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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 


Date : 20110315

Dossier : T-617-09

Référence : 2011 CF 309

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2011

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

BRIAN C. BRADLEY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le demandeur, un ancien membre des forces armées qui assure sa propre défense, est enlisé depuis plusieurs années dans une poursuite judiciaire relative à sa demande de pension d’invalidité pour une chute dans la douche à bord du NCSM Qu’Appelle, et la Cour est saisie de l’affaire depuis 1999 (voir Bradley c. Canada (Procureur général), [1999] C.A.F. No 144). Sa première demande de pension fondée sur des blessures dans le haut du dos et au cou a finalement fait l’objet d’un règlement en 2004.

 

[2]               Après la décision rendue en 2004 par la Cour fédérale, le demandeur a présenté une nouvelle demande de pension pour des douleurs lombaires de nature mécanique liées au même incident. Au terme d’autres procédures, il a été déterminé que le Ministère des Anciens combattants était tenu de rendre une décision concernant cette nouvelle demande, laquelle fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

II.        LE CONTEXTE FACTUEL

[3]               Le demandeur suivait une formation d’officier en tant qu’enseigne de vaisseau de 2e classe à bord du NCSM Qu’Appelle, un destroyer d’escorte. Le navire se trouvait à quai, à Vancouver, alors que s’achevait une croisière de formation dans le Pacifique, et avait pour destination finale son port d’attache, la base des Forces canadiennes Esquimalt.

 

[4]               Le demandeur, qui avait terminé sa formation pour la journée, s’était rendu au mess (sans doute au carré des officiers) où il avait bu quelques bières. La quantité exacte n’a pas été établie, mais cette consommation d’alcool a eu lieu sur un navire de combat, dans un milieu strictement réglementé.

 

[5]               M. Bradley affirme avoir glissé alors qu’il était en train de se doucher après avoir accompli ses tâches quotidiennes et avant d’aller à terre. On l’a retrouvé le lendemain dans sa couchette, souffrant de douleurs aiguës. Dans le dossier médical figurait une note indiquant qu’une forte quantité d’alcool était présente dans son organisme. On a laissé entendre qu’il y avait peut-être un lien entre l’incident dans la douche et la consommation d’alcool à bord. Toutefois, la façon dont cela avait pu se produire dans le contexte d’un carré des officiers et d’un officier en formation n’a pas été établie.

 

[6]               Lorsque le Ministère a finalement évalué cette nouvelle demande, il est arrivé à la conclusion que la chute dans la douche n’était pas consécutive ou rattachée directement au service militaire du demandeur. Le Ministère n’a pas tranché la question de savoir si la chute était la cause des douleurs lombaires de nature mécanique.

 

[7]               Un comité d’examen a confirmé la décision du Ministère de refuser au demandeur le droit d’obtenir une pension.

 

[8]               Le demandeur a alors interjeté appel devant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (TACRA); cependant, le 5 août 2008, le TACRA a confirmé la décision négative. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

III.       LA DÉCISION DU TRIBUNAL D’APPEL

[9]               En dépit des nouveaux éléments de preuve présentés sous forme de deux avis médicaux établissant un lien entre la chute dans la douche et les douleurs lombaires de nature mécanique, le TACRA a infirmé l’existence d’un lien causal. Bien qu’ayant pris acte de la présomption législative en faveur du demandeur (y compris probablement l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la Loi)), le TACRA n’a tout simplement pas été convaincu d’un lien avec la blessure subie en 1990.

 

[10]           Aucune preuve réfutant le témoignage du demandeur ou la preuve médicale n’a été soumise.

 

[11]           Le TACRA a également conclu que l’incident dans la douche n’était pas relié au service militaire. À cet égard, le TACRA a tiré cinq conclusions précises :

1.         Le fait de se doucher était par nature une activité personnelle de la vie courante.

2.         Le lieu précis de l’incident, à bord d’un navire de guerre, était davantage assimilable à une résidence personnelle ou à un casernement et, dès lors, ne laissait [traduction] « croire à aucun degré de lien valable avec l’exercice des fonctions ».

3.         Le demandeur n’était soumis à aucun contrôle, parce que ses supérieurs ignoraient ce qu’il faisait au moment précis où il s’est blessé, qu’il ne faisait pas partie d’un groupe de plage et qu’il avait consommé une quantité d’alcool telle qu’il n’était pas en état d’être déployé.

4.         Le demandeur n’était pas « en service » au moment ou il s’est blessé.

5.         L’accident n’était pas lié d’une quelconque manière à l’exercice des fonctions, car la consommation d’alcool du demandeur dans le mess avait eu lieu pendant son temps libre.

