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Date : 20110309

Dossier : IMM-3169-10

Référence : 2011 CF 277

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

 

TOMEIKA ASHBY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne la décision en date du 9 mai 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

[2]               La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse était citoyenne du Guyana et pouvait y obtenir le statut de « rémigrante » était raisonnable. En outre, la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse devait demander la protection du Guyana et qu’elle n’était pas exposée à un risque de persécution dans ce pays. Pour les motifs formulés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

I.          Contexte

 

A.        Les faits

 

[3]               La demanderesse est citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Genadines. Elle a déclaré dans son Formulaire de renseignements personnels qu’elle était également citoyenne du Guyana.

 

[4]               Elle est âgée de vingt et un ans et elle vient du village de Diamond à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines. Elle est née au Guyana d’un père guyanien et d’une mère Saint-Vincentaise-et-Grenadine. Elle est déménagée à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines à la séparation de ses parents, alors qu’elle était encore une fillette, et elle y est restée jusqu’à sa venue au Canada en 2007.

 

[5]               La demanderesse dit avoir subi de la violence physique, verbale et sexuelle de la part de son beau‑père depuis le début de la relation de ce dernier avec sa mère dans les années 1990 et avoir été en butte aux avances et attouchements sexuels de ce dernier à compter du moment où elle a eu 16 ans. Elle allègue également qu’il l’insultait à son école et au village.

 

[6]               Elle relate que son beau‑père lui a infligé une blessure au pied avec une machette, qui a nécessité 12 points de suture. Elle a signalé cet incident aux autorités et s’est fait dire de revenir avec un adulte, mais elle n’en a pas fait part à sa mère parce qu’elle ne savait pas comment celle‑ci allait réagir. À l’audience, elle a indiqué qu’elle avait parlé de certains incidents à sa mère mais que celle‑ci ne l’avait pas crue.

 

[7]               Après une querelle entre sa mère et son beau‑père, la police a été appelée. Le beau‑père avait laissé une machette sur le mur avec un message disant qu’il allait tuer la demanderesse et sa mère. La police a donné un avertissement au beau‑père. À l’audience, la demanderesse a mentionné que son beau‑père l’avait battue en juin 2007 et qu’elle était alors allée vivre chez sa tante avant de venir au Canada. Elle est arrivée au Canada le 19 décembre 2007 et a présenté une demande d’asile le 8 janvier 2008.

 

B.         La décision contestée (Daniel G. McSweeney)

 

[8]               La Commission a répondu à la question suivante : la demandeure d’asile peut‑elle retourner au Guyana, son autre pays de citoyenneté, sans se heurter à une possibilité sérieuse d’être persécutée ou sans être exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités?

 

[9]               Elle a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention car elle ne craignait pas avec raison d’être persécutée dans son autre pays de citoyenneté, le Guyana.

 

[10]           Elle a mentionné que le Guyana ne reconnaît pas la double nationalité, mais que la demanderesse n’avait pas soumis de preuve crédible suffisante indiquant que le gouvernement guyanien avait été avisé par cette dernière ou par sa mère qu’elle était devenue citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Genadines.

 

[11]           Elle a également signalé qu’un citoyen du Guyana qui était hors du pays depuis quatre ans pouvait obtenir le statut de « rémigrant », ce qui l’a amenée à conclure que si la demanderesse n’était plus citoyenne guyanienne elle pourrait être admissible au statut de « rémigrante ».

 

[12]           Elle a rappelé que, suivant la LIPR, le risque de persécution doit être présent dans tous les pays dont le demandeur d’asile est citoyen, sans égard à ses liens avec ces pays. En l’espèce, la demanderesse a déclaré qu’elle ne pouvait aller au Guyana parce qu’elle n’y avait ni famille, ni emploi, ni endroit où habiter. La Commission n’a pas accordé de poids à ces facteurs parce qu’ils se rapportaient à la possibilité de refuge intérieure et non à la citoyenneté. La demanderesse a soutenu également qu’un risque de viol et de torture existait au Guyana, mais la Commission a conclu que l’intéressée ne serait pas exposée personnellement à un tel risque au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

[13]           Compte tenu de la preuve, la Commission a conclu que le Guyana pouvait protéger la demanderesse et que celle‑ci n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

II.         Les questions en litige

 

[14]           La présente demande soulève deux questions :

(a)        La conclusion de la Commission que la demanderesse avait conservé la citoyenneté guyanienne ou qu’elle pouvait obtenir le statut de « rémigrante » était‑elle erronée?

