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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20110215

Dossier : IMM-3097-10

Référence : 2011 CF 182

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 15 février 2011

 

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

 

OSMAN JOSE PAZ GUIFARRO

 

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Osman Jose Paz Guifarro, est un citoyen du Honduras. Il prétend que sa vie sera menacée s’il est forcé de rentrer au Honduras. En résumé, il soutient qu’une bande connue sous les noms de « Mara 18 » et « MS-18 » l’a menacé de mort parce qu’il a refusé de payer l’« impôt de guerre » maintes fois exigé de lui. À son arrivée au Canada en février 2008, il a demandé l’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               En mai 2010, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté les prétentions du demandeur.

 

[3]               La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si les risques auxquels M. Guifarro prétend être exposé sont de la nature de ceux auxquels sont « généralement » exposées « d’autres personnes originaires [du Honduras] ou qui s’y trouvent », au sens du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

 

[4]               Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai conclu que les risques auxquels M. Guifarro prétend être exposés sont en réalité des risques auxquels sont généralement exposées d’autres personnes au Honduras. Par conséquent, la demande sera rejetée.

 

I.          Le contexte

[5]               M. Guifarro était propriétaire, au Honduras, d’une entreprise de transport de marchandises qu’il avait mise sur pied en novembre 2002. En juillet 2004, des membres du Mara 18 sont venus le voir pour lui exiger un impôt de guerre. Il a d’abord refusé de payer cet impôt, mais en septembre 2004, il a acquiescé à la demande de la bande. Il a acquitté l’impôt par versements mensuels jusqu’en janvier 2005, moment où la bande a exigé une somme supplémentaire que le demandeur n’était apparemment pas en mesure de payer. Il aurait donc dit à la bande qu’il préférait fermer son entreprise que d’accéder à leurs demandes.

 

[6]               Le demandeur prétend que, le 12 février 2005, il a été agressé et volé par des membres du Mara 18. Il a signalé l’incident à la police, qui a procédé à l’arrestation de trois hommes. Toutefois, il affirme que deux de ces hommes auraient été relâchés au terme de deux jours de détention pendant lesquels ils avaient été battus. Or, selon le demandeur, les deux hommes l’auraient tenu responsable de ce traitement et l’auraient menacé de représailles pour les avoir dénoncés à la police. Il ajoute que le 15 mars 2005, il avait été battu à nouveau et qu’en conséquence, il avait eu le haut du corps presque entièrement couvert de blessures.

 

[7]               Le 28 mars 2005, le demandeur s’est enfui aux États-Unis. Il y est demeuré jusqu’à son arrivée au Canada et la présentation de sa demande d’asile, le 23 février 2008.  

 

II.        La décision à l’étude

 

[8]               La SPR a entamé son évaluation des risques invoqués par M. Guifarro en faisant remarquer que celui-ci avait affirmé que le Mara 18 ciblait l’ensemble des entreprises et de la classe ouvrière. Elle a ensuite fait observer que dans la décision Ventura De Parada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 845, mon collègue le juge Zinn avait confirmé, au paragraphe 22, « qu’un risque élevé auquel est exposé un sous-groupe de la population n’est pas personnalisé si l’ensemble  de la population est généralement exposé au même risque, quoique moins fréquemment ».

 

[9]                Puis, la SPR a souligné, que selon la preuve documentaire, l’Amérique centrale était aux prises avec un grave problème de bandes, et en particulier le Honduras. Elle a fait observer que les principales bandes étaient le MS-13 et le MS-18, que ces bandes étaient responsables d’une forte proportion des crimes violents commis au Honduras, et qu’il s’agissait de bandes criminelles bien organisées se livrant à l’extorsion et à des vols qualifiés. En outre, elle a fait remarquer que le MS‑13 et le MS‑18 étaient lourdement armés, qu’ils n’accordaient que peu de valeur à la vie et que les meurtres de représailles étaient chose courante.