 

IV.       ANALYSE JURIDIQUE

A.        La norme de contrôle

[12]           La question de la norme de contrôle n’a pas vraiment été soulevée par le demandeur. Le défendeur, à fort juste titre, avance que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la raisonnabilité, comme il a été indiqué dans l’arrêt Wannamaker c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 126, au paragraphe 12. Le défendeur invoque le principe de retenue judiciaire en se fondant sur la décision McTague c. Canada (Procureur général) (1re inst.), [2000] 1 CF 647, aux paragraphes 46 et 47.

 

[13]           La Cour est aussi d’avis que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité en ce qui a trait aux conclusions précises.

 

[14]           La Cour s’est prononcée à plusieurs reprises sur la question de savoir si le TACRA s’était acquitté de ses responsabilités conformément à la lettre et à l’esprit de la Loi (voir par exemple Schut c. Canada (Procureur général), [2000] ACF No 424, McTague, précité, Frye c. Canada (Procureur général), 2004 CF 986, Wannamaker, précité). La Loi présente des caractéristiques uniques qui définissent le cadre d’analyse des décisions du TACRA.

 

[15]           Les articles 3 et 39 de la Loi établissent l’intention globale du législateur de reconnaître que ceux qui servent le pays au sein des forces canadiennes méritent qu’on leur accorde une attention et des soins particuliers lorsqu’ils sont blessés ou tués.

L’article 3 donne ainsi le ton de la Loi.

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

            L’article 39 précise l’un des moyens de parvenir à l’objectif établi à l’article 3. Cette disposition va au-delà du principe de « donner la chance au coureur ».

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

[16]           Les précédentes dispositions fournissent un contexte pour l’application de la norme de contrôle. La loi vise à protéger et à respecter les membres des forces armées.

 

B.        Le caractère raisonnable de la décision

[17]           Les militaires n’ont pas droit à une pension du seul fait de s’être blessés alors qu’ils étaient membres des forces armées. Il doit y avoir un lien entre la blessure et le service militaire. La blessure doit en outre être « consécutive » au service militaire.

21. (2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

 

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

 

Loi sur les pensions, L.R., 1985, ch. P-6

21. (2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

 

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

 

Pension Act, R.S. 1985, c. P-6

 

[18]           La Cour suprême du Canada a statué que le terme « découle de » (équivalent de « consécutive à ») doit être interprété de manière large dans des circonstances semblables à celles de l’espèce.

21 La question est de savoir si le lien de causalité requis existe entre les coups de feu et la propriété, l’utilisation ou la conduite de la fourgonnette. En ce qui concerne la causalité, il est clair qu’on ne requiert pas l’existence d’un lien de causalité direct ou immédiat entre les blessures subies et la propriété, l’utilisation ou la conduite d’un véhicule. L’expression « découle de » est plus générale que l’expression « causé par » et doit recevoir une interprétation plus libérale. Le principe de causalité est formulé dans Kangas c. Aetna Casualty & Surety Co., 235 N.W.2d 42 (1975), où la Cour d’appel du Michigan s’est exprimée ainsi, à la p. 50 :

 

[traduction] [...] nous concluons que, s’il n’est pas nécessaire que l’automobile soit la cause immédiate de la blessure, il doit tout de même exister un lien de causalité entre la blessure subie et la propriété, l’entretien ou l’utilisation de l’automobile. Ce lien de causalité est plus qu’accidentel ou fortuit et il ne suffit pas de pouvoir dire que, sans lui, tel événement ne se serait pas produit. On doit, de façon prévisible, pouvoir associer la blessure à l’utilisation, la propriété et l’entretien normaux du véhicule.

 

La cour a reconnu que l’expression « découle de » a reçu une portée beaucoup plus large que l’expression « causé par » et qu’on lui a donné le sens de [traduction] « tirant sa source de », « puisant ses origines dans », « naissant de » ou « résultant de », ou en bref, « accessoire à » ou « ayant un lien avec » l’utilisation de l’automobile. L’altercation dans Kangas de laquelle les blessures ont découlé est survenue après que le passager de l’automobile assurée soit descendu du véhicule arrêté et ait agressé un piéton. Ces faits sont semblables à ceux qui sont survenus dans des affaires comme Johnstone c. Lee and Insurance Corp. of British Columbia, précité. Le critère de la causalité énoncé dans Kangas a été cité à maintes reprises dans des décisions américaines, et la jurisprudence montre une tendance générale à appliquer de façon assez stricte le principe de causalité (p. ex. Thornton c. Allstate Insurance Co., 391 N.W.2d 320 (Mich. 1986), Fortune Insurance Co. c. Exilus, 608 So.2d 139 (Fla. App. 1992), appel rejeté 613 So.2d 3 (Fla. App. 1992)). Bien que la Cour suprême de la Floride à la majorité ait adopté un critère de la causalité plus généreux dans Novak c. Government Employees Insurance Co., 424 So.2d 178 (Fla. App. 1983), conf. par 453 So.2d 1116 (Fla. 1984), le demandeur ayant subi le préjudice est tout de même tenu de prouver l’intention de son agresseur (c.-à-d. l’intention de voler ou de s’emparer du véhicule) avant que l’on puisse conclure au lien de causalité.

