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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110222

Dossier : T-808-10

Référence : 2011 CF 207

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2011

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA ET CATHY MURPHY

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 et

 

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

                  défenderesse

 

défenderesse

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7, visant une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) datée du 23 avril 2010. La décision concernait une plainte dans laquelle il était allégué que l’Agence du revenu du Canada (ARC) avait violé les articles 5 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) lorsqu’elle avait appliqué les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR) relativement à des paiements forfaitaires versés à titre d’indemnités de parité salariale. Par sa décision, le Tribunal a rejeté la plainte des demanderesses.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

Les faits

[3]               La demanderesse Cathy Murphy a été fonctionnaire fédérale de 1981 à 1994. L’autre demanderesse, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), était son syndicat. En 1984 et en 1990, l’AFPC a déposé des plaintes relatives à la parité salariale contre le Conseil du Trésor du Canada en vertu de l’article 11 de la LCDP. Les demanderesses soutenaient que les employées de plusieurs groupes professionnels à prédominance féminine, dont Mme Murphy (qui a fait la majorité de sa carrière au service de Revenu Canada), étaient moins rémunérées que des employés de groupes à prédominance masculine exécutant des fonctions équivalentes.

 

[4]               En 1998, et avant la décision du Tribunal, des membres de l’AFPC avaient commencé à exprimer des inquiétudes à leur syndicat au sujet des répercussions fiscales d’une décision favorable prochaine anticipée. L'une de ces inquiétudes concernait la question de savoir si un paiement indemnitaire forfaitaire ferait augmenter la tranche d'imposition des prestataires pour l'année lors de laquelle il serait effectué. Des représentants de l'AFPC ont rencontré Revenu Canada pour poser des questions quant à savoir comment les ajustements au titre de la parité salariale seraient traités aux fins de l’impôt.

 

[5]               Le 29 juillet 1998, le Tribunal a statué que les plaintes relatives à la parité salariale étaient bien fondées, et il a conclu que les employés avaient été sous-payés pendant la période en question. Le Tribunal a établi une méthodologie pour le calcul de l'écart salarial entre les groupes professionnels à prédominance féminine et ceux à prédominance masculine. Il a ordonné au Conseil du Trésor d'effectuer les paiements rétroactifs d'ajustement salarial aux fonctionnaires fédéraux touchés de 1985 jusqu'à la date de la décision. Il a aussi ordonné au Conseil du Trésor de payer des intérêts simples, calculés de façon semi-annuelle au taux des obligations d'épargne du Canada, sur les ajustements salariaux.

 

[6]               Le 19 octobre 1999, la Cour fédérale a confirmé la décision du Tribunal à la suite d’une demande de contrôle judiciaire déposée par le procureur général du Canada. Les parties ont ensuite entamé des négociations pour tenter de régler différentes questions laissées en suspens à la suite de la décision du Tribunal, y compris la détermination des montants réels des ajustements salariaux. La question des répercussions fiscales n’a apparemment pas été abordée au cours de ces négociations.

 

[7]               Les négociations ont finalement porté fruit, et les parties ont réglé toutes les questions reliées à ce qui a été appelé [TRADUCTION] « la phase II et la phase III des plaintes ». La phase III portait sur la détermination des montants d’ajustement salarial. Les parties ont convenu d’une formule pour calculer les montants forfaitaires d’ajustement salarial payables aux employés touchées ainsi que des intérêts payables à des taux fixés par le Tribunal sur 90 pour cent des ajustements salariaux forfaitaires.

 

[8]               Le 16 novembre 1999, une entente a été présentée au Tribunal.  Les membres du Tribunal ont posé des questions sur certaines parties de l’entente, ils l’ont approuvée et ils ont rendu une ordonnance à laquelle les parties avaient consenti.

 

[9]                 En 2000, les ministères touchés ont appliqué les ajustements salariaux et ont effectué les paiements avec intérêt.

 

[10]           Entretemps, le gouvernement a adopté une nouvelle mesure budgétaire pour tenter de répondre aux préoccupations soulevées par divers groupes quant aux répercussions fiscales négatives reliées aux paiements forfaitaires reçus au titre de revenus gagnés au cours d’années précédentes. Le mécanisme du paiement forfaitaire rétroactif admissible (PFRA) s’appliquait aux paiements forfaitaires de plus de 3000 $ et permettait que les revenus provenant de paiements forfaitaires admissibles soient imposés dans l’année au cours de laquelle les revenus en question auraient dû être touchés, si cela était à l’avantage du particulier. Le PFRA comprenait le calcul d’un « impôt théorique », qui comprenait non seulement l’impôt qui aurait dû être payé au cours de ces années, mais aussi un montant pour les intérêts qui reflétaient le retard dans le paiement des impôts pour le paiement forfaitaire rétroactif. 

 

[11]           L'ARC a produit un avis de cotisation pour l'année 2000 à l'égard de Mme Murphy le 18  avril 2001, dans lequel on l'avisait qu'elle était admissible au calcul de l'impôt selon le mécanisme des PFRA. Le 25 avril 2001, l'ARC lui a envoyé une lettre dans laquelle elle expliquait que ce calcul ne lui était pas avantageux. Le calcul normal de l'impôt était plus avantageux, même si son taux marginal d'imposition était maintenant plus élevé que lorsqu'elle avait travaillé dans la fonction publique. 

 

[12]           Les paiements forfaitaires ont été réputés constituer un revenu d'emploi aux fins de l'impôt sur le revenu de l'année 2000, même s'ils visaient un emploi qui avait été exercé dans des années antérieures.

