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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110315

Dossier : IMM-3057-10

Référence : 2011 CF 229

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

QIN YUAN WANG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Qin Yuan Wang (le demandeur) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision par laquelle un commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. L’autorisation relative au présent dossier a été accordée le 5 novembre 2010 par le juge Campbell.

I.          Les faits

[2]               Né le 28 août 1983, le demandeur est un citoyen chinois originaire de la ville de Changle, dans la province de Fujian.

 

[3]               En juillet 2007, après une période de dépression causée par le suicide de sa petite amie, le demandeur a été encouragé par un collègue de travail à se joindre à une église chrétienne clandestine. L’église compte environ huit membres, qui se rencontraient chez l’un ou l’autre d’entre eux. Le demandeur participait régulièrement à ces rencontres.

 

[4]               Le demandeur allègue que le 18 novembre 2007, le Bureau de la sécurité publique (BSP) a fait une descente au domicile où les membres de l’église étaient réunis. Les membres se sont dispersés. Le demandeur aurait réussi à s’enfuir et à se réfugier chez son oncle, qui habite à une vingtaine de minutes de la maison des parents du demandeur (où ce dernier vivait habituellement). Le demandeur affirme que des représentants du BSP qui étaient à sa recherche se sont présentés au domicile de ses parents le surlendemain, puis à une dizaine de reprises par la suite.

 

[5]               Avec l’aide de son oncle, le demandeur a obtenu les services d’un passeur qui l’a aidé à se rendre au Canada avec un faux passeport. Le demandeur est arrivé au Canada le 12 janvier 2008 et il a demandé l’asile le 23 janvier 2008.

 

[6]               Le frère du demandeur vivait déjà illégalement au Canada. En janvier 2010, le frère du demandeur a parrainé ses parents pour qu’ils puissent venir au Canada. Les parents ont pu entrer au Canada avec leurs propres visas et titres de voyage.

 

[7]               L’audience du demandeur a eu lieu le 8 avril 2010. Au cours de son témoignage, le demandeur a mentionné que plusieurs autres membres de son église avaient été arrêtés et condamnés à trois ans d’emprisonnement. Ce renseignement ne se trouvait pas dans son formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[8]               La décision a été rendue le 7 mai 2010 et le demandeur l’a reçue le 15 mai 2010.

 

II.        La décision à l’examen

 

[9]               La Commission a conclu que la question cruciale en litige dans la demande était celle de la crédibilité :

(1)        La Commission a conclu que le demandeur n’était pas présentement recherché par le BSP en raison de son appartenance à une église chrétienne clandestine en Chine :

a)         La Commission a jugé invraisemblable que des membres du BSP se présentent chez ses parents à dix reprises pour le rechercher sans l’avoir cherché ailleurs;

b)         La Commission a jugé invraisemblable que, malgré le fait que le demandeur était caché à un lieu situé à peine à 20 minutes de chez ses parents, il n’avait pas peur d’être découvert;

c)         Le demandeur a fourni à la Commission une adresse différente de celle qu’il avait communiquée au point d’entrée et dans son FRP au sujet de l’endroit où il se cachait du BSP;

d)         La Commission a jugé invraisemblable que le demandeur n’ait communiqué aucun renseignement dans son FRP au sujet de l’arrestation des autres adeptes et de leur condamnation à trois ans d’emprisonnement. Le demandeur a répondu qu’il ne savait pas qu’il avait besoin de communiquer tous ces détails. La Commission a rappelé au demandeur les instructions relatives au FRP, de même que la déclaration que le demandeur avait faite par écrit dans son FRP et l’affirmation sous serment qu’il avait faite à l’ouverture de l’audience suivant laquelle son FRP était complet, véridique et exact. La Commission lui a également rappelé qu’un interprète lui avait confirmé la teneur de son FRP et qu’il avait un avocat compétent;

e)         La Commission a demandé au demandeur si une peine de trois ans d’emprisonnement constituait une peine lourde. Le demandeur a répondu qu'il ne le savait pas. D’autres explications ont révélé que le demandeur était au courant des arrestations avant de déposer son FRP, mais qu’il n’y avait pas pensé. La Commission a conclu que les renseignements relatifs à la peine d’emprisonnement étaient cruciaux pour établir la crainte subjective et objective du demandeur et que le défaut d’inclure ces renseignements dans le FRP réduisait l’importance de ces faits.

