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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

 

 

 

 


Date : 20110217

Dossier : IMM-3559-10

Référence : 2011 CF 192

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

MAHMOOD HUSSAIN BAJWA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Vue d’ensemble

[1]               Dans Mand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1637, 144 ACWS (3d) 512, le juge Pierre Blais a statué sur une affaire mettant en cause un entrepreneur qui n’avait pas respecté les conditions liées à son admission au Canada. La preuve montrait néanmoins que la fille de cet entrepreneur avait des qualités remarquables; elle était instruite et contribuait à la société canadienne. La Cour a donc fait le commentaire suivant :

[19]      J’estime que la Commission a commis une erreur en concluant que la fille du demandeur principal n’avait pas de liens solides avec le Canada. Cette personne est instruite, elle s’est intégrée à la société canadienne et y a contribué, comme la Commission l’a reconnu en 2002. Le commissaire a même dit qu’il était [traduction] « impressionné » par son curriculum vitae; je le suis également. Cela dit, je n’estime pas que la décision de la Commission d’annuler le sursis d’exécution des mesures d’expulsion soit manifestement déraisonnable. Il serait injuste et contraire aux principes du régime canadien de l’immigration de rendre une décision différente. Le demandeur principal a eu une deuxième chance et n’a pas respecté les règles. Il ne devrait pas être récompensé pour avoir contrevenu aux règles au point de permettre à sa famille de demeurer au Canada assez longtemps pour y créer des liens solides et pour être admissible à un autre sursis d’exécution fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. [Non souligné dans l’original.]

 

II. Le contrôle judiciaire

[2]               En l’espèce, le demandeur sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 28 mai 2010, rejetant l’appel qu’il a interjeté à l’encontre de la mesure d’interdiction de séjour prise contre lui par la Section de l’immigration le 25 août 2009.

 

III. Le contexte

[3]               Le demandeur, M. Mahmood Hussain Bajwa, est citoyen du Pakistan. Il a présenté une demande afin de se voir octroyer, sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, le statut d’immigrant reçu à titre d’« entrepreneur », une catégorie réglementaire d’immigrants à qui la résidence permanente était accordée sous réserve de l’obligation de respecter certaines conditions dans un délai de deux ans.

 

[4]               M. Bajwa a obtenu le statut d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement, et c’est en application de cette disposition de l’ancien Règlement sur l’immigration, DORS/78-172, qu’on a exigé qu’il se conforme aux conditions afin de pouvoir conserver son statut de résident permanent (ou, pour employer le terme en vigueur à l’époque, son statut « d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement »).

 

[5]               M. Bajwa ne s’est pas conformé aux conditions imposées sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, un constat qu’il ne conteste pas. Parce qu’il ne n’est pas conformé à ces conditions, il est devenu interdit de territoire au Canada.

 

[6]               Il s’est adressé à la SAI pour obtenir la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, mais la SAI a rejeté son appel.

 

IV. La question en litige

[7]               La SAI a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour?

 

V. Analyse

            Le régime législatif

[8]               M. Bajwa a demandé, sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, le droit d’établissement à titre d’« entrepreneur », une catégorie réglementaire d’immigrants à qui la résidence permanente était accordée sous réserve de l’obligation de respecter certaines conditions dans un délai de deux ans. Par conséquent, il a été tenu compte en l’espèce des dispositions législatives applicables de l’ancienne Loi sur l’immigration et de son règlement puisque M. Bajwa devait satisfaire aux conditions de cette loi pour conserver son statut de résident permanent ou, pour employer le terme en vigueur à l’époque, son statut d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement.

 

[9]               L’ancienne Loi sur l’immigration et l’ancien Règlement sur l’immigration ont été abrogés et remplacés par l’actuelle LIPR et par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).

 

[10]           Malgré l’abrogation de l’ancienne Loi sur l’immigration et de son règlement, certaines dispositions transitoires de fond peuvent s’appliquer à une instance ou une situation données. Par exemple, les dispositions transitoires qui expliquent que l’ancienne Loi sur l’immigration continue de s’appliquer à certaines conditions. En ce qui concerne la présente affaire, l’article 318 de la LIPR énonce que les conditions imposées à M. Bajwa sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration continuent de s’appliquer :

318. Les conditions imposées sous le régime de l’ancienne loi sont réputées imposées aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

318. Terms and conditions imposed under the former Act become conditions imposed under the Immigration and Refugee Protection Act.