 

[10]           Après avoir examiné la preuve documentaire, la SPR a reconnu que le demandeur « a été exposé personnellement à une menace à sa vie » et que des membres du MS-18 « l’ont menacé en lui disant qu’il valait mieux pour lui de leur remettre les sommes d’argent exigées ».

 

[11]           Toutefois, la SPR a conclu que le demandeur ne remplissait pas les conditions énoncées au sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR parce que « [l]’extorsion fait partie du modus operandi des Maras et constitue un risque répandu pour tous les citoyens qui travaillent au Honduras », particulièrement pour ceux qui sont présumés avoir de l’argent.

 

III.       La norme de contrôle

[12]           La question que soulève le demandeur est une question mixte de fait et de droit (Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, paragr. 9 à 11). Ce type de question est habituellement assujetti à la norme de raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragr. 51 à 55).

 

[13]           Cela dit, pour analyser cette question, la SPR se devait d’interpréter le sens des mots « alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas », figurant au sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

 

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême fait la remarque suivante : « Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise. » (Dunsmuir, précité, paragr. 54). Puis, au paragraphe 55, la Cour suprême ajoute que les élément suivants « permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité » : (i) la loi en cause renferme une disposition privative (à savoir, une directive inscrite dans la loi traduisant la volonté du législateur que le décideur fasse l’objet de déférence); (ii) le régime administratif en cause est distinct et particulier; (iii) le décideur possède une expertise spéciale; (iv) il ne s’agit pas d’une question de droit qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur.

 

[15]           Au paragraphe 25 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. no. 12, le juge Binnie, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, livre les précisions suivantes :

 

Dans Dunsmuir, notre Cour a reconnu que, sans égard à l’existence d’une clause privative, il est maintenant admis qu’une certaine déférence s’impose lorsqu’une décision particulière a été confiée à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires. Cette déférence s’étend non seulement aux questions touchant aux faits et à la politique, mais aussi à l’interprétation, par le tribunal administratif, de sa loi constitutive et des dispositions législatives connexes étant donné « qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable, et un litige, à plus d’une solution, et que la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel » (Dunsmuir, paragr. 41).

 

[16]           Puis le juge Binnie a appliqué l’« analyse contextuelle » décrite dans Dunsmuir dans le contexte de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR pour conclure que la norme de contrôle qu’il convenait d’appliquer relativement aux décisions de la SAI rendues sous le régime de cet alinéa était la raisonnabilité (Khosa, précité, paragr. 55 à 58).

 

[17]           Dans les arrêts Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, paragr. 28 et 37, et Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, paragr. 34, la Cour suprême a réitéré que lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi constitutive, « ce facteur entraîne généralement l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable ».

 

[18]           À mon avis, s’agissant du contrôle de l’interprétation que fait la SPR du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR et de la façon dont elle l’applique aux faits particuliers qui lui sont présentés, les considérations exposées ci-dessous militent en faveur de l’application de la norme de raisonnabilité : 

 

a.         La présence du paragraphe 162(1) de la LIPR et le fait que les décisions de la SPR soient susceptibles de contrôle uniquement si la Cour autorise l’introduction d’une procédure de contrôle judiciaire laissent supposer qu’il y a lieu de faire preuve d’une certaine déférence envers la SPR à cet égard (Khosa, précité, paragr. 55 et 56; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Pearce, 2006 CF 492, paragr. 24).

 

b.        Pour évaluer les demandes d’asile sous le régime de l’article 97 de la LIPR, la SPR est tenue d’acquérir et d’exercer une expertise considérable au sujet de questions souvent difficiles – questions de fait, questions mixtes de fait et de droit – et « des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » (Khosa, précité, paragr. 25).