(2)        La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible parce que son témoignage allait en l’encontre de la preuve documentaire au sujet des méthodes employées par le BSP :

a)         La Commission a jugé peu crédible que, non seulement les membres du BSP n’auraient pas laissé de mandat ou produit d’assignation ou de mandat aux membres de la famille du demandeur, démontrant ainsi qu’ils s’intéressaient à lui, mais aussi qu’ils n’auraient pas menacé des membres de la famille du demandeur ou ne leur auraient pas retiré l’accès à des services comme les services médicaux pour leur soutirer des renseignements pour savoir où se trouvait le demandeur;

b)         La Commission a jugé peu crédible que, malgré le fait que le BSP s’intéressait au demandeur et qu’il avait un système de sécurité lié à un ordinateur contenant des renseignements sur les personnes auxquelles il s’intéressait (comme par exemple leur adresse – qui aurait été, dans le cas du demandeur, la même que celle de ses parents), les parents des demandeurs avaient été en mesure de quitter la Chine sans retards ou problèmes lorsqu’ils ont immigré au Canada en 2010.

(3)        La Commission a conclu que si le demandeur retournait chez lui dans la province de Fujian en Chine, il n’y avait pas de possibilité sérieuse qu’il soit persécuté dans cette province en raison de sa pratique religieuse :

a)           La Commission a relevé que, suivant la preuve documentaire, la province de Fujian avait une des politiques les plus libérales en Chine en ce qui concerne la religion, surtout face au christianisme;

b)          La Commission a fait observer qu’il n’y avait aucune arrestation documentée de chrétiens dans la province de Fujian;

c)           La Commission a pris acte de la lettre de la China Aid Association suivant laquelle ce ne sont pas tous les cas de persécution qui sont documentés. La Commission a toutefois relevé que la province de Fujian n’était mentionnée dans aucun document;

d)          La Commission a conclu que, dans la province de Fujian, des groupes non enregistrés s’adonnaient à des activités publiques et qu’ils publiaient notamment des documents, louaient des locaux pour la tenue d’événements, dirigeaient des cliniques, des orphelinats, des foyers pour personnes âgées, etc. Dans certaines régions, la surveillance gouvernementale n’était pas plus étroite dans le cas des églises non enregistrées que dans celui des églises enregistrées;

e)           La Commission a conclu que, sur les 40 à 70 millions de chrétiens protestants en Chine, dont le demandeur était censé faire partie, seulement 10 millions fréquentaient une église enregistrée;

f)           La Commission a conclu que seuls les rassemblements de croyants de plus de 40 personnes devaient selon la loi être enregistrés. Le présumé groupe du demandeur ne comptait que huit membres.

 

[10]           La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait inventé un scénario suivant lequel il était poursuivi par le BSP, et ce dans le but d’étayer sa demande. La Commission a fait observer que le demandeur n’avait fourni aucun élément de preuve tendant à démontrer qu’une descente avait eu lieu à son église comme il le prétendait. La Commission a également conclu que le demandeur avait fourni peu d’éléments de preuve au sujet de sa crainte subjective. Enfin, la Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur serait en mesure de pratiquer sa religion dans n’importe quelle église du Fujian, sans qu’il existe de possibilité sérieuse qu’il soit persécuté pour cette raison.

 

III.       Dispositions législatives pertinentes

 

[11]           Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement,   par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada  whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

 

[12]           La présente demande soulève trois questions :

 

A.     Était-il déraisonnable de la part de la Commission de conclure que la version du demandeur était fabriquée de toutes pièces et manquait de crédibilité?

B.     La Commission a-t-elle appliqué le mauvais critère juridique pour déterminer si le demandeur serait exposé à la persécution s’il pratiquait sa religion dans la province de Fujian?

C.     La Commission a-t-elle commis une erreur en appréciant la preuve documentaire portant sur la persécution religieuse dans la province de Fujian ou a-t-elle appliqué un concept restreint de la persécution religieuse?

 

[13]           La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité est celle de la décision raisonnable, selon les jugements Nijjer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1259, au paragraphe 12, et Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, au paragraphe 15. La conclusion de la Commission doit par conséquent appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Cette norme s’applique également à l’appréciation de la preuve à laquelle la Commission a procédé (Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 9, au paragraphe 34; Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 527).

 

[14]           La question de savoir si le bon critère juridique a été appliqué en ce qui concerne la persécution est une question de droit qui doit donc être contrôlée selon la norme de la décision correcte (Ebonka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 80, au paragraphe 16).

