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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110211

Dossier : T-1482-10

Référence : 2011 CF 163

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2011

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

 

MOHAMMED TIBILLA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par Mme Cheryl Fraser, sous-commissaire, Direction générale des ressources humaines de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), datée du 9 juin 2010, dans laquelle elle rejetait le grief du demandeur au dernier palier.

 

[2]               Pour les motifs énoncés ci-dessous, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               Le défendeur a demandé que les pages 28 à 184 du dossier du demandeur (pièces A et B) soient scellées en raison des renseignements personnels que celles-ci contiennent, ce à quoi le demandeur a consenti. La Cour accepte la demande et rendra une ordonnance.

 

I.  Les faits

[4]               Le demandeur a travaillé pour l’ARC dans un poste à durée déterminée de mars 2006 à juin 2009 au sein des services du recouvrement et de la vérification.  

 

[5]               Son contrat de travail a été résilié le 30 juin 2009.

 

[6]               Pendant cette période, M. Michel Adam a été le gestionnaire du demandeur, du 6 décembre 2006 jusqu’au 30 juin 2009. M. François Blais a été son chef d’équipe du 6 décembre 2006 jusqu’au 10 octobre 2008, et, entre octobre 2008 et juin 2009, son chef d’équipe était M. Christian Dion.

 

[7]               Pendant sa période d’emploi, le demandeur a fait l’objet de trois évaluations. M. Blais et M. Dion ont chacun rédigé une de ces évaluations.

 

[8]               Dans le Rapport de gestion du rendement de l’employé (le RGRE) du demandeur qui portait sur la période allant du 1er septembre 2007 au 31 août 2008 (le RGRE de 2008), M. Blais concluait que les résultats globaux obtenus par le demandeur [traduction] « répondaient partiellement aux attentes ».    

 

[9]               Le 29 avril 2009, M. Dion a signé le RGRE de 2009 du demandeur et a coché la case « ne répond pas aux attentes », ce qui signifiait donc que le rendement de celui-ci était insatisfaisant. M. Dion a joint au RGRE de 2009 une annexe, qui renvoie entre autres à 11 dossiers différents sur lesquels le demandeur avait travaillé lors de la période visée par l’évaluation (du 13 octobre 2008 au 31 mars 2009).

 

[10]           Avant la rencontre prévue de rétroaction sur le RGRE de 2009, M. Adam et M. Dion ont offert au demandeur d’être accompagné par un représentant du syndicat.

 

[11]           Lors de la rencontre (29 avril 2009) de rétroaction sur le RGRE de 2009, M. Adam a dit au demandeur que son contrat ne serait pas prolongé, ce qui lui a été confirmé par une lettre datée du 21 mai 2009. L’emploi du demandeur a pris fin le 30 juin 2009.

 

[12]           Le 3 juin 2009, le demandeur, avec l’appui de son agent négociateur, a présenté un grief relativement au RGRE de 2009. Le demandeur alléguait dans son grief que la direction n’avait pas agi conformément aux politiques internes et aux lignes directrices de l’ARC. Le grief a été rejeté aux premier, deuxième et troisième paliers de la procédure de règlement des griefs.

 

[13]           Le grief a ensuite été entendu au quatrième et dernier palier de la procédure par M. Marc‑André Cousineau, conseiller en relations de travail. Le demandeur était représenté par Mme Lyson Paquette, conseillère en relations de travail pour le syndicat.

 

[14]           À la suite de l’audition du grief, M. Cousineau a préparé un document intitulé « précis de grief au palier final », dans lequel il recommandait de rejeter le grief (voir onglet I du volume 1 du dossier du défendeur, page 77). Ce document a été envoyé à la décideure, Mme Cheryl Fraser. Le 9 juin 2010, Mme Fraser a rejeté le grief au dernier palier. Il s’agit de cette décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire.

 

II. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[15]           La représentante de l’ARC a examiné le dossier du demandeur et a conclu que la direction lui avait fourni une formation, un encadrement, ainsi qu’une période suffisante pour améliorer son rendement, mais que malgré toutes ces mesures, le demandeur ne répondait pas à ce qui était attendu de lui pour la période allant du 13 octobre 2008 au 31 mars 2009, comme en faisait état son évaluation du 29 avril 2009. 

 

III. La question en litige

[16]           La seule question en litige en l’espèce est la suivante :

a)   Est-il justifié que la Cour intervienne relativement à la décision rendue par l’ARC le 9 juin 2010?

