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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110211

Dossier : T-2125-09

Référence : 2011 CF 165

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2011

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

LARRY BONTJE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

FORCAP INTERNATIONAL LIMITED

 

 

 

    demanderesse

et

 

 

FORCAP INTERNATIONAL INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La question en l’espèce est celle de savoir si M. Lawrence Bontje et ses deux sociétés ont droit aux avantages du Programme de divulgations volontaires (le PDV) de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). Dans une décision datée du 19 novembre 2009 (la décision), l’ARC a refusé d’appliquer le PDV aux demandeurs. La présente demande vise le contrôle judiciaire de cette décision.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Lawrence Bontje (ci‑après, le demandeur) est l’unique administrateur, dirigeant et actionnaire de Forcap International Ltd. (FIL) et de Forcap International Inc. (FII). Les deux sociétés paient tous leurs revenus au demandeur. Le demandeur n’a jamais produit de déclaration de revenus pour les deux sociétés, même si elles ont été constituées en société en 2000 et en 1997 respectivement.

 

[3]               Le demandeur a produit sa dernière déclaration de revenus des particuliers en 1999 et n’a pas payé l’impôt qu’il devait pour les années d’imposition 1998 et 1999. Il a ensuite établi un horaire de paiement avec l’ARC pour rembourser ces montants impayés, mais il s’est dérobé à ses obligations.

 

[4]               L’ARC a maintenu contact avec le demandeur de 2000 jusqu’au 29 avril 2002 afin de recouvrer les impôts impayés. Cependant, après avril 2002, le demandeur a changé d’adresse plusieurs fois et n’a pas avisé l’ARC de ses nouvelles adresses. Par conséquent, l’ARC a perdu contact avec le demandeur pendant environ quatre ans.

 

[5]               Le 28 mars 2002, l’ARC a émis une demande au demandeur pour qu’il produise sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2000. Une autre demande a suivi le 12 juillet 2002, visant la déclaration de revenus du demandeur pour 2001. Environ deux ans plus tard, le 30 mars 2004, l’ARC a émis une autre requête demandant au demandeur de produire des déclarations de revenus pour les années d’imposition 2000 et 2001. Le même jour, l’ARC a aussi envoyé une requête à FII pour que la société produise ses déclarations de revenus pour les années 1998 à 2002. L’ARC n’a reçu aucune réponse.

 

[6]               En 2003, comme aucune déclaration de revenus n’avait été produite, l’ARC a rempli une cotisation arbitraire pour l’année d’imposition 2000, en application du paragraphe 152(7) de la Loi, qu’elle a envoyée par la poste au demandeur. Cependant, le demandeur n’a pas reçu cette cotisation parce qu’il avait déménagé.

 

[7]               Le demandeur soutient que l’ARC a communiqué avec lui en 2004 ou en 2005 et qu’il a renvoyé l’ARC à son fiduciaire (le fiduciaire). D’autre part, l’ARC soutient que le 1er février 2006, le fiduciaire a communiqué avec elle. Ce dernier a fourni à l’ARC l’adresse actuelle du demandeur et a communiqué avec l’ARC plusieurs fois entre le 1er février 2006 et le 14 mars 2007. À cette époque, le fiduciaire a avisé l’ARC que le demandeur envisageait faire faillite.

 

[8]               En 2007, l’ARC a préparé une cotisation arbitraire pour les années d’imposition 2001 à 2004 du demandeur. Bien que ces cotisations eurent été envoyées au demandeur, il soutient qu’il ne les a pas reçues.

 

[9]               Le 28 mars 2008 et le 13 mai 2008, d’autres requêtes pour que le demandeur produise une déclaration de revenus pour 2006 ont été envoyées au demandeur. Le 8 mai 2008, le demandeur a produit sa déclaration de revenus pour 2006, laquelle montrait que le demandeur ne devait rien. Cependant, un avis de cotisation subséquent pour l’année d’imposition 2006, datée du 28 juillet 2008, montre que le demandeur devait une somme d’environ 396 350 $ pour les années précédentes.

 

[10]           L’ARC s’est fondée sur l’affidavit de Lauraine Friskey souscrit le 10 mars 2010. Elle a reconnu en contre‑interrogatoire que lorsque le demandeur a produit sa déclaration de revenus pour 2006, la mesure d’exécution (c’est‑à‑dire, la requête pour qu’il produise cette déclaration de revenus) a été [traduction] « terminée ».

 

[11]           Le 25 août 2008, le demandeur et ses deux sociétés ont présenté des demandes d’allégement en application du PDV au sujet des déclarations de revenus qu’ils n’avaient pas produites. La demande du demandeur couvrait les années d’imposition 2000 à 2005 et l’année d’imposition 2007. La demande pour FIL portait sur les années d’imposition 2000 à 2007 et celle de FII portait sur les années d’imposition 1997 à 2007.

 

LA CIRCULAIRE D’INFORMATION

 

[12]           Le 22 octobre 2007, l’ARC a publié une circulaire d’information, no C00‑1R2 (la circulaire) qui portait sur le PDV. Son introduction rappelle au lecteur le pouvoir discrétionnaire du programme et précise que la circulaire « [...] donne un aperçu des lignes directrices administratives que suivra l’ARC au moment de prendre la décision d’accepter ou non la divulgation en tant que divulgation valide ».