 

[13]           Le 11 mars 2002, Mme Murphy et l’AFPC ont déposés des plaintes en matière de droits de la personne au nom de tous les prestataires de parité salariale qui étaient admissibles à recevoir les paiements décrits ci-dessus. Les plaintes alléguaient que, dans le cadre de son analyse des PFRA, l’ARC avait fait une distinction illicite envers ces individus en appliquant des intérêts composés à des arriérés d’impôt théorique dont l’ARC avait affirmé qu’ils lui étaient dus depuis la date à laquelle les revenus avaient été gagnés. L’Alliance de la Fonction publique du Canada soutenait que cette démarche réduisait la valeur réelle des paiements que le Tribunal avait ordonnés, perpétuant ainsi l’écart salarial qui avait été l’objet des plaintes de 1984 et 1990, et que cela violait l’article 5 et l’alinéa 7b) de la LCDP.

 

[14]           Le 23 avril 2010, le Tribunal a rejeté les plaintes des demanderesses en matière de droits de la personne. Cette décision constitue l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

La décision contestée

[15]           Le Tribunal a conclu que les demanderesses n’avaient pas réussi à établir une preuve prima facie qu’il y avait eu discrimination. Il a aussi conclu que les demanderesses n’avaient pas réussi à démontrer que la discrimination alléguée résultait de la « fourniture de services destinés au public » ou qu’elle pouvait être considérée comme ayant été faite « en cours d’emploi ». Il a plutôt conclu que l’établissement de la dette fiscale des prestataires des paiements forfaitaires au titre de la parité salariale résultait de l’application des dispositions de la LIR. En conséquence, le Tribunal a conclu que les plaintes ne déclenchaient l’application ni de l’article 5 ni de l’alinéa 7b) de la LCDP.

 

Les questions en litige

[16]           Voici les questions en litige :

a.       Quelle est la norme de contrôle applicable?

b.      Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve au regard de l’application de l’article 5 et de l’alinéa 7b) de la LCDP?

c.       Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que Mme Murphy et les autres prestataires de paiements forfaitaires au titre de la parité salariale n’avaient pas subi une différence de traitement préjudiciable?

 

a.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

Les arguments des demanderesses

[17]           Les demanderesses soutiennent que la jurisprudence établit que les questions de droit liées à l’interprétation de l’article 5 et de l’alinéa 7b) de la LCDP doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte (Canada (Procureur général) c. Watkin, 2008 CAF 170, 378 N.R. 268, paragraphe 23, Hicks c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1059, 334 F.T.R. 260, paragraphes 18 et 19, Powell c. TD Canada Trust, 2007 CF 1227, 320 F.T.R. 17, paragraphes 20 et 21, AZ Bus Tours Inc. c. Tanzos, 2009 CF 1134, 353 FTR 121, paragraphes 22 à 36).

 

Les arguments de la défenderesse l’Agence du revenu du Canada

[18]           L’ARC soutient que, contrairement à ce que prétend la demanderesse, la jurisprudence n’est pas bien établie en ce qui a trait à la norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal relatives à l’application des articles 5 et 7 de la LCDP : par exemple, dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Pankiw, 2010 CF 555, 369 F.T.R. 84, paragraphe 36, la Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable, tandis que dans Brown c. Canada (Commission de la capitale nationale), 2008 CF 733, 330 F.T.R. 67, elle a statué que la norme applicable était celle de la décision correcte (paragraphe 80).

 

[19]           La défenderesse soutient que les décisions Hicks et Powell, que les demanderesses invoquent au soutien de leur prétention selon laquelle la norme applicable est celle de la décision correcte, sont inapplicables puisqu’elles concernent des décisions de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) et non des décisions du Tribunal. En outre, la défenderesse souligne que, par contraste avec l’affaire Watkin, le Tribunal en l’espèce a exposé un raisonnement valable à l’égard duquel la Cour peut faire preuve de retenue.

 

[20]           Aussi la défenderesse soutient-elle qu’étant donné que la jurisprudence n’établit pas clairement la norme applicable, il faut procéder à une analyse de la norme de contrôle.

 


Les arguments de la défenderesse la Commission canadienne des droits de la personne

[21]           Dans son mémoire des faits et du droit, la défenderesse la Commission canadienne des droits de la personne soutient qu’il convient d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de retenue, et la défenderesse cite en ce sens la décision Pankiw, précitée. À l’audience, la défenderesse a produit la décision La Société canadienne des postes c. Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2010 CF 154, dans laquelle le juge de Montigny a appliqué la norme de la décision correcte.

 

Analyse

[22]           Compte tenu de la jurisprudence précitée, je suis d’avis que les questions devraient être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Bien qu’il y ait eu des affaires dans lesquelles ces questions ont été examinées selon la norme de la décision correcte, la décision Pankiw a établi que le Tribunal canadien des droits de la personne était expressément habilité à statuer sur des questions de droit et qu’en outre, dans le cadre de l’examen de l’interprétation faite par le Tribunal d’une disposition de sa loi habilitante, la Loi, la norme de contrôle était celle de la décision raisonnable.

 

[23]           Je renvois également à l’affaire Vilven c. Air Canada, 2009 CF 367, [2010] 2 R.C.F. 189, dans laquelle une analyse de la norme de contrôle a été effectuée (paragraphes 61 à 74) et la Cour en est arrivée à la même conclusion. Dans La Société canadienne des postes, la Cour fédérale devait analyser la question de savoir si l’interprétation par un agent d’appel du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le CCT) était correcte ou non. La question en litige dans cette affaire n’était pas la même que dans la présente espèce.

