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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110310

Dossier : IMM-2331-10

Référence : 2011 CF 292

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

MATHEW JOSE AMBAT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR] en vue d’interjeter appel d’une décision en date du 29 mars 2010 de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette décision, la SAI a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l'encontre de la conclusion d’un agent des visas suivant laquelle il était interdit de territoire au motif qu’il n’avait pas rempli l’obligation de résidence des résidents permanents énoncée à l’article 28 de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

A.        Contexte factuel

 

[3]               Âgé de 42 ans, le demandeur, Mathew Jose Ambat, est un citoyen des Philippines qui est arrivé au Canada le 11 juin 2003 en tant que résident permanent en compagnie de sa femme et de leurs deux enfants mineurs. Ils se sont établis à Mississauga et sa femme et ses enfants sont depuis devenus des citoyens canadiens. Le demandeur a toutefois continué à travailler aux Émirats arabes unis. Il a voyagé entre les Émirats arabes unis et le Canada pour passer du temps avec sa famille, avec qui il a gardé le contact par le téléphone et le courriel.

 

[4]               Le demandeur a commencé à travailler aux Émirats arabes unis en 1999 comme employé d’United Metal Supply à Dubaï. Le demandeur affirme qu’à peu près au moment où il a été admis au Canada, la compagnie pour laquelle il travaillait à l’époque, Conares Metal Supply Limited, a commencé à envisager la possibilité d’étendre ses opérations en se lançant sur le marché canadien en raison la croissance élevée prévue dans le domaine de la construction au Canada. Le demandeur s’est vu offrir la possibilité de contribuer à constituer la société sœur Conares Canada Ltd. et d’en devenir un des administrateurs en vue de travailler un jour à son bureau canadien. Dans l’intervalle toutefois, le demandeur a continué à travailler à Dubaï. Il est devenu consultant ou conseiller technique de Conares Canada Ltd. en 2006, tout en continuant à travailler à des projets à Dubaï et il était payé directement par la compagnie de Dubaï.

 

[5]               La carte de résident permanent du demandeur (la CRP) devait expirer en juillet 2008. Il en a donc demandé le renouvellement alors qu’il se trouvait au Canada en avril 2008, et il a fourni les pièces à l’appui nécessaires. Il a reçu chez lui à Mississauga une lettre datée du 31 octobre 2008 l’informant que sa demande de renouvellement de sa CRP avait été acceptée et approuvé et qu’il pouvait passer prendre sa nouvelle carte. Comme il travaillait à Dubaï à ce moment-là, le demandeur s’est présenté le 15 novembre 2008 au bureau des visas d’Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, pour demander un titre de voyage lui permettant de se rendre au Canada afin de prendre possession de sa CRP. Le demandeur a par la suite été reçu en entrevue au bureau des visas d’Abu Dhabi le 3 décembre 2008.

 

[6]               Le 17 décembre 2008, l’agent des visas d’Abu Dhabi a refusé la demande de titre de voyage du demandeur en lui adressant une lettre dans laquelle il lui précisait qu’il ne remplissait pas les conditions de résidence prévues à l’article 28 de la LIPR.

 

[7]               Le demandeur avait été effectivement présent au Canada pendant 312 jours au cours de la période quinquennale applicable – c’est-à-dire entre la date de son admission, en juin 2003, et le 14 juillet 2008. Or, la LIPR exige une présence effective de 730 jours. L’agent des visas n’a pas accepté le fait que le demandeur travaillait à l’étranger pour une entreprise canadienne.

 

[8]               Le demandeur a réussi à obtenir un titre de voyage en raison de son intention de faire appel de la décision défavorable rendue au sujet de sa période de résidence en vertu de l’alinéa 31(3)c) de la LIPR. Une fois arrivé au Canada, il est passé prendre sa carte CRP renouvelée et a déposé un avis d’appel devant la SAI le 8 janvier 2009.

