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Date : 20110218

Dossier : IMM‑4561‑10

Référence : 2011 CF 200

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 18 février 2011

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

JORGE ALBERTO MOLINA CASTANEDA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, Jorge Alberto Molina Castaneda, sollicite le contrôle judiciaire de la décision, en date du 15 juillet 2010, par laquelle un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a rejeté sa demande d’asile au motif qu’il ne craignait pas avec raison d’être persécuté en Colombie pour l’un des motifs prévus par la Convention suivant l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et qu’il n’avait pas qualité de « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

Contexte factuel

[2]               Le demandeur, citoyen de la Colombie âgé de 35 ans, fonde sa demande d’asile sur des incidents survenus il y a 22 ans. En 1988, le demandeur habitait à Medellin, en Colombie. Il avait 13 ans lorsque des camarades de classe ont essayé de l’enrôler dans les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Il a refusé et, un peu plus tard au cours de la même année, il est allé vivre avec sa grand‑mère en Floride, aux États‑Unis. Le reste de sa famille immédiate l’a rejoint par la suite. Il n’est jamais retourné en Colombie.

 

[3]               En 1998, alors que le demandeur vivait aux États‑Unis, des membres de sa famille élargie en Colombie ont été victimes de violence en lien avec une tentative d’extorsion des FARC. Son oncle a été tué et on a tiré en direction de son neveu.

 

[4]               Le demandeur a été accusé et déclaré coupable aux États‑Unis de possession de marijuana en 2001, de s’être fait passer pour un citoyen américain en 2003 et d’avoir obtenu un faux permis de conduire en 2004.

 

[5]               Après avoir demandé l’asile sans succès aux États‑Unis en 2007, le demandeur est entré au Canada le 31 mars 2009. Il a demandé l’asile le lendemain.

 

Décision faisant l’objet du présent contrôle

[6]               Le tribunal était d’avis que les infractions dont le demandeur a été reconnu coupable aux États‑Unis n’étaient pas des « crimes graves de droit commun » au sens de l’alinéa 1Fb) de l’annexe de la LIPR. En conséquence, il a conclu que le demandeur n’était pas exclu de la protection en vertu de cette disposition de la LIPR.

 

[7]               En ce qui concerne la demande d’asile du demandeur, le tribunal a considéré que ce dernier n’avait pas démontré qu’il craignait avec raison d’être persécuté, et il a conclu qu’il n’existait pas une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté par les FARC en raison de la tentative de recrutement survenue en 1998 et de la violence liée à la tentative d’extorsion exercée contre des membres de sa famille en 1991.

 

[8]               Le tribunal s’est appuyé sur des documents produits en preuve qui indiquaient clairement que la capacité des FARC de mener des activités en Colombie avait été considérablement réduite au cours des dernières années, surtout à cause d’un changement important de la situation dans ce pays, de la réduction de la capacité offensive des FARC et de l’efficacité des mesures prises par la Colombie pour neutraliser les systèmes et les stratégies de communications de cette organisation. Le tribunal a mentionné en particulier que rien n’indiquait que les FARC étaient en mesure d’identifier, de retrouver ou de cibler une grande partie des nombreuses personnes qui se sont opposées à elles ou les ont désertées au cours des dernières années.

 

[9]               Le tribunal a également tenu compte du profil du demandeur, c’est‑à‑dire de sa situation personnelle, de l’endroit où il habitait en Colombie et du nombre d’années écoulées depuis son départ de ce pays. Il a fait remarquer que les contacts que le demandeur avait eus avec les représentants des FARC étaient plutôt minimes. En 1988, soit il y a plus de 20 ans, il avait seulement dit à ses jeunes camarades de classe qu’il ne voulait pas se joindre à cette organisation; il n’a jamais eu d’altercation avec les FARC, il n’a jamais informé les autorités à leur sujet et aucune menace de violence n’a été proférée à son endroit.

 

[10]           En ce qui concerne la violence exercée à l’endroit de membres de sa famille élargie en Colombie en 1991, le tribunal a constaté que le demandeur n’était pas dans ce pays à l’époque et qu’il n’y avait aucune preuve, outre les liens familiaux, qui le reliait d’une façon ou d’une autre aux incidents violents. En outre, le tribunal a fait remarquer que le demandeur venait de Medellin et que, selon la documentation sur la Colombie, cette région n’est pas considérée comme étant sous l’influence des FARC.

 

[11]           Le tribunal a tenu compte des témoignages d’experts selon lesquels les personnes qui retournent en Colombie courent un risque, mais il a rappelé que ces experts ont reconnu que le risque dépend de la valeur de la personne ciblée. Il a conclu que le demandeur n’était pas une cible de grande valeur. Le demandeur n’avait pas fait l’objet de pressions intenses pour qu’il se joigne aux FARC ni de menaces de violence; il n’avait pas déserté les FARC et il n’avait eu aucun contact direct avec les auteurs de l’extorsion. Le tribunal a conclu qu’il n’y avait rien dans la situation personnelle du demandeur qui permettait de croire que les FARC s’intéressaient toujours à lui.

 

[12]           Le tribunal a aussi tenu compte du fait que le demandeur craignait d’être enlevé si les FARC, entre autres, croyaient qu’il avait de l’argent. Il a conclu que le demandeur « [pouvait] être exposé à des possibilités d’extorsion du fait de sa richesse présumée à son retour des États‑Unis ou du Canada », mais qu’il s’agissait d’un risque généralisé. Selon le tribunal, les personnes qui sont perçues comme des personnes riches ne forment pas un groupe social aux fins d’une demande d’asile fondée sur l’article 96 de la LIPR. Le tribunal a ajouté que la richesse présumée ne peut constituer le fondement d’une demande de protection en vertu de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. Il a conclu : « Que le risque auquel elles sont exposées soit le même que celui d’autres personnes qui sont dans une situation semblable ne fait pas en sorte que ce risque constitue un “risque personnalisé” ouvrant droit à protection en vertu de l’article 97. »

 

Question en litige

[13]           Le tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’effet cumulatif des deux craintes alléguées par le demandeur, soit une crainte des FARC et une crainte de violence généralisée?

