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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20110314

Dossier : T-725-08

Référence : 2011 CF 305

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2011

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

 

ASSOCIATION DES CREVETTIERS ACADIENS DU GOLFE INC., corporation dûment constituée en vertu des lois du Nouveau‑Brunswick, MICHEL LÉGÈRE en son nom personnel et ès qualité de représentant de l’Association des crevettiers acadiens du Golfe inc., ASSOCIATION DES PÊCHEURS DE CREVETTE DE MATANE INC., une corporation dûment constituée en vertu des lois du Québec, PIERRE CANTIN en son nom personnel et ès qualité de représentant de l’Association des Pêcheurs de crevette de Matane inc., et ONEIL BOND

 

 

 

demandeurs

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7, à l’encontre de l’adoption et de la mise en œuvre de certains aspects du plan de pêche de la crevette du golfe du Saint‑Laurent (le plan de pêche) adopté par le ministre des Pêches et des Océans (le ministre) pour l’année 2008. Le plan de pêche a été annoncé par le ministre le 4 avril 2008 et il a été suivi d’une modification annoncée le 25 avril 2008.

 

[2]               Les demandeurs sont des associations de pêcheurs de crevettes et leurs représentants. Les volets du plan de pêche qui sont visés par la demande de contrôle judiciaire concernent l’octroi de contingents temporaires pour la pêche à la crevette et la délivrance de permis de pêche à des pêcheurs autres que des pêcheurs de crevette traditionnels. Plus précisément, les demandeurs contestent l’octroi d’un contingent de crevettes au groupe « noyau » de l’Île‑du‑Prince‑Édouard et de la Nouvelle‑Écosse (pêcheurs de poisson de fond et de homard) et d’un autre contingent à des pêcheurs de poisson de fond du Nouveau‑Brunswick et du Québec.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

I. Les questions en litige

 

[4]               Les arguments avancés par les parties soulèvent les questions en litige suivantes :

 

1.         Le débat est‑il théorique et, le cas échéant, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher le litige ?

 

2.         La présente demande de contrôle judiciaire peut‑elle viser à la fois l’adoption du plan de pêche et sa mise en œuvre, notamment les permis de pêche délivrés en application du plan de pêche?

 

3.         Le ministre a‑t‑il outrepassé ses pouvoirs en délivrant des permis de pêche qui ne sont pas conformes au cadre législatif et réglementaire et qui ne sont pas destinés à la pêche?

 

4.         Le ministre a‑t‑il illégalement sous‑délégué son pouvoir de délivrer des permis de pêche en permettant que des regroupements de pêcheurs déterminent les modalités de répartition du contingent qui leur est attribué et les personnes qui deviendront titulaires des permis de pêche?

 

5.         Le ministre a‑t‑il omis de motiver sa décision de modifier le plan de pêche et, ce faisant, a‑t‑il rendu une décision arbitraire ?

 

6.         Le ministre a‑t‑il illégalement octroyé des contingents de pêche aux pêcheurs de poisson de fond pour financer le programme de rationalisation de la pêche au poisson de fond ?

 

II. Le contexte

 

[5]               Il est utile d’exposer sommairement l’histoire de la pêche à la crevette dans le golfe du Saint‑Laurent et le contexte dans lequel le plan de pêche de 2008 a été adopté pour comprendre la nature des arguments avancés par les parties.

 

[6]               Le ministre a la responsabilité de gérer les ressources halieutiques et d’adopter des mesures de conservation des diverses espèces, dont la crevette du golfe du Saint‑Laurent. L’un des outils qu’il utilise consiste en l’adoption d’un plan de pêche annuel qui énonce plusieurs paramètres et conditions régissant les activités de pêche pour l’année en cause. Le plan de pêche annuel prévoit notamment le total admissible des captures (TAC) pour l’année, la répartition du TAC entre diverses zones de pêche et entre divers groupes de pêcheurs, les dates d’ouverture de la saison de pêche pour chaque zone, et ainsi de suite.