 

[24]           Par conséquent, dans la présente affaire, l’intervention de la Cour ne sera pas justifiée à moins que la décision n’appartienne pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47).

 

b. Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve au regard de l’application de l’article 5 et de l’alinéa 7b) de la LCDP?

Les arguments relatifs à l’article 5

Les arguments des demanderesses

[25]           Les demanderesses soutiennent que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a conclu que la plainte débordait le champ d’application de la LCDP. Elles soutiennent tout d’abord que le Tribunal a conclu à tort que l’administration des PFRA par l’ARC ne constituait pas des services destinés au public au sens de l’article 5 de la LCDP. Les demanderesses affirment qu’en ne concluant pas que la conduite de la défenderesse était un service visé à l’article 5 de la Loi, le Tribunal a interprété cet article d’une manière restrictive et a mal compris le pouvoir discrétionnaire dont jouissait l’ARC dans l’exercice de ses fonctions.

 

[26]           Les demanderesses affirment que les mesures prises par la défenderesse en l’espèce constituent bel et bien des services destinés au public. Les demanderesses soutiennent que les modifications apportées à la LIR et l’édiction des dispositions relatives aux PFRA ont découlé de la reconnaissance, par le Parlement, du caractère injuste de l’imposition d’un paiement forfaitaire rétroactif au titre du salaire à un taux d’imposition plus élevé dans l’année de sa réception. Aussi les demanderesses avancent-t-elles que l’appréciation de la question de savoir si l’application des dispositions relatives aux PFRA serait ou non à l’avantage du contribuable visait à procurer un avantage au public, et que la défenderesse fournissait donc un service aux prestataires de paiements au titre de la parité salariale.

 

[27]           Les demanderesses citent la décision Watkin au soutien de leur prétention selon laquelle, bien que cette décision infirme la théorie générale énoncée dans l’affaire Bailey voulant que toutes les mesures que prend le gouvernement dans l’exercice de fonctions prévues par la loi soient des services, elle n’infirme pas la conclusion expresse selon laquelle l’exercice des fonctions du ministre lorsqu’il établit des cotisations d’impôt constitue un service visé à l’article 5 de la LCDP (Bailey c. Canada (Ministre du Revenu national), (1980), 1 C.H.R.R. D/193, Canada (Procureur général) c. Canada (Tribunal canadien des droits de la personne) (« Cumming »), [1980] 2 CF 122, aux paragraphes 20 et 21, voir aussi Wignall c. Canada (Ministère du Revenu national (Impôt)), [2001] DCDP No 9, aux paragraphes 25 et  29).

 

[28]           Les demanderesses soulignent le fait que, selon l’application des dispositions par l’ARC, le calcul d’un PFRA était plus avantageux pour seulement 7 % de toutes les personnes qui en avaient réclamé un dans l’année d’imposition 2000 et n’était généralement pas avantageux pour les bénéficiaires de paiements forfaitaires au titre de fonctions exercées plus de six ans auparavant (témoignage de S. Barnard, Dossier de demande des demanderesses, vol. IV, pièce E, onglet 5 aux pages 1487, 1493 et 1538 à 1543).

 

[29]           Les demanderesses soutiennent en outre que la conclusion du Tribunal selon laquelle l’ARC ne pouvait exercer aucun pouvoir discrétionnaire dans le cadre de l’application des articles 110.2 et 120.31 de la LIR est directement contredite par la jurisprudence de la Cour canadienne de l’impôt, selon laquelle l’ARC jouit du pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts en vertu du paragraphe 220(3.1) (Fetterly c. Canada, 2006 CCI 94, au paragraphe 13).

 

[30]           Les demanderesses prétendent également que l’aspect « droits de la personne » de la présente situation obligeait la défenderesse à interpréter la LIR d’une manière qui éviterait un résultat discriminatoire.

 

[31]           Enfin, les demanderesses soutiennent que l’affaire Forward c. Canada (Citoyenneté et Immigration Canada), 2008 TCDP 5, invoquée par le Tribunal se distingue de la présente espèce. Premièrement, les demanderesses affirment que la Cour a conclu dans Forward à l’absence de pouvoir discrétionnaire dans ce dossier et que la [TRADUCTION] « seule source de la discrimination alléguée […] était le libellé de la Loi de 1977 ». Deuxièmement, les demanderesses soulignent que le Tribunal dans cette affaire a insisté sur les circonstances particulières entourant l’attribution de la citoyenneté.  Les demanderesses ajoutent que ces considérations ne s’appliquent pas dans la présente affaire, dont les faits s’apparenteraient davantage à ceux de l’affaire Druken v. Canada, 9 CHRRD/5359 (4th) 29, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a confirmé une ordonnance du Tribunal visant à faire cesser d’appliquer certains articles de la Loi sur l’assurance-emploi (LAE) et du Règlement sur l’assurance-emploi (RAE). 

 


Les arguments de la défenderesse

La Commission canadienne des droits de la personne

[32]           La Commission soutient que la question en litige à l’audience touchait le service que fournit l’ARC lorsqu’elle établit des cotisations d’impôt. La Commission croit que cette activité peut seulement être décrite comme un service.

