Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

 

 

 

Date : 20110118

Dossier : IMM-2788-10

Référence : 2011 CF 50

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

MIRZA, SOHAIL RASHID

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               La prise de décision dans les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire relève d’un pouvoir hautement discrétionnaire accordé au décideur, à qui il appartient de déterminer si une dispense se justifie dans un cas particulier. Il est généralement reconnu que ce n’est qu’à titre exceptionnel que peut être invoqué le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et que cette disposition n’est pas simplement un autre moyen d’obtenir le statut de résident permanent au Canada (Barrak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 962, 333 FTR 109, aux paragraphes 27 et 29; Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1186, 325 FTR 186, au paragraphe 7; Pannu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1356, 153 ACWS (3d) 195, au paragraphe 26).

 

[2]               Il appartenait au demandeur de démontrer que le fait de l’obliger à suivre la procédure régulière pour solliciter la résidence permanente entraînerait pour lui des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, cela étant les critères retenus par la jurisprudence (Paul c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1300, [2009] A.C.F. no 1698 (QL/Lexis), au paragraphe 5; Paz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 412, 176 ACWS (3d) 1124, aux paragraphes 15 à 18; Tikhonova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 847, 170 ACWS (3d) 170, au paragraphe 17).

 

[3]               À cet égard, les difficultés inhérentes au fait d’avoir à quitter le Canada ne suffisent pas (Paz, précitée; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 11, 340 FTR 29; Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, 167 ACWS (3d) 974, au paragraphe 49).

 

II.  Le contexte

[4]               Le demandeur, M. Sohail Rashid Mirza, est citoyen du Pakistan. Il est arrivé au Canada en juillet 2002, après avoir passé près de 15 mois aux États-Unis sans y revendiquer le statut de réfugié.

 

[5]               Une fois arrivé au Canada, le demandeur a revendiqué le statut de réfugié. Sa demande d’asile a été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), le 24 janvier 2003, la Commission ayant conclu au manque de crédibilité du demandeur. La Commission a estimé que les incohérences et les contradictions relevées dans le témoignage du demandeur et dans les diverses déclarations qu’il avait faites à l’agent d’immigration au cours de son entrevue, ainsi que dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), a miné sa crédibilité.

 

[6]               La CISR n’a pas cru que le demandeur avait, comme il le prétendait, subi des persécutions au Pakistan. Dans sa décision, la CISR s’est exprimée en ces termes :


[…] [L]e tribunal croit que le demandeur d’asile n’a pas été victime de persécution de la part de membres du SSP et, étant donné la situation actuelle au Pakistan, qu’il n’y a pas de fondement objectif à la crainte fondée de persécution du demandeur d’asile.

 

(Décision de la CISR, dossier du tribunal, p. 287).

 

[7]               Le 6 septembre 2003, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation présentée par M. Mirza à l’encontre de la décision défavorable rendue à son égard par la CISR.

 

[8]               Le demandeur a trois enfants qui, tous, vivent au Pakistan. Il a aussi deux frères, qui, eux aussi, vivent au Pakistan.

 

III.  La décision contestée

[9]               Après avoir examiné les facteurs pertinents dont le demandeur fait état dans sa demande, l’agent a estimé que les faits et les renseignements que le demandeur avance ne montraient pas qu’il aurait à faire face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était tenu de présenter sa demande de résidence permanente de l’étranger.

 

[10]           Avant de parvenir à une telle conclusion, l’agent s’est penché sur les facteurs pertinents en l’espèce, y compris la question de savoir dans quelle mesure le demandeur était parvenu à s’établir au Canada, l’intérêt supérieur de ses trois enfants qui se trouvent au Pakistan et les difficultés auxquelles il serait exposé par suite de son retour au Pakistan après huit ans au Canada.

 

IV.  Analyse

[11]           Après examen, la Cour a accepté la position du défendeur.

 

[12]           Le demandeur n’est pas parvenu à établir que la décision rendue par l’agent au regard de sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était erronée.

 

Les dispositions applicables et la norme de contrôle

[13]           Suivant le paragraphe 11(1) de la LIPR, tout étranger qui demande à entrer au Canada doit préalablement demander à l’agent les visas et autres documents requis par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

 

[14]           Selon l’article 25 de la LIPR, le ministre peut accorder à un étranger le statut de résident permanent ou le dispenser des critères ou obligations prévus par la LIPR s’il estime que des motifs d’ordre humanitaire le justifient. Le fait qu’un agent ait refusé d’accorder une telle dispense au titre de l’article 25 de la LIPR, n’enlève pas au demandeur le droit de présenter une demande d’établissement à partir d’un autre pays.