 

Amos c. Insurance Corp. of British Columbia, [1995] 3 R.C.S. 405

 

[19]           Le demandeur se retrouve à nouveau devant la Cour, dans la même situation que lors de la décision rendue par le juge MacKay dans l’affaire Bradley c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 793, parce que le Tribunal a adopté la même approche restrictive à l’égard du lien de causalité et a commis les mêmes erreurs de droit.

25   En l’espèce, le Tribunal a déclaré que le demandeur s’adonnait à une activité personnelle de la vie courante lorsque l’accident s’est produit et que, comme il s’agit d’une activité courante qui peut être exercée n’importe où, la blessure n’était pas consécutive à son service militaire et n’y était pas rattachée directement.. Ce n’est toutefois pas l’activité de prendre une douche considérée isolément et indépendamment du service militaire de M. Bradley qui importe. Cette activité pouvait avoir lieu n’importe où, mais en l’espèce le demandeur se trouvait en service commandé à bord d’un navire et il ne pouvait prendre une douche qu’à bord de ce navire, qui se trouvait alors loin de son port d’attache. Bien qu’il n’ait pas reçu l’ordre de prendre une douche, M. Bradley a pris une douche à bord du NCSM Qu’Appelle parce qu’il n’avait pas d’autre choix. Si l’on suppose pour l’instant que l’invalidité dont il affirme être victime est consécutive à cette activité, la question de savoir si elle est consécutive à son service militaire est la question que le Tribunal aurait dû trancher. Je constate que, dans la décision qu’il a rendue au sujet de la première demande de contrôle judiciaire, mon collègue le juge Blais a expressément conclu que le demandeur était en formation au moment de l’incident qui serait survenu à bord du « Qu’Appelle ».

 

26   À mon avis, le Tribunal a rendu une décision déraisonnable en isolant du contexte de son service militaire l’activité à laquelle le demandeur s’adonnait lorsqu’il a été blessé. Le TACRA a commis une erreur de droit, tout comme le juge Hugessen a conclu que le TACRA l’avait fait dans l’affaire R.E.C. c. Canada, précitée. [sic].

 

[20]           Pour évaluer la raisonnabilité de la décision du TACRA, la Cour doit tenir compte non seulement des éléments constitutifs de la décision, mais également de l’approche globale adoptée. Pour les motifs exposés ci-dessous, la Cour conclut qu’en l’espèce, le TACRA a adopté une approche incompatible avec l’article 3 de la Loi et a examiné la demande d’une manière bureaucratique, étroite et parcimonieuse. Cela est incompatible avec la Loi, de même qu’avec les décisions rendues par la Cour et la Cour d’appel en ce qui a trait à la manière dont il faut procéder à l’évaluation d’une demande de pension. Il ne suffit pas de souscrire verbalement à l’interprétation large et à l’application généreuse de la Loi souhaitées par le législateur, affirmées par la Cour et méritées par les membres des forces armées.

 

[21]           En se penchant sur la nature de l’activité en cause, le TACRA a mis l’accent sur l’acte banal de prendre une douche. Ce faisant, il a adopté une approche à l’égard de la vie à bord des navires qui supposerait, pour un décideur, d’avoir à « disséquer » ou à analyser les activités dans leurs moindres détails pour déterminer s’il s’agissait d’une fonction militaire. Ainsi, une blessure causée par quelque chose d’aussi simple qu’une brûlure de café serait analysée pour déterminer si elle s’est produite sur la passerelle ou dans le mess; si la personne blessée était alors en service, avait quartier libre ou se trouvait entre deux quarts de travail; si la blessure était due à un navire qui passait par là et, le cas échéant, de quel type de navire il s’agissait.

 

[22]           En l’espèce, prendre sa douche est une activité de tous les jours, mais également une question d’hygiène (essentielle dans les espaces clos d’un navire) et de discipline. Le parallèle établi avec la vie civile n’est pas entièrement satisfaisant.

 

[23]           L’analyse du TACRA concernant le lieu précis de l’incident assimile la vie sur une plate‑forme d’armes flottante (un navire) à la vie dans une habitation située sur une base. Le TACRA n’a pas tenu compte du caractère unique de la vie sur un navire, ni du confinement et de la promiscuité qu’elle suppose et de la nature des locaux à bord.

 

[24]           Dans son analyse du degré de contrôle exercé par les supérieurs, le TACRA incorpore l’exigence relative à l’exercice d’une « fonction militaire ». Ce critère recouvre pratiquement tous les autres facteurs et soulève le même problème de l’omission d’évaluer si la blessure est consécutive au service militaire (et non à une fonction militaire particulière).

