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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110209

Dossier : IMM-627-10

Référence : 2011 CF 155

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

 

ZIHUAI FU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés (LIPR) visant la décision en date du 12 janvier 2010 de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) concluant que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. 

[2]               La demande soulève deux questions. Il faut, premièrement, déterminer si une erreur d’interprétation a entraîné une atteinte à l’équité procédurale et, deuxièmement, si la SPR a, dans son appréciation de la preuve, attribué à tort trop de poids ou d’importance aux contradictions du témoignage du demandeur. L’avocat de ce dernier prétend à cet égard que la SPR a erré en mettant l’accent sur des différences mineures dans la preuve testimoniale de M. Fu, contrevenant ainsi à la directive donnée par notre Cour dans Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 444.

 

[3]               Il est clair, en ce qui concerne le premier argument, que la CISR s’est reportée, dans ses motifs, à une erreur d’interprétation :

[9] Pendant son témoignage sur son initiation au christianisme, le demandeur d’asile a déclaré que Li lui a parlé de la Bible, de la façon dont Dieu a créé le monde et de l’Eden et qu’il lui a dit qu’une personne peut aller au ciel si elle croit en Dieu. À la question de savoir si Li lui avait parlé d’autre chose, le demandeur d’asile a répondu qu’il lui avait fait part de certaines questions relatives à la religion et qu’il avait essayé de l’aider à se sortir de sa dépression. Le demandeur d’asile n’a jamais dit qu’ils ont parlé de Jésus bien qu’il ait reconnu, lorsqu’on lui a posé la question, que Jésus joue un rôle primordial dans le christianisme. Lorsqu’il s’est fait demander une explication, le demandeur d’asile a maintenu qu’il avait parlé de Jésus; ce n’est pas le cas.

 

[4]               Les demandeurs entendus par la CISR ont droit à une interprétation satisfaisant à la norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l’impartialité et de la concomitance : Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 309, confirmé par 2001 CAF 191. Cette norme n’exige pas la perfection car, ainsi que l’a signalé le juge en chef Lamer dans R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, à la page 987, l’interprétation est « fondamentalement une activité humaine qui s’exerce rarement dans des circonstances idéales ».

 

[5]               L’avocat du défendeur a dûment concédé qu’il y avait eu une erreur d’interprétation, mais il soutient que le demandeur a perdu le droit de l’invoquer ou y a renoncé en raison du retard mis à s’en prévaloir. Il fait valoir, subsidiairement, que compte tenu de l’ensemble de la décision, l’erreur ne rend pas celle‑ci déraisonnable. 

 

[6]               Il est incontestablement possible de renoncer au droit d’invoquer des erreurs d’interprétation : Mohammadian, 2001 CAF 191, au paragraphe 18 :

Comme le juge Pelletier l’a fait remarquer, si l’argument invoqué par l’appelant est exact, l’intéressé qui a des problèmes en ce qui concerne la qualité de l’interprétation fournie à l’audience ne pourrait rien faire pendant toute la durée de l’audience, mais il pourrait néanmoins contester avec succès la décision à une date ultérieure. De fait, lorsque l’intéressé décide de ne rien faire même si la qualité de l’interprétation le préoccupe, la section du statut n’est pas en mesure de savoir que l’interprétation comporte des lacunes à certains égards. L’intéressé est toujours celui qui est le mieux placé pour savoir si l’interprétation est exacte et pour faire savoir à la section du statut, au cours de l’audience, que la question de l’exactitude le préoccupe, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l’empêchent de le faire.

 

 

[7]               Le problème d’interprétation a été soulevé lorsque le demandeur a déposé à l’appui de sa demande d’autorisation un affidavit souscrit le 4 mars 2010. J’estime que la nature et la portée de l’erreur d’interprétation ne sont devenues manifestes que lors du prononcé des motifs de la CISR et qu’il n’y a pas eu renonciation.