 

[9]               Le dossier d’appel a été produit et remis aux parties en mai 2009. Le 28 février 2010, le ministre a informé par écrit la SAI qu’il ne participerait pas à l’appel. Une copie de cette lettre a été envoyée au demandeur, à son adresse de Mississauga.

 

[10]           L’appel a été entendu le 1er mars 2010. La SAI a rendu le 29 mars 2010 une décision par laquelle elle rejetait l’appel. C’est sur cette décision que porte le présent contrôle judiciaire.

 

B.         La décision attaquée

 

[11]           La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il s’était conformé à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR. La SAI n’était pas convaincue que Conares Canada était une entreprise canadienne au sens de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Comme Conares Canada n’avait pas d’employés au Canada et qu’aucun renseignement d’ordre financier n’avait été fourni au sujet de la compagnie en question après 2006, la SAI n’était pas en mesure de conclure que cette entreprise était exploitée de façon continue au Canada. La SAI a également conclu que le moment où Conares Canada avait été créée et constituée en personne morale, moment qui coïncidait avec l’admission du demandeur au Canada, indiquait fortement qu’il s’agissait d’une entreprise de complaisance, dont le but principal était de permettre au demandeur de se conformer à l’obligation de résidence tout en résidant à l’extérieur du Canada.

 

[12]           La SAI a examiné les décisions rendues dans plusieurs affaires pour déterminer si des raisons d’ordre humanitaire pouvaient compenser le manquement par le demandeur à ses obligations en matière de résidence. La SAI a conclu que le demandeur et sa famille étaient séparés depuis des années et que le demandeur avait l’intention de continuer à travailler à l’étranger. Il était loisible au demandeur de continuer à rendre visite aux membres de sa famille en demandant un visa de résident temporaire de longue durée et, de plus, sa femme pouvait parrainer en tant que conjoint la demande de résidence permanente que le demandeur pouvait présenter à condition d’être disposé à remplir les obligations de résidence que la LIPR lui imposait.

 

II.         Questions en litige

 

[13]           Le demandeur affirme que la SAI a commis plusieurs graves erreurs de fait et de droit dans sa décision. Les questions en litige peuvent se résumer comme suit :

a)         La conclusion de la SAI suivant laquelle l’employeur du demandeur n’était pas une entreprise canadienne au sens de la LIPR était-elle déraisonnable?

b)         La SAI a-t-elle violé les principes d’équité procédurale en n’avisant pas le demandeur de l’intention du ministre de ne pas se présenter à l’audience?

c)         La SAI a-t-elle commis une erreur en omettant d’analyser six des huit facteurs qui sont particulièrement utiles pour juger un appel portant sur les obligations en matière de résidence?

d)         La SAI a-t-elle mal interprété les dispositions applicables de la LIPR?

 

III.       Norme de contrôle

 

[14]           La norme applicable, s’agissant de la question de l’équité procédurale, est celle de la décision correcte.

 

[15]           Les autres questions sont des questions mixtes de droit et de fait, qui sont par conséquent assujetties à la norme de contrôle judiciaire de la décision raisonnable (Kim c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 1048, au paragraphe 14).

 

IV.       Arguments et analyse

 

A.        La SAI a-t-elle tiré des conclusions de fait déraisonnables au sujet de Conares Canada?

 

[16]           Le demandeur affirme que la SAI a commis une erreur en concluant qu’il ne se trouvait pas à l’extérieur du Canada comme employé à temps plein d’une entreprise canadienne. Le demandeur soutient que Conares Canada Ltd. est une entreprise canadienne au sens de la LIPR.

 

[17]           En toute déférence, en invoquant ces arguments, le demandeur ne fait rien de plus que de reprendre les éléments de preuve déjà soumis à la SAI en insistant sur le fait que celle-ci aurait dû arriver à la conclusion opposée.

