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Date : 20110310

Dossier : 11‑T‑7

Référence : 2011 CF 290

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 10 mars 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

ROBERT LAVIGNE

 

demandeur

 

et

 

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Lavigne sollicite, par voie de requête, une prorogation du délai pour déposer son avis de demande et, au besoin, son affidavit; une provision pour frais de 3 500 $ en plus des débours; et toute autre ordonnance que la Cour estimera indiquée dans les circonstances.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la requête de M. Lavigne doit être rejetée.

 

I. Les faits

[3]               Le 7 octobre 2009, M. Lavigne a déposé une demande de renseignements personnels auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Au cours du traitement de cette demande, la Commission a consulté la Société canadienne des postes (Postes Canada), comme elle le fait habituellement lorsqu’une tierce partie a un intérêt dans un document ou que le document provient de cette partie. En l’espèce, les deux critères étaient réunis. Postes Canada s’est opposée à la divulgation du document en cause, un document d’une page, en se fondant sur l’article 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui protège certains renseignements au titre du privilège du secret professionnel de l’avocat.

 

[4]               Le 11 janvier 2010 ou vers cette date, la Commission a remis à M. Lavigne les 1 879 pages représentant ses renseignements personnels, à l’exception de la page dont Postes Canada a refusé la communication et de certains autres éléments d’information soustraits à la communication en vertu de l’article 26 de la Loi, qui protège les renseignements concernant un autre individu.

 

[5]               Le 24 juin 2010 ou vers cette date, M. Lavigne a déposé une plainte en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, dans laquelle il dénonce le recours de la Commission à ces exceptions. Le 22 octobre 2010 ou vers cette date, le Commissariat à la protection de la vie privée a décidé que la plainte de M. Lavigne était fondée pour ce qui est de l’exception prévue à l’article 27. Toutefois, la plainte a été considérée comme résolue parce que la Commission avait accepté de remettre à M. Lavigne le document d’une page qu’elle avait voulu protéger en invoquant l’article 27.

 

[6]               Cependant, il y a eu un retard dans la livraison de cette page à M. Lavigne parce que la Commission a ensuite demandé à Postes Canada de consentir à la communication du document, conformément au paragraphe 47(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le document en cause provient d’une conciliation, et le paragraphe 47(3) prévoit que les renseignements recueillis par le conciliateur sont confidentiels et ne peuvent être divulgués sans le consentement de la personne qui les a fournis.

 

[7]               À la suite de certains échanges entre la Commission et Postes Canada, cette dernière a consenti à la communication du document le 9 février 2011. Il n’est pas contesté que M. Lavigne a maintenant reçu ledit document d’une page.

 

II. Les questions en litige

[8]               La requête de M. Lavigne soulève trois questions :

a)      M. Lavigne satisfait‑il aux critères d’octroi d’une prorogation du délai pour déposer son avis de demande?

b)      Y a‑t‑il lieu d’accorder à M. Lavigne une prorogation additionnelle s’ajoutant au délai prévu dans les Règles des Cours fédérales pour déposer son affidavit et les pièces documentaires?

c)      M. Lavigne satisfait‑il aux critères régissant l’attribution d’une provision pour frais?

Naturellement, la Cour ne devra répondre aux deuxième et troisième questions que si elle conclut qu’il convient d’accorder à M. Lavigne une prorogation du délai pour déposer son avis de demande.

 

III. Analyse

[9]               Il est reconnu en droit que pour obtenir une prorogation de délai, le demandeur doit démontrer :

                                                               i.      une intention constante de poursuivre sa demande;

                                                             ii.      qu’il existe un fondement à la demande;

                                                            iii.      que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du retard;

                                                           iv.      qu’il existe une explication raisonnable justifiant le retard.

 

[10]           Dans le cas qui nous occupe, il est inutile d’examiner les premier, troisième et quatrième critères, car le deuxième n’est de toute évidence pas rempli.

 

[11]           Dans sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire, M. Lavigne prie la Cour d’ordonner la communication de documents retenus en vertu de l’article 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Or, M. Lavigne a reçu tous ses renseignements personnels conformément à la demande qu’il a présentée sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il a reçu tous les documents dont le Commissariat à la protection de la vie privée a recommandé la communication. Partant, il ne reste plus de question à instruire.

 

[12]           En fait, la présente affaire correspond en tous points à la décision rendue par notre Cour dans Connolly c. Société canadienne des postes (2000), 197 FTR 161, confirmée par 2002 CAF 50. Dans Connolly, le demandeur avait lui aussi sollicité, en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, une révision concernant la façon dont Postes Canada avait répondu à une demande fondée sur cette même loi et présentée au Commissaire à la protection de la vie privée relativement à un refus de Postes Canada de communiquer des renseignements personnels concernant le demandeur. En rejetant la demande, M. le juge MacKay a écrit :

