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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110117

Dossier : IMM-2749-10

Référence : 2011 CF 45

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2011

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

NARESH KUMAR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) d’une décision rendue le 22 avril 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), qui a refusé de reconnaître à Naresh Kumar (le demandeur) le statut de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

Contexte de la demande

[2]               Le demandeur est un citoyen indien d’origine Hindu. Il est arrivé au Canada le 23 août 2007 et il a demandé l’asile 12 jours plus tard.

 

[3]               La demande d’asile du demandeur est fondée sur les allégations suivantes. Le demandeur habitait le village Shatabgarh dans le district de Ludhiana dans l’État du Punjab. Il prétend avoir fui la persécution dont il était l’objet de la part de la police locale. Le demandeur soutient que la police le soupçonne de protéger et d’agir comme complice de deux de ses amis qui sont des militants Sikh. On lui reprocherait notamment d’avoir caché ses amis chez lui et d’y avoir également caché leurs armes. Le demandeur a été arrêté à deux reprises en présence de ses deux amis. Il a été battu et torturé par les policiers. Les policiers se sont ensuite présentés chez lui pour le questionner sur ses amis qui étaient recherchés. Les policiers l’ont également menacé de mort s’il ne divulguait pas l’endroit où se cachaient ses amis. Le demandeur a fui cette persécution vers le Canada. Le demandeur soutient que, même après son départ, les policiers se sont présentés chez lui et ont harcelé son père.

 

La décision de la Commission

[4]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il disposait d’une possibilité de refuge interne (PRI) à Bombay. La Commission a précisé qu’elle n’avait pas évalué la crédibilité du demandeur parce qu’elle estimait qu’il pouvait raisonnablement bénéficier d’une PRI, et ce, même en tenant pour avéré son récit.

 

Questions en litige

[5]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève essentiellement la question du caractère raisonnable de la décision de la Commission eu égard aux faits et au droit.

 

La norme de contrôle

[6]               La décision de la Commission quant à l’existence d’une PRI est assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité (Martinez v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2010 FC 1200 (disponible sur CanLII), Velez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1114 (disponible sur Quicklaw), Yanez v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2010 FC 1059 (disponible sur CanLII), Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 158 (disponible sur Quicklaw).

 

Analyse

[7]               Le demandeur formule plusieurs reproches à l’endroit de la Commission. Il soutient notamment que la Commission a omis d’exercer sa compétence en refusant d’évaluer sa crédibilité. Il soutient essentiellement que la Commission ne pouvait raisonnablement évaluer l’existence d’une PRI sans tenir compte de ses allégations et des circonstances particulières de sa situation et que, dès lors, la Commission devait soit évaluer sa crédibilité ou tenir ses allégations comme avérées. Or, le demandeur soutient que la Commission a bien énoncé qu’elle n’avait pas évalué sa crédibilité, mais les motifs de la décision démontrent qu’elle n’a pas considéré son récit dans son analyse.

 

[8]               Le demandeur soutient également que la Commission a fait une analyse sélective de la preuve et qu’elle a omis de considérer et de traiter des éléments de la preuve documentaire qui étaient pertinents et qui contredisaient ses conclusions. 

 

[9]               Le défendeur soutient pour sa part que la Commission a fait une analyse raisonnable de la preuve et qu’elle a analysé chacune des explications données par le demandeur à l’encontre de l’existence d’une PRI. Les conclusions de la Commission s’appuient raisonnablement sur la preuve et la Commission n’a pas à citer toute la preuve qu’elle est présumée avoir analysée.