 

[7]               La pêche à la crevette fait l’objet de mesures d’encadrement depuis 1976. De 1976 à 1990, la pêche était gérée selon un modèle compétitif aux termes duquel les pêcheurs bénéficiaient de permis de pêche qui leur permettaient de pêcher sans restriction jusqu’à ce que le TAC global soit atteint. En 1990, les pêcheurs de crevette ont été divisés en deux groupes : le groupe A, qui a continué d’être assujetti à une pêche compétitive, et le groupe B composé de pêcheurs qui ont choisi de devenir assujettis à une politique de quotas individuels. Ainsi, chaque pêcheur du groupe B recevait un quota individuel correspondant à une part du contingent annuel accordé au groupe. Le groupe B était composé de pêcheurs du Québec et du Nouveau‑Brunswick. Se sont par la suite greffés à ce groupe des conseils de bandes autochtones du Québec et du Nouveau‑Brunswick. Les pêcheurs du groupe B qui ont vu leur permis de pêche renouvelé chaque année sont désignés dans le jargon comme étant les « pêcheurs de crevette traditionnels ». Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs sont des associations de pêcheurs de crevette traditionnels et leurs représentants.

 

[8]               En 1993, le gouvernement a ordonné un moratoire de la pêche à la morue dans le golfe du Saint‑Laurent, ce qui a causé une baisse considérable du contingent pour les pêcheurs de poisson de fond et d’importantes difficultés économiques pour eux. De façon parallèle, les réserves de crevettes ont augmenté au fil des années.

 

[9]               Afin d’aider les pêcheurs de poisson de fond à faire face aux difficultés engendrées par le moratoire, le ministre a décidé, à compter de 1997, de partager le TAC de la crevette entre les pêcheurs de crevette traditionnels et les pêcheurs de poisson de fond. Ce partage visait à aider les pêcheurs touchés par le moratoire à diversifier leurs activités et à créer des conditions favorables à la rationalisation des flottilles de pêche de poisson de fond (rachat de permis de pêche par d’autres pêcheurs de la flottille, entraînant une réduction du nombre de détenteurs de permis). Ainsi, depuis 1997, une portion du contingent annuel accordé aux pêcheurs de crevette traditionnels du groupe B a été accordée à des pêcheurs de poisson de fond du Nouveau‑Brunswick et du Québec par la voie de contingents temporaires.

 

[10]           À compter de 1998, le gouvernement a également décidé de donner des droits d’accès à la pêche à la crevette à des pêcheurs de l’Île‑du‑Prince‑Édouard et de la Nouvelle‑Écosse, alors que les pêcheurs de ces provinces n’avaient jamais eu de droit d’accès à cette ressource auparavant. Ces contingents ont toujours été octroyés de façon temporaire, à même le TAC global de la crevette pour la région du golfe. Ils ne provenaient pas directement du contingent accordé au groupe B.

 

[11]           De 1998 à 2007, le ministère des Pêches et des Océans (MPO), les pêcheurs de crevette traditionnels du groupe B et les associations de pêcheurs de poisson de fond ont conclu des ententes de cogestion d’une durée de cinq ans chacune. Ces ententes permettaient aux pêcheurs de mieux prévoir la portion du TAC qui leur serait attribuée chaque année et de connaître d’avance plusieurs mesures de gestion de la pêche. Les ententes de cogestion prévoyaient une formule de partage du TAC entre les pêcheurs de crevette traditionnels et les pêcheurs de poisson de fond.

 

[12]           En 2008, le ministre a annoncé son intention de rendre permanent le partage d’une partie du contingent de crevettes entre les pêcheurs de crevette traditionnels, les pêcheurs de poisson de fond du Québec et du Nouveau-Brunswick et les pêcheurs du groupe « noyau » de l’Île‑du‑Prince‑Édouard et de la Nouvelle‑Écosse qui bénéficiaient jusqu’alors de contingents temporaires. Des discussions ont eu lieu entre les représentants des divers groupes dans l’espoir d’arriver à l’adoption d’une troisième entente de cogestion avec un partage permanent de la ressource, mais aucun consensus n’a été atteint.