 

[18]           L’article 28 de la LIPR énonce les obligations de résidence auxquelles sont assujettis les résidents permanents :

Obligation de résidence

 

28. (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

 

 

Application

 

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

 

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période

quinquennale, selon le cas :

 

 

(i) il est effectivement présent au Canada,

 

[…]

 

(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

[…]

 

 

b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins quinquennale, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;

 

 

 

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

Residency obligation

 

28. (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five-year period.

 

Application

 

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

 

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five-year period if, on each of a

total of at least 730 days in that five-year period, they are

 

(i) physically present in Canada,

 

[…]

 

(iii) outside Canada employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province,

 

[…]

 

(b) it is sufficient for a permanent resident to demonstrate at examination

 

[…]

 

(ii) if they have been a permanent resident for five years or more, that they have met the residency obligation in respect of the five-year period immediately before the examination; and

 

(c) a determination by an officer that humanitarian and compassionate considerations relating to a permanent resident, taking into account the best interests of a child directly affected by the determination, justify the retention of permanent resident status overcomes any breach of the residency obligation prior to the determination.

 

 

[19]           Le demandeur a admis qu’il n’était pas au Canada pendant 730 jours au cours de la période quinquennale applicable, mais soutient qu’il travaillait pour une entreprise canadienne. L’article 61 du Règlement précise le concept d’« entreprise canadienne » :

 

Entreprise canadienne

 

61. (1) Sous réserve du paragraphe (2), pour l’application des sous-alinéas 28(2)a)(iii) et (iv) de la Loi et du présent article, constitue une entreprise canadienne :

 

a) toute société constituée sous le régime du droit fédéral ou provincial et exploitée de façon continue au Canada;

 

 

b) toute entreprise non visée à l’alinéa a) qui est exploitée de façon continue au Canada et qui satisfait aux exigences suivantes :

 

(i) elle est exploitée dans un but lucratif et elle est susceptible de produire des recettes,

 

(ii) la majorité de ses actions avec droit de vote ou titres de participation sont détenus par des citoyens canadiens, des résidents permanents ou des entreprises canadiennes au sens du présent paragraphe;

 

c) toute organisation ou entreprise créée sous le régime du droit fédéral ou provincial.

 

Exclusion

 

(2) Il est entendu que l’entreprise dont le but principal est de permettre à un résident permanent de se conformer à l’obligation de résidence tout en résidant à l’extérieur du Canada ne constitue pas une entreprise canadienne.

 

[…]

Canadian business

 

61. (1) Subject to subsection (2), for the purposes of subparagraphs 28(2)(a)(iii) and (iv) of the Act and of this section, a Canadian business is

 

 

(a) a corporation that is incorporated under the laws of Canada or of a province and that has an ongoing operation in Canada;

 

(b) an enterprise, other than a corporation described in paragraph (a), that has an ongoing operation in Canada and

 

(i) that is capable of generating revenue and is carried on in anticipation of profit, and

 

(ii) in which a majority of voting or ownership interests is held by Canadian citizens, permanent residents, or Canadian businesses as defined in this subsection; or

 

(c) an organization or enterprise created under the laws of Canada or a province.

 

Exclusion

 

(2) For greater certainty, a Canadian business does not include a business that serves primarily to allow a permanent resident to comply with their residency obligation while residing outside Canada.

 

 

[…]

 