 

[33]           La Commission ajoute que, bien que l’établissement des cotisations d’impôt payable ait pu assurer une égalité formelle, les règles que l’ARC a appliquées n’ont pas assuré une égalité réelle aux demanderesses. La Commission ajoute qu’en établissant la cotisation d’impôt payable d’une manière qui obligeait Mme Murphy (et les autres personnes se trouvant dans la même situation qu’elle) à payer plus d’impôt par suite de la réception d’un paiement forfaitaire, l’ARC a traité Mme Murphy moins bien que si celle-ci avait tout simplement touché un salaire non discriminatoire au cours de chacune des années en cause pendant lesquelles elle avait travaillé au service de la fonction publique fédérale. En conséquence, la Commission affirme que, par suite de la cotisation d’impôt établie par l’ARC, la demanderesse a payé plus d’impôt que ses homologues de la fonction publique fédérale appartenant à des groupes professionnels à prédominance masculine.

 

[34]           La Commission soutient que la LCDP ne définit pas ce qu’est un « service destiné au public » et que la plupart des sources jurisprudentielles portent sur le sens des mots « destinés au public » et touchent rarement la question de savoir si un acte précis constitue ou non un service.

 

[35]           La Commission cite l’arrêt Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571, aux paragraphes 49, 50 et 59, et laisse entendre que cet arrêt commande une interprétation généreuse du libellé de la LCDP, en veillant à ce qu’il soit donné pleinement effet aux objets de cette loi.

 

[36]           Enfin, la Commission soutient que les mesures que prend l’ARC lorsqu’elle calcule l’impôt payable par une partie et établit le revenu constituent bel et bien des « services » au sens de la LCDP. L’ARC ne pouvait donc pas appliquer des dispositions légales discriminatoires.  La Commission invoque aussi l’arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans Re Marriage Commissioners Appointed Under The Marriage Act, 2011 SKCA 3.

 

[37]           Compte tenu de ce qui précède, la Commission soutient que le Tribunal avait compétence pour ordonner qu’il soit mis fin à la pratique discriminatoire de la défenderesse en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP.

 

Les arguments de la défenderesse

L’Agence du revenu du Canada

[38]           L’ARC invoque l’arrêt Watkin, dans lequel la Cour d’appel fédérale a précisé expressément que les activités gouvernementales ne sont pas toutes des services au sens de l’article 5. Dans cet arrêt, la Cour a statué que les « services » visés à l’article 5 s’entendent de quelque chose d’avantageux qui est « offert » en tant que service et « mis à la disposition » du public dans le cadre d’une relation publique. La Cour a jugé que les mesures d’application et d’exécution prises en vertu d’une loi ne constituaient pas des services. Elle s’est expressément « dissociée » de la vieille interprétation large de l’article 5, y compris de l’interprétation adoptée dans la décision Bailey, où le Tribunal avait statué que l’application de la LIR était un service (voir la décision Bailey).

 

[39]           L’ARC soutient que les remarques incidentes de la Cour de l’impôt dans la décision Fetterly invoquée par les demanderesses, qui concernent une application des dispositions d’équité de la LIR, n’ont aucune incidence sur la présente affaire puisque Mme Murphy n’a jamais plaidé ces dispositions. Ainsi, selon l’ARC, même à supposer qu’elle ait joui d’un quelconque pouvoir discrétionnaire en vertu des dispositions d’équité de la LIR, cela n’est pas pertinent. L’ARC soutient que puisque la décision Fetterly a été rendue au terme d’une procédure d’appel informelle, cette décision ne constitue pas un précédent jurisprudentiel selon l’article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C, 1985, ch. T-2.

 

[40]           L’ARC allègue également que les demanderesses invoquent à tort la décision Wignall du Tribunal, puisque cette décision est antérieure à l’arrêt Watkin de la Cour d’appel fédérale. Il n’est donc pas surprenant que la question des « services » n’ait pas été soulevée. En outre, lors du contrôle judiciaire de la décision Wignall, la Cour fédérale a jugé que le bien-fondé de la plainte n’avait pas été établi et que la source du traitement préjudiciable allégué était la LIR elle-même.

 

[41]           L’ARC avance que même si le Tribunal avait commis une erreur lorsqu’il a conclu que la plainte visait la LIR plutôt que les mesures prises par l’ARC, ces mesures ne constitueraient pas des services au sens de l’article 5. L’activité dont il est question ici est l’établissement de cotisations d’impôt réellement payable par des contribuables en vertu de la LIR, et il ne s’agit pas d’un outil de planification prospective optionnel; il s’agit plutôt de l’application de la LIR au terme du processus de cotisation à des fins de perception, et il ne s’agit pas d’un service, contrairement, par exemple, aux décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu que peuvent obtenir les contribuables moyennant le paiement de droits.

 

[42]           L’ARC soutient en outre que les exemples de services que donne la Cour d’appel dans l’arrêt Watkin ont tous en commun qu’ils se rapportent à des conseils ou des renseignements offerts au public. Les membres du public sont libres de décider d’utiliser ou non les renseignements communiqués et, le cas échéant, de la façon dont ils les utiliseront. L’ARC ajoute que ses cotisations d’impôt payable ne sont ni des conseils ni des renseignements que le contribuable peut prendre ou laisser.

 

[43]            L’ARC affirme que la détermination des obligations fiscales des contribuables constitue une première étape du processus d’application des dispositions de la LIR et fait partie intégrante de ce processus. L’ARC souligne que, dans l’arrêt Watkin, les mesures contestées qui ont été jugées déborder le cadre de l’article 5 comprenaient non seulement les mesures d’« exécution » de Santé Canada au sens étroit de son intimation faite à la plaignante de rappeler ses produits et de cesser de les vendre, mais également la décision originale de Santé Canada à l’effet de ne pas approuver les produits de la plaignante aux fins de vente. L’ARC soutient qu’en l’espèce, son établissement de cotisations d’impôt s’inscrivait dans le cadre de sa mise en œuvre de la LIR.