 

[10]           Pour les motifs qui suivent, j’estime que la Commission a commis des erreurs qui rendent sa décision déraisonnable et qui justifient l’intervention de la Cour 

 

[11]           L’avocate du défendeur a reconnu qu’ayant indiqué qu’elle n’avait pas évalué la crédibilité du demandeur puisqu’il bénéficiait d’une PRI, même si son histoire était vraie, la Commission devait prendre pour avéré les faits au soutien de son récit de persécution. Elle a par ailleurs soutenu que la présomption de véracité ne s’appliquait pas aux explications que le demandeur avait données à l’encontre de l’existence d’une PRI. L’avocate a insisté qu’il ne fallait pas confondre la véracité du récit à la base de la demande d’asile et les explications et les réponses données au Commissaire à l’audience lorsqu’il est question de l’existence d’une PRI. Cette proposition est exacte dans certaines circonstances, mais à mon sens elle ne l’est pas lorsque les explications données à l’encontre de l’existence d’une PRI sont intimement liées au récit qui a fondé la demande d’asile.

 

[12]           J’estime qu’en l’espèce, la question relative à l’existence d’une PRI ne pouvait être analysée en faisant abstraction de certaines des allégations du demandeur au soutien de sa demande d’asile. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a fait état de plusieurs éléments factuels qui étaient pertinents tant aux fins de son récit de persécution qu’aux fins de trancher la question de l’existence d’une PRI et notamment :

a.       Que lors de sa première accusation, il a été accusé par les policiers de collaborer avec ses amis qui travaillaient avec des militants Sikh et que les policiers l’ont accusé d’être un traitre parce qu’il était un Hindou qui supportait les militants Sikh.

b.      Que suite à sa première arrestation, il a été torturé par les policiers et qu’il a été libéré après que son père eu versé un pot-de-vin;

c.       Qu’il avait appris du sarpanch du village (le chef du conseil du village) que ses amis avaient été libérés après 10 jours de détention sous promesse de se présenter à la police une fois par mois et qu’en avril 2007, ils avaient quitté leur village sans en informer les policiers. On les soupçonnait d’avoir joint les militants.

d.      Qu’il avait coupé les contacts avec ses amis, mais que le 7 juin 2007 en soirée, ses amis se sont présentés à son domicile. Quelques instants après leur arrivée, des policiers sont arrivés à son domicile; ils ont fouillé sa maison et les ont arrêtés tous les trois.

e.       Qu’à cette occasion, les policiers l’ont accusé de collaborer avec les militants en cachant leurs armes à son domicile. Les policiers l’ont détenu et torturé et il a été libéré au bout de 5 jours après que son père eut versé un pot-de-vin.

f.        Que le 15 juillet 2007, les policiers ont fait irruption chez lui et l’ont interrogé à propos de ses amis après qu’ils l’eurent informé que ses amis s’étaient enfuis de prison. Les policiers l’ont accusé de savoir où ses amis se cachaient. Ils l’ont sommé de les informer de l’endroit où ils se cachaient avant la fin du mois et, qu’à défaut de le faire, il serait liquidé. Le demandeur a décrit cet incident comme suit dans son FRP : « I was conditioned to produce [XX] and [XX] by the end of August, 2007 else I would be killed in fake story by the police. »

g.       Que son père l’a amené demander conseil au sarpanch du village qui lui a déconseillé de déposer une plainte contre les policiers au motif qu’une plainte aggraverait sa situation et lui a plutôt conseillé de quitter l’Inde.

h.       Que son père l’a informé que le 1er septembre 2007, après son arrivée au Canada, les policiers s’étaient présentés chez lui parce que le demandeur n’avait pas « produit ses amis » tel que requis. Les policiers ont alors allégué que le demandeur avait joint les militants et ils ont harcelé son père.

 

[13]           Le demandeur a également déposé l’affidavit du sarpanch du village qui contient diverses déclarations et notamment la suivante : « That the Punjab Police frequently visiting at our village in the search of Mr. Naresh Kumar. »

 

[14]           Ces éléments étaient tous pertinents pour soutenir l’allégation du demandeur qui disait qu’il avait été persécuté par les policiers du Punjab et celle qui disait qu’il était recherché par les policiers parce qu’on le soupçonnait de collaborer avec les militants Sikh. Ces « faits » étaient pertinents aux fins de déterminer si le demandeur rencontrait les paramètres des articles 96 et 97 de la LIPR, mais également pour déterminer si, dans les circonstances, il existait une PRI pour lui.

