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Federal Court

 

Cour fédérale


 

 


Date : 20110316

Dossier : IMM-2036-10

Référence : 2011 CF 317

Toronto (Ontario), le 16 mars 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

AMIRA HAMADI

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Hamadi est citoyenne libanaise. Son mari a été tué par le Hezbollah en 1984. Il aurait été exécuté à cause des ses positions favorables à Israël. Il croyait au droit d’Israël d’exister en paix. Mme Hamadi et ses deux fils partagent ce point de vue.

 

[2]               L’intéressée a encouragé ses deux fils à fuir aux États‑Unis, où ils étaient autorisés à séjourner en vertu d’un visa d’étude. Elle a par la suite présenté une demande d’asile au Canada, laquelle a été rejetée en 2000. Le commissaire de la Section de la protection des réfugiés a estimé que des questions de crédibilité se posaient et a mis en doute la situation stratégique de la villa de l’intéressée pour le Hezbollah. Au moment de la décision, la frontière entre Israël et le Liban ne se trouvait plus près de la villa, et il a jugé qu’« [i]l n’y a aucune preuve crédible, même si de toute évidence, il ne s’est pas écoulé une longue période depuis le retrait des troupes israéliennes, que le Hezbollah ait pris des mesures contre les traîtres, à l’exception des principaux leaders de l’ALS ».

 

[3]               Pour des raisons qui ne ressortent pas clairement du dossier, le formulaire d’examen des risques avant renvoi n’a été remis à Mme Hamadi qu’en 2008. La demande d’ERAR a fait l’objet d’une décision défavorable en 2010.

 

[4]               Les articles 112 et suivants de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés établissent qu’un demandeur d’asile peut faire une demande de protection même si, comme Mme Hamadi, il a été débouté, mais qu’il ne peut présenter « que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet » (al. 113a)).

 

[5]               Mme Hamadi a produit deux lettre à titre d’éléments de preuve nouveaux. L’agent d’ERAR a accordé un [traduction] « poids minimal » à ces lettres et a jugé que bien que le Hezbollah continuât de représenter une menace, la preuve n’établissait pas de façon suffisante que, si l’intéressée était renvoyée au Liban, elle y serait exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution. Selon lui, il n’y avait pas de preuve suffisante pour établir suivant la prépondérance des probabilités que l’intéressée courrait le risque d’être soumise à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[6]               Il n’est pas toujours possible de prévoir quels éléments de preuve emporteront la conviction d’un décideur. L’avocat du ministre prétend que la question qui se pose en l’espèce est celle de la suffisance de la preuve et qu’on me demande en fait de réévaluer la preuve. J’estime qu’il s’agit d’une question de crédibilité, et que l’agent aurait dû faire part de ses préoccupations à cet égard lors d’une audience conformément à l’alinéa 113b) de la LIPR et  l’article 167 du Règlement sur l’immigration. La preuve revêt une importance capitale pour la question de la protection et, si elle était admise, elle justifierait d’accorder la protection.

 

[7]               Mme Hamadi fait principalement reposer sa demande sur une lettre écrite sur du papier sans en‑tête et adressée à « qui de droit », qui paraît avoir été signée par le secrétariat général du Hezbollah en 2003 et qui déclare que l’intéressée et ses deux fils sont passibles de poursuites pour des motifs juridiques et religieux parce qu’ils s’opposent aux principes et à l’idéologie du Hezbollah, qu’ils refusent d’obtempérer à l’ordre d’adhérer au mouvement et qu’ils ne participent pas au Jihad contre l’ennemi israélien/sioniste au Liban‑Sud.

 

[8]               La deuxième lettre, non datée mais se présentant sur du papier à en‑tête du Hezbollah, déclare qu’un jugement a été prononcé contre Mme Hamadi : [traduction] « [e]lle est condamnée à mort pour intelligence et collaboration avec des Israéliens ou avec des personnes collaborant avec Israël et considérée comme traître à son pays, jugement autorisant la confiscation de sa maison sise en la ville de Dweir et son utilisation pour notre compte ». La lettre porte la signature d’Abou Hassan du bureau principal des enquêtes du Hezbollah. Une note indique que la traduction anglaise n’a pas valeur officielle.

 

[9]               Un des fils de Mme Hamidi a présenté une demande d’asile aux États‑Unis. Elle a été rejetée, mais le dossier a été rouvert en raison de ces lettres. Il semble que, par la suite, la demande de l’autre fils ait elle aussi été rouverte. L’agent d’ERAR a signalé que les décisions américaines ne lient pas les autorités canadiennes, en quoi il a tout à fait raison.

 

[10]           L’agent a attribué un poids minimal à la première des deux lettres parce qu’elle ne portait pas l’en‑tête ou le logo du Hezbollah, n’était pas datée et semblait avoir été demandée par l’avocat qui représentait alors Mme Hamadi. Il a estimé invraisemblable que le Hezbollah délivre un document devant servir à une demande d’ERAR. Je trouve beaucoup à redire à cette conclusion. Premièrement, la lettre était datée. Deuxièmement, il n’y avait pas d’ERAR en cours au moment où le document a été délivré. Troisièmement, le Hezbollah, se considérant comme un gouvernement, ne faisait que délivrer un certificat relatif à ses dossiers. Pourquoi le nom de la demanderesse n’y figure pas? Si quelqu’un obtient un certificat relatif à un dossier de la Cour et en acquitte les droits, le reçu est adressé à cette personne.

 

[11]           La deuxième lettre, celle qui n’est pas datée, indique les dossiers du Hezbollah en cause et donne le numéro du jugement – 236KM – condamnant Mme Hamadi à mort. L’agent a considéré que cette lettre avait une valeur probante minimale, malgré la présence du logo, en raison de l’absence d’explication sur la façon dont elle avait été obtenue et de la mention qu’il s’agissait d’une traduction sans valeur officielle et parce que la traduction n’était pas certifiée conforme et n’identifiait pas le traducteur.

 

[12]           On ne peut attribuer un poids minimal à une condamnation à mort. Ou bien elle a un poids substantiel ou elle n’a aucun poids. La conclusion qu’elle n’a aucun poids signifierait que l’agent a considéré que le document était un faux et que Mme Hamadi mentait.

 

[13]           C’est à Mme Hamidi qu’il incombe d’établir qu’elle court un risque, et elle doit le faire suivant la norme de la prépondérance des probabilités (Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636).

 

[14]           Il semble être admis que si le Hezbollah avait l’intention d’exécuter Mme Hamadi, celle‑ci ne pourrait se réclamer de la protection de l’État. Il n’est pas contesté que le Hezbollah est en mesure d’exécuter la sentence qu’il a prononcée si Mme Hamadi est renvoyée au Liban. Si les deux documents attribués au Hezbollah sont authentiques, elle courrait donc manifestement un risque. La décision, en conséquence, dépend de la crédibilité non de la suffisance de la preuve. Si l’agent avait des doutes concernant la provenance des lettres et la fidélité de l’une des traductions, il aurait dû en faire part à l’intéressée lors d’une audience.

 

[15]           Il s’ensuit que sa décision est déraisonnable et contraire aux règles d’équité procédurale.

 

 


ORDONNANCE

 

POUR CES MOTIFS :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  L’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre agent d’examen des risques avant renvoi.

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                         IMM-2036-10

 

INTITULÉ :                                        AMIRA HAMADI c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                LE 14 MARS 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 MARS 2011

 

 

 

Comparutions :

 

Herman Dhade

POUR LA DEMANDRESSE

 

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dhade & Associates PC

20, rue Bay, 12e étage

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDRESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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