 

V.        Analyse

A.        Première question : les conclusions tirées au sujet de la crédibilité

[15]           Le demandeur affirme que la Commission aurait raisonnablement pu arriver à une conclusion différente si elle ne s’était pas trompée en ce qui concerne les conclusions qu’elle a tirées au sujet de la crédibilité. 

 

[16]           Au sujet de la question de savoir s’il était poursuivi par le BSP, le demandeur affirme que la conclusion de la Commission suivant laquelle le BSP ne se serait pas contenté de le rechercher chez lui ne repose que sur des spéculations sur la façon de penser des autorités et sur leur efficacité, contrairement à l’arrêt Chen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 996 (CAF), au paragraphe 4.

 

[17]           Au sujet de l’assignation, le demandeur affirme que la Commission a mal interprété la preuve et qu’elle n’avait aucun motif raisonnable de conclure qu’une assignation aurait été laissée chez les parents du demandeur. Le demandeur soutient que la preuve documentaire n’appuie pas la conclusion de la Commission, étant donné qu’il est bien précisé dans le document cité dans la décision que le BSP n’a pas coutume de laisser d’assignations aux membres de la famille de la personne concernée bien que cela se produise souvent lorsqu’on a affaire à un agent paresseux ou qui ignore la procédure à suivre. Le demandeur cite le jugement Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 775, au paragraphe 22, où la Cour donne les mêmes explications au sujet d’une sommation confiée aux membres de la famille. Dans cette affaire, l’assignation était le seul point sur lequel la Cour avait conclu que la Commission n’avait pas agi de façon raisonnable, ce qui ne suffisait pas pour remettre sa décision en cause. La Cour a toutefois qualifié de « valable » l’argument que « rien dans la preuve documentaire n’indique qu’une assignation aurait nécessairement été délivrée ou montrée à sa famille ».

 

[18]           Au sujet de la capacité des parents du demandeur de quitter le pays sans être inquiétés par le BSP, le demandeur affirme que la conclusion de la Commission suivant laquelle le BSP aurait établi un lien entre ses parents et lui-même grâce à une base de données reposait sur des spéculations et n’est appuyée sur aucun élément de preuve documentaire.

 

[19]           En ce qui concerne les réponses confuses qu’il aurait données au sujet de l’adresse du lieu où il se cachait, le demandeur affirme qu’il n’a en fait rien omis, mais que l’adresse était indiquée dans le FRP avec plus de détails que ce qu’il avait expliqué à l’audience. Il affirme qu’il a donné le même numéro municipal, le même numéro d’appartement et la même ville.

 

[20]           Le demandeur affirme enfin que le raisonnement de la Commission comporte des contradictions internes en ce qui concerne le fait que les chrétiens ne seraient pas persécutés dans la province de Fujian. Le demandeur soutient qu’il est illogique de la part de la Commission de conclure qu’il n’y a pas d’arrestation de chrétiens au Fujian, pour ensuite tirer une conclusion négative au sujet de la crédibilité parce qu’il semble que la police n’a pas déployé beaucoup d’efforts pour retrouver le demandeur.

 

[21]           S’agissant de crédibilité, le défendeur affirme seulement que le demandeur se contente d’exprimer son désaccord avec les conclusions de la Commission, mais qu’il n’a relevé aucune erreur qui justifierait l’infirmation de la décision de la Commission, ce qui est donc insuffisant pour faire droit à sa demande de contrôle judiciaire (Karanja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574, au paragraphe 8).

 

[22]           Après avoir examiné la transcription, la Cour arrive à la conclusion que le demandeur a bel et bien fourni une adresse différente et que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son appréciation des faits en question. Il ressort des débats qui ont eu lieu à l’audience (transcription, à la page 440) que, bien que l’adresse civique et le numéro d’appartement soient effectivement les mêmes, le nom du canton indiqué dans le FRP est tout à fait différent de celui que le demandeur a mentionné à l’audience, et le demandeur n’a absolument pas été en mesure d’expliquer cette incohérence. Il était donc raisonnable de la part de la Commission d’estimer que la crédibilité du demandeur s’en trouvait d’autant ébranlée.