 

IV. La norme de contrôle

[17]           Le demandeur n’a pas présenté d’observations au sujet de la norme de contrôle applicable. Pour sa part, le défendeur prétend que la norme applicable est la raisonnabilité, puisque la Cour fédérale a déjà appliqué cette norme aux décisions finales non juridictionnelles qui ont été rendues au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et qui interprétaient et appliquaient des politiques et des procédures internes (Cox c. Canada (Procureur général), 2008 CF 596, au paragraphe 11; Hagel c. Canada (Procureur général), 2009 CF 329, au paragraphe 27, conf. par 2009 CAF 364).

 

[18]           Je suis d’accord avec cette prétention. Par conséquent, la Cour interviendra seulement si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] A.C.S. no 9.

 

A.  La Cour doit-elle maintenir la décision rendue le 9 juin 2010 par la sous-commissaire, Direction générale des ressources humaines de l’Agence du revenu du Canada?

 

[19]           Le demandeur allègue que le défendeur a falsifié des documents, a comploté contre lui et a fait preuve de mauvaise foi et de racisme. Il prétend que le défendeur a conspiré contre lui afin de livrer une mauvaise évaluation dans le seul but de mettre fin indûment à son emploi. Il prétend aussi que la direction n’a pas respecté ses propres politiques et lignes directrices.

 

B. Falsification de documents, complot, mauvaise foi et racisme

[20]           Le demandeur prétend que ses deux supérieurs ont falsifié des documents et ont créé de toutes pièces des erreurs dans le but de le discréditer. Il déclare que des inférences ont été tirées à partir de ces éléments de preuve falsifiés et douteux et que celles-ci ont été utilisées pour évaluer le rendement de travail du demandeur, pour lequel il a reçu une mauvaise évaluation.

 

[21]           Le demandeur prétend qu’on ne lui a jamais dit qu’il devait offrir un meilleur rendement, sans quoi il perdrait son emploi.

 

[22]           Il prétend aussi que la direction a fait fi des pièces A et B de son affidavit (pages 28 à 184 du dossier du demandeur) [traduction] « pour cacher les faiblesses inhérentes et les irrégularités que ces pièces comportaient; ce qui avait pour effet de leur enlever toute force probante, fiabilité ou importance » (paragraphe 123 du mémoire du demandeur et page 19 du dossier du demandeur).

 

[23]           Le demandeur prétend aussi que son premier chef d’équipe, M. Blais, a fait preuve de racisme envers lui en proférant des insultes racistes et en charcutant délibérément et irrespectueusement les noms des immigrants par dérision.

 

[24]           Le demandeur allègue de plus que M. Dion l’a traité de manière dure, menaçante et intimidante lorsqu’il répondait de façon hargneuse à ses questions (paragraphe 18, page 10 du dossier du demandeur). Selon lui, ces comportements ont joué un rôle dans la rédaction d’une mauvaise évaluation dans le seul but de mettre fin à son emploi.

 

C. Le défendeur n’a pas respecté ses propres politiques et lignes directrices

[25]           Le demandeur prétend que dans une situation juste et objective, la direction aurait établi un plan d’action dans son cas.

 

[26]           Il déclare aussi que, quoi qu’il en soit, il conteste la conclusion de M. Cousineau voulant qu’il ait reçu suffisamment de formation en classe, ainsi que les 37,5 heures de mentorat et d’encadrement direct prévues.

 

[27]           À l’audience, le demandeur a présenté un nouvel argument : il prétendait qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale.

 

[28]           Le défendeur prétend que la Cour ne devrait pas conclure que la décideure a fait fi des pièces A et B (auxquelles renvoyait le demandeur), car celle-ci n’en avait pas été saisie. Le demandeur était dûment représenté par Mme Paquette, qui n’a pas présenté ces pièces.

 

[29]           Le défendeur soutient que plusieurs paragraphes du mémoire du demandeur ne doivent pas faire l’objet d’un examen, parce qu’ils ne sont pas étayés par la preuve.

 

[30]           Finalement, le défendeur souligne qu’il n’avait pas l’obligation d’établir un plan d’action pour le demandeur, parce que son RGRE de 2008 ne concluait pas qu’il n’avait pas répondu aux attentes et que cette évaluation faisait état de mesures à prendre pour l’amélioration du rendement du demandeur. Par conséquent, l’ARC ne transgressait pas ses propres politiques et lignes directrices.

 

V. Analyse

[31]           La Cour est d’avis que la décision rendue par la sous-commissaire est raisonnable. Elle a donné des motifs convaincants pour rejeter le grief au dernier palier. Elle a tenu compte de toutes les circonstances énoncées dans le dossier du demandeur et des observations présentées par sa représentante syndicale.