 

c.         De par sa nature, la question soulevée en l’espèce ne revêt pas « une importance capitale pour le système juridique [...] et [qui est] étrangère au domaine d’expertise » de l’agent d’immigration (Dunsmuir, précité, non souligné dans l'original). Contrairement aux questions de nature constitutionnelle, aux questions touchant véritablement à la compétence, aux questions qui se situent au cœur de l’administration de la justice et aux questions concernant la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents (Dunsmuir, précité, paragr. 58 à 61), l’interprétation et l’application de l’article 97 de la LIPR est une tâche de nature juridique bien circonscrite qui se présente uniquement dans le domaine hautement spécialisé du droit de l’immigration et des réfugiés. De plus, dans ce contexte, l’interprétation du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) est « intimement lié[e] au contexte factuel à l’intérieur duquel [elle a] été soulevé[e] » (Ramsawak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 636, paragr. 13; Smith, précité, paragr. 32; Acosta, précitée, paragr. 11; Osorio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1459, paragr. 26).

 

d.        La jurisprudence actuelle tend vers l’adoption de la norme de raisonnabilité comme norme de contrôle (Khosa, précité, paragr. 53; Osorio, précitée; Ventura De Parada, précitée, paragr. 19; Acosta, précitée; Carias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 602, paragr. 20).

 

e.         Les parties n’ont relevé aucun des éléments mentionnés dans les arrêts Dunsmuir, Khosa et Smith, précités, qui permettraient de penser que la décision correcte devrait être appliquée comme norme dans le cadre du présent contrôle. Le fait que la raisonnabilité, comme norme de contrôle, puisse ouvrir la voie à plus d'une interprétation du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) n’empêche pas son adoption (Smith, précité, paragr. 38 et 39).

 

[19]           Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en lien avec la façon dont la SPR interprète l’alinéa 97(1)b)(ii) et l’applique aux faits de l’espèce est la raisonnabilité. Toutefois, l’issue de la cause ne dépend pas de cette conclusion puisque j’estime que, même au regard de la décision correcte, la SPR n’a pas commis d’erreur.

 

IV.       Analyse

A.       La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les risques invoqués par M. Guifarro sont de la nature de ceux auxquels sont généralement exposées d’autres personnes originaires du Honduras ou qui s’y trouvent?

 

[20]             Selon le demandeur, la SPR a commis une erreur en concluant qu’il était exposé à un risque généralisé, plutôt qu’à un risque personnalisé. Je ne suis pas d’accord.

[21]           À l’appui de sa position, le demandeur invoque la décision rendue par la Cour dans Pineda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365. Or, une distinction s’impose. Dans cette affaire, mon collègue le juge de Montigny a infirmé une décision de la SPR parce que celle-ci (i) n’avait pas tenu compte du témoignage du demandeur selon lequel il avait été personnellement exposé au danger; (ii) était arrivée à la conclusion qu’il ne serait pas personnellement en danger advenant un retour au Salvador, ce qui était déraisonnable (Pineda, précitée, paragr. 13 à 17). En revanche, en l'espèce, la SPR a explicitement relevé la déposition du demandeur voulant qu’il ait été la cible d’attaques personnelles et a formellement reconnu que le demandeur « a été exposé personnellement à une menace à sa vie […] [et] qu’il valait mieux pour lui de [remettre au Mara 18] les sommes d’argent exigées ». 

 

[22]           Les principes jurisprudentiels plus directement applicables en l’espèce sont énoncés dans la décision Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331. Cette décision traite du second des deux éléments conjugués prévus au sous-alinéa 97(1)b)(ii), lorsque la présence du premier de ces éléments (le risque personnel) a été établie. La juge Tremblay-Lamer y fait l’observation suivante :

 

[18]    La difficulté qui se présente lors de l’analyse d’un risque personnalisé dans des cas de violations généralisées des droits de la personne, de guerre civile et d’États défaillants est la détermination de la ligne de séparation entre un risque qui est « personnalisé » et un risque qui est « général ». Dans ces situations, la Cour peut se trouver en présence d’un demandeur auquel on s’en est pris dans le passé, et auquel on pourra s’en prendre à l’avenir, mais dont la situation qui comporte un risque est similaire à celle d’une partie d’une population plus large. Ainsi, la Cour est en présence d’un individu qui peut être exposé à un risque personnalisé, mais un risque partagé avec de nombreux autres individus.

