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Cour fédérale

Federal Court

 

 


Date : 20110217

Dossier : IMM-472-11

Référence : 2011 CF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 février 2011

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B386

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans une requête datée du 3 février 2011, le demandeur sollicite ce qui suit :

            1.         Une ordonnance fondée sur l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, sa requête étant présentée avec un court préavis suivant le paragraphe 362(2) des Règles des Cours fédérales, en vue de faire surseoir à l’ordonnance du 25 janvier 2011 prononcée par le commissaire Tessler de la Section de l’immigration (la SI), jusqu’à ce que soit tranchée sur le fond la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire;

            2.         Une ordonnance fondée sur l’article 55 des Règles des Cours fédérales qui permettrait de ne pas exiger la mise en état de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, qui accueillerait la demande d’autorisation et abrégerait par la suite les délais dont disposent les parties pour déposer et signifier leurs documents, puis accélérerait l’audition de la demande de contrôle judiciaire, laquelle serait mise au rôle sans délai;

            3.         Subsidiairement, une ordonnance fondée sur le paragraphe 21(2) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, en vue d’abréger les délais dont disposent les parties pour déposer et signifier leurs dossiers de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, afin de permettre à la Cour de décider si elle accorde l’autorisation et, le cas échéant, si elle va procéder par instruction accélérée.

            4.         Une ordonnance qui préserverait la confidentialité de tous les documents déposés ou livrés à la Cour relativement à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur visant la décision du commissaire de la SI.

 

Le contexte procédural et factuel

[2]               Le 25 janvier 2011, le juge Noël a ordonné le sursis provisoire de l’ordonnance de mise en liberté du 25 janvier 2011 en vue de permettre la tenue d’une audience pleine et entière par instruction accélérée pour que la Cour puisse statuer sur le fond au sujet de la requête en sursis du demandeur. La Cour a pris connaissance des dossiers relatifs à cette requête et entendu les parties sur le fond à Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 février 2011.

 

[3]               Le défendeur est visé par deux autres demandes de contrôle judiciaire déposées à la Cour, soit IMM-6839-10 et IMM-7338-10, où sont contestées les ordonnances de mise en liberté datées du 19 novembre 2010 et du 23 décembre 2010, respectivement, qu’a rendues la SI par suite de son contrôle des motifs de détention. Dans les deux cas, pour les affaires IMM-6839-10 et IMM-7338-10, le sursis a été accordé les 9 décembre 2010 et 14 janvier 2011, respectivement.

 

[4]               Le 8 février 2011, le juge en chef a produit des motifs et rendu une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire qui visait l’ordonnance de mise en liberté du 19 novembre 2010 (MCI c. B386, 2011 CF 140).

 

[5]               Dès le début de l’audition de la présente requête, l’avocat du défendeur a tenté de faire rejeter la requête au motif que la Cour n’avait pas compétence pour statuer à son sujet vu que l’ordonnance de mise en liberté du 25 janvier 2011 visée par la requête était frappée de nullité.

 

[6]               Postérieurement à l’audience, au moyen d’une lettre datée du 10 février 2011, l’avocat du demandeur a demandé l’autorisation de présenter des observations, de la jurisprudence et de la doctrine supplémentaires sur le caractère théorique. La Cour a enjoint aux parties de déposer leurs observations écrites respectives sur cette question au plus tard le 14 février 2011.

 

Les observations du demandeur

[7]               Le demandeur soutient que sa requête devrait être entendue parce qu’elle porte sur la seule ordonnance de mise en liberté qui est en vigueur au sujet du défendeur. Quand la SI rend une série d’ordonnances faisant suite à des contrôles successifs des motifs de détention, chaque ordonnance remplace celle qui la précède : advenant que la SI ordonne la mise en liberté d’une personne sous certaines conditions et que cette ordonnance soit l’objet d’un sursis ou ne soit pas mise en état avant la tenue d’un deuxième contrôle exigé par la loi, la deuxième audience et l’ordonnance qui en découle remplacent la première ordonnance. Par conséquent, l’ordonnance du 19 novembre 2010 de la SI que le juge en chef Lutfy a examinée par voie de contrôle judiciaire a perdu tout effet quand la SI a rendu une ordonnance subséquente le 23 décembre 2010. Le rejet de la demande n’empêche donc nullement l’audition de la requête dont la Cour est saisie ici.