 

[13]           Au fil des années, les pêcheurs bénéficiant de contingents temporaires avaient profité de contingents équivalant en moyenne à 21,1 % du contingent des pêcheurs de crevette du groupe B, et ils désiraient avoir droit à cette part en permanence. Les pêcheurs de crevette traditionnels, qui étaient durement frappés par la chute du prix de la crevette et l’augmentation du prix du carburant, prétendaient qu’ils n’étaient plus dans une position économique leur permettant de partager leur contingent avec les pêcheurs de poisson de fond et qu’ils désiraient que le partage soit annulé.

 

[14]           C’est dans ce contexte que le ministre a adopté le plan de pêche pour l’année 2008. Le plan de pêche annoncé le 4 avril 2008 prévoyait un TAC de 25 153 tonnes réparti entre les pêcheurs de crevette traditionnels qui bénéficieraient de 85 % du TAC et des pêcheurs de poisson de fond du Québec et du Nouveau‑Brunswick qui bénéficieraient de 15 % du TAC. Le plan de pêche prévoyait également un contingent temporaire de 526 tonnes pour les pêcheurs du groupe « noyau » de l’Île‑du‑Prince‑Édouard et de la Nouvelle‑Écosse. Le plan de pêche énonçait également la volonté du ministre de trouver une formule permanente de partage à compter de l’année 2009. Ce volet du plan de pêche était initialement attaqué dans la demande de contrôle judiciaire, mais ce volet n’a pas été traité dans le mémoire des demandeurs ni plaidé lors de l’audition. 

 

[15]           Les pêcheurs de poisson de fond étaient mécontents de la part qui leur était octroyée, laquelle était bien inférieure à celle de 21 % qu’ils avaient reçue en moyenne au cours des années antérieures. Ces pêcheurs alléguaient que cette réduction mettait en péril leur rentabilité et ils ont réclamé une augmentation de la part qui leur avait été octroyée. Le 25 avril 2008, le ministre a annoncé que le contingent temporaire accordé aux pêcheurs de poisson de fond serait augmenté de 719 tonnes.

 

III. Analyse

 

(1)        Le débat est‑il théorique et, le cas échéant, la Cour devrait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher le litige ?

 

[16]        Le procureur général du Canada (le défendeur) soutient que le plan de pêche pour l’année 2008, de même que les permis de pêche qui ont été délivrés pour la saison de pêche 2008, ne produisent plus d’effets parce que la saison de pêche est terminée depuis longtemps, et que, par conséquent, le débat est devenu théorique.

 

[17]        Le défendeur soutient également que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire au fond au motif que les critères élaborés dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, 57 D.L.R. (4th) 231 [Borowski], ne sont pas satisfaits puisqu’il n’existe plus de débat contradictoire entre les parties et que deux autres plans de pêche ont été adoptés depuis 2008 et que les demandeurs ne les ont pas contestés.

 

[18]           Les demandeurs ne contestent pas le caractère théorique de leur demande, mais soutiennent que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher le débat au fond parce qu’il soulève des questions importantes au sujet du pouvoir et de la compétence même du ministre et que ces questions sont susceptibles de se présenter de nouveau. Les demandeurs affirment en outre que les délais procéduraux lors des demandes de contrôle judiciaire sont tels qu’il est impossible qu’une demande de contrôle judiciaire contestant un plan de pêche pour une année donnée puisse être entendue avant la fin de la saison de pêche et avant que le plan de pêche n’ait cessé de produire ses effets. Refuser de trancher le débat équivaudrait donc à mettre le ministre à l’abri de toute contestation envers les plans de pêche qu’il adopte chaque année pour différentes espèces. Les demandeurs ont invoqué les décisions Area Twenty Three Snow Crab Fisher’s Association v Canada (Attorney General), 2005 FC 1190, 279 F.T.R. 137, et Native Council of Nova Scotia c Canada (Procureur général), 2007 CF 45, 306 F.T.R. 294, [Native Council of Nova Scotia], à l’appui de leurs prétentions.