(b)        La Commission a‑t‑elle eu tort de rejeter la demande d’asile au motif que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection du Guyana?

 

III.       La norme de contrôle

 

[15]           La norme de contrôle applicable à la question de la citoyenneté a été établie dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126, 253 DLR (4th) 449, où le juge Robert Décary indique ce qui suit, aux paragraphes 17 et 18 :

[17]      La conclusion de la Commission suivant laquelle l’intimé pouvait obtenir la citoyenneté ougandaise de plein droit en renonçant à la citoyenneté rwandaise est une conclusion de fait que le juge de première instance ne pouvait modifier que s’il s’agissait d’une erreur manifeste et dominante. L’intimé ne conteste pas cette conclusion et, de toute façon, le juge Pinard ne l’a pas modifiée.

 

[18]      Pour déterminer si la possibilité de se réclamer de la protection de l’Ouganda constitue une raison valable de refuser d’accorder la qualité de réfugié, il faut interpréter l’article 96 de la Loi. Il s’agit d’une question de droit. Il est de jurisprudence constante que, pour les questions de droit de cette nature, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. La Commission ne pouvait se permettre de se tromper. Pas plus d’ailleurs que le juge de première instance.

 

[16]           Par conséquent, la question de savoir si la demanderesse était toujours citoyenne guyanienne ou si elle pouvait obtenir le statut de « rémigrante » est une question de fait à contrôler suivant la norme de la raisonnabilité, tandis que le rejet de la demande d’asile fondé sur la possibilité pour la demanderesse de se réclamer de la protection du Guyana est une question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte.

 

IV.       Argument et analyse

 

A.        La conclusion de la Commission que la demanderesse avait conservé la citoyenneté guyanienne ou qu’elle pouvait obtenir le statut de « rémigrante » n’était pas erronée

 

(1)        La citoyenneté guyanienne

 

[17]           Selon la demanderesse, le fait qu’elle n’a pas renoncé officiellement à sa citoyenneté guyanienne est sans pertinence. Pour conserver sa citoyenneté, il faudrait qu’elle « trompe » le gouvernement du pays en ne révélant pas qu’elle a obtenu la citoyenneté Saint‑Vincentaise. Elle cite la décision Donboli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 883, 30 Imm LR (3d) 49, statuant que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle en encourageant les demandeurs à faire aux autorités des déclarations inexactes sur leur citoyenneté.

 

[18]           Le défendeur soutient que la preuve présentée par la demanderesse ne permet pas de démontrer qu’elle avait perdu sa citoyenneté guyanienne et qu’elle ne pourrait la recouvrer ni que sa mère ou elle avaient renoncé à la citoyenneté guyanienne, de sorte que la Commission pouvait à bon droit conclure que la demanderesse n’avait jamais perdu cette citoyenneté pas plus qu’elle ne la perdrait si les autorités guyaniennes découvraient qu’elle était citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Genadines.

 

[19]           La Constitution du Guyana énonce :

[traduction] 46. (1) Lorsqu’il est établi que, postérieurement au 25 mai 1966, un citoyen guyanien a acquis la citoyenneté d’un autre pays par suite d’un acte volontaire officiel (exception faite du mariage), notamment par inscription ou naturalisation, le Président peut lui retirer par décret sa nationalité guyanienne.

 

(2) Lorsqu’il est établi que, postérieurement au 25 mai 1966, un citoyen guyanien a volontairement revendiqué et exercé dans un pays autre que le Guyana un droit dont la jouissance est l’apanage exclusif des citoyens de cet autre pays, le Président peut lui retirer par décret sa nationalité guyanienne.

 

[Je souligne.]