 

[8]               Il reste à présent à apprécier l’effet juridique de cette erreur et à déterminer si elle a entraîné une atteinte à l’équité procédurale, compte tenu de la décision dans son ensemble. La CISR a formulé neuf inférences négatives ou conclusions défavorables dans ses motifs, découlant de contradictions ou d’invraisemblances dans le témoignage de M. Fu. Certaines sont bénignes, mais d’autres sont substantielles, telles les divergences existant entre le témoignage du demandeur devant la CISR et la description figurant dans son formulaire de renseignements personnels au sujet de sa conversion au christianisme, l’absence d’élément de preuve corroborant la fréquentation de la première église qu’il dit avoir fréquentée à son arrivée au Canada et l’erreur de désignation de l’église qu’il dit fréquenter fidèlement.

 

[9]               Il appert clairement que l’omission des mots « Jesus Christ » par l’interprète, dans ce contexte, n’a pas été déterminante pour l’issue de la cause, ainsi que le démontre la conclusion de la SPR. La CISR a estimé que le demandeur connaissait les rudiments du christianisme, dont on peut présumer qu’ils englobent la compréhension du rôle de Jésus dans le christianisme :

[19] Je constate que le demandeur d’asile possède des connaissances de base du christianisme. Il a pu répondre correctement à la majorité des questions. Toutefois, à la lumière des constatations et des conclusions défavorables relevées précédemment et de mes conclusions portant que le demandeur d’asile n’était pas un chrétien à son arrivée au Canada et que le BSP ne le poursuivait pas, je conclus selon la prépondérance des probabilités que le demandeur d’asile est venu expressément au Canada pour demander l’asile. Je conclus donc selon la prépondérance des probabilités que le demandeur d’asile n’est pas un véritable chrétien au Canada et que les connaissances qu’il a amassées au Canada au cours des deux dernières années auraient pu être acquises pour demander l’asile. Le simple fait de posséder des connaissances de base sur le christianisme et d’adhérer à une église ne constitue pas une preuve suffisante sur laquelle fonder une conclusion portant qu’une personne est un véritable chrétien pratiquant et qu’elle pourrait être persécutée si elle devait retourner en Chine. Si tel était le cas, n’importe qui pourrait venir au Canada, devenir membre d’une église et apprendre les notions de base à temps pour l’audience sur la demande d’asile. L’ensemble de la preuve doit être prise en compte pour rendre une décision à cet égard.

 

[10]           L’existence d’une erreur d’interprétation, qui a ensuite servi de fondement erroné à l’une des conclusions négatives en matière de crédibilité ne signifie pas qu’il faille annuler la décision. Il est manifeste que la CISR a rejeté la demande de M. Fu parce qu’elle a jugé ce dernier non crédible à l’issue de son témoignage et non simplement parce que la SPR pensait qu’il n’avait pas parlé de Jésus Christ. En somme, il n’y a pas eu d’atteinte au droit à l’équité procédurale puisque l’atteinte ne pouvait influer sur la décision contestée, compte tenu – encore une fois – de l’ensemble de celle‑ci : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Patel, 2002 CAF 55; Mobile Oil Canada Ltd. c. Office Canada─Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, p. 228. En dépit de l’erreur d’interprétation, et de l’inférence qui en a découlé, les conclusions de la CISR relatives à la crédibilité de M. Fu sont raisonnables. Qui plus est, je suis d’avis que la SPR n’a pas attribué trop de poids ou d’importance aux contradictions dans le témoignage du demandeur. Les éléments du témoignage que la CISR jugeait problématiques étaient importants et significatifs. Les conclusions en matière de crédibilité ne reposent pas sur des contradictions mineures analogues à celles qui étaient en cause dans Attakora, elles se rapportent au contraire à l’essence de la demande de M. Fu. En conséquence, la décision portant que ce dernier n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

 

[11]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

[12]           Aucune question n’a été soumise pour certification et, de l’avis de la Cour, il n’y a pas lieu d’en certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été soumise pour certification et  il n’y a pas lieu d’en certifier

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-627-10

 

INTITULÉ :                                       ZIHUAI FU c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Milan Tomasevic

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Maria Borgos

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Milan Tomasevic,
Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,
Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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