 

[19]           Le débat soulevé dans la présente demande est devenu théorique, mais je considère qu’il y a lieu que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour le trancher.

 

[20]           Dans Borowski, la Cour suprême a énoncé les critères qui doivent guider la Cour lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire afin de déterminer s’il est approprié qu’elle exerce son pouvoir judiciaire d’entendre une affaire devenue théorique soit l’existence d’un débat contradictoire, le souci d’économie des ressources judiciaires et la nécessité la fonction de la Cour dans l’élaboration du droit.

 

[21]           Tel que soulevé par les demandeurs, en raison de la durée limitée d’un plan de pêche annuel et des délais associés au processus judiciaire, il est presque impossible qu’une demande de contrôle judiciaire puisse être tranchée pendant que le plan de pêche visé produit encore ses effets. Cet élément m’apparaît important en l’espèce. Bien que devenues théoriques, les questions en litige sont soulèvent des questions d’intérêt qui son susceptibles de se présenter de nouveau à l’égard d’un autre plan de pêche et les questions soulevées seront vraisemblablement toujours devenues théoriques lorsque le tribunal sera appelé à trancher une demande de contrôle judiciaire. Cette situation aurait pour conséquence illogique de mettre tout plan de pêche annuel à l’abri d’une éventuelle révision judiciaire. Cet élément avait d’ailleurs été retenu par la juge Layden‑Stevenson dans Native Council of Nova Scotia.

 

(2)        La présente demande de contrôle judiciaire peut‑elle viser à la fois l’adoption du plan de pêche et sa mise en œuvre, notamment les permis de pêche délivrés en application du plan de pêche?

 

[22]           Les demandeurs contestent certains aspects du plan de pêche adoptés, ainsi que la mise en œuvre de ces aspects, qui s’est notamment traduite par la délivrance de permis de pêche. Ils affirment que la présente demande de contrôle judiciaire peut valablement viser à la fois le plan de pêche et les permis de pêche délivrés subséquemment sans contrevenir à la règle 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). Ils soutiennent que le plan de pêche relève d’un processus continu qui n’est complet que lorsque les orientations annoncées sont mises en œuvre par la délivrance des permis de pêche. Bien qu’ils aient renoncé à réclamer l’annulation des permis de pêche, parce qu’ils sont expirés, ils soutiennent que l’avis de demande de contrôle judiciaire contestait clairement la mise en œuvre du plan et, plus précisément la délivrance des permis de pêche, et ils maintiennent leur demande de conclusions déclaratoires visant le processus d’octroi de permis. De plus, les demandeurs soutiennent que si je concluais que la demande de contrôle judiciaire n’est pas conforme à la règle 302 des Règles, je devrais ordonner que l’instance soit scindée pour permettre aux demandeurs de recommencer les procédures à l’égard des permis de pêche.

 

[23]           Le défendeur soutient pour sa part que la demande de contrôle judiciaire attaque le plan de pêche et qu’elle ne peut servir d’occasion de contester, dans le même recours, toutes les décisions prises subséquemment en application du plan de pêche dont les permis de pêche qui ont été délivrés. Le défendeur soutient qu’il est important de distinguer le plan de pêche des permis de pêche qui sont par la suite délivrés par le ministre et il affirme que la règle 302 des Règles prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut viser plus d’une ordonnance à la fois. Le défendeur prétend en outre que l’adoption d’un plan de pêche consiste en une déclaration d’intention qui informe les parties intéressées des paramètres que le ministre entend appliquer à l’égard de la gestion de la pêche pour une année donnée. Le plan sert aussi de guide au ministre dans ses actions subséquentes, mais ce plan de pêche ne lie pas le ministre, ni ne génère d’obligations pour le ministre, qui peut le modifier en tout temps. Le défendeur s’appuie sur Canada (Procureur général) c Arsenault, 2009 CAF 300, 1 Admin. L.R. (5th) 91 [Arsenault]. Il soutient également qu’une ordonnance rendue par la protonotaire Tabib le 18 août 1998 tranchant une demande de production de document a circonscrit le débat au seul plan de pêche. Le défendeur invoque au surplus que si la demande devait être considérée comme pouvant attaquer les permis de pêche à la crevette délivrés pour la saison 2008, elle n’est pas conforme aux Règles.   