 

[15]           Le demandeur soutenait notamment que, parce qu’il était recherché et soupçonné par la police de collaborer avec des militants Sikh et de cacher des armes, il était susceptible d’être recherché par la police dans les autres régions de l’Inde et il était possible que son nom soit inscrit au réseau POLNET.

 

[16]           Pour conclure à l’existence d’une PRI dans le présent dossier, la Commission devait soit prendre pour avérées les allégations du demandeur et expliquer pourquoi, malgré ces allégations, elle estimait qu’il existait une PRI ou conclure à un manque de crédibilité de sa part et écarter ses allégations. La Commission ne pouvait tenir pour avérée seulement qu’une partie du récit du demandeur. Or, à mon sens, c’est ce qu’elle a fait.

 

[17]           La Commission a bien indiqué qu’elle n’avait pas évalué la crédibilité du demandeur parce qu’elle estimait qu’il existait une possibilité raisonnable de refuge interne, et ce, « même si l’histoire du demandeur avait été vraie ». Toutefois, il appert de la décision que la Commission a omis de considérer plusieurs des allégations du demandeur qui étaient pertinentes dans son analyse de l’existence d’une PRI. Certaines conclusions de la Commission sont même opposées aux allégations du demandeur.

 

[18]           La Commission a rejeté la prétention du demandeur que la police pourrait l’arrêter. Elle a estimé que le demandeur n’avait pas le profil du militant actif recherché par la police et qu’il n’avait jamais donné ses empreintes digitales, qu’il n’y avait aucun mandat d’arrestation contre lui, qu’il n’avait jamais comparu devant un tribunal, ni été condamné. La Commission a donc conclu qu’elle rejetait « l’argument de la possibilité d’une arrestation du demandeur comme étant un empêchement à une possibilité de refuge interne. » La conclusion de la Commission apparaît raisonnable à priori. Le problème avec cette conclusion c’est qu’elle escamote et ignore totalement l’allégation du demandeur qui disait qu’il était effectivement recherché, non pas parce qu’il était un militant, mais parce qu’on le soupçonnait de collaborer avec ses amis militants et de cacher leurs armes. Or, la Commission ne tire aucune conclusion quant à cette allégation qui était centrale au récit du demandeur.

 

[19]           La Commission a également rejeté l’argument du demandeur qui disait que même s’il n’avait pas été condamné, son nom pouvait se retrouver sur le réseau POLNET parce qu’il était soupçonné de collaborer avec les militants Sikh. La Commission a noté à cet égard que la preuve documentaire sur le niveau de fonctionnalité du réseau POLNET était partagée. Elle a par ailleurs noté que la preuve documentaire indiquait que le nom des personnes arrêtées puis libérées sans avoir fait l’objet d’accusations était inscrit lorsque la personne était considérée comme suspecte. Elle a ensuite conclu ce qui suit :

[15]      […] Cependant, en ce qui concerne le demandeur, il n’est pas dit que les policiers, qui sont plutôt à la recherche de pots-de-vin ou de vengeance familiale, inscrivent des données à son sujet dans le réseau. De plus, même si c’était le cas, cela ne veut pas dire qu’une fois installé dans sa nouvelle localité, le demandeur aurait affaire à des policiers qui utiliseraient ces données à mauvais escient ou lui infligeraient de mauvais traitements.

 

 

[20]           Avec égards, les conclusions de la Commission ne tiennent absolument pas compte des allégations du demandeur. 