 

[11]           M. Bajwa n’a pas respecté les conditions imposées sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration et il ne conteste pas ce fait. Son manquement aux conditions a entraîné son interdiction de territoire au Canada. M. Bajwa ne conteste pas non plus ce fait.

 

[12]           En réalité, lorsqu’un entrepreneur au sens du paragraphe 88(1) du RIPR (ou au sens du paragraphe 23.1(1) de l’ancien Règlement sur l’immigration) omet de se conformer aux conditions imposées, il devient interdit de territoire en application de l’article 41 de la LIPR. Cette disposition prévoit ce qui suit :

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

 

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

 

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

 

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

 

 

[13]           L’interdiction de territoire frappant le résident permanent entraîne, dans la plupart des cas, la perte de statut. Celle-ci débute avec l’établissement, par l’agent d’immigration, d’un rapport d’interdiction de territoire. Ce rapport, produit en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, emporte l’interdiction de territoire. Une fois que l’agent d’immigration a rédigé le rapport d’interdiction de territoire, son rôle dans le processus prend fin. Le rapport est alors transmis au ministre ou à son délégué :

44.   (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

44.   (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

 

[14]           Le délégué du ministre prend connaissance du rapport afin de déterminer s’il est bien fondé. S’il conclut qu’il l’est, le délégué peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête :

44.   (2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

44.   (2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

 

[15]           Après avoir reçu le rapport d’interdiction de territoire transmis par le délégué du ministre, la Section de l’immigration doit tenir une enquête. À l’issue de cette enquête, la Section de l’immigration prendra une mesure de renvoi si elle est convaincue que le résident permanent est en effet interdit de territoire :

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

 

 

[...]

 

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

 

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

 

 

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.

 

 

[16]           L’enquête est une audience quasi judiciaire présidée par un commissaire de la Section de l’immigration.

 

[17]           La Section de l’immigration a estimé que M. Bajwa était interdit de territoire et elle a pris une mesure de renvoi contre lui.

 

[18]           Suivant le paragraphe 63(3) de la LIPR, il est possible d’en appeler à la SAI de la décision rendue par la Section de l’immigration dans le cadre d’une enquête :

63.   (3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

 

63.   (3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

 

 

[19]           L’appel de M. Bajwa a été rejeté et il conteste maintenant la décision rendue par la SAI.

 

 

 

La Section d’appel de l’immigration

[20]           Au terme de l’instruction de l’appel d’une décision, la SAI peut rendre l’une des trois ordonnances suivantes. Elle peut : a) faire droit à l’appel; b) surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi ou c) rejeter l’appel (article 66 de la LIPR).

 

[21]           Il est fait droit à l’appel sur preuve, selon le cas, a) que la décision attaquée est erronée en droit ou en fait; b) qu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle; c) qu’il y a des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales (paragraphe 67(1) de la LIPR).

 

[22]           M. Bajwa prétend que la SAI aurait dû faire droit à l’appel contre la mesure de renvoi prise par la Section de l’immigration en raison de l’existence de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales dans son cas.

 

[23]           Dans Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL/Lexis), une décision qui fait jurisprudence, la SAI a énoncé six facteurs que la Commission est tenue d’examiner avant de faire droit à un appel ou de surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi :

[traduction]

 

14        Dans chaque cas, la Commission tient compte des mêmes considérations générales pour déterminer si, compte tenu des circonstances de l’espèce, la personne ne devrait pas être renvoyée du Canada. Ces circonstances comprennent la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion. La Commission examine la durée de la période passée au Canada, le degré d’établissement de l’appelant, la famille qu’il a au pays, les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille, le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité. Même si les questions générales à examiner sont similaires dans chaque affaire, les faits, eux, ne sont que rarement, voire jamais, identiques

 

[24]           Dans les arrêts Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 40, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, la Cour suprême du Canada a confirmé que ces facteurs continuaient de s’appliquer.

 

[25]           Dans Khosa, précité, la Cour suprême a souligné que la SAI avait seule compétence pour « déterminer non seulement en quoi consistent les "motifs d’ordre humanitaire", mais aussi s’ils "justifient" la prise de mesures dans un cas donné » (paragraphe 57).