 

 

[23]           La juge Tremblay-Lamer a ensuite conclu que le demandeur dans l’affaire dont elle était saisie n’était pas exposé à un risque auquel ne sont pas généralement exposées d’autres personnes originaires d’Haïti ou qui s’y trouvent, puisque « [l]e risque d’être visés par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens ». Puis, elle a ajouté : « Bien qu’un nombre précis d’individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence » (Prophète, précitée, paragr. 23).

 

 

[24]           Pour arriver à la conclusion que le risque plus élevé auquel est exposé un sous-groupe de personnes peut néanmoins être qualifié de risque généralisé, la juge Tremblay-Lamer a suivi une approche analogue à celle adoptée dans les affaires Osorio, précitée; Cius c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1; Carias, précitée. Depuis, cette approche a été suivie dans Ventura De Parada, précitée, et Acosta, précitée.

 

[25]           Dans Osorio, précitée, au paragraphe 26, la juge Snider a déclaré que rien au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) n’obligeait la SPR à interpréter le terme « généralement » comme s’appliquant à tous les citoyens. Puis elle a ajouté : « Le mot "généralement" est communément utilisé dans le sens de "courant" ou "répandu". Le législateur a délibérément choisi d’utiliser le mot « généralement » dans le sous‑alinéa 97(1)b)(ii), laissant à la Commission le soin de décider si un groupe en particulier correspond à la définition. Si sa conclusion est raisonnable, comme c’est le cas ici, je ne vois pas le besoin d’intervenir. » La juge Snider a ensuite conclu qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que le risque auquel était exposé le demandeur principal dans cette affaire était « général », expliquant qu’il était « difficile d’imaginer un groupe, à l’intérieur d’un pays, qui soit plus important ou considérable que le groupe formé par les "parents" » (Osorio, précitée, paragr.  25).

 

[26]           Dans Cius, précitée, aux paragraphes 18 et 23, le juge Beaudry est arrivé à une conclusion semblable. Après avoir reconnu que les personnes considérées comme riches étaient « des cibles plus fréquentes d’activité criminelle », il a néanmoins conclu qu’il s’agissait d’un risque généralisé.

 

[27]           De la même façon, dans Carias, précitée, aux paragraphes 25 et 27, le juge O’Keefe a conclu que l’appartenance à un « vaste groupe de personnes qui risquent d’être visé[e]s par des crimes économiques au Honduras parce [qu’elles] sont considéré[e]s comme riches » ne constituait pas un motif justifiant une demande présentée en vertu de l’article 97.

 

[28]           La juge Gauthier a adopté essentiellement le même point de vue dans Acosta, précitée :

 

[16]    […] Il n’est pas plus déraisonnable de conclure qu’un groupe particulier, que ce soit les personnes chargées de la perception du prix des billets d’autobus ou d’autres victimes d’extorsion qui ne payent pas, est exposé à de la violence généralisée que de tirer la même conclusion à l’égard des riches hommes d’affaires en Haïti qui, selon ce qu’on a clairement conclu, sont exposés à un risque plus important de violence que celle qui sévit dans ce pays.

 

[29]           L’approche adoptée dans la jurisprudence susmentionnée a été suivie par le juge Zinn dans la décision Ventura De Parada, précitée. Celui-ci faisait le commentaire suivant :

 

[22]     Je suis d’accord avec mes collègues pour affirmer qu’un risque élevé auquel est exposé un sous-groupe de la population n’est pas personnalisé si l’ensemble de la population est généralement exposé au même risque, quoique moins fréquemment. Je suis également d’avis que, si un sous­groupe est d’une taille telle que l’on peut affirmer que le risque auquel il est exposé est répandu, alors il s’agit d’un risque généralisé.

