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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110310

Dossier : IMM-1972-10

Référence : 2011 CF 288

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

SUISHAN HUANG

JIA HAO HUANG (un mineur)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 11 mars 2010 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n'avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La Commission a estimé, vu la preuve et en raison de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité, que la demanderesse principale (DP) n’a pas établi qu’il existe plus qu’une simple possibilité qu’elle soit persécutée ou exposée à un risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est rejetée.

 

I – Contexte

 

A.          Le contexte factuel

 

[3]               La DP, Suishan Huang, et son fils, Jia Hao Huang, le demandeur mineur, sont des citoyens de la République populaire de Chine (RPC). La DP est la représentante désignée du demandeur mineur. Elle craint d’être persécutée par les agents de planification familiale de la Chine parce qu’elle a violé la politique de la RPC en matière de contrôle des naissances.

 

[4]               La DP soutient que peu après la naissance de sa fille, au mois d’octobre 1996, elle a dû porter un dispositif intra-utérin (DIU) afin de prévenir toute éventuelle grossesse, conformément à la politique de l’enfant unique en vigueur dans la RPC. Or, en mai 2002, la DP a découvert qu’elle était de nouveau enceinte et est partie se cacher pour échapper à ses rendez-vous de contrôle de grossesse. La DP a donné naissance à son fils en janvier 2003 et l’a confié à sa tante. Elle s’est fait réinsérer son DIU, puis elle est retournée chez elle.

 

[5]               Pendant que la DP était cachée, elle a raté un de ses rendez-vous de vérification de son DIU. Des agents du service de régulation des naissances ont pris contact avec son époux qui leur a dit qu’elle était malade et qu’elle était partie recevoir des traitements médicaux. Dès son retour, elle a subi un examen médical et s’est vu infliger une amende de 5000 RMB pour avoir raté un de ses examens périodiques de vérification de son DIU.

 

[6]               Grâce à la carte de soins de consultation externe que la tante de la DP a réussi à obtenir à l’hôpital du Peuple no 1 de Guangzhou, le demandeur mineur a été traité pour des maladies bénignes. Cependant, en juillet 2006, le demandeur mineur a attiré l’attention des agents du service de régulation des naissances de l’hôpital lorsqu’il a dû être hospitalisé pour une maladie plus grave.

 

[7]               La tante a téléphoné à la DP pour l’avertir que le demandeur mineur avait éveillé les soupçons des agents du service de régulation des naissances. La DP et son époux, craignant d’avoir des ennuis, ont décidé de se cacher et ont envoyé la mère de la DP chercher leur fils. Deux agents du service de régulation des naissances se sont présentés à la maison de la DP et ont laissé aux parents de l’époux un avis de planification familiale. L’avis indiquait que l’un ou l’autre des époux devait être stérilisé pour avoir violé la politique de planification familiale et qu’ils devaient payer une amende de 70 000 RMB dans un délai d’une semaine.

 

[8]               Une semaine après cette visite, les agents du service de régulation des naissances sont revenus, accompagnés de deux policiers. Ils ont laissé un avis de convocation à une enquête du bureau de la sécurité publique (BSP). L’avis du BSP indiquait aussi qu’ils étaient passibles d’une amende de 50 000 RMB.

 

[9]               De crainte de subir une stérilisation forcée, la DP et son époux ont repéré un passeur qui a accepté d’aider la DP à s’enfuir en se faisant passer pour son conjoint. Le passeur a consenti à prendre le demandeur mineur et a procuré à chacun des demandeurs un faux passeport.

 

[10]           Les demandeurs sont arrivés au Canada le 13 août 2006 et ont demandé l'asile le jour même.

 

B.         La décision contestée

 

[11]           La Commission a décidé, suivant la prépondérance de la preuve, que l’avis du BSP était frauduleux. Elle a aussi conclu, suivant la prépondérance de la preuve, que le carnet médical du demandeur mineur n’était pas authentique. Vu le dépôt de ces deux documents frauduleux, la Comission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de la DP.