 

[26]           La Cour suprême a également déclaré, dans Khosa, précité, qu’il y avait lieu de faire preuve d’un degré élevé de déférence lors du contrôle d’une décision de la SAI :

[58]      L’intimé n’a soulevé aucune question de pratique ou de procédure. Il a reconnu que la mesure de renvoi avait été validement prise contre lui en application du par. 36(1) de la LIPR. Sa contestation visait directement le refus de la SAI de lui accorder un « privilège discrétionnaire ». La décision de la SAI de ne pas prendre de mesure reposait sur une évaluation des faits au dossier. La SAI a eu l’avantage de tenir les audiences et d’évaluer la preuve, y compris le témoignage de l’intimé lui‑même. Les membres de la SAI possèdent une expertise considérable pour trancher les appels sous le régime de la LIPR. […]

 

[27]           En l’espèce, la Cour souscrit entièrement à la position du défendeur; la décision de la Commission était entièrement motivée et raisonnable du fait de sa logique inhérente et sans faille. La Commission a convenablement examiné l’ensemble des six facteurs avant de conclure que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales. En particulier, la Commission a souligné que M. Bajwa avait commis un manquement flagrant aux conditions qu’il était tenu de respecter. En fait, l’analyse de la Commission révèle une telle insouciance de la part de M. Bajwa que son manquement aux conditions est assimilable à un mépris total des lois canadiennes sur l’immigration.

 

[28]           La Commission a aussi souligné que les raisons insuffisantes exposées par M. Bajwa pour expliquer son manquement aux conditions et son défaut de produire des éléments de preuve corroborant ses tentatives de respecter les conditions démontrent qu’il n’y a chez lui ni remords ni véritable compréhension des conséquences de ses gestes.

 

[29]           La Commission a signalé l’absence de preuve d’un soutien communautaire en faveur du maintien de M. Bajwa au Canada ou du fait qu’il est établi au Canada, comme il le prétendait. Notamment, depuis 2001, M. Bajwa n’a produit aucune déclaration de revenus hors Québec au gouvernement fédéral, ni au Québec. Il a reçu de l’aide sociale pendant la majeure partie de son séjour au Canada; or, il a toujours réussi à financer ses voyages à l’extérieur du pays. Il ne possède aucun bien au Canada à l’exception d’une voiture et de quelques meubles.

 

[30]           Pour ce qui est des difficultés que pourrait occasionner son renvoi du Canada, la Commission a noté que M. Bajwa avait vécu la majeure partie de sa vie au Koweït; il est donc raisonnable de supposer qu’il pourra continuer à y vivre. De plus, la Commission a relevé le fait que la famille de M. Bajwa s’était rendue à deux reprises au Pakistan, un pays où, selon M. Bajwa, il est dangereux de vivre.

 

[31]           L’unique question soulevée par M. Bajwa concerne l’appréciation que la SAI a faite de la preuve et ses conclusions de fait. Pour l’essentiel, M. Bajwa s’élève contre le poids que la Commission a accordé à la preuve. Il conteste la décision de cette dernière simplement parce qu’il n’est pas d’accord avec son appréciation de la preuve.

 

[32]           Même si le conseil du demandeur a présenté une argumentation remarquable, l’affaire demeure ce qu’elle est sur le plan de la preuve, et rien de plus; par conséquent, la Cour accepte que M. Bajwa n’a pas rempli les conditions liées à son admission au Canada en tant qu’entrepreneur, ainsi que l’a habilement démontré l’avocate du défendeur.

 

[33]           En fait, après avoir reçu le droit d’établissement au Canada, M. Bajwa a attendu 18 mois avant de lancer sa première entreprise. Or, il savait très bien qu’il ne disposait que de deux ans pour remplir les conditions (décision de la SAI, paragraphe 16).

 

[34]           Entre le moment de son arrivée au Canada, en novembre 2000, et la date de l’audience devant la SAI en mai 2010, M. Bajwa n’a produit qu’une seule déclaration de revenus. Cette déclaration se rapportait à l’année 2001 et faisait état d’un revenu de 5 950 $ (décision de la SAI, paragraphes 15 et 27; dossier du tribunal (DT), transcription de l’audience de la SAI (transcription), pages 202 et 203).

