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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20110215

Dossier : IMM-2999-10

Référence : 2011 CF 177

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

SABRI CEKIM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et le statut de réfugié, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), visant la décision, datée du 3 mai 2010, rendue à Toronto par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle on a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Les faits de la présente affaire ne sont pas, pour une grande part, contestés. Le demandeur est un Kurde alévi qui allègue craindre d’être persécuté du fait de ses activités politiques, de sa religion et de sa nationalité. Il dit aussi être un conscrit réfractaire et croit qu’il serait persécuté par les forces armées s’il retournait en Turquie. L’engagement politique du demandeur a donné lieu à un certain nombre d’arrestations. Il allègue avoir été maltraité par la police. Le demandeur a obtenu un passeport en février 2006 et est entré au Canada en 2007.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[3]               La Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible. En parvenant à une telle conclusion, la Commission a souligné que le demandeur avait présenté une preuve contradictoire quant à la crainte subjective; qu’il avait exagéré la façon dont il avait été traité par la police; qu’il avait présenté des éléments de preuve créant de la confusion relativement à son emploi et à l’émission de son passeport; qu’il s’était contredit dans son témoignage; qu’il avait omis de présenter suffisamment d’éléments de preuve documentaire qui auraient établi le bien-fondé de son engagement allégué au sein du Parti pour une société démocratique (le PSD) et du mauvais traitement qu’il aurait subi aux mains de la police. Le témoignage contradictoire met en doute l’ensemble de la preuve orale du demandeur, y compris l’établissement d’un profil politique avec le PSD et le fait qu’il était une personne d’intérêt pour la police turque. La Commission a conclu que l’intérêt de la police envers le demandeur n’était pas sérieux, persistant, ou répétitif. On a aussi conclu qu’il n’y avait pas de fondement à l’allégation selon laquelle il serait persécuté en tant qu’objecteur de conscience. La Commission a conclu que ce que le demandeur craignait réellement, c’était des poursuites judiciaires, et non la persécution.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[4]               La décision de la Commission était-elle raisonnable?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[5]               Les articles 96 et 97 de la LIPR définissent ce qu’est un réfugié au sens de la Convention et une personne à protéger :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de

nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales

— et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard

of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

ANALYSE

[6]               La question déterminante en l’espèce est la crédibilité. Ainsi, la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable. Il est bien établi que les membres de la Commission sont les mieux placés pour jauger la crédibilité et la plausibilité d’un récit : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.), au paragraphe 4; Aguirre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 571, au paragraphe 14; Mata Diaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 319, au paragraphe 34. Selon l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, la Cour ne doit pas modifier les conclusions d’un tribunal lorsque celles-ci appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[7]               En l’espèce, la Commission a accepté que les opinions philosophiques du demandeur fussent telles qu’il avait participé à certaines activités politiques donnant lieu à des détentions par la police. Cependant, on n’a pas cru, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que le demandeur avait été pris pour cible par la police, qu’il demeurait pour eux une personne d’intérêt, ou qu’il avait été torturé. Il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion. Voir, de façon générale, Karadeniz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1246.

 

[8]               On a attiré l’attention sur cinq cas particuliers où le demandeur a présenté une preuve contradictoire ou a fait des affirmations exagérées. Cela a entraîné les conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité et la plausibilité qui sont au cœur du présent contrôle judiciaire. Premièrement, la Commission a souligné l’incohérence de la preuve relative à la crainte subjective du demandeur. Au point d’entrée (le PDE), on a relevé que M. Cekim alléguait craindre le Parti d’action nationaliste (le PAN) s’il devait retourner en Turquie, en raison de problèmes éprouvés de 2004 à 2006. Dans son témoignage et dans son exposé circonstancié, cependant, le demandeur a déclaré qu’il craignait la police turque. Il explique cette contradiction par le fait qu’il craignait de divulguer aux agents d’immigration canadiens qu’il craignait la police, puisqu’il croyait qu’eux-mêmes étaient des policiers.

 

[9]               La Cour a statué que des contradictions entre les déclarations d’un demandeur au PDE et son témoignage devant un tribunal peuvent justifier une conclusion défavorable relativement à la crédibilité : Maimba c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 226, au paragraphe 11. En l’espèce, en raison des contradictions entre la déclaration du demandeur telle qu’elle est rapportée dans les notes du PDE, son exposé subséquent et son témoignage, il était loisible à la Commission de conclure que la crainte de persécution du demandeur n’était pas crédible.

 

[10]           La Commission a conclu de manière raisonnable que le demandeur avait planifié de venir au Canada depuis 2006, parce qu’il avait entendu dire que c’était un bon endroit pour les réfugiés. Elle a estimé que cette intention était une décision calculée, ce qui a été prouvé par le fait que toute la famille du demandeur amassait de l’argent pour payer un agent à l’aider à venir au Canada. Le demandeur avait fait des recherches pour déterminer où il souhaitait aller et avait attendu jusqu’en décembre 2007, jusqu'à ce que le visa soit en règle. Il avait affirmé qu’il aurait essayé d’aller en Europe [traduction] « si ça n’avait pas fonctionné ici [au Canada] ». Le demandeur n’avait présenté la preuve d’aucune autre tentative d’aller ailleurs plus tôt afin d’obtenir une protection contre la persécution alléguée. La Commission a aussi souligné qu’il s’était déplacé à l’intérieur de la Turquie en occupant plusieurs emplois différents. De plus, il avait réussi à obtenir un sursis de service militaire.