 

[12]           La DP a également omis de mentionner des renseignements précis dans son FRP. Dans son témoignage à l’audience, la DP a affirmé que sa mère avait subi une stérilisation forcée en 1987. Bien que la DP ait affirmé avoir pris connaissance de ce fait avant la tenue de l’audience, elle n’a ni modifié son FRP, ni fait traduire la preuve documentaire censée être corroborante. La Commission a estimé qu’il était déraisonnable que la DP n’ait pas cherché à présenter cette information en preuve et, par conséquent, a conclu que la DP a embelli son témoignage, renforçant ainsi la conclusion selon laquelle la DP n’était ni crédible, ni digne de foi.

 

[13]           De plus, la Commission a jugé que la preuve de la DP était incompatible avec la preuve documentaire. Tout d’abord, la preuve documentaire indique qu’un couple ne se verrait infliger qu’une seule amende pour avoir violé la politique de planification familiale, et non deux, comme l’a prétendu la DP. De plus, les sources consultées par la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n'ont permis de relever aucun incident de stérilisation forcée dans la région urbaine de Guangzhou, la municipalité d'origine de la DP, au cours de la période de 2002 à 2005. Enfin, les agents de planification familiale ne sont plus évalués en fonction du respect des quotas de naissance, mais plutôt en fonction des soins offerts. Compte tenu de ce qui précède, la Commission a conclu, suivant la prépondérance de la preuve, que la crainte subjective de persécution de la DP n’était pas appuyée par la situation objective dans la province de Guangdong.

 

II.         Les questions en litige

 

[14]           Les questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :

a)         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’avis du comité de quartier exigeant la stérilisation de la DP?

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant, suivant la prépondérance de la preuve, que la crainte subjective de persécution de la DP n’était pas appuyée par la situation objective dans la province de Guangdong?

III.       Norme de contrôle

 

[15]           Il est de jurisprudence constante que les décisions de la Commission relatives à la crédibilité sont de nature factuelle et que, par conséquent, il convient de faire preuve d'un degré élevé de retenue à leur égard. La norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 558, par. 11; Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (CAF), par. 4).

 

[16]           De même, le poids accordé à la preuve ainsi que l’interprétation et l’appréciation de la preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (N.O.O. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] A.C.F. n  1286, par. 38).

 

[17]           Comme il appert de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.       Argument et analyse

 

A.        La Commission n’a pas omis de considérer l’avis

 

[18]           La DP soutient que la Commission n’a pas indiqué dans ses motifs l’incidence, s’il en est, de l’avis du comité de quartier sur sa conclusion, à savoir que la DP n'avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[19]           Le défendeur soutient que l’affirmation de la DP, selon laquelle la Commission n’a pas fait de commentaire au sujet de l’avis du comité de quartier, est erronée. Les motifs et la transcription démontrent que la Commission a pris en considération l’avis, mais qu’elle a décidé de lui accorder peu de poids.

 

[20]           Dans ses motifs, la Commission a utilisé le terme « avis de planification familiale » pour désigner l’avis du comité de quartier, et, comme le défendeur l’affirme, elle en a fait mention au paragraphe 21. L’avis aurait indiqué que la DP était passible d’une amende de 70 000 RMB et qu’elle ou son époux serait sérilisé. Cet avis a été reçu avant celui du BSP, lequel infligeait au couple une amende de 50 000 RMB pour la même infraction. S’appuyant sur la preuve documentaire qui indiquait que la DP et son époux seraient passibles d’une seule amende, et non de deux, la Commission a estimé que l’avis de planification familiale n’avait guère de valeur probante et que l’avis du BSP, qu’elle avait précédemment jugé frauduleux, n’en avait aucune.

 

[21]           Comme le fait valoir le défendeur, l’argument de la DP est sans fondement. La Cour a conclu que la crédibilité d'un demandeur peut affecter le poids accordé à la preuve documentaire (Granada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1766, 136 A.C.W.S. (3d) 123, par. 13). De plus, la Cour a même affirmé que dans un cas où la Commission a conclu que, dans l’ensemble, l’allégation du demandeur, comprenant les faits dans des documents personnels, n’est pas crédible, elle ne commet pas d'erreur en n'expliquant pas pourquoi elle n'a pas accordé de valeur probante aux documents qui étayent censément les allégations jugées non crédibles (Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 471, 122 ACWS (3d) 533, par. 26; Hamid c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 58 ACWS (3d) 469 (CFPI), par. 21).