 

[35]           Pendant quelque quatre années, soit de 2005 à 2009, M. Bajwa a perçu des prestations d’aide sociale de 1 000 $ par mois au total pour lui-même, sa femme et leurs six enfants (décision de la SAI, paragraphe 20; transcription, pages 192, 193 et 223).

 

[36]           Néanmoins, la preuve révèle que, pendant que M. Bajwa et sa famille recevaient de l’aide sociale au Canada, sa femme et ses enfants se sont rendus deux fois au Pakistan pour visiter leurs familles respectives. Les témoignages de M. Bajwa et de sa femme n’ont pas permis de déterminer avec certitude à quels moments ces voyages avaient eu lieu; toutefois, il semble que le premier voyage ait été effectué en 2005, 2006 ou 2007, et, le second, en 2009 (décision de la SAI, paragraphe 29; transcription, pages 266, 267 et 246 à 248).

 

[37]           Pendant l’audience, M. Bajwa a invoqué la pièce R-7, un document intitulé « SIED Historique du voyageur – Rapport sur le passage du voyageur », daté du 25 mars 2010 (transcription, pages 203 et 204 et pièce R‑7, pages 169 et 170). D’après ce document, il aurait effectué huit voyages à l’extérieur du Canada, vraisemblablement à compter de 2006 jusqu’en octobre 2009. À l’audience, M. Bajwa a expliqué qu’il se rendait en Chine par affaire; en revanche, il n’a jamais expliqué convenablement comment il avait pu payer ces voyages si son unique source de revenus provenait des prestations d’aide sociale de 1 000 $ qu’il recevait chaque mois pour une famille de huit personnes.

 

[38]           À l’ouverture de l’audience, M. Bajwa a déclaré qu’à son arrivée au Canada, il avait emporté des marchandises valant entre 200 000 $ et 300 000 $ (transcription, pages 184 et 185). Il s’est contredit ultérieurement dans son témoignage en affirmant qu’à son arrivée au Canada, il emportait 5 000 $ en espèces et des marchandises d’une valeur de 51 000 $ (transcription, pages 184 et 185).

 

[39]           Longuement interrogé sur la façon dont il avait subvenu à ses besoins entre novembre 2000 et mai 2002, moment de la création de son entreprise, M. Bajwa n’a pu offrir de réponse satisfaisante. Finalement, lorsqu’il est devenu évident qu’il ne pouvait guère prouver qu’il avait lui‑même gagné un revenu au cours de cette période, M. Bajwa a déclaré que des amis lui avaient donné un coup de pouce financier (transcription, pages 232 à 238 et 204 à 209).

 

[40]           Interrogé ultérieurement sur les raisons pour lesquelles il avait enregistré son entreprise actuelle au nom de sa fille et non d’un ami, M. Bajwa a répondu qu’il ne pouvait faire confiance à un ami et qu’il n’en avait d’ailleurs aucun (transcription, page 230).

 

[41]           Pour ce qui est des autres faits dont la SAI était saisie et qui démontraient le caractère raisonnable de sa décision, la Cour se réfère aux motifs de la décision de la SAI et à la transcription de l’audience.

 

[42]           L’examen minutieux des motifs de la SAI et de la transcription de l’audience révèle qu’il était raisonnable de conclure que M. Bajwa n’était pas crédible. Dans sa décision, la SAI déclare :

[12]      […] Ces réponses dénotaient un manque de franchise et étaient parfois contradictoires. Sur plusieurs points pertinents, le témoignage était vague et, dans certains cas, il était incompatible avec les documents soumis. […]

 

[43]           Les exemples donnés par la SAI dans ses motifs après l’examen de la transcription étayent entièrement ses conclusions concernant le manque de crédibilité manifeste de M. Bajwa.

 

[44]           M. Bajwa prétend qu’on ne peut se fier à l’ensemble de l’analyse de la SAI du fait que celle‑ci fait référence à une « mesure d’interdiction de séjour » plutôt qu’à une « mesure d’expulsion ».

 

[45]           Il est vrai que la SAI s’est trompée sur ce point aux paragraphes 4 et 6 de ses motifs; par contre, au paragraphe 41, elle fait correctement référence à la « mesure de renvoi ».

