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Date : 20110304

Dossier : IMM‑3705‑10

Référence : 2011 CF 261

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

 

HALL, ZITA
OCHOA, QUINCY VIRGIL
OCHOA, QUASI ROMARIO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance infirmant la décision du 31 mai 2010, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et le statut de réfugié, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) La demanderesse, Zita Hall, est la mère de Quincy Virgil Ochoa et de Quasi Romario Ochoa, les demandeurs mineurs. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[2]               La demanderesse soutient que la décision de la Commission est déraisonnable et qu’il y a lieu de l’infirmer, et en cela se fonde essentiellement sur trois arguments mettant en cause la justesse des motifs de la Commission, la conclusion à laquelle celle‑ci est parvenue à l’égard de la protection de l’État, ainsi que le refus de lui accorder une audience équitable et le fait qu’elle n’aurait pas pris en compte certains éléments de preuve essentiels.

 

[3]               Le premier argument concerne la justesse des motifs de la décision rendue par la Commission. La demanderesse fait valoir que ces motifs passent sous silence l’intérêt des demandeurs mineurs et ne laissent voir aucune analyse indépendante des arguments avancés au regard de l’article 97 de la LIPR. La demanderesse affirme en outre que les motifs exposés par la Commission ne concordent pas avec d’importants objectifs d’intérêt public, en l’occurrence le maintien de la confiance du public dans l’administration de la justice, la cohérence et, ce qui est plus important encore, la nécessité d’expliquer à la partie qui n’obtient pas gain de cause pourquoi elle a été déboutée. La demanderesse affirme par ailleurs que les motifs exposés par la Commission ne répondent pas aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité établis dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

 

[4]               Une lecture attentive du dossier porte à écarter cet argument. Les revendications des demandeurs mineurs reposent entièrement sur celles de leur mère. Précisons que le Formulaire de renseignements personnels (FRP) déposé au nom des demandeurs mineurs ne fait que reprendre les renseignements consignés dans le FPR de la demanderesse. Il ressort en outre clairement de la jurisprudence que la revendication présentée au titre de l’article 97 de la LIPR est soumise à un fardeau de preuve plus strict que celle formulée au regard de l’article 96 et que, par conséquent, si cette dernière est rejetée, il n’y a pas lieu de procéder à une analyse distincte de l’article 97 et de la jurisprudence y ayant trait : Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, aux par. 17 et 18. En tout état de cause, il est manifeste au vu des motifs en question que la Commission a examiné tous les arguments avancés par la demanderesse en ce qui concerne les demandeurs mineurs.

 

[5]               Pour ce qui est de l’examen par la Commission de la preuve révélant les insuffisances de la protection de l’État dont peuvent, à Trinidad, se prévaloir les victimes de violence familiale et conjugale, l’avocate de la demanderesse estime que les conclusions auxquelles la Commission a abouti au sujet de la protection accordée par l’État sont déraisonnables. Cet argument ne saurait être retenu, car la Commission, dans le cadre d’une analyse soigneuse et équilibrée de la preuve qui lui était soumise, s’est livrée à un examen des éléments de preuve pertinents qui, selon elle, démontraient le contraire. Lors de son examen du cadre juridique dans lequel s’inscrivent la législation pénale et l’organisation des autorités de police, la Commission s’est également penchée sur la nature et la portée de la surveillance civile, ainsi que sur les recours ouverts aux citoyens lésés par l’inaction des autorités étatiques. La Commission a également examiné dans quelle mesure d’autres organismes gouvernementaux interviennent pour venir en aide aux victimes de violence familiale. Ainsi que le juge Barnes l’a relevé dans l’affaire Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 134, il peut, dans le cadre d’une analyse de la protection de l’État, être tenu compte de l’existence d’organismes étatiques susceptibles d’intervenir utilement dans des affaires où l’intervention de la police n’est pas adéquate. L’analyse à laquelle la Commission s’est livrée du critère objectif applicable en l’occurrence pour conclure que la protection étatique assurée par Trinidad n’est « pas parfaite, [...] [mais] adéquate » s’accorde avec l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94. 

 

[6]               Selon la demanderesse, c’est à tort que la Commission a conclu qu’elle n’avait pas, comme il lui appartenait de le faire, tenté d’obtenir la protection de l’État. Son avocate fait valoir deux exceptions au principe général voulant que l’on doive chercher avec diligence la protection de l’État : d’abord, lorsqu’on sait, en raison de démarches antérieures effectuées personnellement, qu’on ne pourra pas obtenir cette protection, et deuxièmement, lorsque d’autres qui ont tenté de se prévaloir d’une telle protection se sont aperçus qu’aucune suite n’était donnée à leur démarche. Or, ni l’une ni l’autre de ces exceptions ne s’applique en l’occurrence. En ce qui concerne la seconde exception, les circonstances antérieures invoquées par la demanderesse comme preuve objective de la futilité d’une telle démarche consistent simplement en un vague récit de l’amie d’une amie qui aurait déposé une plainte auprès de la police et dont on n’a, tout naturellement, jamais plus entendu parler. Un prénom constitue le seul détail de ce récit dont il a été fait état. Cet élément de preuve a été écarté par la Commission.