 

[25]           Le TACRA semble avoir été fortement influencé par la question de la consommation d’alcool. Tout en reconnaissant ne pas savoir combien d’alcool avait consommé le demandeur entre le moment où il avait terminé son quart et celui où il avait pris sa douche, le TACRA semble avoir tiré des conclusions du rapport selon lequel 12 heures plus tard, on avait retrouvé le demandeur dans sa couchette, souffrant de douleurs et en état d’ébriété.

 

[26]           On a conclu, en se basant sur l’état du demandeur 12 heures plus tard, qu’il était incapable d’exercer des fonctions militaires alors qu’il était blessé. Il n’y a aucune analyse ni aucune preuve concernant la façon dont un jeune homme a pu, entre 16 h, heure de la fin de son quart de travail, et 18 h environ, consommer suffisamment d’alcool dans un contexte disciplinaire d’officiers en formation et d’un carré des officiers pour se retrouver dans un état d’ébriété si avancé qu’il aurait duré 12 heures.

 

[27]           Les conclusions du TACRA, qui occupent une place si centrale dans son analyse générale, relèvent de la pure conjecture, en plus d’être incompatibles avec l’article 39 de la Loi, en particulier les alinéas 39a) et c).

 

[28]           Le fait qu’un marin ait pu se procurer une quantité excessive d’alcool à bord d’un navire n’est peut-être pas une situation totalement inédite, mais une conclusion emportant des conséquences aussi graves doit se fonder sur davantage que des conjectures.

 

[29]           Le facteur relatif au fait d’être « de service » est une considération raisonnable. Cependant, il ne tient aucunement compte de ce que signifie « avoir quartier libre » sur un navire, surtout sur un navire de formation. On n’a pas tenu compte des restrictions et obligations liées à la vie à bord d’un navire, ni de celles qui incombent à un officier en formation censé être en quartier libre. On n’a pas considéré le fait que le demandeur était assujetti aux Ordres permanents des navires du Commandement maritime et à la discipline militaire, et qu’il ne pouvait aller et venir comme bon lui semblait.

 

[30]           En examinant la question de savoir si la cause de l’accident tirait ses origines du service, le TACRA reconnaît les principes de la Loi. Toutefois, il n’aborde pas la question de l’expression « consécutive au service », qui désigne une notion plus large que l’accomplissement du service. Cette analyse souffre des mêmes lacunes que celles décrites au paragraphe précédent.

 

[31]           De manière générale, le TACRA a surtout cherché à déterminer si le demandeur exerçait une fonction ou une tâche militaire particulière au moment précis de sa blessure, plutôt que de savoir si la blessure du demandeur était consécutive à son service militaire. Dans la décision Wannamaker, ci-dessus, qui a établi un précédent en matière de norme de contrôle, le demandeur avait glissé sur de la glace alors qu’il se rendait au travail sur la base de Downsview, et une pension lui avait été accordée. Compte tenu de l’objectif de la Loi, il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre cette affaire et le cas en l’espèce, où le demandeur a glissé alors qu’il avait terminé son service mais se trouvait encore sur un site militaire.

 

[32]           Par conséquent, la Cour conclut que la décision du TACRA sur cet aspect était déraisonnable.

 

[33]           Concernant la question de la preuve médicale attestant d’un lien causal, la décision rendue est également déraisonnable. Malgré l’absence d’une preuve contraire, la nouvelle preuve médicale a été rejetée d’emblée.

 

[34]           Bien que l’article 39 n’écarte pas le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur d’établir le bien-fondé de ses prétentions (voir Moar c. Canada (Procureur général), 2006 CF 610), on peut raisonnablement se demander si le TACRA a véritablement appliqué les avantages que comporte cette disposition.

 

[35]           Il y avait en l’espèce des éléments de preuve qui permettaient à un tribunal d’appel raisonnablement instruit d’accueillir la demande. Compte tenu de l’approche adoptée par le TACRA à l’égard de la question du service militaire, la Cour ne peut être certaine que le TACRA a appliqué la présomption favorable.

 

IV.       CONCLUSION

[36]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la décision du Tribunal d’appel, infirmée.

 

[37]           Cela dit, la Cour ne veut pas dire que la demande du demandeur devrait être accueillie, mais seulement qu’il a droit à une procédure équitable et conforme à la Loi, laquelle reconnaît le devoir de la société canadienne de protéger ceux qui nous protègent. Le bien-fondé de la demande présentée par le demandeur pourra être déterminé à l’issue d’une procédure adéquate.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et la décision du Tribunal d’appel, infirmée.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-617-09

 

INTITULÉ :                                       BRIAN C. BRADLEY

 

                                                            et

 

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brian C. Bradley

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kerry Boyd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

POUR SON PROPRE COMPTE

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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