 

[8]               Le demandeur fait valoir que sa position concorde avec la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale ainsi qu’avec le point de vue exprimé récemment par la SI. En outre, elle serait conforme avec le fait que les circonstances existant entre les contrôles d’une détention sont toujours susceptibles de changer. Par conséquent, une ordonnance de mise en liberté ou de maintien en détention visant le défendeur à une date donnée ne détermine pas l’issue d’un contrôle subséquent des motifs de détention.

 

Les observations du défendeur

[9]               Le défendeur garde la même position adoptée à l’audition de la requête, soit que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande présentée par le ministre en vue d’obtenir le sursis de l’ordonnance de mise en liberté prononcée par la SI le 25 janvier 2011 et ce, pour les deux motifs suivants. Premièrement, les principes de la chose jugée et de la préclusion pour même question en litige entrent en jeu parce que la question relative au caractère théorique de la mise en liberté ordonnée le 19 novembre 2010 a été tranchée le 18 janvier 2011, lors de la conférence préparatoire à l’audience ordonnée par le juge en chef. Deuxièmement, la requête du ministre constitue un abus de procédure. Selon le défendeur, le ministre demande à la Cour de souscrire à une thèse qui rendrait théorique toute demande de contrôle judiciaire visant une ordonnance de mise en liberté qui a été l’objet d’un sursis, car un tel contrôle ne peut pas, pratiquement, se dérouler dans un délai de 30 jours.

 

Analyse

[10]           Je ne suis pas d’accord avec le défendeur quand il affirme que la question du caractère théorique a été tranchée définitivement par le juge en chef lors de la conférence préparatoire à l’audience ou lors du contrôle judiciaire de l'ordonnance de mise en liberté du demandeur du 19 novembre 2010. Au paragraphe 2 de sa décision, le juge en chef dit clairement que ses doutes persistent quant au caractère théorique. En outre, il ne précise pas si l’ordonnance de mise en liberté la plus récente remplace les ordonnances de mise en liberté antérieures. Par conséquent, je rejette l’argument du défendeur fondé sur le principe de la chose jugée.

 

[11]           Je conviens toutefois avec le défendeur qu’une bonne partie des affaires citées par le ministre ne s'appliquent pas à la présente affaire parce qu’elles concernaient le contrôle judiciaire d’une ordonnance de détention et que la question du caractère théorique ne semble pas y avoir été analysée en profondeur. C’est le cas de Lai c. Canada (MCI), 2001 CAF 222. Dans ces affaires, le caractère théorique et l’économie judiciaire étaient invoqués parce que la réparation demandée était un autre contrôle des motifs de détention, lequel devait se dérouler dans un délai de 30 jours de toute manière. J’ajouterai que, dans ces décisions, le droit à la liberté de la personne détenue n’était pas enfreint aussi gravement que dans le cas où le ministre demande le contrôle judiciaire d’une ordonnance de mise en liberté. Si une personne détenue demande le contrôle judiciaire d’une ordonnance de détention, le contrôle judiciaire ne prolonge pas sa détention, car elle resterait détenue de toute façon jusqu’à ce qu’elle obtienne sa mise en liberté à la suite d’un contrôle ultérieur de sa détention. Le spectre d’un abus de procédure n’apparaît pas de la même façon que dans la situation du défendeur. Quand le ministre demande le contrôle judiciaire d'une ordonnance de mise en liberté, la personne détenue aurait été mise en liberté n’eût été la demande du ministre, pour autant que cette personne ait été capable de respecter les conditions imposées. Le contrôle judiciaire visant une ordonnance de mise en liberté a donc une incidence directe sur le droit à la liberté de la personne détenue, puisqu’il est susceptible de prolonger la période de détention.