 

Analyse

[14]           Le demandeur ne conteste pas les conclusions du tribunal selon lesquelles sa crainte d’être persécuté par les FARC en raison des tentatives de recrutement et d’extorsion n’est pas fondée et il est exposé seulement à un risque de violence généralisée. Le demandeur prétend que le tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’effet cumulé des deux craintes qu’il allègue.

 

[15]           Le demandeur s’appuie sur la doctrine de l’effet cumulatif des incidents énoncée par la Cour d’appel fédérale dans Munderere c. Canada (M.C.I.), 2008 CAF 84, pour soutenir que le tribunal devait tenir compte cumulativement du risque éventuel qu’il soit enlevé par les FARC en tant que victime générale de violence et du risque que ces dernières considèrent qu’il était un opposant politique en raison de son refus passé de se joindre à elles. Le demandeur prétend qu’il ne suffit pas que le tribunal ait conclu que ses craintes, prises séparément, n’étaient pas fondées.

 

[16]           Le demandeur soutient que le tribunal a omis de déterminer si le risque qu’il soit enlevé par les FARC influe sur la probabilité que son opposition politique à celles‑ci surgisse pendant qu’il serait détenu par l’organisation. Il fait valoir que, comme l’opposition politique qui lui est imputée à l’égard de l’agent de persécution politique qu’il craint n’est pas mise en doute et que l’agent de persécution est l’organisation qui est susceptible de l’enlever à des fins criminelles, il est clair que le tribunal doit expliquer pourquoi l’effet cumulatif de ces risques ne donne pas naissance à un risque élevé de persécution politique. Le demandeur soutient que le tribunal a commis une erreur en ne le faisant pas.

 

[17]           Pour les motifs qui suivent, je rejette l’argument du demandeur. À mon avis, la doctrine de l’effet cumulatif ne s’applique pas de la manière qu’il a décrite. La doctrine s’applique à une série d’incidents de harcèlement et de discrimination. Or, il n’est pas question de tels incidents en l’espèce. Lorsqu’il évalue la crainte du demandeur à l’égard des FARC et détermine si un risque de violence est un risque généralisé, le tribunal doit tenir compte de tous les faits pertinents et parvenir à une décision raisonnable. La question est simplement de savoir si la conclusion du tribunal selon laquelle la crainte du demandeur à l’égard des FARC n’est pas fondée est raisonnable compte tenu de la preuve.

 

[18]           Se fondant sur les faits, le tribunal a conclu que les FARC ne s’intéressent plus au demandeur. Il a convenu que deux camarades de classe du demandeur étaient devenus membres des FARC et lui avaient ensuite demandé à trois ou quatre reprises de se joindre à l’organisation lorsqu’il avait 13 ans. Le tribunal a considéré avec raison que l’affaire avait pris fin lorsque le demandeur avait refusé de se joindre à l’organisation. Au sujet de la tentative de recrutement du demandeur, le tribunal a constaté que ce dernier n’avait décrit aucun contact personnel qu’il aurait eu avec les FARC et qui pourrait être interprété comme une opposition politique. Selon le tribunal, les circonstances dans lesquelles la tentative de recrutement et l’extorsion à l’égard de membres de sa famille se sont produites ne faisaient pas naître une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté par les FARC et la possibilité que les FARC s’intéressent encore à lui reposait sur des hypothèses. Ces conclusions n’ont pas été contestées par le demandeur. De toute façon, elles pouvaient raisonnablement être tirées par le tribunal.

 

[19]           Étant donné que le tribunal a conclu que les FARC n’étaient pas susceptibles de s’en prendre au demandeur, l’évaluation cumulative que ce dernier propose n’aurait rien changé au résultat. Comme les FARC ne soupçonneraient pas qu’il était un opposant politique, le demandeur ne serait exposé qu’à un risque généralisé.

 

[20]           Le demandeur fonde son argumentation sur Martinez Pineda c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 365. Il ressort d’un examen de cette décision que les faits étaient différents de ceux en cause en l’espèce. La décision concernait la question de savoir si la Section de la protection des réfugiés avait eu raison de conclure que le demandeur n’était pas exposé à un risque personnel visé à l’article 97 de la LIPR. Le demandeur dans cette affaire avait reçu des menaces d’un gang bien organisé qui semait la terreur dans tout le pays, avait été ciblé à maintes reprises et avait été l’objet de menaces et d’agressions répétées. Or, les circonstances sont très différentes en l’espèce.

 

Conclusion

[21]           Je suis convaincu que le tribunal a tenu compte de tous les éléments de preuve dont il disposait, qu’il a correctement appliqué le droit et qu’il a rendu une décision raisonnable. La décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphes 46 à 49 et 53.

 

[22]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[23]           Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale au sens de l’alinéa 74d) de la LIPR et elles ne l’ont pas fait. Je suis convaincu que la présente affaire ne soulève aucune question de ce genre. En conséquence, je n’ai pas l’intention de certifier une question.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 15 juillet 2010 est rejetée.

 

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4561‑10

 

INTITULÉ :                                                   JORGE ALBERTO MOLINA CASTANEDA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 février 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 18 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shepherd Moss

 

POUR LE DEMANDEUR

Caroline Christiaens

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shepherd Moss

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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