justifient de ne pas l’exclure, tels que la corruption, et lorsque la position du demandeur est abondamment étayée par la preuve au dossier.

 

[29]           Les demanderesses invoquent la décision Rihan, précitée, aux paragraphes 54 et 55, dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit :

Le constat qui se dégage est que la section Fb) de l’article premier laisse aux signataires de la Convention une latitude appréciable pour exclure tant des demandeurs criminels que des demandeurs qui peuvent être des criminels. La section Fb) n’est pas limitée aux crimes susceptibles d’extradition et ne requiert pas la preuve d’une déclaration de culpabilité ni même une allégation, de la part d’autorités étrangères, qu’un crime visé à cette disposition a été commis.

 

Cela dit, l’engagement du Canada envers les réfugiés au sens de la Convention commande aux membres de la SPR [de la Commission] d’examiner très attentivement la preuve dont ils sont saisis avant d’appliquer les dispositions d’exclusion de la Convention.

 

Les observations du défendeur

[30]           Le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable de conclure que la demanderesse avait commis un crime de droit commun.

 

[31]           Premièrement, le défendeur affirme qu’il était raisonnable de conclure à la gravité du crime, étant donné que le crime équivalent au Canada du crime allégué était punissable d’un emprisonnement  maximal de 14 ans. Le défendeur note que les tribunaux ont conclu qu’il était raisonnable de considérer comme « grave » toute infraction pour laquelle le Parlement a prévu une peine maximale de dix ans ou plus au Canada (Jayasekara (CAF), précité, au paragraphe 40).

 

[32]           Le défendeur invoque aussi Pineda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 454, [2010] A.C.F. no 538 (QL), aux paragraphes 27 à 30, Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304, où il a été déclaré que la Commission pouvait s’appuyer sur un mandat d’arrêt pour conclure à l’existence de motifs raisonnables de conclure qu’un défendeur avait commis un crime grave à l’étranger. Le défendeur souligne que, en l’espèce, la preuve ne consistait pas seulement en un mandat d’arrêt, mais dans le fait que la demanderesse avait été déclarée coupable et que sa déclaration de culpabilité avait été confirmée en appel et qu’il existait des documents judicaires qui exposaient de façon détaillée les accusations.

 

[33]           Le défendeur soutient que, contrairement à l’observation de la demanderesse, ce n’est pas le rôle de la Commission de décider si la demanderesse a en fait commis des crimes graves de droit commun. La section Fb) de l’article premier requiert seulement l’existence de raisons sérieuses de penser qu’elle a commis un tel crime (Deng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 943, [2007] A.C.F. no 1228 (QL), au paragraphe 11, citant Xie, précité, au paragraphe 23).

 

[34]           Le défendeur soutient en outre que l’arrêt Rihan, invoqué par la demanderesse, pouvait être écarté sur le fondement de ses faits parce que, dans cette affaire, le demandeur n’avait pas fait de restitution, que la seule preuve favorable à l’exclusion était un mandat et que la Commission ne s’était pas penchée sur la preuve présentée par le demandeur selon laquelle les accusation reposaient sur une preuve fabriquée.

 

[35]           Le défendeur fait en outre valoir qu’il était, en l’espèce, raisonnable pour la Commission de rejeter la prétention de la DP selon laquelle elle avait été injustement déclarée coupable. La Commission a considéré les facteurs suivants :

a.       La DP avait un avocat et avait fait appel à la Cour suprême de justice.

b.      La lettre de l’avocat précédent de la demanderesse en Colombie ne comportait aucune précision sur les raisons pour lesquelles il croyait que la demanderesse avait été injustement déclarée coupable en Colombie.

c.       La preuve montrait que le patron de la demanderesse faisait l’objet d’une enquête pour corruption et que la Cour suprême avait imposé par jugement une interdiction de 15 jours, du fait qu’elle ne trouvait pas de preuve contre lui (paragraphe 36 des motifs).

d.      La Commission a conclu que la Cour suprême en Colombie s’était également penchée sur les allégations contre le patron de la demanderesse principale et avait tiré ses conclusions.

e.       La preuve donnait à penser que le gouvernement de la Colombie avait pris des mesures pour remédier à la corruption.