 

[11]           Il était aussi raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur avait embelli sa demande en exagérant le fait qu’il avait été battu lors de sa détention en 2006. Son témoignage était incompatible avec ce que contenait l’exposé circonstancié de son FRP à ce sujet. Lors de son audience, le demandeur a allégué avoir été battu au poste de police. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait détaillé d’autres incidents semblables, mais ne s’était pas attardé longuement sur celui-ci, ce qui comprend le fait de l’omettre dans son exposé circonstancié, le demandeur a expliqué cela de la façon suivante : [traduction] « ils n’avaient pas fait comme avant, quelques gifles et c’est tout; c’est pour ça que je ne l’ai pas écrit ». À la lumière de cette réponse, il était loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[12]           Le demandeur allègue que cet échange est survenu à un moment de l’audience où il y avait eu de la confusion avec l’interprète. Cependant, un examen minutieux de la transcription révèle que cette incohérence et la conclusion d’embellissement ne peuvent pas être attribuées à l’interprète. Bien qu’on ait eu besoin de clarifications à certains moments de l’audience, ce cas particulier n’était pas un de ceux-là. La difficulté d’interprétation était survenue auparavant.

 

[13]           La Commission a aussi conclu que le demandeur avait présenté des éléments de preuve créant de la confusion relativement à son emploi au moment de sa quatrième détention, en juillet 2007, certains d’entre eux étant incompatibles avec son FRP. La Commission a conclu que le demandeur avait embelli la preuve afin de renforcer sa demande et avait rétracté certains éléments de preuve antérieurs lorsqu'on l’avait confronté à une contradiction. La Commission a mis en doute l’explication qu’il a fournie relativement au moment de son congédiement après sa détention. Le témoignage à ce stade de l’audience était confus, mais ne constituait pas nécessairement un embellissement. Cela dit, étant donné qu’il faut faire preuve de déférence envers le décideur et puisqu’une conclusion défavorable appartenait aux issues acceptables, la Cour ne devrait pas modifier la décision dans son ensemble afin de corriger la conclusion de la Commission sur cette question.

 

[14]           Il était aussi raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable en raison d’une absence d’éléments de preuve documentaire supplémentaires : Kalangestani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1528, aux paragraphes 10 à 12. Dans de telles circonstances, lorsque la crédibilité est mise en doute, si le demandeur omet de corroborer certaines déclarations, il est loisible à la Commission de conclure que l’absence de documents corroborants justifie une conclusion défavorable quant à la crédibilité : Karadeniz, précitée, au paragraphe 36. Voir aussi : Muchirahondo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 546. 

 

[15]           Enfin, en ce qui concerne la preuve présentée relativement au passeport du demandeur, la Commission a souligné à juste titre que, pour être considéré comme un réfugié au sens de la Convention, le demandeur devait démontrer qu’il craignait véritablement et avec raison d’être persécuté. Le demandeur a reçu son passeport en février 2006, mais n’a quitté la Turquie qu’en décembre 2007. Son omission de venir au Canada le plus tôt possible après avoir obtenu son passeport révélait un manque de crédibilité par rapport à sa crainte subjective : Natynczyk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 914, au paragraphe 69; Yurteri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 478, au paragraphe 26.

 

[16]           À la lumière de l’appréciation cumulative de la preuve dont elle disposait, la Commission a conclu de façon raisonnable que le demandeur n’était pas victime d’une violation soutenue ou systématique des droits fondamentaux. Ainsi, en tenant compte des faits, il ne pouvait pas être considéré comme une personne persécutée, ni une personne à protéger. La Commission a bel et bien reconnu que la preuve documentaire démontrait que certains Kurdes en vue qui sont actifs sur le plan politique pouvaient avoir de graves problèmes avec le gouvernement turc. Cependant, le demandeur en l’espèce n’avait pas établi qu’il avait ce profil.  

 

[17]           La Commission a tiré une conclusion raisonnable qui n’était pas fondée sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire, ou sans égard à la preuve dont elle disposait. Le demandeur invoque les décisions Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1076, et Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 124, afin d’alléguer que la Commission a fait abstraction de certaines explications qui auraient pu répondre à certaines questions soulevées par sa preuve. Ces décisions ne s’appliquent pas en l’espèce. Les conclusions de la Commission sont justifiées et justifiables. Compte tenu de la preuve au dossier, la manière dont la Commission en est venue à sa décision est claire. Ainsi, la décision de la Commission appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle n’était ni abusive ni arbitraire. Il n’est pas justifié que j’apprécie la preuve à nouveau : Matsko c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 691, au paragraphe 10.

 

[18]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée en vue de la certification et l’affaire n’en soulève aucune.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2999-10

 

INTITULÉ :                                       SABRI CEKIM

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 15 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Deborah Drukarsh

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Krassina Kostadinov

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                               

 

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