[20]           En l’espèce, la SAI a conclu, vu l’ensemble de la preuve, que Conares Canada était une entreprise visée au paragraphe 61(2) du Règlement, c’est-à-dire une entreprise dont le but principal était de permettre au demandeur de se conformer à l’obligation de résidence tout en résidant aux Émirats arabes unis. Le demandeur énumère plusieurs facteurs que la SAI aurait ignorés à son avis. Plusieurs de ces points se retrouvent toutefois dans les motifs de la SAI et malgré ce que prétend le demandeur, ils sont à la base de la conclusion de la SAI suivant laquelle Conares Canada était une entreprise de complaisance. Par exemple, le fait que le permis de résidence aux Émirats arabes unis qui a été délivré au demandeur le 15 septembre 2008 était parrainé par United Metal Supply, la compagnie pour laquelle le demandeur travaillait avant d’être admis au Canada et qui appartient par ailleurs à M. Bhatia, un des administrateurs de Conares Canada et de Conares à Dubaï, permet raisonnablement de penser, comme l’a conclu la SAI, que le demandeur travaillait pour la même compagnie aux Émirats arabes unis et au Canada, ce qui renforce, au lieu d’affaiblir, la conclusion de la SAI au sujet de la raison pour laquelle Conares Canada a été créée. Cette conclusion est également confirmée par le fait que la compagnie n’a fourni aucun renseignement d’ordre financier après 2006 et que Conares Canada n’a plus aucun employé au Canada. Le demandeur n’offre rien pour démontrer que cette conclusion était déraisonnable et qu’elle n’appartient pas aux conclusions pouvant se justifier. Il n'appartient pas à la Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, de réévaluer et de réexaminer la preuve. Sa tâche consiste plutôt à déterminer si la décision de la SAI est étayée par des motifs capables de résister à un examen assez poussé (Ikhuiwu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 35, 163 ACWS (3d) 438, au paragraphe 34). Or, en l’espèce, le raisonnement de la SAI satisfait à cette norme.

B.         La SAI a-t-elle violé les principes de justice naturelle dans la façon dont l’audience s’est déroulée?

 

[21]           Selon le demandeur, la SAI a commis une erreur en ne lui communiquant pas, avant l’audience, le document dans lequel le ministre faisait part de son intention de ne pas participer à l’audience. Le demandeur ajoute que la SAI s’est arrogée le rôle de partie adverse à l’audience.

 

[22]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la situation ne soulève pas de problème sérieux. La lettre de l’avocat du ministre a été transmise par télécopieur à la SAI le 28 février 2010, mais une copie en a également été envoyée au demandeur à son adresse de Mississauga. Si le demandeur n’a été mis au courant de la décision du ministre que le jour même de l’audience parce qu’il se trouvait à l’étranger et n’a pas reçu la lettre, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cela n'a pu nuire sérieusement à sa cause.

 

[23]           Voici le texte intégral de la lettre :

[traduction] Sachez que le ministre ne comparaîtra pas en personne pour l’instruction de la présente affaire qui est maintenant prévue pour le 1er mars 2010. Le ministre n’a pas reçu de l’appelant les renseignements et les documents invoqués dans le dossier d’appel qui a été produit et remis aux parties le 19 mai 2009.

 

Après avoir examiné attentivement les renseignements contenus dans le dossier, le ministre a décidé de ne pas prendre part à la présente affaire.

 

[24]           De plus, ainsi que le défendeur le souligne, rien n'indique que le demandeur ou son avocat ont soulevé une objection sur ce point à l’audience ou ont réclamé un ajournement. Suivant la jurisprudence de notre Cour, le défaut de soulever en temps utile une objection équivaut à une renonciation tacite relativement à tout manquement à la justice naturelle qui a pu se produire (Kamara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 448, 157 ACWS (3d) 398, au paragraphe 26).

 

[25]           Rien ne me permet de penser que le demandeur n’a pas eu droit à une audience impartiale ou qu’il existe quelque raison qui justifierait la Cour d’intervenir.

 

C.        La SAI a-t-elle commis une erreur dans son application des facteurs énumérés dans les décisions Arce et Kok?

 

[26]           Le demandeur affirme que la SAI a commis une erreur en n’analysant que six des huit facteurs qu’elle considérait comme particulièrement utiles pour trancher les appels en matière d’obligations de résidence.