 

[24]           Je considère que les propositions des demandeurs sont mal fondées.

 

[25]            Les pouvoirs conférés au ministre en matière de gestion de la pêche sont prévus à la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C., 1985, ch. F‑15 (Loi sur le MPO), et à la Loi sur les pêches, L.R.C., 1985, ch. F‑14 (la Loi).

 

[26]           L’article 4 de la Loi sur le MPO prévoit ce qui suit :

4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés :

 

 

 

a) à la pêche côtière et à la pêche dans les eaux internes;

 

b) aux ports de pêche et de plaisance;

 

c) à l’hydrographie et aux sciences de la mer;

 

d) à la coordination des plans et programmes du gouvernement fédéral touchant aux océans.

 

 

Idem

 

(2) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent en outre aux domaines de compétence du Parlement liés aux océans et qui lui sont attribués de droit.

4. (1) The powers, duties and functions of the Minister extend to and include all matters over which Parliament has jurisdiction, not by law assigned to any other department, board or agency of the Government of Canada, relating to

 

(a) sea coast and inland fisheries;

 

(b) fishing and recreational harbours;

 

(c) hydrography and marine sciences; and

 

(d) the coordination of the policies and programs of the Government of Canada respecting oceans.

 

Idem

 

(2) The powers, duties and functions of the Minister also extend to and include such other matters, relating to oceans and over which Parliament has jurisdiction, as are by law assigned to the Minister.

 

[27]           Les articles 7 à 9 de la Loi, qui confèrent au ministre des pouvoirs en matière de permis de pêche, se lisent comme suit :

Baux, permis et licences de pêche

 

7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries — ou en permettre l’octroi —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

 

Réserve

 

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’octroi de baux, permis et licences pour un terme supérieur à neuf ans est subordonné à l’autorisation du gouverneur général en conseil.

 

Droits

 

8. Le gouverneur en conseil peut fixer les droits exigibles pour les licences d’exploitation ou les permis de pêche à l’égard desquels aucun droit n’est déjà prévu par la présente loi.

 

Révocation par le ministre

 

9. Le ministre peut suspendre ou révoquer tous baux, permis ou licences consentis en vertu de la présente loi si :

 

a) d’une part, il constate un manquement à leurs dispositions;

 

 

 

b) d’autre part, aucune procédure prévue à la présente loi n’a été engagée à l’égard des opérations qu’ils visent.

Fishery leases and licences

 

 

7. (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

 

 

Idem

 

(2) Except as otherwise provided in this Act, leases or licences for any term exceeding nine years shall be issued only under the authority of the Governor in Council.

 

 

Fees

 

8. Except where licence fees are prescribed in this Act, the Governor in Council may prescribe the fees that are to be charged for fishery or fishing licences.

 

Minister may cancel licence

 

9. The Minister may suspend or cancel any lease or licence issued under the authority of this Act, if

 

(a) the Minister has ascertained that the operations under the lease or licence were not conducted in conformity with its provisions; and

 

(b) no proceedings under this Act have been commenced with respect to the operations under the lease or licence.

 

[28]           Dans Arsenault, la Cour d’appel fédérale a clairement distingué la décision que prend le ministre lorsqu’il adopte un plan de pêche de celle qu’il prend lorsqu’il octroie des permis de pêche. Le plan de pêche constitue un énoncé, une annonce que fait le ministre des paramètres qu’il entend appliquer à la gestion de la pêche pour une année donnée. Ce plan, qui relève de sa compétence générale en matière de gestion des pêches, ne lie pas le ministre et ne doit pas entraver le pouvoir discrétionnaire qu’il exerce subséquemment lorsqu’il décide d’octroyer un permis de pêche. La Cour s’est exprimée comme suit quant à la nature d’un plan de pêche :

 

[34]      Le Plan de gestion est au cœur du présent appel. En le publiant, le ministre faisait connaître aux parties intéressées et, en particulier, aux pêcheurs de crabe traditionnels, quelles politique et pratique il avait décidé d’adopter ou avait l’intention d’adopter pour l’année suivante. [...]