 

[7]               En ce qui concerne maintenant la première exception, les circonstances entourant les demandes d’aide présentées personnellement par la demanderesse n’ont pas été retenues par la Commission, selon qui la demanderesse ne se serait plainte qu’une seule fois à la police de mauvais traitements qu’elle a décrits comme du harcèlement, et qu’à cette occasion, elle aurait dit à la police qu’elle ne souhaitait pas que l’on enquête plus avant sur les faits en question, car elle souhaitait régler elle‑même le problème. La demanderesse ne pouvait s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer par une preuve claire et convaincante qu’elle ne pouvait pas obtenir de l’État la protection dont elle avait besoin et qu’elle avait fait des efforts véritables pour obtenir cette protection en ne déposant auprès de la police qu’une seule plainte pour harcèlement alors qu’il n’a pas été laissé à la police suffisamment de temps pour donner suite à la plainte en question : Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 971, par. 19.

 

[8]               La décision de la Commission sur le fait que la demanderesse n’a pas cherché à se prévaloir de la protection de l’État repose également sur un certain nombre de conclusions défavorables quant à sa crédibilité. La Commission a rejeté de nombreux éléments du témoignage de la demanderesse concernant la nature et l’étendue des efforts qu’elle a faits en vue d’obtenir la protection de la police. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle ne s’était pas plainte des mauvais traitements dont elle avait déjà fait l’objet, la demanderesse a répondu qu’« […] elle devait déposer une plainte officielle, ce qu’elle ne voulait pas faire, car elle estimait que le processus prendrait trop de temps ». La Commission a également relevé que le rapport de police ne mentionne pas la menace, qu’aurait proférée son agresseur présumé, d’enlever ses enfants, ni le fait qu’il l’ait, à une autre occasion, menacée avec un fusil. Pour expliquer pourquoi la police n’avait pas consigné ces faits dans son rapport, la demanderesse a déclaré qu’ils « […] étaient corrompus et qu’ils n’avaient pas inscrit correctement l’information ». La Commission a rejeté cette explication, estimant qu’elle était peu crédible. La Commission a en outre relevé que ces événements très importants ne figuraient pas dans le FRP de la demanderesse.

 

[9]               La demanderesse affirme en troisième lieu avoir été privée de son droit à une audience équitable. À l’audience, la Commission a fait savoir à la demanderesse et à son avocate qu’elle admettait que, comme l’affirmait la demanderesse, celle‑ci avait bien été victime de violence et qu’elle avait effectivement rempli le rapport de police en question. La demanderesse soutient qu’en lui disant cela la Commission a cherché à faussement dissiper ses inquiétudes, et qu’en raison de cela, elle ne savait pas ce qu’elle était tenue de démontrer. Cet argument doit être écarté. Il ressort nettement de la transcription de l’audience que la Commission n’a fait qu’admettre l’authenticité du rapport de police. La crédibilité de la revendication présentée par la demanderesse et de ses affirmations concernant les faits précis de violence dont elle s’était plainte, ainsi que l’époque à laquelle elle s’en était plainte et les personnes ou organismes auxquels cette plainte aurait été adressée, sont demeurés en doute jusqu’à la fin de l’audience. Il ressort clairement de la transcription de celle‑ci que la crédibilité de la demanderesse, et plus particulièrement les divergences sensibles entre son témoignage et l’exposé circonstancié des faits, ainsi qu’entre son témoignage concernant ce qu’elle a effectivement déclaré à la police, et la teneur du rapport de police, n’ont, tant qu’a duré l’audience, pas cessé d’être en question. Pour ne citer qu’un seul exemple, le fait que le rapport de police ait été admis comme authentique ne veut pas dire que la Commission ait été disposée à accepter que le fait qu’on n’y trouve aucune mention de certaines questions soit dû à la corruption des policiers.

 

[10]           La demanderesse fait également valoir, en ce qui concerne le droit à une audition équitable de sa cause, que la Commission n’a ni examiné ni pris en compte le rapport d’expertise médicale d’un psychologue attestant que, en raison des mauvais traitements qu’elle avait subis, la demanderesse se trouvait déprimée, timide et désorientée. En fait, la Commission a examiné ce rapport, et accepté qu’il contribuait à établir que la demanderesse éprouvait effectivement une crainte subjective de rentrer à Trinidad, répondant ainsi au premier volet du critère subjectif‑objectif établi dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. La Commission a également situé son évaluation du témoignage livré par la demanderesse dans le cadre des directives no 4 concernant Les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, données par la présidente de la Commission.

 

[11]           Compte tenu des motifs exposés ci‑dessus, j’estime qu’au vu des preuves qui lui étaient soumises, la décision qu’a rendue la Commission se situe parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. Je considère par conséquent que la décision en cause est raisonnable.

 

[12]           La demande de contrôle judiciaire est en conséquence rejetée.

 

[13]           Aucune question à certifier n’a été proposée et le dossier n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question à certifier et la Cour estime que le dossier n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3705‑10

 

INTITULÉ :                                                   HALL, ZITA, OCHOA, QUINCY VIRGIL, OCHOA, QUASI ROMARIO c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 4 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christina Gural

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nina Chandy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Christina M. Gural

Avocate

Vaughan (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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