 

[46]           Le RIPR, à l’article 223, prévoit en effet trois types d’ordonnances de renvoi : l’interdiction de séjour, l’exclusion et l’expulsion. Les conséquences d’une mesure d’expulsion sont plus sérieuses que celles découlant de l’interdiction de séjour ou de l’exclusion (articles 224 à 226). La personne visée par une mesure d’expulsion doit obtenir l’autorisation écrite du ministre pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit.

 

[47]           En l’espèce, il est évident que la SAI savait parfaitement que M. Bajwa n’était pas visé par une « mesure d’expulsion », comme en témoignage l’extrait suivant de ses motifs :

[39]      Durant l’audience, aucun élément de preuve n’a été présenté attestant un obstacle d’ordre médical à l’admissibilité de l’appelant au Canada s’il était parrainé. À l’avenir, l’appelant pourra être parrainé s’il choisit de revenir au Canada dans le but de vivre avec son épouse et ses enfants.

 

[48]           De plus, l’examen de la décision et de la transcription de l’audience révèle que la SAI a examiné avec soin la demande que lui a adressée M. Bajwa pour que la SAI exerce son pouvoir discrétionnaire et prenne des mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Rien ne donne à penser que la SAI ait cru à tort que M. Bajwa aurait besoin de l’autorisation du ministre pour revenir au Canada et que, de ce fait, elle voyait son dossier d’un moins bon œil.

 

[49]           Au paragraphe 13 de son mémoire supplémentaire, M. Bajwa soutient que la SAI a omis d’examiner les effets que la séparation aurait sur les enfants si leur père était renvoyé au Pakistan.

 

[50]           Cela est inexact. La SAI a soigneusement analysé cet aspect soulevé par M. Bajwa aux paragraphes 31 à 34 de sa décision.

 

[51]           La SAI a souligné qu’il n’était en fait pas du tout évident que la famille se séparerait si M. Bajwa devait quitter le Canada (décision de la SAI, paragraphe 33).

 

[52]           En fait, à plusieurs moments dans son témoignage, M. Bajwa a clairement indiqué que s’il devait partir, sa femme et ses enfants devraient eux aussi le faire (transcription, pages 250 à 252).

 

[53]           Les arguments présentés par M. Bajwa reviennent à dire que l’intérêt des enfants doit primer lors d’un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire; or, dans Elias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1329, la Cour a noté que les arguments de ce type avaient été rejetés :

[13]      Les arguments des demandeurs, concernant les enfants, équivalent à dire que l’intérêt de ceux-ci doit prévaloir lors d’un appel en vertu des articles 63 et 67 de la Loi, i.e. que la présence d’enfants au Canada impliquerait automatiquement des motifs humanitaires justifiant la prise de mesures spéciales. Cette interprétation a déjà été écartée par la Cour d’appel fédérale dans Legault c. Canada (M.C.I.), [2002] 4 C.F. 358, qui énonce que ce n’est pas parce que l’intérêt de l’enfant voudra qu’un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n’a pas voulu que la présence d’enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d’un parent se trouvant illégalement au pays.

[Non souligné dans l’original.]

 

[54]           M. Bajwa prétend aussi que la SAI a commis une erreur en omettant de mentionner le rapport d’évaluation psychologique produit par M. David L.B. Woodbury lorsqu’il a évalué le meilleur intérêt des enfants.

 

[55]           M. Bajwa reconnaît que la SAI a effectivement fait référence à ce rapport. Voici en fait ce qu’a déclaré cette dernière :

[29]      […] [Le demandeur] a déclaré être très stressé par l’idée d’être expulsé du Canada et a présenté un rapport psychologique. Il ne veut pas être séparé de sa famille. […]

 

[56]           Par conséquent, la preuve ne révèle pas que la SAI a ignoré ce rapport.

 

[57]           Lors des témoignages de M. Bajwa, de son épouse et de sa fille aînée, aucune allusion n’a été faite à ce rapport. En outre, le conseil de M. Bajwa à l’époque (qui n’est pas son avocat actuel) n’a pas fait la moindre mention du rapport psychologique de M. Woodbury dans sa plaidoirie présentée à l’audience devant la SAI (transcription, pages 293 à 295 et 298 à 300).