 

[15]           Il existe de nombreux facteurs qu’un agent peut prendre en compte lorsque se pose la question des motifs d’ordre humanitaire, tels que la manière dont le demandeur est arrivé et est resté au Canada, la question de savoir s’il n’est pas lui-même responsable des conditions qu’il invoque à l’appui de sa demande de dispense et celle de savoir s’il est susceptible de se trouver un emploi dans son pays d’origine, ou s’il y a des proches. Aucun facteur n’est en soi déterminant (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358).

 

[16]           C’est au demandeur qu’il appartient de démontrer qu’il ferait face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était tenu de présenter sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada (Arumugam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 985, 211 FTR 65, aux paragraphes 16 et 17 (1re inst.)).

 

[17]           Quant à savoir ce qu’il faut entendre au juste par les mots « inhabituelles et injustifiées ou excessives », dans ce contexte, dans l’affaire Singh, précitée, la Cour cite avec approbation les propos suivants du juge Yves de Montigny dans l’affaire Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, 146 A.C.W.S. (3d) 1057 :

[19]      Quant au sens des mots « inhabituels et injustifiées ou excessives » dans ce contexte, la décision Doumbouya, ci-dessus, cite avec approbation (au par. 9) les propos suivants du juge Yves de Montigny concernant l’affaire Serda […] :

 

[20]      […]

 

Pour examiner les demandes d'établissement déposées au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire en vertu de l'article 25, l'agent d'immigration s'appuie sur des lignes directrices ministérielles. Le chapitre IP5 du Guide de l'immigration -- Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire, un guide préparé par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, contient des lignes directrices sur le sens qu'il convient de donner aux motifs d'ordre humanitaire. [...]

 

[…]

 

Le Manuel contient également une définition de « difficulté inhabituelle et injustifiée » et de « difficultés démesurées », aux paragraphes 6.7 et 6.8 :

 

 

6.7 Difficulté inhabituelle et injustifiée

 

On appelle difficulté inhabituelle et injustifiée :

 

- la difficulté (de devoir demander un visa de résident permanent hors du Canada) à laquelle le demandeur s'exposerait serait, dans la plupart des cas, inhabituelle ou, en d'autres termes, une difficulté non prévue à la Loi ou à son Règlement; et

 

- la difficulté (de devoir demander un visa de résident hors du Canada) à laquelle le demandeur s'exposerait serait, dans la plupart des cas, le résultat de circonstances échappant au contrôle de cette personne.

 

6.7[sic] Difficultés démesurées

 

Des motifs d'ordre humanitaire peuvent exister dans des cas n'étant pas considérés comme « inusités ou injustifiés », mais dont la difficulté (de présenter une demande de visa de résident permanent à l'extérieur de Canada) aurait des répercussions disproportionnées pour le demandeur, compte tenu des circonstances qui lui sont propres.

[Non souligné dans l’original.]

6.7 Unusual and underserved hardship

 

Unusual and undeserved hardship is:

 

- the hardship (of having to apply for a permanent resident visa from outside of Canada) that the applicant would have to face should be, in most cases, unusual, in other words, a hardship not anticipated by the Act or Regulations; and

 

- the hardship (of having to apply for a permanent resident visa from outside of Canada) that the applicant would face should be, in most cases, the result of circumstances beyond the person's control.

 

 

 

6.8 Disproportionate hardship

 

Humanitarian and compassionate grounds may exist in cases that would not meet the "unusual and undeserved" criteria but where the hardship (of having to apply for a permanent resident visa from outside of Canada) would have a disproportionate impact on the applicant due to their personal circumstances.

 

(Emphasis added).

 

[18]           Pour rendre une décision au regard de motifs d’ordre humanitaire, il ne s’agit pas simplement d’appliquer un certain nombre de principes juridiques. Il faut en effet soupeser de nombreux facteurs au regard de fait précis. Dans la mesure où l’agent d’immigration s’est penché sur les facteurs pertinents de l’affaire au regard des motifs d’ordre humanitaire, la Cour n’a pas à revenir sur le poids que l’agent d’immigration a attribué aux divers facteurs, et ce, même si elle ne leur aurait pas accordé le même poids (Legault, précité, au paragraphe 11, qui renvoie à l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 2 R.C.S. 3, aux paragraphes 34 à 37).

 

L’agent est en droit d’apprécier les éléments de preuve et les divers facteurs

[19]           En l’espèce, l’agent a pris en compte la situation du demandeur, y compris les efforts de celui-ci pour s’intégrer à la vie canadienne et gagner ici sa vie ainsi que les risques allégués auxquels le demandeur serait exposé s’il devait retourner dans son pays d’origine.