 

[20]           En outre, l’article 10 de la Guyanese Citizenship Act prévoit ce qui suit :

[traduction] 10. (1) Sous réserve du paragraphe (2), si un citoyen guyanien majeur et capable qui, –

 

(a) soit est ou est sur le point de devenir citoyen d’un pays visé par l’article 47 de la Constitution ou de la République d’Irlande; ou

 

(b) soit a ou est sur le point d’avoir la nationalité d’un pays étranger,

 

déclare dans les formes prescrites qu’il renonce à la citoyenneté guyanienne, le ministre fait inscrire la déclaration de renonciation et, sur inscription, ce citoyen cesse d’être citoyen du Guyana.

 

[…]

 

[21]           Un document en date du 9 novembre 2001 de la Direction des recherches de la Commission, intitulé Grenada: The possibility of dual citizenship in Grenada and Guyana; particular case with Guyana, indique que [traduction] « suivant un membre de la délégation du Consulat général du Guyana, l’obtention d’une autre citoyenneté n’entraîne la perte de la citoyenneté guyanienne que s’il s’agit d’une condition d’obtention imposée par l’autre pays. Le Guyana reconnaît la double citoyenneté à l’égard de tout pays, sans exception ». Si tel est le cas, la demanderesse n’a jamais perdu sa citoyenneté.

 

[22]           En l’espèce, puisque ni la demanderesse ni sa mère n’ont entrepris auprès des autorités guyaniennes de démarche visant la renonciation à la citoyenneté de la demanderesse, il était raisonnable pour la Commission de conclure qu’il n’avait pas été démontré par une preuve suffisante que la demanderesse n’était plus citoyenne du Guyana.

 

(2)        Le statut de « rémigrante » de la demanderesse

 

[23]           La demanderesse déclare que ce statut est subordonné à ce que l’intéressé demeure au Guyana pendant au moins trois ans. Invoquant Katkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 68 ACWS (3d) 715, [1997] A.C.F. no 29 (QL), elle soutient que la Commission ne peut obliger un demandeur d’asile à s’engager à résider pendant une période donnée dans un autre pays afin de remplir les conditions d’obtention de la citoyenneté.

 

[24]           Le défendeur lui oppose qu’aucune raison ne justifie la demanderesse de ne pas demeurer au Guyana pendant trois ans si cette condition est obligatoire. Selon lui, la présente situation se distingue de celle de Katkova, précité, parce que dans ce dernier cas la preuve démontrait qu’Israël disposait d’un large pouvoir discrétionnaire en matière de refus de citoyenneté, alors qu’en l’espèce, la demanderesse est en mesure de recouvrer sa citoyenneté, si tant est qu’elle l’ait perdue.

 

[25]           Le Remigrant’s Information Manual publié par le ministère des Affaires étrangères du Guyana en mars 1999 décrit le processus de retour au Guyana. Le « rémigrant » y est défini comme [traduction] « un citoyen guyanien né au Guyana ou à l’étranger ou naturalisé guyanien, qui est titulaire d’un passeport guyanien valide et à qui le ministère des Affaires étrangères a accordé le statut de rémigrant, étant entendu qu’il demeurera au Guyana pendant au moins trois ans ».

 

[26]           On y lit également : [traduction] « lorsque le rémigrant potentiel a renoncé à la nationalité guyanienne afin d’obtenir la citoyenneté du pays où il réside actuellement, il n’y a pas lieu de désespérer puisqu’il demeure admissible au statut de rémigrant ».

 

[27]           Il appert des lois et pratiques du Guyana qu’une personne ayant déjà eu la citoyenneté guyanienne peut obtenir le statut de « rémigrant ». Il était donc raisonnable pour la Commission de conclure que si la demanderesse avait perdu sa citoyenneté elle pouvait obtenir ce statut.