Analyse

[36]           La Commission a conclu à l’existence de raisons sérieuses de penser que la demanderesse principale était une personne visée par la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies et, par conséquent, qu’elle ne pouvait pas obtenir l'asile au Canada. La Commission a déclaré qu’elle n’avait pas compétence relativement à ce qui était arrivé à la demanderesse en Colombie (page 826, dossier du tribunal).

 

[37]           La Commission a fait une erreur en se déclarant incompétente. Si la Commission doit rendre une décision sur la question de savoir si un individu est exclu de la qualité de réfugié, elle doit être convaincue qu’il existe des raisons sérieuses de penser que l’individu a commis un crime grave de droit commun à l’étranger. Cela dépend des circonstances particulières de chaque affaire.

 

[38]           Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la Commission doit examiner très attentivement la preuve avant d’appliquer les dispositions d’exclusion (Rihan, précitée). En l’espèce, la Commission n’a pas même voulu examiner la preuve présentée par la demanderesse, pour vérifier si elle pouvait être convaincue qu’il existait des raisons sérieuses de penser que la demanderesse avait commis un crime grave de droit commun à l’étranger.

 

[39]           La Cour dans Pineda a déclaré ce qui suit aux paragraphes 27 à 30 :

[...] Le législateur accorde également à la SPR [ la Commission] toute latitude pour recevoir les éléments qu’elle juge crédibles et dignes de foi [alinéas 170g) et h) de la Loi]. Cela dit, le fait d’exiger des « raisons sérieuses » est une protection pour le demandeur d’asile contre les décisions arbitraires et frivoles, en particulier compte tenu des conséquences très graves susceptibles de découler d’une exclusion aux termes de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention. Pour que cette norme ait un sens, elle doit s’appliquer après une évaluation objective et appropriée du contexte ainsi que de toutes les preuves présentées par le demandeur d’asile. Bien évidemment, la SPR doit être particulièrement prudente lorsque les accusations portées ont été rejetées par un tribunal compétent, conformément à la primauté de la loi.

 

[...] la Cour d’appel fédérale a indiqué clairement que la SPR [la Commission] peut, lorsque le contexte s’y prête, se fonder sur un acte d’accusation et un mandat d’arrestation pour conclure qu’il existe des motifs raisonnables de conclure que le demandeur d’asile a commis un crime grave à l’extérieur du Canada.

 

Cette affirmation se fonde sur le principe que, dans un système qui respecte la primauté de la loi, la SPR [Commission] peut raisonnablement conclure qu’il existait des motifs raisonnables et probables pour que les services de police ou le système d’enquête judiciaire aient décerné un mandat ou porté une accusation.

 

Naturellement, pour que ce principe s’applique, la SPR [Commission] doit d’abord être convaincue que l’autorité ayant pris cette mesure respecte la primauté de la loi, c’est‑à‑dire que, par exemple, il ne s’agit pas d’un pays reconnu pour déposer de fausses accusations dans le but de harceler ou d’intimider certaines personnes.

 

[40]           En l’espèce, et j'y reviendrai ci-dessous, il existait de graves questions relativement à la corruption dans l'appareil judiciaire en Colombie au moment de l’arrestation et de la déclaration de culpabilité de la demanderesse principale. Par conséquent, vu son allégation d'une déclaration de culpabilité injustifiée, la demanderesse méritait que sa preuve soit davantage analysée, en particulier lorsque l’on considère qu’elle vient d’un pays où le respect de la règle de droit est sujet à caution.

 

b. La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse principale n’avait pas qualité de réfugiée en application de la section Fb) de l’article premier était-elle déraisonnable à la lumière de la preuve dont elle disposait?