 

[20]           L’agent a estimé que le demandeur n’est pas parvenu à établir que sa situation satisfaisait au critère des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives; selon l’agent, le demandeur ne serait pas exposé à de telles difficultés s’il devait retourner au Pakistan pour présenter une demande de résidence permanente pour le Canada.

 

[21]           Cette conclusion de l’agent était raisonnable.

 

[22]           Le demandeur fait essentiellement valoir que c’est à tort que l’agent n’a pas conclu que sa demande justifiait l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. En fait, l’argument du demandeur équivaut simplement à une contestation de la pondération des éléments de preuve qu’il a déposés au sujet de son travail et de ses activités sociales au Canada; mais la pondération des facteurs pertinents n’est pas du ressort du tribunal appelé à contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre (Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 436, 232 FTR 101, au paragraphe 8; Legault, précité).

 

[23]           L’agent a pris en compte l’ensemble des facteurs pertinents, tant favorables que défavorables, et leur a accordé à chacun le poids qu’il convenait. Rien ne démontre que le poids accordé par l’agent à l’un des facteurs pertinents était disproportionné au point que l’on puisse conclure à une appréciation déraisonnable des éléments de preuve.

 

[24]           Ajoutons que la Cour fédérale a statué que le facteur en question n’est qu’un facteur parmi d’autres et qu’il ne l’emporte pas sur toute autre considération :

[30]      […] l’agente a estimé que la rupture de ses liens sociaux et professionnels au Canada n’aurait aucun effet négatif important qui puisse justifier une dispense pour motifs d'ordre humanitaire. C’est là une conclusion que l’agente pouvait légitimement tirer de la preuve qu’elle avait devant elle, et il m’est impossible de dire que cette conclusion était déraisonnable. Quoi qu’il en soit, il convient de se rappeler que le degré d’établissement n’est que l’un des facteurs qu’un agent d’immigration doit prendre en compte pour savoir si un demandeur subira des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives en cas de retour dans son pays d’origine. [Non souligné dans l’original.]

 

(Pannu, précitée)

 

            Les risques d’un retour dans le pays d’origine comme considération d’ordre humanitaire

[25]           En l’espèce, l’agent relève que le demandeur allègue les mêmes risques que ceux qu’il a invoqués dans la demande présentée devant la CISR. Cependant, la CISR n’a pas donné foi à l’exposé circonstancié faisant état des risques auxquels le demandeur serait exposé lors de son retour et elle a rejeté sa demande.

 

[26]           Étant donné que le demandeur a contesté en Cour fédérale la décision de la CISR rejetant sa demande d’asile et que la Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle judiciaire, les conclusions auxquelles est parvenue la Section de la protection des réfugiés demeurent (Hausleitner c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 641, 139 ACWS (3d) 115, au paragraphe 34).

 

[27]           Précisons que, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, l’agent a évalué les risques auxquels le demandeur serait exposé lors de son retour dans son pays d’origine non pas sur le fondement du critère plus strict applicable aux demandes d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR), mais plutôt sur le fondement de l’examen des conséquences que les facteurs de risque auraient sur le demandeur ainsi qu’au regard de la question de savoir si, en ayant à présenter sa demande de visa de résidence permanente de l’extérieur du Canada, le demandeur serait exposé à des difficultés inhabituelles (note de l’agent, page 2).

 

[28]           Il importe de noter que la dispense prévue à l’article 25 de la LIPR est un recours exceptionnel qui relève du pouvoir discrétionnaire du ministre. Un demandeur ne peut pas prétendre à un résultat particulier, même si des motifs impérieux d’ordre humanitaire sont en jeu. Le ministre peut mettre en balance les motifs d’ordre humanitaire avec les motifs d’intérêt public qui pourraient justifier que soit refusé l’octroi d’un recours exceptionnel (Pannu, précitée, paragraphe 29).

 

V.  Conclusion

[29]           Une décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Dans la mesure où l’un des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir.

 

[30]           La décision rendue par l’agent n’est pas déraisonnable étant donné que les motifs exposés à l’appui la soutiennent entièrement.

 

[31]           Les documents déposés par le demandeur à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire ne démontrent aucunement que l’agent a commis une erreur dans sa décision.

 

[32]           Pour l’ensemble des motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, aucune question n’est certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2788-10

 

INTITULÉ :                                       MIRZA, SOHAIL RASHID

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 13 janvier 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 18 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Émilie Tremblay

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BERTRAND, DESLAURIERS

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.