 

[23]           Il est vrai que, bien que la Commission ait cité des éléments de preuve documentaires tendant à démontrer que le BSP dispose d’une base de données informatisée dans laquelle figure le nom de personnes auxquelles il s’intéresse, aucun fait précis n’a été cité pour appuyer l’idée qu’on pouvait s’attendre à ce que cette base de données permette d’établir un lien entre le demandeur et les autres membres du ménage. Toutefois, pour ce qui est du fait que le BSP n’aurait pas cherché le demandeur ailleurs que chez lui, je ne suis pas convaincu qu’on puisse infirmer les conclusions de la Commission au motif qu’elles constituent des « spéculations ». Dans l’affaire Chen, précitée, le demandeur avait raconté qu’il avait été incarcéré, mais qu’on l’avait relâché pour trois jours pour lui permettre de se rendre au chevet de sa mère agonisante s’il signait des aveux. La Commission avait conclu dans cette affaire que cette version des faits était invraisemblable, estimant qu’il était peu probable que la police le relâche. Alors qu’il s’agissait de toute évidence dans cette affaire de spéculations sur la façon de penser des policiers, la Commission a, en l’espèce, tiré une conclusion sur la procédure habituellement suivie par la police, en l’occurrence l’usage consistant à frapper à la porte d’autres membres de la famille habitant dans le voisinage immédiat au lieu de revenir une dizaine de fois à la même adresse. Je ne puis considérer comme déraisonnable la conclusion de la Commission suivant laquelle, si le BSP déployait autant d’efforts pour retrouver le demandeur, il aurait tenté de le retrouver chez son oncle, qui habitait tout près. Dans le même ordre d’idées, la Cour estime que la conclusion tirée au sujet de la base de données informatisée était logique, et se fondait sur la procédure suivie par le BSP et qu’elle ne reposait pas sur des spéculations sur la façon de penser des autorités.

 

[24]           Bien que la décision Jiang précitée semble à première vue appuyer la thèse du demandeur au sujet de la question de l’assignation, je ne crois pas que cette conclusion ait joué un rôle déterminant en l’espèce en ce qui concerne la conclusion tirée par la Commission sur la crédibilité du demandeur. Il ne s’agissait que d’un élément parmi d’autres et même s’il était erroné, il ne m’amène pas à conclure que la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité était déraisonnable dans les circonstances.

 

B.        Critère juridique de la persécution

[25]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur de droit en énonçant le critère applicable à la persécution en se demandant si le demandeur serait exposé à un risque élevé de persécution s’il devait pratiquer sa foi dans la province de Fujian. Le demandeur affirme que le bon critère juridique est celui de savoir s’il existe « plus qu’une simple possibilité de persécution », un critère beaucoup moins exigeant. 

 

[26]           Le défendeur est d’accord avec l’opinion que le demandeur a du bon critère juridique, mais affirme que la lecture de l’ensemble de la décision démontre que la Commission était bien au courant du critère applicable. Le défendeur affirme que, bien que l’expression « risque élevé de persécution » ait été employée une fois, l’expression « prépondérance des probabilités » a été utilisée à sept reprises.

 

[27]           La Commission n’utilise jamais explicitement l’expression « simple possibilité de persécution ». Bien qu’elle ait effectivement examiné l’ensemble de la preuve selon le critère de la prépondérance des probabilités, l’expression qu’elle emploie dans tous les cas (exception faite de l’emploi isolé de l’expression « risque élevé ») est « possibilité sérieuse de persécution ». Je crois que la Commission a en fait conclu qu’il y avait très peu de possibilités que le demandeur soit persécuté en raison de sa pratique religieuse dans la province de Fujian, compte tenu de sa conclusion que des groupes religieux non enregistrés dirigeaient des cliniques et des orphelinats, et qu’ils publiaient des ouvrages et diffusaient de l’information sur Internet, le tout sans problème, ce qui témoigne du fait qu’ils étaient en mesure de pratiquer librement leur religion. La Commission n’a cependant pas employé la bonne expression pour décrire le critère juridique applicable. Bien qu’il soit évident que la Commission a employé le bon critère, force est de constater qu’elle ne l’a pas formulé correctement et qu’elle ne s’est pas conformée à l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, au paragraphe 120 :

Dans l'arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680, la Cour d'appel fédérale a statué que, dans le contexte spécifique de la détermination du statut de réfugié, le demandeur n'est pas tenu d'établir, pour satisfaire à l'élément objectif du critère, qu'il est plus probable qu'il sera persécuté que le contraire. Il doit cependant établir qu'il existe plus qu'une « simple possibilité » qu'il soit persécuté.

 

J’estime que cette erreur, qui relève davantage d’une mauvaise formulation que d’une application erronée du critère minimal, ne constitue pas une erreur fatale dans ces conditions.