[41]           La demanderesse fait valoir que la Commission a en partie fondé son refus de considérer la question de savoir si la déclaration de culpabilité de la DP était injustifiée et avait été rendue possible par un appareil judiciaire corrompu, sur les [traduction] « mesures sérieuses » que le gouvernement de la Colombie est censé avoir prises depuis 2008. La demanderesse soutient que, quoi qu’il en soit de la question de savoir si des [traduction] « mesures sérieuses » ont véritablement donné lieu à une réduction de la corruption sur le terrain en Colombie, les mesures que le gouvernement peut avoir prises ou non pour combattre la corruption dans l'appareil judiciaire de ce pays depuis 2008 n’ont absolument aucune incidence sur la question de savoir si les accusations portées contre la demanderesse en 2003 et sa déclaration de culpabilité en 2005 – cinq et trois ans auparavant – ont été rendues possibles par la corruption dans l'appareil judiciaire.

 

[42]           Les demanderesses soutiennent qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de refuser de considérer la question de savoir si la corruption avait joué un rôle dans la déclaration de culpabilité de la DP, en partie en raison de la preuve selon laquelle le gouvernement de la Colombie avait pris des [traduction] « mesures sérieuses » pour combattre la corruption, respectivement cinq et trois ans après les faits pertinents.

 

[43]           Les demanderesses ajoutent que, en contradiction flagrante avec les conclusions de la Commission sur ce point, la preuve relative aux [traduction] « mesures sérieuses » prises en 2008 faisait ressortir la nécessité d’examiner la question de savoir si la corruption avait joué un rôle dans la déclaration de culpabilité de la DP en 2005, plutôt que d’exclure la nécessité de cet examen.

 

[44]           La demanderesse soutient en outre que, si la Commission avait procédé à l’analyse qu'elle devait faire des circonstances de la déclaration de culpabilité, elle aurait disposé d’une preuve abondante, en plus de la reconnaissance qu’il existe un historique de corruption dans l'appareil judiciaire de la Colombie, qui corroborait expressément les faits révélés par la demanderesse principale dans son témoignage et dans son formulaire de renseignements personnels selon ce qu’elle a fait valoir aux alinéas 49 a) à g) de son mémoire des faits et du droit (page 269 du dossier de la demanderesse).

 

[45]           Par exemple, parmi les nombreux éléments de preuve, la DP a présenté les déclarations sous serment de deux des trois agents de police, selon lesquelles ceux‑ci n’avaient pas donné d’argent à la DP et elle ne leur en avait pas demandé. Elle a également présenté de l'information parue dans la presse qui expliquait de manière détaillée que l’ancien patron de la DP avait tenté de muter une autre de ses employées dans une zone dangereuse de la Colombie, après qu’elle eut refusé ses propositions sexuelles. Les demanderesses ont également invoqué la preuve documentaire, qui fait état de la corruption dans l'appareil judiciaire en 2005.

 

Les observations du défendeur

[46]           Le défendeur soutient que les demanderesses n’ont pas démontré que la preuve invoquée par la Commission n’était pas pertinente relativement aux prétentions de la DP. Le défendeur note que le document du Département d’État de 2009 (le DDE) affirmait que, en 2006, des élections présidentielles avaient eu lieu en Colombie qui ont été généralement considérées comme libres et équitables. Le défendeur cite également le document de 2008 de l’UNHCR qui fait état de l'évolution de la situation en 2007 – l’année même où la demanderesse a demandé aux autorités l'autorisation de quitter la Colombie – et selon lequel la Cour suprême de justice était forte et indépendante.

 

Analyse

[47]           J’estime que la conclusion de la Commission selon laquelle le gouvernement de la Colombie avait pris des mesures pour remédier à la corruption ne constitue pas un motif suffisant pour rejeter la prétention de la demanderesse qu’elle avait été victime de la corruption dans l'appareil judiciaire. Les documents sur lesquels la Commission s’est appuyée ont trait aux mesures prises par le gouvernement dans les années qui ont suivi le dépôt des accusations contre la demanderesse principale et sa déclaration de culpabilité.

 

[48]           La Commission aurait dû citer des éléments de preuve plus pertinents et plus récents sur la question de la corruption (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL)). Bien que la Commission mentionne l’ancien patron de la DP et le fait que la justice n’avait pas conclu à l’existence d’une preuve contre lui, cependant, la Commission n’a pas considéré la question de savoir pourquoi il aurait été renvoyé pour harcèlement sexuel et pourquoi plusieurs allégations auraient été faites contre lui par différentes femmes.