 

[27]           La SAI a examiné la disposition législative qui permet de prendre une mesure spéciale, en l’occurrence l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. La SAI a ensuite déclaré que, pour déterminer si des facteurs compensaient le non-respect, par le demandeur, de son obligation de résidence, elle s’inspirait des décisions qu’elle avait rendues dans les affaires Bufete Arce, Dorothy Chicay c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (SAI VA2-02515) et Yun Kuen Kok & Kwai Leung Kok c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (SAI VA2-02277), [2003] DSAI no 514. Suivant ces deux décisions, outre l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, il existe d’autres facteurs particulièrement utiles dont on peut tenir compte pour juger ce genre d’appel. La SAI les énumère au paragraphe 38 de sa décision :

i)                    l’étendue du manquement à l’obligation de résidence;

ii)                   les raisons du départ et du séjour à l’étranger;

iii)                 le degré d’établissement au Canada, initialement et au moment de l’audience;

iv)                 les liens familiaux avec le Canada;  

v)                  la question de savoir si l’appelant a tenté de revenir au Canada à la première occasion;

vi)                 les bouleversements que vivraient les membres de la famille au Canada si l’appelant est renvoyé du Canada ou si on lui refuse l’entrée dans ce pays;

vii)               les difficultés que vivrait l’appelant s’il est renvoyé du Canada ou s’il se voit refuser l’admission au pays;

viii)              l’existence de circonstances particulières justifiant la prise de mesures spéciales.

 

[28]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en ne se demandant pas s’il avait tenté de revenir au Canada à la première occasion et s’il existait des circonstances particulières justifiant la prise de mesures spéciales. Le demandeur affirme que la SAI disposait d’une preuve abondante au sujet de ces deux facteurs, qu’elle n’a pas analysés, sans toutefois préciser en quoi consistait cette preuve, se contentant d’insister pour dire qu’il avait été envoyé travailler à l’étranger pour une compagnie canadienne.

 

[29]           Le défendeur affirme tout d’abord que, comme la SAI l’a fait observer, ces facteurs ne sont pas exhaustifs et que le poids à accorder à chacun d’entre eux varie selon les circonstances et, en second lieu, que la SAI a bel et bien examiné les deux facteurs qui auraient été ignorés.

 

[30]           Il est de jurisprudence constante que, pour rendre une décision portant sur des raisons d’ordre humanitaire, la SAI dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’examiner et de soupeser les facteurs selon les nécessités des circonstances particulières de l’espèce. Dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4, la première affaire dans laquelle elle a examiné les facteurs qui ont plus récemment été énoncés dans les affaires Arce et Kok, précitées, la Commission a reconnu l’importance du contexte lorsqu’il s’agit de rendre une décision portant sur des raisons d’ordre humanitaire. La Commission déclare, au paragraphe 14 : « Même si les questions générales à examiner sont similaires dans chaque affaire, les faits, eux, ne sont que rarement, voire jamais, identiques ».

 

[31]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la SAI s’est penchée sur la question de savoir si le demandeur avait tenté de revenir au Canada à la première occasion lorsqu’elle a analysé, au paragraphe 41 de sa décision, les raisons pour lesquelles il était parti et celles pour lesquelles il était demeuré là-bas, ainsi que les tentatives qu’il avait faites pour revenir. La SAI a fait observer que le demandeur n’avait pas explicitement affirmé qu’il rentrerait au Canada, peu importe que le projet auquel il travaillait soit achevé à l’échéance prévue de septembre 2011. La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas l’intention ferme de revenir au Canada, ce qui jouait contre lui.

 

[32]           Compte tenu du fait que les considérations d’ordre humanitaire sont largement tributaires des faits, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve tendant à démontrer que la SAI a commis une erreur qui justifierait notre intervention, mais qu’il est essentiellement en désaccord avec l’appréciation que la SAI a faite de la preuve. Le demandeur ne précise pas les circonstances particulières que la SAI aurait ignorées et, après examen de sa décision, je ne puis conclure que l’analyse que la SAI a faite des facteurs relatifs aux raisons d’ordre humanitaire est déraisonnable. La SAI a toute latitude pour évaluer chaque facteur et il lui est donc loisible de n’accorder aucun poids à un facteur déterminé selon les circonstances. Le défendeur cite à ce propos la décision rendue par le juge Yves de Montigny dans l’affaire Ikhuiwu, précitée, au paragraphe 32 :

[32]      Le demandeur ne souscrit pas aux conclusions selon lesquelles les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas que le membre de la SAI exerce son pouvoir discrétionnaire lui permettant d’accueillir sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire. Malheureusement pour lui, le fait qu’il ne soit pas satisfait de la manière selon laquelle la SAI a évalué l’ensemble des facteurs d’ordre humanitaire n’est pas suffisant pour que la Cour intervienne.