 

C.        Appréciation de la preuve documentaire

[28]           Le demandeur soutient tout d’abord que la Commission n’a jamais tiré de conclusion sur la question de savoir s’il est effectivement un chrétien. Le demandeur fait valoir dans ses arguments écrits que la Commission devait tirer cette conclusion avant de pouvoir déterminer s’il était libre de pratiquer sa religion, selon les jugements Chong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 999, au paragraphe 4, et Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 480, au paragraphe 19. Le demandeur affirme que, même si la Commission écarte sa version des faits, elle doit quand même formuler une conclusion sur son identité chrétienne et décider s’il est exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté s’il retourne en Chine et tente d’y pratiquer sa religion. Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission suivant laquelle, à son retour, il [traduction] « serait en mesure de pratiquer sa religion dans n’importe quelle église » montre que la Commission ne s’est pas penchée sur l’identité religieuse du demandeur et sur les risques auxquels il serait exposé.

 

[29]           À l’audience, l’avocat du demandeur a accepté que la Commission avait constaté que son client était un chrétien, mais il a soutenu que la Commission n’avait pas tenu compte du fait que le demandeur faisait partie d’une église évangélique. Il est donc de son devoir de faire connaître l’Évangile et d’évangéliser. Son risque de persécution est de ce fait plus élevé et la Commission n’a pas tenu compte de ce fait et ne l’a pas apprécié. La décision de la Commission est par conséquent erronée. Le demandeur affirme également que la Commission a commis une erreur en ignorant les parties de la preuve documentaire qui n’appuyaient pas les conclusions de la Commission au sujet de la situation dans la province de Fujian.

 

[30]           Le demandeur invoque ensuite un argument à deux volets au sujet de la nature des églises en Chine. Il soutient qu’il ressort de la jurisprudence qu’il est déraisonnable de la part de la Commission de conclure qu’un demandeur ne serait exposé à aucune persécution s’il devait pratiquer sa religion dans une église agréée par l’État, citant les décisions suivantes à l’appui de cette proposition : Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1210, aux paragraphes 21 à 27; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 258, au paragraphe 23; Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1321, aux paragraphes 71 et 72; Zhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1066.

 

[31]           Le demandeur affirme aussi qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de conclure, d’après la preuve documentaire, qu’il serait en mesure de pratiquer librement sa religion au sein d’une église clandestine dans la province de Fujian. Suivant le demandeur, la Commission s’est concentrée uniquement sur le fait qu’aucun chrétien n’avait été arrêté dans la province de Fujian, et elle n’a pas abordé les autres formes de persécution. Le demandeur souligne en particulier la lettre de Bob Fu, fondateur de la China Aid Association, dans laquelle M. Fu explique que les chrétiens sont persécutés dans toutes les provinces, y compris la province de Fujian, et que ce ne sont pas tous les incidents qui sont signalés. Le demandeur soutient que la Commission n’a tenu aucun compte de cette lettre et ce, malgré le fait qu’elle contredisait les conclusions de la Commission elle-même, ajoutant qu’il s’agit là d’une erreur qui justifie l’infirmation de la décision de la Commission ainsi que l’enseigne le jugement Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35. Le demandeur affirme aussi que la conclusion que le demandeur pouvait pratiquer sa religion clandestinement n’équivaut pas à une conclusion de liberté religieuse (paragraphe 25 du jugement Chen, précité). Le demandeur fait observer que la persécution religieuse peut revêtir de nombreuses formes, telles que l'interdiction de célébrer le culte en public ou de recevoir une instruction religieuse (Fosu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994) 90 FTR 182).

 

[32]           Pour démontrer que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne répondant pas à la question de savoir si le demandeur était effectivement chrétien, le défendeur établit une distinction d'avec toutes les affaires citées par le demandeur. Le défendeur fait valoir que l’affaire Chong, précitée, se distingue de la présente espèce parce que, dans cette affaire, on ne savait pas avec certitude si la Commission avait conclu que le récit du demandeur était entièrement faux ou si la Commission n’avait tout simplement pas abordé la question de savoir si le demandeur était un chrétien, alors qu’en l’espèce, il est évident que la Commission a conclu que le récit était entièrement faux, puisqu’elle a déclaré que le demandeur avait « inventé une situation frauduleuse selon laquelle le BSP était à sa recherche ». Le défendeur établit une distinction entre la présente espèce et l’affaire Chen, précitée, au motif que dans cette dernière, la question de savoir si le demandeur était un membre du Falun Gong était cruciale pour déterminer s’il était ou non un réfugié au sens de la Convention, mais que la Commission n’avait pas abordé cette question.