 

[22]           Étant donné la conclusion de la Commission concernant l’authenticité des autres documents, l’inférence défavorable qu’elle en a tirée quant à la crédibilité, et la preuve dans le cartable national de documentation, la décision de la Commission d’accorder une faible valeur probante à l’avis est justifiée, transparente et intelligible (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 282, par.4). Il apparaît que la DP sollicite de la Cour une nouvelle appréciation de la preuve, mais cette tâche va au-delà de la fonction qui est attribuée à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Brar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (CAF), [1986] A.C.F. n346 (QL)).

 

B.         La Commission n’a pas commis d’erreur en tirant la conclusion que la crainte de la DP n’était pas appuyée par la situation objective

 

[23]           Au paragraphe 22 de ses motifs, la Commission écrit ce qui suit :

 

L’article 25 du règlement sur la planification familiale de Guangdong prévoit ce qui suit : [TRADUCTION] « La contraception doit être le premier élément de la planification familiale » et [TRADUCTION] « Lorsqu’il y a déjà deux enfants ou plus, il faut privilégier la ligature pour l’époux ou l’épouse ». Toutefois, le tribunal fait remarquer qu’il n’y a eu aucun signalement d’incident précis de stérilisations forcées dans la région urbaine de Guangzhou, soit la municipalité où habitent la demandeure d’asile principale et son époux. La Direction des recherches de la CISR n’a trouvé par ailleurs aucun renseignement à ce sujet parmi les sources qu’elle a consultées pour la période de 2002 à 2005. La Direction des recherches de la CISR a communiqué avec un représentant du Fonds des Nations Unies pour la population en Chine et a été informée que les agents locaux chargés de la planification familiale ne sont plus évalués par les représentants du gouvernement en fonction des quotas de naissance, mais plutôt en fonction des soins offerts. Pour ces motifs, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que la crainte subjective de persécution de la demandeure d’asile principale ne s’appuie pas sur la situation objective en vigueur dans la province du Guangdong. En outre, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile principale ne risque pas d’être soumise à une stérilisation forcée par le Bureau de la planification familiale de Guangzhou.

[24]           La DP soutient que la Commission a utilisé la preuve documentaire de façon contradictoire et que la décision de la Commission, à savoir que la DP ne risquait pas d’être soumise à une stérilisation forcée par le Bureau de la planification de Guangzhou, a été rendue sans tenir compte des éléments qui, manifestement, n’appuient pas la conclusion de la Commission. La DP a fondé cette affirmation sur les règlements de planification de Guangdong, présenté par son conseil, selon lesquels la stérilisation pour un couple de deux enfants et plus est envisageable.

[25]           Le défendeur fait valoir que la Commission a invoqué une preuve contradictoire soulignant que les lois mentionnent la stérilisation, mais que les autorités ne paraissent pas pratiquer réellement la stérilisation forcée. D’après la preuve documentaire, il semble que la tendance actuelle pour les naissances dépassant la limite permise consiste plutôt à infliger des amendes qu’à pratiquer la stérilisation forcée, de sorte que cette pratique n’est pas le résultat probable d’une naissance additionnelle. Le défendeur soutient que la Commission a procédé à une appréciation raisonnable de la preuve documentaire et qu’il lui était loisible de conclure comme elle a fait (Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 86, 176 ACWS (3d) 203, par. 54).

 

[26]           Je partage l’avis du défendeur. L’argument de la DP équivaut à un désaccord sur la façon dont la Commission a apprécié la preuve. La Cour n’a aucune raison d’intervenir. La conclusion voulant que la crainte subjective de la DP ne soit pas appuyée par la situation objective dans la province de Guangdong est étayée par la preuve.

 

VI. Conclusion

 

[27]           Étant donné les conclusions qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[28]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        IMM-1972-10

 

INTITULÉ :                                       HUANG ET AL. c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 19 JANVIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 MARS 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leonard H. Borenstein

 

POUR LES DEMANDEURS

Nicole Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leonard H. Borenstein

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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