 

B.         La Commission n’a pas eu tort de rejeter la demande d’asile au motif que la demanderesse pouvait demander la protection du Guyana

 

[28]           La Commission a déclaré qu’un demandeur d’asile a l’obligation d’établir le bien‑fondé de sa demande à l’égard d’un autre pays dont il a la citoyenneté. La demanderesse invoque toutefois Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 583, 167 ACWS (3d) 970, dans laquelle la Cour a rendu une décision contraire, et elle fait valoir que, puisque l’octroi de la citoyenneté guyanienne dépend de l’exercice d’un pouvoir ministériel discrétionnaire, la Commission a commis une erreur de droit en n’appliquant pas Khan. Elle soutient qu’en l’espèce, comme dans Khan, la Commission n’était pas en mesure de déterminer si la demanderesse pourrait obtenir la citoyenneté guyanienne et qu’elle ne pouvait, en conséquence, contraindre cette dernière à se réclamer de la protection du Guyana.

 

[29]           Le défendeur soutient que l’arrêt Williams, précité, est éclairant en l’espèce. La Cour d’appel fédérale y a statué que le demandeur d’asile doit tenter d’obtenir l’autre citoyenneté et que la qualité de réfugié lui sera refusée s’il est démontré qu’il était en son pouvoir d’obtenir cette autre citoyenneté.

 

[30]           Cette affaire mettait en cause une demande d’asile en contexte de citoyennetés multiples. Au paragraphe 22, le juge Décary a cité en l’approuvant un passage des motifs du juge Marshall Rothstein dans Bouianova c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 67 FTR 74, 41 ACWS (3d) 392:

[22]      […]

 

Le véritable critère est, selon moi, le suivant : s’il est en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un pays pour lequel il n’a aucune crainte fondée d’être persécuté, la qualité de réfugié sera refusée au demandeur. Bien que des expressions comme « acquisition de la citoyenneté de plein droit » ou « par l’accomplissement de simples formalités » aient été employées, il est préférable de formuler le critère en parlant de « pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur », car cette expression englobe divers types de situations. De plus, ce critère dissuade les demandeurs d’asile de rechercher le pays le plus accommodant, une démarche qui est incompatible avec l’aspect « subsidiaire » de la protection internationale des réfugiés reconnue dans l’arrêt Ward et, contrairement à ce que l’avocat de l’intimé a laissé entendre, ce critère ne se limite pas à de simples formalités comme le serait le dépôt de documents appropriés. Le critère du « contrôle » exprime aussi une idée qui ressort de la définition du réfugié, en l’occurrence le fait que l’absence de « volonté » du demandeur à accomplir les démarches nécessaires pour obtenir la protection de l’État entraîne le rejet de sa demande d’asile à moins que cette absence s’explique par la crainte même de persécution. Le paragraphe 106 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, [Genève, 1992] précise bien que « [c]haque fois qu’elle peut être réclamée, la protection nationale l’emporte sur la protection internationale » . Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada fait observer, à la page 752, que « [l]orsqu’il est possible de l’obtenir, la protection de l’État d’origine est la seule solution qui s’offre à un demandeur ».

 

[Je souligne.]

 

[31]           Au sujet du fait que le demandeur d’asile, dans Williams, précité, devait renoncer à sa citoyenneté actuelle pour obtenir l’autre, le juge Décary a déclaré au paragraphe 27 :

[27]      Cet argument est mal fondé. Le principe qui a été établi par la jurisprudence, c’est que lorsque la citoyenneté d’un autre pays peut être réclamée, le demandeur est censé entreprendre des démarches pour l’obtenir et qu’il se voit refuser la qualité de réfugié s’il est démontré qu’il était en son pouvoir d’acquérir cette autre citoyenneté. Or, en l’espèce, l’intimé a la faculté de renoncer à sa citoyenneté rwandaise pour obtenir la citoyenneté ougandaise. Il lui est loisible d’acquérir cette autre citoyenneté s’il a la volonté de l’obtenir. Dans le jugement Chavarria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 17 (1re inst.) (QL), la seule décision invoquée par les parties qui aborde la question de la renonciation à la citoyenneté, le juge Teitelbaum a, sans toutefois entrer dans les détails, refusé d’accorder la qualité de réfugié et ce, même si le recouvrement de la citoyenneté d’un autre pays « signifierait probablement que Eduardo aurait à répudier la nationalité citoyenneté salvadorienne » (au paragraphe 60).