 

[...]

 

[37]      Le juge semble avoir considéré le Plan de gestion comme une question de délivrance de permis en vertu de l’article 7 de la Loi. En d’autres mots, le pouvoir discrétionnaire du ministre s’épuisait dès l’annonce ou la publication du Plan de gestion, comme s’il s’était agi d’un permis. À mon avis, le juge a commis une erreur en parvenant à cette conclusion. Je ne vois nullement comment les articles 7 et 9 de la Loi pourraient s’appliquer en l’espèce, puisque ces articles, comme il ressort de leur formulation, ne s’appliquent qu’au pouvoir discrétionnaire absolu du ministre d’émettre ou d’autoriser l’émission de permis de pêche (article 7) et, dans les circonstances prévues aux alinéas 9a) et b) de la Loi, au pouvoir du ministre de suspendre ou d’annuler un permis. L’on ne peut nullement soutenir que le Plan de gestion est visé par ces deux articles.

 

[38]      En toute déférence, il convient plutôt de considérer le Plan de gestion seulement comme une déclaration ou une expression de l’intention du ministre ou comme une ligne directrice relativement aux questions qui y sont traitées. Son objet clair est de définir les pratiques et les mesures de gestion que le ministre estime nécessaires pour l’année suivante. De plus, il est bien établi que la politique du ministre ne restreint, ni ne peut restreindre, son pouvoir discrétionnaire relativement aux affaires dont il est question dans la politique. [...]

 

[39]      À mon avis, les pouvoirs du ministre de publier le Plan de gestion procèdent de sa compétence générale en matière de gestion des pêches, conformément à l’article 4 de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, S.R. 1985, ch. F‑15, que voici : [...].

 

[40]      En outre, le Plan de gestion est conforme aux obligations du ministre de gérer, de conserver et de développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public. Au paragraphe 37 de ses motifs auxquels la Cour suprême du Canada a unanimement souscrit dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, le juge Major a fait les remarques suivantes :

 

[...] Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public (art. 43). […]

 

[…]

 

 

[29]           Il y a donc lieu en l’espèce de distinguer le plan de pêche des permis de pêche qui ont par la suite été délivrés et la présente demande ne peut viser à la fois le plan de pêche et les permis de pêche au motif qu’il s’agit du continuum de la même décision. La décision d’adopter un plan de pêche et celle de délivrer un permis de pêche sont des décisions différentes fondées sur des considérations différentes et relevant de pouvoirs distincts. De plus, le plan de pêche annoncé par le ministre n’est pas statique, il peut être modifié par le ministre et il ne peut le lier lorsqu’il décide par la suite de délivrer des permis de pêche.

 

[30]           La présente demande de contrôle judiciaire peut-elle, sur d’autres bases, être considérée comme visant à la fois l’adoption du plan de pêche et les permis de pêche délivrés pour l’année 2008 ? Je ne le crois pas.

 

[31]           D’abord, si la demande doit être considérée comme visant les permis de pêche délivrés après l’adoption du plan de pêche, elle est déficiente à plusieurs égards. Elle aurait dû préciser la date et les particularités de chaque permis dont la nullité était demandée (sous-alinéa 301c)(ii) des Règles) et joindre comme défenderesses toutes les personnes touchées par l’ordonnance demandée, en l’occurrence les associations de pêcheurs et les personnes autres que les pêcheurs de crevette traditionnels à qui le ministre a délivré des permis de pêche. Le dossier des demandeurs aurait également dû contenir une copie de chaque permis visé par la demande (règle 309).