 

 

 


Analyse

[44]           L’arrêt Watkin a établi que les activités gouvernementales ne sont pas toutes des services au sens de l’article 5 de la LCDP. La question à trancher est donc celle de savoir si la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Watkin s’est complètement dissociée de la conclusion énoncée dans les décisions Bailey et Wignall selon laquelle l’application de la LIR est un service.

 

[45]           Dans l’arrêt Watkin au paragraphe 31, la Cour a affirmé :

[31] Sur ce point, je suis d’accord pour dire que, comme les mesures du gouvernement sont généralement prises au profit du public, l’exigence prévue à l’article 5, suivant laquelle elles doivent être « destinées au public » est habituellement satisfaite dans les affaires mettant en cause une discrimination attribuable à des mesures prises par le gouvernement (voir, par exemple, les décisions Rosin, précitée, au paragraphe 11, et Saskatchewan Human Rights Commission c. Saskatchewan (Department of Social Services) (1988), 52 D.L.R. (4th) 253 aux p. 266-268). Toutefois, la première étape à franchir lorsqu’on applique l’article 5 consiste à déterminer si les actes reprochés constituent des « services » (Gould, précité, le juge La Forest, au paragraphe 60). À cet égard, les « services » visés à l’article 5 s’entendent de quelque chose d’avantageux qui est « offert » ou « mis à la disposition » du public (Gould, précité, le juge La Forest, au paragraphe 55). Or, comment pourrait-on prétendre que des mesures visant à faire respecter la loi sont « offertes » ou « mises à la disposition » du public, d’autant plus qu’elles ne s'inscrivent pas « dans le cadre d'une relation publique » (idem, le juge Iacobucci, au paragraphe 16). Je conclus donc que les mesures d’application de la loi en litige dans le cas qui nous occupe ne sont pas des « services » au sens de l’article 5.

 

[46]           Puis, au paragraphe 32, elle a statué :

[32] Vu cette conclusion, il y a lieu de se dissocier de l’avis exprimé par le Tribunal canadien des droits de la personne dans la décision Bailey et al. c. Ministre du Revenu national, (1980), 1 C.C.D.P. D/193, aux pages D/212 – D/214 (Bailey) (appliquée dans la décision LeDeuff c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, (1987), 8 C.C.D.P. D/3690, à la page D/3693 (conf. sur cette question par un tribunal d’appel, sans autre analyse à (1989), 9 C.C.D.P. D/4479) suivant lequel toutes les mesures prises par le gouvernement dans l’exercice d’une fonction prévue par la loi constituent des « services » au sens de l’article 5 parce qu’elles sont prises par la « fonction publique » pour le bien public. La même observation vaut pour la décision rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire Anvari c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada) (1989), 10 C.C.D.P. D/5816, au paragraphe 42271 (conf. par un tribunal d’appel à 14 C.H.R.R. D/292, à la page D/297, au paragraphe 19) (appliquée dans la décision Menghani, précitée, à la page D/244, au paragraphe 26, laquelle décision a par la suite été confirmée pour d’autres motifs par la Cour fédérale (Canada (Secrétaire d’État aux Affaires extérieures) c. Menghani, [1994] 2 C.F. 102)), dans la mesure où l’on a statué dans cette décision que toutes les mesures prises par les fonctionnaires de l’immigration en vertu de la Loi sur l’immigration sont des « services » parce que l’exécution d’une obligation légale constitue « par définition » un service destiné au public (voir aussi la décision Bailey, précitée, à la page D/214).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[47]           Compte tenu de ces commentaires, on peut déduire que si le raisonnement dans l’arrêt Watkin avait été appliqué dans l’affaire Bailey, le résultat n’aurait pas nécessairement été le même. La conclusion énoncée dans Bailey selon laquelle l’établissement de cotisations d’impôt était un « service » a été tirée en fonction d’un ensemble de facteurs complètement différents. Aussi, je ne puis conclure que les conclusions formulées dans la décision Bailey peuvent être appliquées ici.

 

[48]           Les demanderesses soulèvent également la question du pouvoir discrétionnaire de l’ARC en s’appuyant sur la décision Fetterly de la Cour de l’impôt. Les commentaires formulés dans cette affaire l’ont été au regard des dispositions d’équité de la LIR, qui sont régies par un ensemble de règles distinct, et ces commentaires ne peuvent donc pas être présumés s’appliquer dans la présente affaire.

 

[49]           Je conclus donc que les conclusions du Tribunal concernant son appréciation de la question de savoir si les mesures prises par l’ARC pouvaient être qualifiées ou non de « services » au sens de l’article 5 étaient raisonnables.

 

Les arguments relatifs à l’article 7

Les arguments des demanderesses

[50]           En ce qui concerne l’alinéa 7b) de la LCDP, les demanderesses soutiennent que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a conclu que la plainte des demanderesses ne se rapportait pas à des faits survenus en cours d’emploi puisque la défenderesse l’ARC n’avait pas [TRADUCTION] « utilisé » les services de l’employée.