 

[23]     C’est précisément la conclusion qu’a tirée la Commission en l’espèce. La Commission a conclu que les demandeurs appartenaient au sous­groupe « hommes d’affaires » de la population du Salvador, qui sont, selon la Commission, les Salvadoriens qui « gèrent une entreprise, travaillent pour une entreprise ou possèdent et gèrent une entreprise de transport au Salvador ». Il s’agit d’un très grand sous­groupe qui englobe presque toutes les personnes au Salvador qui travaillent légitimement pour gagner leur vie. Cette conclusion, compte tenu de la preuve, n’était pas déraisonnable, et la conclusion relative au risque généralisé ne l’était pas non plus.

 

[30]           Selon moi, le raisonnement  adopté dans les affaires susmentionnées s’applique tout autant en l’espèce. En bref, j’estime qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que (i) le risque auquel est exposé le demandeur « est le même que celui qu’encourent en général de nombreuses personnes au Honduras […] qui sont présumées avoir de l’argent », et que (ii) par conséquent, le demandeur n’est pas une personne à protéger au sens de l’article 97. En fait, je suis convaincu que la SPR, qui a explicitement voulu appliquer l’interprétation du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) énoncée dans Ventura De Parada, précitée, a correctement appliqué cette interprétation.

 

[31]           À mon sens, le fondement des conclusions de la SPR, qui est par ailleurs parfaitement valable, est renforcé par le fait que le demandeur a admis, à l’audience de la SPR, qu’il était [traduction] « juste d’affirmer que le Mara 18 s’en prend à des personnes nanties » (dossier certifié du tribunal, p. 22).

 

[32]           Compte tenu que les deux éléments visés au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) doivent être conjugués, la personne qui demande l’asile en vertu de l’article 97 doit démontrer non seulement l’existence  probable d’un risque personnalisé visé à cet article, mais également qu’il s’agit d’un risque auquel « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne […] sont généralement pas [exposées] ». Par conséquent, la SPR ne commet pas d’erreur en rejetant la demande d’asile présentée en vertu de l’article 97 si elle conclut que le risque personnalisé auquel le demandeur serait exposé est partagé par un sous-groupe de personnes suffisamment important pour que le risque puisse être raisonnablement qualifié de répandu ou de courant dans le pays en cause. Il en est ainsi même si ce sous-groupe peut être ciblé avec précision. Et cela est particulièrement vrai lorsque le risque découle d’un comportement ou d’activités criminelles.

 

[33]             Compte tenu de la fréquence avec laquelle les arguments avancés en l’espèce continuent  d’être présentés quant à l'application de l’article 97,  j’estime qu’il est nécessaire de souligner qu’il est désormais bien établi en droit que les demandes d’asile fondées sur le fait que le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible de l’être à l’avenir ne répondront pas aux exigences du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR lorsque (i) le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible d’être ciblé dans son pays d’origine en raison de son appartenance à un sous-groupe de personnes rentrées de l’étranger ou considérées comme nanties pour d’autres raisons et que (ii) ce sous-groupe est suffisamment important pour que ce risque puisse raisonnablement être qualifié de répandu ou de courant dans ce pays. À mon sens, un sous-groupe formé de milliers de personnes serait suffisamment important pour que le risque auquel ces personnes sont exposées soit considéré comme répandu ou courant dans leur pays d’origine, et donc, comme « général » au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(ii), et ce, même si ce sous-groupe ne représente qu’un faible pourcentage de la population de ce pays.

 

V.        Conclusion

[34]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[35]           Il n’y a aucune question à certifier.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

 

 

 

                                                                                                  « Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3097-10

 

INTITULÉ :                                       OSMAN JOSE PAZ GUIFARRO

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)        

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 2 février 2011          

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                             le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS :                      le 15 février 2011        

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

D. Russ Makepeace

POUR LE DEMANDEUR

 

Gordon Lee

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Binavince Makepeace

Avocats

Vaughan (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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