 

[33]           De même, dans le cas qui nous occupe, à défaut d’indice permettant de penser que la SAI a ignoré des éléments de preuve ou qu’elle a mal interprété les faits, notre Cour n’a aucune raison d’intervenir.

 

D.        La SAI a-t-elle interprété et appliqué correctement les dispositions de la LIPR?

 

[34]           Le demandeur affirme que la SAI n’a pas compris qu’il avait déjà été constaté qu’il s’était conformé à l’obligation de résidence au moment où l’évaluation de l’agent des visas a eu lieu. Le demandeur affirme que la seconde évaluation était inutile puisqu’on lui avait déjà délivré une CRP renouvelée.

 

[35]           Le défendeur fait valoir que l’argument du demandeur repose sur une incompréhension fondamentale du processus et des dispositions législatives pertinentes.

 

[36]           Le demandeur affirme que la délivrance d’une CRP renouvelée faisait en sorte qu’il était inutile de vérifier s’il était interdit de territoire avant de lui délivrer un titre de voyage. En toute déférence, cette interprétation va à l’encontre de la jurisprudence et du libellé clair de la LIPR. Le défendeur explique que la délivrance d’une CRP par un bureau intérieur de CIC et l’examen par un agent se trouvant à l’extérieur du Canada de la question de savoir si le demandeur s’était conformé à ses obligations en matière de résidence constituent en fait deux processus distincts. Le défendeur ajoute que l’obligation de résidence doit être évaluée et respectée au lieu où l’agent des visas procède à son examen et ce, peu importe que le demandeur soit titulaire ou non d’une CRP.

 

[37]           Le défendeur et la SAI citent tous les deux le jugement Ikhuiwu, précité, à l’appui de la proposition que la simple possession d’une CRP ne constitue pas une preuve concluante quant au statut de l’intéressé. Au paragraphe 19, le juge de Montigny écrit :

En ce qui concerne la carte de résidence permanente, le régime législatif prévu à la LIPR établit clairement que la simple possession d’une carte de résident permanent ne constitue pas une preuve concluante quant au statut d’une personne au Canada. En vertu du paragraphe 31(2) de la LIPR, la présomption selon laquelle le détenteur d’une carte de résident permanent est un résident permanent est manifestement réfutable. En l’espèce, il est manifeste que la carte de résident permanent, qui a été délivrée par erreur après que l’agente des visas au Nigeria eut conclu que le demandeur avait perdu son statut de résident permanent, ne pouvait pas lui conférer le statut juridique de résident permanent et ne pouvait pas non plus avoir pour effet de rétablir son statut de résident permanent qu’il avait antérieurement perdu parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence prévues à l’article 28 de la LIPR. Rien dans la LIPR ou dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) n’indique que la simple possession d’une carte de résident permanent qui n’a pas été délivrée de façon régulière pourrait avoir pour effet de rétablir le statut antérieur de résident permanent d’une personne.

 

[38]           Bien que, dans l’affaire Ikhuiwu, précitée, la CRP en question avait été délivrée irrégulièrement, le fait qu’en l’espèce la CRP du demandeur a été délivrée légitimement ne tire pas à conséquence. Les dispositions applicables de la LIPR précisent bien que l’obligation de résidence doit être remplie au moment où le titre de voyage est demandé.

 

[39]           Les paragraphes 11(1) et 28(1) et l’alinéa 28(2)b) de la LIPR disposent :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

[…]

 

Obligation de résidence

 

28. (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

 

 

Application

 

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

 

[…]

 

 

b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins quinquennale, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;

 

 

 

 

 

 

 

 

[…]

 

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[…]

 

Residency obligation

 

28. (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five-year period.