 

[51]           Les demanderesses citent Canadian Pacific Limited c. Canada (Commission des droits de la personne) [1990] ACF No 1028, aux paragraphes 5 et 6, où la Cour a dit que même lorsqu’une entité n’était pas l’employeur d’un individu, ses actes ou omissions pouvaient tout de même avoir des conséquences discriminatoires sur l’emploi de l’individu en question.

 

[52]           Les demanderesses invoquent également de la jurisprudence de la Colombie-Britannique au soutien de la thèse selon laquelle la discrimination [TRADUCTION] « relative à l’emploi ou à une condition d’emploi » comprend la discrimination qui est commise par une autorité attributive de licences et qui a des répercussions sur la capacité d’un individu à exercer un emploi dans un domaine particulier. Les demanderesses soutiennent qu’en conséquence, il n’est pas nécessaire que le traitement discriminatoire subi en cours d’emploi consiste dans les mesures prises par un employeur ou un individu se trouvant dans une situation qui s’apparente à celle d’un employeur.

 

[53]           Les demanderesses soutiennent qu’il peut être démontré que l’emploi des mots « par des moyens […] indirects » confère au libellé de l’article 7 de la LCDP une portée plus large que celui de la disposition correspondante de la loi britanno-colombienne : [TRADUCTION] « refuser d’employer ou refuser de continuer d’employer une personne » (Mans c. British Columbia Council of Licenced Practical Nurses, [1990] BCCHRD No. 38, aux paragraphes 74 à 77 et 83 à 87; conf. par : [1991] BCJ No. 2666 (C.S.C.-B.) et [1993] BCJ No. 371 (C.A.C.-B.)).

 

[54]           Les demanderesses soutiennent que la décision invoquée par le Tribunal dans la décision Canada (Procureur général) c. Bouvier, [1998] A.C.F. no 176, 98 CLLC, paragraphes 230-016, n’empêche pas la conclusion énoncée ci-dessus. Les demanderesses affirment que dans l’affaire Bouvier, le ministère n’avait aucun pouvoir discrétionnaire dans le cadre de l’application du règlement en cause. Les demanderesses croient que tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque la défenderesse conserve un pouvoir discrétionnaire dans le cadre de l’application des dispositions.

 

[55]           Enfin, les demanderesses affirment que le traitement des PFRA par l’ARC a perpétué la discrimination salariale à l’égard des personnes appartenant aux groupes à prédominance féminine qui conservaient encore un pourcentage inférieur de leur revenu d’emploi gagné par rapport aux personnes appartenant aux groupes à prédominance masculine qui reçoivent leur revenu dans l’année en question.

 

Les arguments de la défenderesse l’Agence du revenu du Canada

[56]           L’ARC soutient que la conclusion du Tribunal en ce qui concerne l’article 7 est raisonnable.

 

[57]           L’ARC dit que l’arrêt Bouvier est la source jurisprudentielle qui étaye l’argument selon lequel l’article 7 n’étend pas le concept de [TRADUCTION] « l’employeur » au-delà de [TRADUCTION] « l’utilisateur » des services d’un employé. Dans cette affaire, malgré qu’elle ait reconnu que les dispositions législatives quasi constitutionnelles relatives aux droits de la personne devaient recevoir une interprétation téléologique, la Cour d’appel fédérale a refusé d’étendre l’application de l’article 7 à un ministère pour la seule raison que celui-ci était responsable de l’application d’un régime législatif relié à l’emploi du plaignant. Dans le même ordre d’idées, lorsqu’elle a établi des cotisations à l’égard des prestataires de paiements forfaitaires au titre de la parité salariale, l’ARC n’a pas agi en qualité d’employeur, et elle n’était pas non plus [TRADUCTION] « l’utilisatrice » des services de ces prestataires. En effet, l’ARC ne faisait plutôt qu’appliquer les dispositions de la LIR que le législateur avait édictées.

 

Analyse

[58]           Je suis d’avis que l’analyse que le Tribunal a faite de l’arrêt Bouvier et sa conclusion selon laquelle l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans cette affaire était beaucoup plus pertinent et persuasif est raisonnable en ce qui concerne l’article 7 en l’espèce  (décision du Tribunal aux paragraphes 66 à 68).

 

[59]           Sa conclusion au paragraphe 71 selon laquelle « [...] les allégations des plaignantes [...], même si elles étaient crédibles, ne peuvent pas engager la responsabilité de l'ARC en vertu de l'alinéa 7b) de la LCDP » découle de l’application du paragraphe 4 de l’arrêt Bouvier, où il a été dit qu'un ministère ne peut pas être tenu responsable envers la Commission d'une disposition discutable d'un règlement pour la seule raison que le législateur le charge d'appliquer la loi en vertu de laquelle ce règlement a été valablement promulgué par le gouverneur en conseil.

 

[60]           Aussi, je suis d’accord avec le principe énoncé au paragraphe 79 du mémoire des faits et du droit de l’ARC : [TRADUCTION] « […] Bien que l’ARC compte des prestataires de parité salariale parmi ses employés et que Mme Murphy ait elle-même été une employée de l’ARC, l’ARC n’a pas établi leur cotisations d’impôt sur le revenu en sa qualité d’employeur. […] ».

 

[61]           Par conséquent, l’intervention de la Cour sur cette question n’est pas justifiée.

 

c. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que Mme Murphy et les autres prestataires de paiements forfaitaires de parité salariale n’avaient pas subi une différence de traitement préjudiciable?