 

[49]           J’estime que les motifs de la Commission sur cette question ne peuvent pas raisonnablement se justifier (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

c.  La conclusion de Commission selon laquelle les FARC seraient parvenues à trouver la deuxième demanderesse et à lui causer des préjudices si elles avaient vraiment été intéressées à elle était‑elle déraisonnable?

[50]           Les demanderesses font valoir que l’inférence du tribunal selon laquelle la deuxième demanderesse n’était pas exposée à des risques face aux FARC parce que celles-ci ne l’avaient pas déjà trouvée et ne lui avaient pas déjà causé un préjudice n’est pas défendable.

 

[51]           Les demanderesses font valoir que la conclusion de la Commission selon laquelle il n’était pas possible que les FARC se soient intéressées à la deuxième demanderesse puisqu’elles ne lui avaient pas déjà causé un préjudice était en soi une conclusion sur la vraisemblance. Les demanderesses soutiennent qu’il ne convient de tirer des conclusions d’invraisemblance que dans les cas les plus clairs, lorsque les faits manquent intrinsèquement de vraisemblance (Dua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1055, 75 Imm. L.R. (3d) 20, au paragraphe 4, Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] A.C.F. no 1131 (QL), au paragraphe 7).

 

[52]            Les demanderesses soutiennent que la possibilité que les FARC soient encore intéressées à leur causer un préjudice ne manque pas intrinsèquement de vraisemblance malgré le fait que les FARC ne les aient pas trouvées et ne leur aient pas causé de préjudices dans les trois mois pendant lesquels elles se sont cachées avant de fuir la Colombie. Les demanderesses ajoutent que la Commission n’a pas motivé sa conclusion sur ce point et qu’elle n’a cité aucun élément de preuve précis pour étayer sa conclusion, sauf la seule affirmation que ce n’est pas ce à quoi l’on s’attendrait des FARC si elles étaient réellement intéressées à causer des préjudices aux demanderesses.

 

[53]            La conclusion de la Commission repose seulement sur l’interprétation personnelle du tribunal quant à ce à quoi on pouvait s'attendre des FARC dans les circonstances (Keqaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 388, 71 Imm. L.R. (3d) 269, au paragraphe 36, Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 354, 70 Imm. L.R. (3d) 292, aux paragraphes 19 et 26). La demanderesse invoque également la décision Barrero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 364, [2010] A.C.F. n415 (QL), aux paragraphes 7 à 9, dans laquelle la Cour a jugé que la conclusion de la Commission selon laquelle il n’existait pas de fondement objectif pour les prétentions du demandeur était déraisonnable.

 

[54]           Les demanderesses citent également la décision Ilyas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1270, 41 Imm. L.R. (3d) 3, dans laquelle la Cour écrit aux paragraphes 58 et 59 :

Je sais pertinemment, comme le défendeur l'a soutenu, que la Cour ne devrait pas simplement apprécier à nouveau la preuve et en venir à une conclusion différente de celle de la Commission. Ce principe s'applique notamment à une décision fondée sur la crédibilité.

 

Ce qui me préoccupe en l'espèce, c'est le fait qu'une bonne partie de la décision repose sur des conclusions d'invraisemblance et sur des déductions négatives : la Commission a tiré des conclusions négatives du fait que le demandeur a omis de demander l'asile aux États-Unis et a jugé non plausible qu'il ait été ciblé par le SSP et que celui-ci ne l'ait pas tué alors qu'il avait la possibilité de le faire. Aucune de ces conclusions ne repose sur un fondement solide. Ces conclusions sont fondées, non pas sur des contradictions internes que comporte le témoignage du demandeur, mais plutôt sur la propre vision de la Commission quant aux mesures qu'une personne se trouvant dans la position du demandeur et de la famille de celui-ci aurait dû prendre ou quant à un résultat qui aurait été plus probable dans les circonstances. Lorsqu'elle fonde sa décision sur ce type de critère, la Commission n'est pas mieux placée que la Cour. De plus, la Commission a tiré des déductions et des conclusions sans vraiment s'attarder à des éléments importants qui indiquent le contraire [...]