 

[13]           Le paragraphe 32 de la circulaire prévoit en partie :

32. Une divulgation ne sera pas considérée comme une divulgation valide, sous réserve des exceptions du paragraphe 34, en vertu de la condition « volontaire » si l’ARC détermine ce qui suit :

 

[...]

 

                    Les mesures d’exécution relatives à la divulgation ont été prises par l'ARC ou toute autre autorité ou administration, à l’égard du contribuable ou d’une personne associée ou apparentée avec le contribuable (y compris, sans toutefois s’y limiter, des sociétés, des actionnaires, des conjoints et des associés) ou contre n’importe quel autre tiers où le but et l’impact de l'action applicable contre le tiers est suffisamment lié à la divulgation actuelle  [...]

 

[14]           Le paragraphe 33 de la circulaire précise que, dans le cadre du PDV, une « mesure d’exécution » peut comprendre, sans s’y limiter :

·        les demandes concernant des déclarations non produites, bien que ces demandes puissent seulement se rapporter à une année, la procédure sera considérée comme une mesure d’exécution dans le cadre du PDV;

·        un contact direct par un employé de l’ARC pour toute raison liée à l’inobservation.

 

LA DÉCISION

 

[15]           Dans sa décision, l’ARC a refusé d’accorder au demandeur, à FIL et à FII l’allégement prévu par le PDV pour les raisons suivantes :

(i)                  Selon la circulaire, la requête du 28 mars 2008 était une mesure d’exécution pour toutes les années couvertes par le PDV;

(ii)                De plus, un agent de recouvrement de l’ARC avait parlé au demandeur au sujet des paiements plus d’une fois et, selon la circulaire, cela rendait le demandeur inadmissible à l’allégement du PDV;

(iii)               Les cotisations arbitraires du demandeur, en application de l’article 152 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e supp.) (la Loi) étaient aussi des mesures d’exécution;

(iv)              L’ARC a de nombreuses fois tenté de communiquer avec le demandeur lorsqu’il n’a pas mis à jour ses adresses. Ces efforts ont été faits par courrier, par téléphone et par des visites en personne à sa maison et à son bureau;

(v)                Le demandeur a promis de payer, promesses qui n’ont pas été tenues.

 

LES ARGUMENTS DU DEMANDEUR

 

[16]           Dans ce contexte, le demandeur soutient que, bien que la requête du 28 mars 2008 lui demandant de produire sa déclaration de revenus de 2006 (la requête) était une mesure d’exécution, elle a expiré en mai 2008, lorsqu’il a produit cette déclaration de revenus. Par conséquent, il soutient que la requête ne peut pas le rende inadmissible à l’allégement du PDV, parce qu’elle a été effectuée cinq mois plus tôt.

 

[17]           Sur ce point, le demandeur note aussi que, dans l’illustration au paragraphe 33 de la circulaire, lorsque la demande de PDV a été présentée, il n’avait pas été satisfait à la requête de produire une déclaration de revenus, c’est pourquoi l’allégement du PDV n’a pas été accordée. Par comparaison, en l’espèce, la requête n’était pas pendante lorsque le demandeur a présenté sa demande de PDV en août 2008.

 

[18]           Le demandeur soutient aussi qu’il n’était pas [traduction] « sur le radar de l’ARC » lorsqu’il a présenté sa demande de PDV, parce qu’il avait satisfait à la requête et parce que, après que l’ARC eut arrêté de communiquer avec le fiduciaire en mars 2007, elle n’a pris aucune mesure pendant 18 mois pour recouvrer les montants dus en application des cotisations arbitraires de 2003 et de 2007.

 

[19]           Selon le demandeur, cela signifiait qu’il n’était pas [traduction] « sur le radar de l’ARC » de mars 2007 jusqu’à ce que l’ARC émette sa requête le 28 mars 2008. De plus, lorsqu’il a produit sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2006, le demandeur n’était de nouveau plus [traduction] « sur le radar de l’ARC » lorsqu’il a présenté sa demande d’allégement en vertu du PDV. Par conséquent, il soutient qu’il a fait une divulgation volontaire.

 

[20]           Le demandeur soutient aussi que l’ARC a commis une erreur de droit lorsqu’elle a traité les cotisations arbitraires en tant que mesure d’exécution au sens du PDV. Il fait valoir que, bien que de telles cotisations créent une responsabilité et peuvent entraîner un recouvrement, en soi, elles ne sont pas des mesures d’exécution et ne sont pas décrites de cette façon dans la circulaire.

 

[21]           De plus, le demandeur soutient que l’ARC a aussi commis une erreur de droit lorsqu’elle a traité les nombreuses conversations entre le demandeur et l’agent du recouvrement de l’ARC comme étant des mesures d’exécution, parce que ces conversations ont toutes eu lieu entre 2000 et le 29 avril 2002 et qu’elles concernaient les années d’imposition 1998, 1999 et 2000. Le demandeur soutient que l’ARC doit reconnaître que les mesures d’exécution ont une date d’expiration et qu’il n’est pas raisonnable qu’elles restent ouvertes. Par conséquent, le contact susmentionné ne devrait pas compter lorsque l’ARC examine une demande d’allégement en vertu du PDV.