 

[12]           Dans XXXX c. MCI, 2011 CAF 27, la raison fondamentale invoquée pour conclure au caractère théorique est le fait que l’appelant avait déjà recouvré sa liberté. La décision du juge Pelletier dans Canada c. Zhang, 2001 CFPI 521 porte, elle, sur une ordonnance de mise en liberté, mais la question de la détention d’une durée indéterminée n’y est peut-être pas soulevée parce que le juge Pelletier a conclu que la décision de libérer était déraisonnable. La personne détenue ne s’était pas vu refuser le bénéfice d’une décision judiciaire lui étant favorable.

 

[13]           À cause du délai de 30 jours entre les contrôles des motifs de détention, il est impossible, même avec la meilleure intention de toutes les parties, qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant une décision rendue à la suite d’un contrôle de la détention soit entendue et tranchée avant la tenue d’un autre contrôle. C’est ce qui sous-tend la présente affaire. Il y a eu deux contrôles de la détention du défendeur qui ont donné lieu à une décision depuis que le sursis de l’ordonnance de mise en liberté du 19 novembre 2010 a été accordé.

 

[14]           Puisque la détention doit être obligatoirement l’objet d’un contrôle tous les 30 jours, la position du ministre permettrait à l’État d’obtenir le sursis prolongé, voire d’une durée indéterminée, des ordonnances de mise en liberté grâce au processus judiciaire. C’est ce qui ressort de l’instance actuelle concernant le défendeur. Le ministre a déposé des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire visant trois ordonnances successives par lesquelles la SI avait libéré le défendeur. Souscrire à la position du ministre reviendrait à dire que, parce que la décision de la Cour confirmant l’ordonnance de mise en liberté du 19 novembre 2010 n’a pas été rendue avant le contrôle de la détention de décembre, elle n’a aucun effet puisque c’est l’ordonnance suivante de mise en liberté de la SI qui est désormais en vigueur. L’ordonnance de mise en liberté de décembre a également été l’objet d’un sursis sous réserve d’une décision finale visant la demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire ou du contrôle subséquent des motifs de détention. Il se pourrait que ce cycle ne prenne jamais fin et que le défendeur ne tire jamais avantage d’une décision favorable de la Cour confirmant sa mise en liberté. Il est impossible que ce soit là l’intention du Parlement. Le contrôle obligatoire de la détention tous les 30 jours vise à protéger le droit à la liberté du défendeur en lui permettant de faire contrôler rapidement les motifs de sa détention et non pas, de toute évidence, à instaurer un mécanisme prolongeant la période de détention ou imposant une détention d’une durée indéterminée. Pourtant, c’est ce qui se produirait si nous acceptions l’argument du ministre. À mon avis, il s’agirait ni plus ni moins que d’un abus du processus judiciaire.

 

[15]           Il ne faut pas oublier que les contrôles des motifs de détention qui se sont déroulés entre-temps, lesquels se sont aussi conclus par la décision de la SI de mettre en liberté le défendeur, n’auraient pas eu lieu si le défendeur n’avait pas alors été détenu. La LIPR n’exige pas la tenue d’un contrôle une fois que le défendeur est mis en liberté. Sous réserve des conditions imposées, la mise en liberté n’a pas de durée déterminée. Par conséquent, les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire visant les décisions subséquentes de libérer le défendeur n’ont été possibles que parce que le défendeur était encore détenu, et elles n’auraient jamais été présentées si l’ordonnance de mise en liberté du 19 novembre 2010, maintenant confirmée, n’avait pas été contestée.

 

[16]           La situation du défendeur est inédite. Si le demandeur a gain de cause dans la présente requête en sursis, il aura empêché le défendeur de bénéficier de trois ordonnances de mise en liberté et d’une décision favorable de la Cour au moyen de contrôles judiciaires consécutifs.