 

[32]           La décideuse a analysé la Politique de gestion du rendement de l’ARC (la politique) et les Lignes directrices sur la gestion du rendement de l’employé (les lignes directrices) et en est venue à la conclusion que le demandeur avait reçu le soutien et les conseils appropriés pour améliorer son rendement, mais que, dans les faits, il n’avait pas répondu aux attentes pour la période du 13 octobre 2008 au 31 mars 2009, comme en faisait état son évaluation du 29 avril 2009. Le fondement de cette conclusion provient du « Précis de grief au palier final » préparé à l’intention de la sous-commissaire par M. Marc-André Cousineau, qui a entendu les parties au quatrième palier de la procédure de règlement des griefs (dossier du défendeur, pages 78 et 79).

 

[33]           La Cour n’est pas convaincue que le demandeur a démontré que la décideure a commis une erreur susceptible de révision dans l’application de la politique et des lignes directrices en l’espèce.

 

[34]           Le demandeur soutient que la sous-commissaire n’a pas examiné les pièces A et B. Cependant, il ressort de l’affidavit de Mme Sylvie Bolduc démontre que ces pièces n’avaient pas été présentées au dernier pallier de la procédure de règlement des griefs (paragraphe 13 de l’affidavit de Mme Bolduc, page 10, volume 1 du dossier du défendeur). Même si ces pièces ont été présentées dans le cadre du premier et du deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, comme le prétend le demandeur à la page 21 de son mémoire (paragraphe 142, page 21 du dossier du demandeur), la Cour n’est pas appelée à effectuer le contrôle judiciaire des décisions rendues à ces paliers. La Cour ne doit pas tenir compte d’éléments de preuve dont la décideure n’était pas saisie (Ordre des architectes (Ont.) c. Assn. of Architectural Technologists (Ont.), 2002 CAF 218, au paragraphe 30, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2002] S.C.C.A. no 316).

 

[35]           En ce qui concerne les allégations du demandeur relatives à la falsification d’éléments de preuve, au complot, à la mauvaise foi et au racisme, ces questions n’ont pas été soulevées dans le cadre du grief et ne peuvent pas donc pas être tranchées dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, comme le mentionne état l’arrêt Nametco Holdings Ltd c. M.R.N., 2002 CAF 149, au paragraphe 2 :

On ne peut invoquer une telle requête dans la jurisprudence impliquant la modification d’actes de procédure avant ou durant un procès, alors que le tribunal de première instance aura, enfin de compte, tous les éléments de preuve nécessaire et que les deux parties pourront interroger ou contre-interroger des témoins concernant les points modifiés. Cela diffère également de la demande d’autorisation pour produire une nouvelle preuve en appel. Il y a des exigences strictes concernant cette mesure spéciale, même si cela s’appliquait en l’espèce (ce qui n’est pas le cas), et la demanderesse n’a pas satisfait aux critères d’une telle production. Au lieu de cela, il s’agit d’un contrôle judiciaire dont le but consiste à voir si le tribunal, dont la décision fait l’objet d’un contrôle, a commis une erreur susceptible de révision dans la façon dont il a traité de l’affaire dont il était saisi, non de quelque autre affaire qu’il pourrait avoir entendue mais qu’il n’a pas entendue. De nouveaux éléments de preuve sont admis lors d’un contrôle judiciaire seulement dans les cas où cela est pertinent relativement à une question concernant la procédure d’audience ou la compétence d’un tribunal.

 

 

[36]           L’on peut appliquer le même raisonnement au nouvel argument que le demandeur a présenté à l’audience relativement à la question du manquement à l’équité procédurale.

 

[37]           La Cour fait remarquer que le demandeur a été représenté à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs et qu’il ne peut produire de nouveaux éléments de preuve dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[38]           Il a aussi modifié sa demande à l’audience pour y demander que lui soient accordés 4 000 $ à titre de dépens, et il a accepté de verser la somme de 3 500 $ dans l’éventualité du rejet de sa demande.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Le demandeur doit payer au défendeur les dépens sous la forme d’une somme forfaitaire de 3 500 $. Les pages 28 à 184 du dossier du demandeur (pièces A et B) doivent être mises sous scellés.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1482-10

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMED TIBILLA c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mohammed Tibilla

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Anne-Marie Duquette

POUR LE DÉFENDEUR

 

Richard Fader

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mohammed Tibilla

Montréal (Québec)

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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