 

[Je souligne.]

 

[32]           Dans Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 720, le juge Roger Hughes s’est reporté à l’arrêt Williams, précité, aux paragraphes 8-9 de sa décision :

[8]        Par conséquent, le degré de contrôle qu’un demandeur d’asile peut avoir à l’égard de l’acquisition de la citoyenneté dans un autre pays devient une question fondamentale. Une telle question exige donc qu’on examine les lois, la jurisprudence, les pratiques et les politiques de ce pays. Dans un monde idéal, un tel examen devrait se faire en se fondant sur l’avis de juristes pouvant pratiquer dans le pays en question et possédant une expertise dans ce domaine. Ces avis sont considérés comme des questions de fait, mais comprennent des questions de droit.

 

[9]        Dans un monde imparfait, où le demandeur d’asile dispose habituellement de fonds et de ressources limités pour préparer sa cause, on doit se référer à d’autres sources pour obtenir des informations sur la situation réelle dans l’autre pays. En l’espèce, les demandeurs n’ont été avisés que quelques jours avant l’audience qu’on examinerait la question de savoir s’ils pouvaient obtenir la citoyenneté sud-coréenne.

 

[33]           La demanderesse invoque pour sa part la décision Khan, précitée, où le juge François Lemieux a annulé la décision de la Commission concluant qu’une citoyenne tibétaine pouvait prétendre à un statut au Guyana et devait se réclamer de la protection de ce pays, en exposant, au paragraphe 21 :

[21]      L’erreur déterminante qu’a commise le tribunal a été de faire une incursion en territoire interdit lorsque, après avoir reconnu que les autorités guyaniennes n’étaient pas tenues d’accepter la demande de citoyenneté de Mme Khan, il s’est exprimé sur la manière dont le ministre guyanien pouvait exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui a été conféré. De telles circonstances sont hors du contrôle de la demanderesse. Mme Khan n’est pas obligée de demander la protection de la Guyana avant de demander celle du Canada.

 

[34]           Selon moi, les faits de la présente espèce appellent une distinction. Dans Khan, la Commission examinait si le mariage à un citoyen du Guyana permettait à la demanderesse d’obtenir la citoyenneté de ce pays; la demanderesse n’avait jamais eu la citoyenneté guyanienne de façon indépendante. En l’espèce, la demanderesse a la citoyenneté guyanienne par sa naissance, et elle ne l’a jamais officiellement répudiée. Même dans l’hypothèse où elle ne serait plus citoyenne du Guyana du fait qu’elle possède une autre citoyenneté, elle pourrait obtenir le statut de « rémigrante ». La Commission n’a donc pas formulé d’opinion concernant l’exercice par les autorités guyaniennes de leur pouvoir de refuser la citoyenneté à la demanderesse, contrairement à ce qui s’était produit dans Khan.

 

[35]           Il y a lieu d’appliquer l’arrêt Williams, précité. Comme il est « en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un pays pour lequel [la demanderesse] n’a aucune crainte fondée d’être persécuté[e] », elle devrait se prévaloir de la protection de l’autre pays dont elle a la nationalité avant de demander celle du Canada. Par conséquent, la conclusion de la Commission n’est pas erronée.

 

V.        Conclusion

 

[36]           La Commission pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse était citoyenne guyanienne ou qu’elle pouvait obtenir le statut de « rémigrante » dans ce pays. Elle a conclu à bon droit que la demanderesse devait se réclamer de la protection du Guyana.

 

[37]           Par conséquent, la demande est rejetée.

 

[38]           Des observations m’ont été soumises au sujet de la certification possible de la question suivante :

Suivant le critère applicable du « contrôle », un demandeur d’asile a‑t‑il le pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un État lorsque l’octroi de cette citoyenneté est conditionnel à une longue période obligatoire de résidence.

 

Puisque j’ai conclu que la demanderesse n’a jamais perdu sa citoyenneté guyanienne, conclusion déterminante pour l’appel, il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3169-10

 

INTITULÉ :                                                   ASHBY c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nadine Silverman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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