 

[58]           Le rapport de M. Woodbury fait état des souffrances psychologiques que provoque chez M. Bajwa et sa famille l’imminence de son départ du Canada (DT, pages 96 à 119).

 

[59]           C’est indubitablement le cas de toute famille confrontée à ce genre de situation. Les conséquences malheureuses du défaut de M. Bajwa d’honorer les engagements qu’il a pris lorsqu’il a été autorisé à entrer au Canada en tant qu’entrepreneur ne constituent pas un motif pour ignorer les lois de ce pays en matière d’immigration.

 

[60]           M. Woodbury, il est vrai, a émis l’opinion que le renvoi de M. Bajwa exposerait celui‑ci à des « difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives », reprenant ainsi des notions juridiques; toutefois, compte tenu de sa juridiction, c’est à la SAI que revient de décider si des motifs d’ordre humanitaire justifient de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi de M. Bajwa selon la loi et la jurisprudence.

 

[61]           À cet égard, les propos de la majorité de la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, précité, nous éclairent :

[4]        L’arrêt Dunsmuir nous enseigne que le contrôle judiciaire devrait accorder moins d’importance à la formulation de différentes normes de contrôle et s’intéresser davantage au fond, en particulier à la nature de la question soumise au tribunal administratif en cause. Pour rendre sa décision en l’espèce, la SAI devait appliquer des considérations de politique générale aux faits dont elle avait elle‑même constaté la pertinence et soupesé l’importance. C’est à la SAI et non aux tribunaux judiciaires que le législateur avait confié la tâche de déterminer si M. Khosa avait établi l’existence de « motifs d’ordre humanitaire justifiant » la levée de la mesure de renvoi le concernant, dont toutes les parties reconnaissaient la validité. […]

[Non souligné dans l’original.]

 

[62]           En l’espèce, la SAI a explicitement déclaré que la preuve, dans l’ensemble, ne semble pas démontrer que l’objectif énoncé à l’alinéa 3(1)a) de la LIPR serait réalisé s’il était fait droit à l’appel de M. Bajwa. Cet objectif est « de permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages sociaux, culturels et économiques ».

 

[63]           Dans Hajj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 331, 88 Imm. L.R. (3d) 242, la Cour a rejeté une demande de contrôle judiciaire dans des circonstances à peu près analogues, rappelant que la création dans le RIPR de la catégorie des entrepreneurs avait pour objet « de favoriser la stimulation de l’économie canadienne et la création d’emploi pour des citoyens et des résidents permanents autres que les immigrants entrepreneurs éventuels » (paragraphe 27).

 

[64]           Dans l’affaire qui nous occupe, la SAI a manifestement tenu compte de la considération de principe à l’origine de la décision de permettre à M. Bajwa, ainsi qu’à sa famille, d’ailleurs, d’immigrer au Canada, à savoir de leur permettre de contribuer au développement de l’économie canadienne et de créer des emplois au Canada. Or, aucune contribution du genre n’a été faite.

 

[65]           Avec ce constat à l’esprit, la SAI devait examiner l’intérêt des enfants, ce qu’elle a fait. Elle disposait d’un volume important d’information sur leur vie au Canada. M. Bajwa a argué qu’il serait dangereux pour sa famille de rentrer au Pakistan; toutefois, la preuve a démontré que les enfants avaient été emmenés au Pakistan pour rendre visite à leurs familles paternelle et maternelle, qui vivaient à cinq minutes de marche l’une de l’autre (transcription, page 267). Les enfants sont apparemment incapables de lire et d’écrire en ourdou; toutefois, il s’agit de la langue parlée par la famille à la maison, ici au Canada (transcription, pages 219, 221 et 263). M. Bajwa affirme que sa famille compte sur son soutien financier. Comme l’a souligné la SAI, la preuve ne montre pas qu’il ait subvenu aux besoins de sa famille pendant qu’elle vivait au Canada (décision de la SAI, paragraphe 34).

[66]           Compte tenu du contexte, il était raisonnable de la part de la SAI de conclure que le désir des enfants de demeurer au Canada ne devait pas l’emporter sur les objectifs de principe très précis de la LIPR.