 

[21]           La Commission n’avait pas l’obligation de retenir la version des faits présentée par le demandeur, mais elle ne pouvait pas du même souffle déclarer qu’elle n’avait pas évalué sa crédibilité et écarter sa version des faits ou simplement l’ignorer dans ses motifs. Si la Commission estimait que le demandeur n’avait pas satisfait à son fardeau de preuve, elle devait le dire et l’expliquer. Si elle jugeait les allégations du demandeur insuffisantes, elle devait également le dire. Elle pouvait également juger les allégations du demandeur non crédibles, mais encore là, elle devait en donner les raisons.

 

[22]           Les passages suivants de la décision me laissent également perplexe. Bien qu’elle ait clairement indiqué qu’elle n’avait pas évalué la crédibilité du demandeur, le passage suivant de la décision démontre que la Commission a, de fait, tiré des inférences négatives sur la crédibilité du demandeur:

[16]      […] Le tribunal a confronté le demandeur au fait qu’il a tardé à faire sa demande d’asile. Il explique que c’est le passeur qui lui a dit de ne pas demander l’asile à l’aéroport.

 

[17]      Voici ce que dit la Cour fédérale dans des situations similaires : « Le retard à formuler une revendication du statut de réfugié ou à quitter le pays de persécution n’est pas un facteur déterminant en soi. Il demeure cependant un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d’un revendicateur. »

 

[18]      À ce sujet, il faut rappeler les propos du Juge Hugessen dans l’arrêt Urbanek où il disait au sujet du processus de détermination du statut de réfugié ce qui suit : « […] Ce processus vise à fournir un abri sûr à ceux qui en ont vraiment besoin, et non pas un moyen rapide et pratique d’obtenir le droit d’établissement aux immigrants qui ne peuvent pas ou, ne veulent pas, l’obtenir de la manière habituelle. » Ce que nous pensons être le cas du demandeur.

 

[23]           Je reconnais que la conclusion de la Commission quant au retard du demandeur à demander l’asile n’était pas déterminante en l’espèce, mais elle est révélatrice de la perception de la Commission. Bien qu’elle ait déclaré avoir tenu l’histoire du demandeur pour avérée, dans les faits, elle ne le croyait pas. Or, si c’était le cas, elle devait le dire clairement et elle devait motiver sa conclusion.

 

[24]           Compte tenu de ma conclusion, il n’est pas nécessaire que je traite des autres motifs de contrôle invoqués par le demandeur.

 

[25]           Le demandeur a proposé la question suivante aux fins de certification :

 

Est-ce que le tribunal peut ne pas évaluer la crédibilité d’un demandeur aux fins de déterminer s’il existe une possibilité raisonnable de refuge interne, alors qu’il a réfuté certaines des déclarations faites à l’encontre d’un refuge interne?

 

[26]           Le défendeur s’est opposé à la certification de cette question au motif que la question de savoir si le tribunal devait absolument évaluer la crédibilité d’un demandeur aux fins d’évaluer la possibilité de refuge interne était déjà réglée et que la deuxième partie de la question proposée ne pouvait être analysée sans tenir compte des circonstances factuelles propres à chaque dossier.

 

[27]           D’abord, comme le demandeur obtient gain de cause, la certification de la question proposée ne serait d’aucune utilité (Rana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)), 2010 CF 696 (disponible sur CanLII). Je considère par ailleurs que la question telle que proposée ne pourrait être certifiée puisqu’elle ne peut recevoir une réponse sans être appréciée à la lumière d’un contexte factuel donné. En ce sens, il ne s’agit pas d’une « question grave de portée générale » (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, 51 A.C.W.S. (3d) 910, 176 N.R. 4, au para 4.).   

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que le dossier est retourné à la Commission afin que la demande d’asile du demandeur soit évaluée par un panel différent. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

                                                                                                                             


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2749-10

 

INTITULÉ :                                       NARESH KUMAR c. MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michel Le Brun

 

POUR LE DEMANDEUR

Isabelle Brochu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Le Brun

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Miles J. Kirvan

Sous-Procureur Général du Canada

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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