 

[33]           Le défendeur n’est pas d’accord avec le demandeur pour affirmer que la lettre de Bob Fu [traduction] « indique de façon non équivoque que les chrétiens sont effectivement persécutés dans la province du demandeur » et il fait valoir que notre Cour a jugé qu’il était insuffisant de se contenter d’évoquer de façon générale la situation qui existe dans le pays en cause sans la relier à la situation personnelle de l’intéressé. Le défendeur cite à ce propos les jugements Dreta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1239, et Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808.

 

[34]           En ce qui concerne la qualification de la persécution religieuse, le défendeur soutient que le demandeur se fonde sur des décisions où la Cour a conclu que, si la Commission estime que le demandeur d’asile peut pratiquer sa religion sans danger de façon clandestine, on ne peut pas dire qu’il est à l’abri de la persécution; le défendeur souligne que la Commission n’a pas fait de déclaration en ce sens dans sa décision. Le défendeur soutient qu’en l’espèce la Commission ne s’est pas limitée, contrairement à ce que prétend le demandeur, à analyser les risques d’arrestation, mais qu’elle a tenu compte des dimensions publiques de la pratique religieuse et qu’elle a conclu qu’en raison de sa petite taille, l’église à laquelle le demandeur appartenait ne ferait pas l’objet d’une surveillance ou d’une réglementation et que le demandeur n’aurait pas en fait à se cacher pour pratiquer sa religion. Le défendeur cite également le paragraphe 17 de la décision où la Commission mentionne les documents qu’elle a examinés et conclut que les groupes chrétiens sont autorisés à tenir des activités publiques, à organiser des colloques et à publier des textes dans la province de Fujian.

 

[35]           La Cour conclut que l’analyse que la Commission a faite de la situation du demandeur comme chrétien n’est entachée d’aucune erreur. Les faits des affaires Chong et Chen précitées étaient différents de ceux de la présente espèce. Dans ces deux affaires, en plus de ne pas répondre à la question de savoir si les demandeurs étaient effectivement membres de la religion qu’ils pratiquaient, la Commission a également omis de rechercher s’ils risquaient d’être persécutés en Chine. En l’espèce, bien qu’on ne trouve aucune conclusion par laquelle elle aurait identifié explicitement la religion du demandeur, la Commission ne semble pas, si l’on se fie à l’ensemble de ses motifs, avoir refusé de croire que le demandeur était un chrétien. De plus, la Commission analyse attentivement la question de savoir si les églises comme celle à laquelle demandeur aurait appartenu risquent d’être persécutées dans la province de Fujian. La Commission a procédé à cette analyse indépendamment de son examen de la question de savoir si les faits allégués par le demandeur s’étaient effectivement produits. Une lecture attentive de la décision ne permet pas de penser que la Commission n’a pas cru que le demandeur était un chrétien pratiquant, ce que l’avocat du demandeur a reconnu à l’audience. La Commission a pleinement examiné les risques de persécution future fondée sur ces motifs.

 

[36]           Contrairement à ce que le demandeur prétend, je conclus que la Commission a bel et bien tenu compte de la lettre de Bob Fu. Au paragraphe 17 de ses motifs, la Commission parle du rapport et des lettres de la China Aid Association, tout en expliquant qu’elle ne trouve aucune mention d’exemples concrets d’arrestations ou de persécutions dans d’autres rapports. Il était loisible à la Commission d’apprécier ainsi la preuve qui lui était soumise.

 

[37]           J’estime par ailleurs qu’il ressort à l’évidence de ses motifs que la Commission a conclu que, même au sein de son église clandestine, qui ne comptait que huit membres, le demandeur serait libre de pratiquer sa religion dans la province de Fujian. La Commission n’a constaté l’existence d’aucun élément de preuve permettant de conclure que la liberté de religion du demandeur était sérieusement restreinte, même sur la scène publique. Je conclus donc que la Commission a effectivement tenu compte de l’ensemble de la preuve documentaire.

 

[38]           Par conséquent, pour tous les motifs qui ont été exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[39]           Je conclus qu’il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3057-10

 

INTITULÉ :                                       QIN YUAN WANG

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 3 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      le 15 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Khatidja Moloo

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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