 

[17]           Même si la jurisprudence citée par le demandeur ne pouvait pas être distinguée de la présente affaire et même si l’ordonnance de mise en liberté initiale a été remplacée, étant donné les faits en jeu ici, je suis d’avis que l’application de la jurisprudence en question serait contraire aux intérêts de la justice et entraînerait un abus de procédure. Le droit à la liberté du défendeur prévaut ici sur l’application de cette jurisprudence (Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, paragraphe 120; Canada (MCI) c. Parekh, 2010 CF 692, paragraphe 24).

 

[18]           Le ministre a soulevé un argument de politique générale justifiant que chaque décision successive rendue à l’issue d’un contrôle des motifs de détention remplace la précédente. Il fait valoir que les situations changent et que de nouveaux éléments de preuve sont présentés. Cet argument ne me convainc pas.

 

 

[19]           Toute l’information importante sous-tendant les nouveaux motifs de détention invoqués dans les contrôles de décembre et de janvier était à la disposition du ministre dès la fin de septembre. Le ministre n’a pas mentionné les liens du défendeur avec des passeurs avant le contrôle de la détention de décembre, mais ces renseignements avaient été obtenus pour la majeure partie dans le cadre d’une entrevue qui s’est déroulée le 20 septembre 2010. De même, bien que le ministre n'ait pas soulevé le danger pour la sécurité publique avant le contrôle de la détention de décembre, les liens du défendeur avec les LTTE avaient aussi été complètement mis au jour lors de l’entrevue du 20 septembre 2010, et le rapport visé à l’article 44 relatif au défendeur a été rédigé le 27 octobre 2010. Quoi qu’il en soit, si de nouveaux éléments de preuve sont mis au jour et qu’ils constituent un motif de détention, le ministre a le pouvoir légal d’arrêter de nouveau le défendeur (art. 55 de la LIPR). Ce point a été abordé dans Canada c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, où le juge Rothstein s’exprime comme suit :

[25]      Le ministre peut, en tout temps, arrêter de nouveau l'intimé et assurer sa détention et le maintien de la détention sur le fondement d'éléments de preuve appropriés. Le ministre, s'il est d'avis que l'intimé constitue un danger pour la sécurité publique, devrait prendre les mesures à sa disposition suivant la nouvelle loi afin d'assurer la détention de l'intimé.

 

 

Conclusion

[20]           La réparation demandée dans le cadre de la présente requête est devenue théorique depuis la décision du 8 février 2011, où le juge en chef a rejeté la demande de contrôle judiciaire visant l’ordonnance de mise en liberté du défendeur rendue par la SI le 19 novembre 2010. Pour l'essentiel, cette décision confirme l’ordonnance de mise en liberté et lui donne effet.

 

[21]           La requête dont il est question en l’espèce vise à faire surseoir à une de ces ordonnances de mise en liberté subséquentes jusqu’au contrôle judiciaire de la demande sous-jacente contestant le bien-fondé de l’ordonnance de mise en liberté. À mon sens, compte tenu des circonstances inhabituelles dans lesquelles se sont déroulées les instances relatives à la détention du défendeur, je conclus que l’ordonnance de mise en liberté contestée dans la demande sous-jacente à la présente requête est frappée de nullité. Si j’en décidais autrement, je ne donnerais aucun effet à la décision de la Cour de confirmer l’ordonnance de mise en liberté du 19 novembre 2010. Par conséquent, je conclus que la requête et la réparation demandée n’ont plus de raison d’être.

 

[22]           Pour ces motifs, la requête du demandeur sera rejetée.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE : la requête est rejetée.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-472-11

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                            c.

                                                            B386

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 février 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Timothy E. Fairgrieve

POUR LE DEMANDEUR

 

Gabriel Chand

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Chand & Company Law Corporation

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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