Les arguments des demanderesses

L’appréciation du témoignage des experts par le Tribunal

[62]           Les demanderesses soutiennent que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a conclu que les éléments de preuve produits par l’AFPC et Mme Murphy n’avaient pas démontré une différence préjudiciable de traitement.

 

[63]           En ce qui concerne l’analyse du témoignage des experts par le Tribunal, les demanderesses soutiennent que, bien que ces éléments de preuve aient aidé à comprendre les répercussions de la discrimination, ils n’ont pas nécessairement été produits pour étayer la cause des demanderesses, mais ils ont illustré les conséquences négatives des mesures prises par l’ARC pour les prestataires de paiements forfaitaires au titre de la parité salariale (Mémoire des faits et du droit des demanderesses aux paragraphes 49 à 63). En conséquence, les demanderesses croient que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a utilisé ces éléments de preuve pour miner le fondement de la plainte des demanderesses.

 

Le rôle juridique des intérêts

[64]           Les demanderesses soutiennent qu’étant donné que le Tribunal a conclu que le montant d’intérêts reçu avait adéquatement indemnisé les individus du fardeau fiscal additionnel, s’il peut être démontré que les intérêts ne visaient pas à indemniser de ce montant, il doit s’ensuivre que la preuve prima facie de l’existence de discrimination n’a pas été réfutée.

 

[65]           Les demanderesses soutiennent qu’il est bien établi que lorsqu’un tribunal ordonne, dans la même cause, des mesures de redressement au titre des conséquences fiscales de la réception de paiements forfaitaires dans une seule année (c’est-à-dire sous la forme d’une majoration), pour tenir compte de différences fiscales, il ajoute des intérêts pour indemniser le ou les intéressés du fait que ceux-ci n’ont pas eu l’occasion d’investir, pendant la période en cause, l’argent attribué, et ces intérêts sont distincts (Green c. Canada (Commission de la fonction publique), 2003 TCDP 34, aux paragraphes 4 et 24).   

 

[66]           Les demanderesses soulignent que lorsqu’il a été demandé expressément à l’experte de la défenderesse, en contre-interrogatoire, si elle laissait entendre que le Tribunal entendait que les intérêts servent d’indemnisation des incidences fiscales, elle a confirmé que non. Or, les demanderesses allèguent qu’étant donné leur domaine d’expertise en tant que comptables, ni l’un ni l’autre des experts n’avaient qualité pour témoigner au sujet du fondement juridique de la décision du Tribunal sur ce point.

 

[67]           Les demanderesses soulignent également que, bien que le Tribunal ait laissé entendre que l’AFPC aurait dû négocier des dommages-intérêts au titre des implications fiscales avec le Conseil du Trésor, l’ARC n’était pas partie à l’instance devant le Tribunal, et elle n’était pas non plus présente au cours du processus de négociation.

 

[68]           Les demanderesses affirment également que la décision Burrow c. La Reine, 2005 CCI 761, invoquée par le Tribunal ne traitait pas d’une situation où des dispositions législatives avaient été modifiées exprès pour tenir compte d’incidences fiscales défavorables. Cette décision de la Cour de l’impôt traitait de questions différentes.

 

[69]           Enfin, les demanderesses soutiennent que l’affirmation du Tribunal selon laquelle la plainte ne correspondait pas au « genre d’incohérence » qui devrait être corrigée en vertu de la LCDP est non fondée. Les demanderesses soutiennent que la LCDP ne permet pas des degrés de discrimination, dont certains seraient acceptables et d’autres non. Les demanderesses affirment en outre que, dans l’arrêt Sveinson c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 259, 4 CF 927, la Cour d’appel fédérale ne laissait pas entendre que si la différence de traitement était discriminatoire, aucune mesure de redressement ne serait envisageable. La Cour s’intéressait plutôt à la nature de la discrimination dont elle pensait que celle-ci ne représentait pas une violation de la LCDP. Par conséquent, son analyse ne s’applique pas en l’espèce.

 

Les arguments de la défenderesse

L’Agence du revenu du Canada

[70]           L’ARC soutient que le Tribunal a appliqué de manière raisonnable en l’espèce la logique utilisée dans la décision Burrows lorsqu’il a affirmé que, si l’AFPC trouvait que les montants proposés aux termes de l’entente étaient insuffisants, compte tenu du fait que ses membres seraient imposés conformément à la LIR, elle aurait dû soit négocier des montants plus élevés, soit élaborer l’entente de manière à ce que des conséquences fiscales différentes s’ensuivent ou, à la limite, refuser de régler.

 

Absence d’éléments de preuve d’effet préjudiciable

[71]           L’ARC soutient que, contrairement à ce que prétendent les demanderesses, le témoignage de Mme Murphy n’était pas suffisant à lui seul pour établir une preuve prima facie de discrimination. L’ARC souligne que le Tribunal a admis que si Mme Murphy avait « réellement reçu l'ajustement salarial dans les années auxquelles il se rapportait, elle aurait payé de l'impôt à un taux marginal d'imposition moins élevé ». Cependant, l’ARC affirme que ce fait à lui seul n’a pas établi que Mme Murphy, ni aucune autre prestataire de parité salariale, avaient subi un désavantage financier. En conséquence, l’ARC soutient que le Tribunal a axé à juste titre son attention sur le témoignage des experts pour déterminer s’il disposait ou non d’éléments de preuve fiables démontrant l’existence d’un traitement préjudiciable.