 

Application

 

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

 

[…]

 

(b) it is sufficient for a permanent resident to demonstrate at examination

 

(i) if they have been a permanent resident for less than five years, that they will be able to meet the residency obligation in respect of the five-year period immediately after they became a permanent resident;

 

(ii) if they have been a permanent resident for five years or more, that they have met the residency obligation in respect of the five-year period immediately before the examination; and

 

[…]

 

 

[40]           L’article 31 de la LIPR prévoit qu’une présomption réfutable est créée dès lors que l’intéressé a une CRP en sa possession :

Attestation de statut

 

31. (1) Il est remis au résident permanent et à la personne protégée une attestation de statut.

 

 

Effet

 

(2) Pour l’application de la présente loi et sauf décision contraire de l’agent, celui qui est muni d’une attestation est présumé avoir le statut qui y est mentionné; s’il ne peut présenter une attestation de statut de résident permanent, celui qui est à l’extérieur du Canada est présumé ne pas avoir ce statut.

 

 

 

 

 

 

Titre de voyage

 

(3) Il est remis un titre de voyage au résident permanent qui se trouve hors du Canada et qui n’est pas muni de l’attestation de statut de résident permanent sur preuve, à la suite d’un contrôle, que, selon le cas :

 

 

a) il remplit l’obligation de résidence;

 

 

b) il est constaté que l’alinéa 28(2)c) lui est applicable;

 

 

c) il a été effectivement présent au Canada au moins une fois au cours des 365 jours précédant le contrôle et, soit il a interjeté appel au titre du paragraphe 63(4) et celui-ci n’a pas été tranché en dernier ressort, soit le délai d’appel n’est pas expiré.

Status document

 

31. (1) A permanent resident and a protected person shall be provided with a document indicating their status.

 

 

Effect

 

(2) For the purposes of this Act, unless an officer determines otherwise

 

(a) a person in possession of a status document referred to in subsection (1) is presumed to have the status indicated; and

 

(b) a person who is outside Canada and who does not present a status document indicating permanent resident status is presumed not to have permanent resident status.

 

 

Travel document

 

(3) A permanent resident outside Canada who is not in possession of a status document indicating permanent resident status shall, following an examination, be issued a travel document if an officer is satisfied that

 

(a) they comply with the residency obligation under section 28;

 

(b) an officer has made the determination referred to in paragraph 28(2)(c); or

 

(c) they were physically present in Canada at least once within the 365 days before the examination and they have made an appeal under subsection 63(4) that has not been finally determined or the period for making such an appeal has not yet expired

 

 

[41]           Il ressort à l’évidence de ces dispositions que le résident permanent doit se conformer à l’obligation de résidence au moment de l’examen. Le demandeur n’avait pas de CRP en sa possession au moment où il a demandé un titre de voyage, et il n’était donc pas présumé être un résident permanent. La LIPR ne permet pas de conclure qu’il était interdit à l’agent des visas qui se trouvait à l’étranger de déterminer si le demandeur s’était conformé ou non à l’obligation de résidence pour la simple raison qu’il avait en mains une lettre d’un bureau intérieur de CIC indiquant qu’il pouvait passer prendre sa CRP renouvelée.

 

[42]           Le demandeur n’a pas réussi à démontrer qu’il existe quelque motif que ce soit qui justifierait notre Cour de modifier les conclusions de la SAI.

 

V.        Dispositif

 

[43]           Vu les conclusions qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[44]           Aucune question à certifier n’a été proposée et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 


 

Traduction certifiée conforme

 

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2331-10

 

INTITULÉ :                                       AMBAT c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 FÉVRIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 MARS 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

H.S. (Harry) Mann

 

POUR LE DEMANDEUR

Alex Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

H.S. (Harry) Mann

Mann Law Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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