 

La conclusion de la SAI concernant l’insuffisance des moyens déployés par le demandeur pour mettre sur pied son entreprise était raisonnable

 

[67]           L’examen de la décision de la SAI, considérée dans son ensemble, ainsi que de la transcription de l’audience, révèle qu’il était raisonnable de conclure à l’insuffisance des efforts déployés par M. Bajwa pour mettre sur pied une entreprise au Canada.

 

[68]           Au paragraphe 48 de son mémoire supplémentaire, M. Bajwa soutient que la SAI avait eu tort de lui reprocher d’avoir présenté une lettre non datée indiquant qu’il avait reçu des marchandises d’une valeur de 54 000 $ destinées à être vendues au Canada. Selon lui, il est certain que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a reçu la lettre le 13 novembre 2003.

 

[69]           L’obligation qui incombait à M. Bajwa était de mettre sur pied une entreprise et d’employer au moins un Canadien ou un résident permanent au plus tard en novembre 2002.

 

[70]           Quoi qu’il en soit, la SAI a simplement formulé une remarque concernant le caractère peu convaincant de la preuve présentée par M. Bajwa pour étayer l’allégation voulant qu’il ait déployé d’importants efforts pour lancer son entreprise. La lettre non datée n’était qu’un exemple du genre de preuve peu convaincante qui a été produite.

 

[71]           Pour ce qui est des remords, les actes sont plus éloquents que les discours. Le regret exprimé par M. Bajwa à la SAI pendant l’audience n’excuse pas des actions échelonnées sur plusieurs années.

 

[72]           Apparemment, M. Bajwa aurait exploité deux entreprises prospères au Koweït et au Pakistan. C’est sur cette base qu’il avait été accepté à titre d’entrepreneur (transcription, page 256).

 

[73]           Or, il n’a pas prouvé qu’il avait fait un investissement substantiel dans l’entreprise qu’il souhaitait apparemment démarrer au Canada, pas plus qu’il n’a produit de preuve satisfaisante des efforts qu’il aurait déployés pour mettre sur pied une entreprise au pays.

 

[74]           Ainsi que le fait valoir M. Bajwa, il a effectivement déclaré dans son témoignage que c’est son ami qui avait fait faillite.

 

[75]           Un autre témoignage a révélé que M. Bajwa n’avait pas pu démarrer son entreprise en son nom en raison de ses piètres antécédents de crédit.

 

[76]           Compte tenu de ces circonstances, il se peut que la SAI ait cru à tort que M. Bajwa avait lui aussi fait faillite.

 

[77]           Le cas échéant, il s’agit d’une imprécision très négligeable de la part de la SAI. L’essentiel de la preuve a démontré que les efforts déployés par M. Bajwa pour mettre sur pied son entreprise étaient insuffisants. De plus, il n’a pas été franc ni coopératif avec la SAI sur ce point.

 

[78]           M. Bajwa prétend par ailleurs que la SAI a commis une erreur en déclarant qu’il n’y avait pas de preuve d’un compte bancaire au Canada. Encore une fois, il peut s’agir d’une légère imprécision de la part de la SAI. Comme le note M. Bajwa, le dossier du tribunal renferme quatre pages où l’on peut constater qu’il a ouvert un compte en banque en 2002 sur lequel il a tiré quelques chèques. Le caractère négligeable de cette preuve est évident si on considère que M. Bajwa était au Canada depuis près de huit ans au moment de l’audience devant la SAI.

 

[79]           M. Bajwa prétend que la récession économique mondiale a entravé ses efforts. Puisqu’il n’a pas soulevé cet argument devant la SAI, la Cour ne l’examinera pas.

 

[80]           M. Bajwa prétend aussi qu’il n’y a rien d’illégal dans le fait d’exploiter une société sous un numéro au lieu d’une raison sociale; toutefois, si la société ne porte pas un nom correspondant à ses activités commerciales, son développement sera logiquement plus difficile.

 

VI. Conclusion

[81]           Si l’on considère la décision de la SAI dans son ensemble, particulièrement après examen de la transcription, il est clair que la conclusion de la SAI concernant l’insuffisance des moyens déployés par M. Bajwa pour lancer son entreprise au Canada et, du coup, sa décision, sont raisonnables.

 

[82]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée et qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3559-10

 

INTITULÉ :                                       MAHMOOD HUSSAIN BAJWA

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 8 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 17 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen J. Fogarty

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gretchen Timmins

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

FOGARTY, cabinet juridique

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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