 

[72]           L’ARC souligne également qu’étant donné la possibilité d’un désavantage dans seulement deux des cinq scénarios hypothétiques présentées par Mme Murphy, le témoignage de cette dernière est loin de démontrer de manière convaincante que les PFRA ont eu des conséquences défavorables sur les finances de Mme Murphy ou sur celles des autres prestataires ou qu’ils ont constitué une différence de traitement préjudiciable fondée sur le motif de distinction illicite qu’est le sexe. La question fondamentale dont le Tribunal était saisi était celle de savoir si, comme conséquence du traitement fiscal effectué par l’ARC, les demanderesses avaient été moins bien traitées que les autres membres de la société qui avaient reçu des paiements forfaitaires.

 

La prise en compte correcte des intérêts dans le cadre d’une analyse relative à l’effet préjudiciable

[73]           L’ARC fait valoir avec insistances que les paiements forfaitaires de capital et les sommes d’intérêts étaient inexorablement liés à titre de composantes de la mesure de redressement ordonnée par le Tribunal et négociée plus avant par les parties. L’ARC souligne que ni l’entente ni l’ordonnance sur consentement ne précisaient l’objet des intérêts payés.

 

[74]           En outre, l’ARC souligne que les deux experts ont convenu que les paiements d’intérêts avaient plus que compensé les effets de l’inflation et toute obligation fiscale accrue résultant de la réception des sommes forfaitaires de capital en 2000. Aussi l’ARC croit-elle qu’il était loisible au Tribunal de conclure qu’il pouvait tenir compte des paiements d’intérêts dans son analyse de la question de savoir si les PFRA avaient eu des conséquences financières préjudiciables pour les plaignantes.

 


Analyse

[75]           La conclusion du Tribunal selon laquelle Mme Murphy et les autres prestataires de paiements forfaitaires au titre de la parité salariale n’ont subi aucune différence préjudiciable de traitement était raisonnable.

 

[76]           Le Tribunal a admis que si Mme Murphy avait réellement reçu l'ajustement salarial dans les années auxquelles il se rapportait, elle aurait payé de l'impôt à un taux marginal d'imposition moins élevé. Cependant, cela n’a pas établi que la demanderesse avait subi un désavantage financier.

 

[77]           Comme l’ARC l’a affirmé au paragraphe 61 de son mémoire des faits et du droit, [TRADUCTION] « [i]l y avait toutefois des éléments de preuve qui démontraient que les paiements d’intérêts avaient plus que compensé les effets de l’inflation et toute obligation fiscale accrue résultant de la réception des sommes forfaitaires de capital en 2000. Les deux experts se sont entendus sur ce point. » J’ai vérifié cette affirmation, et je dois dire qu’elle est étayée par les éléments de preuve (Mémoire des faits et du droit de l’ARC, notes infrapaginales numéros 53 et 54, paragraphe 61).

 

[78]           Il était donc raisonnable que le Tribunal tienne compte de tous les facteurs qui étaient reliés à la question de savoir si les demanderesses avaient subi ou non un désavantage financier. Un de ces facteurs était les intérêts accordés, indépendamment de la question de savoir s’ils avaient été accordés à cette fin précise à l’origine. Comme le Tribunal l’a affirmé au paragraphe 97, concernant Mme Murphy, « si ces pertes [avaient] été plus qu'entièrement compensées par les intérêts (dans le cas de Mme Murphy, il s'agit d'un excès de plus de 1 500 $), comment [aurait-elle pu] soutenir qu'elle [avait] subi un désavantage? Cela n'a aucun sens ». 

 

[79]           Un autre facteur était le témoignage de l’expert des demanderesses, qui n’avait pas pu démontrer que le PFRA avait eu des incidences préjudiciables sur les demanderesses, surtout compte tenu des problèmes soulignés par l’experte de l’ARC.

 

[80]           Enfin, je dois souscrire aux observations du Tribunal au paragraphe 101, lorsqu’il affirme : « […] Selon Mme Jaekl, l'AFPC est l'un des plus grands syndicats du Canada, qui a des bureaux dans tout le pays et qui embauche des avocats. Le syndicat a participé à de nombreuses poursuites et ententes au sujet de l'emploi, de la parité salariale et des droits de la personne. Il a demandé la vérification de ces renseignements fiscaux auprès de Revenu Canada plus d'un an avant que la décision du Tribunal ne soit rendue, et il l'a obtenue. C'est cette règle fiscale qui a finalement été appliquée aux paiements forfaitaires de Mme Murphy. Cette conséquence fiscale n'était donc ni imprévue, ni imprévisible. » [Non souligné dans l’original.]

 

[81]           Enfin, je conclus que la décision et les conclusions du Tribunal rejetant la plainte des demanderesses sont étayées par la preuve et satisfont au critère de l’arrêt Dunsmuir.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les demanderesses paieront des dépens sous la forme d’un montant forfaitaire de 4 000 $ à la défenderesse l’Agence du Revenu du Canada. Aucuns dépens ne sont adjugés contre la Commission canadienne des droits de la personne.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-808-10

 

INTITULÉ :                                       ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA ET CATHY MURPHY ET AGENCE DU REVENU DU CANADA ET LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 février 2011

 

COMPARUTIONS :

 

David Yazbeck

Andrew Astritis

POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Représenté par :  Catherine A. Lawrence

 

Daniel Poulin

POUR LA DÉFENDERESSE

(AGENCE DU REVENU DU CANADA)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Représenté par :  David Yazbeck / Andrew Astritis

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Représenté par :  Catherine A. Lawrence

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

(AGENCE DU REVENU DU CANADA)

 

Daniel Poulin

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

(LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE)

 

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