9. Dans la présente affaire, lorsqu’il a déposé sa demande de révision, M. Connolly avait obtenu des copies de tous les renseignements qu’il avait demandés et qu’il avait le droit de recevoir en vertu de la Loi. La Cour ne pouvait ordonner davantage que ce qui a déjà été fait. Elle n’est pas habilitée, en vertu de la Loi, à réviser la procédure suivie lors du refus de la demande de communication et à ordonner un redressement lorsque les renseignements demandés ont finalement été communiqués. Le commissaire à la protection de la vie privée peut faire cette révision dans le rapport d’enquête qu’il rédige au sujet d’une plainte. Il peut conclure, comme il l’a fait en l’espèce, qu’il y a eu contravention aux droits qui sont reconnus au plaignant en vertu de la Loi sur la protection de la vie privée. Si cette conclusion relevait de la compétence de la Cour, je dirais que tel semble avoir été manifestement le cas en l’espèce, puisque plusieurs mois se sont écoulés avant que les renseignements demandés soient finalement communiqués en entier en mai 1999. Par la suite, il n’y a pas lieu de dire qu’il y a eu contravention aux droits reconnus au demandeur en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

 

[13]           Dans sa demande, M. Lavigne demande aussi à la Cour d’ordonner à la Commission de verser 5 000 $ en dommages‑intérêts au titre de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Or, aucuns dommages‑intérêts ne peuvent être accordés sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont maintes fois statué que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne prévoit pas l’attribution de dommages‑intérêts. Sur ce point également, les motifs du juge MacKay sont très clairs :

10. Les droits évalués en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels sont ceux qui sont énoncés dans cette Loi et tout redressement prévu en cas de contravention à ces droits est prévu dans cette même Loi. Il n’existe aucun redressement selon les règles de common law et la Loi ne prévoit aucun redressement en cas de refus erroné de communiquer des renseignements personnels à la personne qui les demande. Aucun droit à des dommages‑intérêts n’existe, que ce soit en vertu des règles de common law ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

 

[14]           Dans sa demande, M. Lavigne demande à la Cour de déclarer que la décision Connolly ne devrait pas être suivie et qu’il est possible d’accorder des dommages‑intérêts en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je ne crois pas que la Cour puisse faire une telle déclaration. Non seulement la décision Connolly a été confirmée par la Cour d’appel, mais encore elle a été suivie à maintes reprises par la Cour fédérale : voir, par exemple, la décision Keita c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 626, au paragraphe 12; Murdoch c. Canada (Gendarmerie royale), 2005 CF 420. Dans cette décision, M. le juge Noël a fait remarquer :

22. La Cour fédérale n’est pas non plus en mesure d’accorder d’autres réparations dans un cas comme le présent. Ainsi qu’il a déjà été signalé, la compétence de la Cour fédérale pour contrôler les décisions du commissaire à la protection de la vie privée se trouve à l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (pour ce qui est des cas où la communication de renseignements personnels demandée en vertu de l’article 12 a été refusée) et au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales. De plus, le pouvoir de la Cour fédérale d’accorder une réparation en pareil cas se limite essentiellement aux mesures que le commissaire à la protection de la vie privée pouvait lui‑même ordonner, c’est‑à‑dire la communication de documents dont la divulgation a été refusée (voir les articles 48 à 50 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales). En l’espèce, il n’y a pas de renseignements de ce genre qui n’ont toujours pas été communiqués. Cette réparation ne serait donc pas appropriée.

 

Voir également : Galipeau c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 223, au paragraphe 5.

 

 

[15]           M. Lavigne soutient que ces décisions devraient être réexaminées parce qu’elles sont incompatibles avec la jurisprudence établie dans le contexte de la Loi sur les langues officielles. Il est vrai que des tribunaux ont parfois attribué des dommages‑intérêts pour violation de cette loi sur le fondement d’une disposition (l’article 77) dont le libellé est semblable à celui de l’article 48 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans les deux cas, la loi confère à la Cour le pouvoir d’accorder une réparation et de rendre toute ordonnance qu’elle estime « indiquée » ou « convenable ». Cependant, la ressemblance dans le libellé des dispositions ne suffit pas. Il faut aussi tenir compte de l’économie de chacune des deux lois. Alors que la Loi sur les langues officielles crée un certain nombre de droits et d’obligations, la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit uniquement le droit de toute personne d’obtenir des renseignements. Dans ce contexte, je ne crois pas qu’il soit convenable d’étendre les réparations qu’une cour peut accorder dans le cadre d’un contrôle judiciaire à l’attribution de dommages‑intérêts. Comme l’a déclaré la Cour d’appel dans l’arrêt Connolly, précité, il appartient au Parlement de régler cette question, s’il juge indiqué d’intervenir.

 

[16]           Étant donné que le demandeur ne satisfait pas au deuxième critère du test établi dans l’arrêt Hennelly, sa requête en prorogation du délai pour déposer son avis de demande doit être rejetée. Cela étant, il n’est pas nécessaire d’examiner les deuxième et troisième questions soulevées dans la requête du demandeur.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée, sans frais.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    11‑T‑7

 

INTITULÉ :                                                   ROBERT LAVIGNE c.
COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 mars 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 10 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Lavigne

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Kathleen Fawcett

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Lavigne

Montréal (Québec)

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Kathleen Fawcett

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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