 

 

[55]           Les demanderesses mettent en outre en évidence que les conclusions de la Commission en ce qui concerne la deuxième demanderesse semblent également fondées sur une erreur de fait. La Commission semble fonder sa conclusion selon laquelle les FARC n’étaient pas intéressées par la deuxième demanderesse en partie sur l’hypothèse qu’elle résidait à Bogotá entre 2005 et 2007 (paragraphe 67 de la décision). Les demanderesses font valoir que, en réalité, la demanderesse avait vécu à l’extérieur de la ville pendant une partie de 2006 et qu’elle n’avait vécu à Bogotá que pendant trois mois au cours de 2007.

 

Les observations du défendeur

[56]           Le défendeur fait valoir que la Commission a le droit de formuler des conclusions raisonnables sur l’invraisemblance fondées sur le sens commun et la rationalité et qu’elle peut rejeter des éléments de preuve qui ne sont pas cohérents avec les probabilités ayant trait à la cause dans son ensemble (Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.) (QL), Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 929, [2009] A.C.F. no 1143 (QL), aux paragraphes 15 et 17). Le défendeur déclare que la Commission a clairement motivé ses conclusions sur l’invraisemblance.

 

[57]           Le défendeur affirme également que les conclusions de la Commission se fondaient sur le fait que la deuxième demanderesse avait pu rester en Colombie pendant si longtemps sans incident. De plus, le défendeur ajoute que, si la déclaration de la Commission était erronée, celle selon laquelle la deuxième défenderesse avait vécu à Bogotá avant de venir au Canada, cette erreur est sans importance parce que les conclusions de la Commission se fondaient sur le fait que la deuxième défenderesse était demeurée en Colombie sans qu’il survînt d’incident (paragraphes 58 à 65 de la décision).

 

[58]            Le défendeur souligne en outre que la conclusion selon laquelle la deuxième demanderesse ne s’était pas cachée pendant deux ans était raisonnable puisqu'il ressortait de la preuve qu’elle allait à l’école pendant la période où elle était, selon ses dires, restée cachée.

 

Analyse

[59]           Je suis d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle la deuxième demanderesse n’était pas exposée à un risque face aux FARC parce que celles-ci auraient dû déjà la trouver et lui causer des préjudices était déraisonnable. Il n’est pas logique de requérir de la deuxième demanderesse qu’elle ait subi un préjudice de la part des FARC, afin de lui accorder l’asile.

 

[60]           Je suis également préoccupé par l’erreur de fait commise par la Commission lorsque celle-ci a fait l’hypothèse au paragraphe 67 que la deuxième demanderesse résidait à Bogotá entre 2005 et 2007. Quoique cela ne soit pas le seul facteur sur lequel la Commission s'est appuyée pour parvenir à sa conclusion, elle en a néanmoins tenu compte lorsqu’elle a déclaré que la deuxième demanderesse « a continué d’habiter Bogotá pendant encore deux ans avant de venir au Canada, qu’il n’y a eu aucun autre incident impliquant les FARC ». À ce titre, je suis préoccupé par la question de savoir quelle incidence cette erreur a eue sur la décision finale de la Commission.

 

[61]           En ce qui concerne l’inférence défavorable de la Commission relative à la contradiction entre les prétentions de la demanderesse selon lesquelles elle a fréquenté l’école et elle s’est cachée (au paragraphe 66 de la décision), j’estime qu’il était raisonnable de la part de la Commission de parvenir à cette conclusion. Cependant, vu les considérations exposées ci-dessus, je conclus néanmoins que l’intervention de la Cour est justifiée.

 

[62]           Aucune question à certifier n’a été proposée et l'affaire n'en soulève aucune.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit : la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal de la Commission différemment constitué. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2017-10

 

INTITULÉ :                                       ANA ELVIA HERNANDEZ HERNANDEZ ET WANDA PATRICIA ROJAS HERNANDEZ

                                                            ET

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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