 

[22]           Finalement, le demandeur soutient que les contacts entre les services de recouvrement de l’ARC et les fiduciaires remontaient trop loin dans le temps pour qu’elles comptent lorsque la décision a été prise. Leur dernière communication a eu lieu en mars 2007.

 

[23]           Pour tous ces motifs, le demandeur soutient qu’il n’a pas présenté ses demandes de PDV en réaction aux mesures de l’ARC.

 

LES ARGUMENTS DE LA DÉFENDERESSE

 

[24]           La défenderesse soutient que le fait que l’ARC a émis des requêtes disqualifie le demandeur de l’application du PDV, même s’il a satisfait à la requête avant de présenter sa demande d’allégement en application du PDV. La défenderesse soutient que la réponse à la requête n’est pas pertinente. À son avis, l’objet du PDV est d’offrir un allégement aux contribuables qui se présentent de leur propre volonté avant qu’une mesure d’exécution soit prise. En d’autres mots, lorsqu’un contribuable est [traduction] « sur le radar de l’ARC », il ne peut plus se prévaloir de l’allégement du PDV.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[25]           À mon avis, la décision comporte l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire extraordinaire. De plus, elle était fondée sur l’expertise de l’ARC dans l’administration du PDV. Par conséquent, je contrôlerai la décision en fonction de la norme de la raisonnabilité. Pour tirer cette conclusion, j’ai tenu compte de la décision du juge Roger Hughes McCracken c. La Reine, 2009 CF 1189, 2009 DTC 5192, dans laquelle il contrôlait une décision d’application du PDV et pour laquelle il a appliqué la norme de la raisonnabilité.

 

ANALYSE

 

[26]           La majorité des arguments du demandeur ne m’ont pas convaincue. Premièrement, rien dans la circulaire ne donne à penser que, pour l’application du PDV, les mesures d’exécution [traduction] « expirent ». La circulaire précise, au paragraphe 32, que la « prise » de mesures d’exécution empêche aux contribuables d’obtenir l’allégement. Par conséquent, l’émission de la requête le 28 mars 2008 était une mesure d’exécution et servait de signal clair que l’ARC avait pris des mesures à l’égard du demandeur. Dans les circonstances, sa demande, cinq mois plus tard, d’allégement en application du PDV ne peut pas compter comme étant volontaire.

 

[27]           Pour tirer cette conclusion, j’ai déterminé que le fait qu’une mesure d’exécution eut été [traduction] « terminée » lorsque la déclaration de revenus de 2006 a été produite n’est pas pertinent quant à l’objet du PDV. De plus, le fait que, pendant un certain temps en mars 2008, l’ARC eut examiné la possibilité d’éliminer la dette fiscale du demandeur, à mon avis, n’est pas plus pertinent.

 

[28]           Deuxièmement, je ne souscris pas à l’argument du demandeur selon lequel l’ARC ne peut pas refuser l’allégement en application du PDV parce qu’elle n’a pas pris de mesure de recouvrement pour les cotisations arbitraires de 2003 et de 2007 après mars 2007, auquel moment elle a parlé au fiduciaire pour la dernière fois. À mon avis, l’enthousiasme que l’ARC montre envers les mesures de recouvrement n’a rien à voir avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire pour accorder à un contribuable l’allégement en application du PDV. Selon la circulaire, c’est la mesure d’exécution qui est importante.

 

[29]           Troisièmement, comme les déclarations de revenus non produites du contribuable remontent au siècle dernier, il n’était pas déraisonnable que l’ARC se fonde sur la communication en 2000 et en 2001 pour le recouvrement et sur la communication en 2006 et en 2007 avec le fiduciaire et avec le demandeur (d’après son affidavit) pour rejeter l’allégement en application du PDV. La circulaire montre clairement qu’un seul contact du genre constitue une mesure d’exécution.

 

[30]           D’autre part, je souscris à l’argument du demandeur selon lequel les cotisations arbitraires ne devaient pas être traitées comme des mesures d’exécution. Elles créent seulement une responsabilité et permettent le début des procédures de recouvrement. Cela explique pourquoi elles ne sont pas mentionnées dans la circulaire. Cependant, cette mauvaise qualification des cotisations arbitraires à titre de mesure d’exécution ne porte pas un coup fatal à la décision parce que cette dernière était aussi fondée sur d’autres mesures d’exécution qui sont précisées dans la circulaire.

 

 

CONCLUSION

 

[31]           Comme j’ai conclu que la décision est raisonnable, la demande sera rejetée avec dépens.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que, pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens à la défenderesse.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2125-09

 

INTITULÉ :                                       LARRY BONTJE ET AL c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yoni Moussadji

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Darren Prevost

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Nancy Arnold

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rotfleisch & Samulovitch

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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