 

[32]           De plus, la règle 302 des Règles prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée, à moins que la Cour n’en ordonne autrement. Or, en l’espèce, les demandeurs n’ont jamais saisi la Cour d’une requête pour autoriser que la demande de contrôle puisse attaquer à la fois le plan de pêche et les permis de pêche. À cet égard, dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 18 août 2008, la protonotaire Tabib a clairement indiqué que la Cour estimait que la demande de contrôle judiciaire ne visait pas les permis de pêche et je suis d’avis que cette ordonnance a eu pour conséquence de circonscrire le débat ou, à tout le moins, d’informer clairement les demandeurs que la Cour considérait que la demande de contrôle ne visait que l’adoption du plan de pêche. La protonotaire Tabib était saisie d’une demande de transmission de documents en vertu de la règle 317 des Règles visant plusieurs documents dont les suivants :

 

1.      Tous les documents, notes de service, mémorandums, messages électroniques, briefings, études (scientifiques ou autres), avis, communiqués et fiche d’information ayant trait à la conception, à l’élaboration et/ou l’adoption du Plan et de l’amendement, de même que toute la correspondance provenant du et/ou adressée au Ministre, au sous-ministre, et sous-ministre adjoint – gestion des pêches, aux directeurs généraux et aux fonctionnaires des régions du Golfe et du Québec et/ou du Bureau national relativement à ces éléments.

 

2.      Toutes les décisions, ordonnances, baux, permis et/ou licences accordées, renouvelés et/ou amendés, partiellement ou complètement, à la suite de l’adoption du Plan et/ou en fonction des paramètres établis dans le Plan.  

 

[33]           Elle a rejeté la demande de transmission de documents des demandeurs au motif qu’il n’y avait pas de preuve que les documents visés étaient entre les mains du ministre lorsqu’il a adopté le plan de pêche. Il est utile de reproduire les extraits suivants de l’ordonnance qui traitent des documents énumérés dans le deuxième groupe :

[…]

 

CONSIDÉRANT, finalement, que la demande de contrôle judiciaire vise clairement cette partie du plan de pêche visant la répartition du TAC entre les pêcheurs de crevettes traditionnels et les autres pêcheurs, et que si elle peut peut-être, par extension, affecter les décisions et actes administratifs résultant directement de la mise en œuvre du plan de pêche, la demande ne peut clairement pas cumuler la révision judiciaire de multiples décisions et actions prises dans le cadre de la mise en œuvre du plan de pêche, mais attaqués pour des motifs distincts et indépendants de la validité du plan de pêche.

 

CONSIDÉRANT que les motifs cités pour attaquer l’émission de permis à « certains groupes de pêcheurs » tiennent du mécanisme adopté par le Ministre d’émettre des permis à des regroupements de pêcheurs en chargeant ceux-ci de les répartir entre leurs membres ou entre des tiers.

 

CONSIDÉRANT, de l’admission du procureur des demandeurs à l’audience, que ce mécanisme n’est pas prévu ou mandaté par le plan de pêche, et qu’il s’agit donc d’une mécanisme et de motifs de révision judiciaire étrangers au plan de pêche et aux motifs de contrôle invoqués à son encontre.

 

CONSIDÉRANT donc que la demande de contrôle judiciaire, pour autant qu’elle prétende viser le mode d’émission des permis, contrevient à la Règle 302.

 

CONSIDÉRANT que la permission de la Cour de déroger à la Règle 302 n’a été ni demandée, ni accordée.

 

CONSIDÉRANT que la Cour considère approprié d’adopter la démarche suivie par le protonotaire Morneau dans Associations des crabiers acadiens inc. et al. c. Canada, 2007 CF 78, et de ne pas considérer que la demande de contrôle judiciaire porte sur ces autres décisions, de sorte que la seule décision visée est l’adoption du plan de pêche (tel qu’amendé) et que les seuls documents pertinents aux termes de la Règle 317 sont ceux qui étaient devant le Ministre lors de l’adoption du plan.

 

[…]

 

[34]           L’ordonnance de la protonotaire Tabib a été confirmée par la Cour d’appel fédérale le 25 mars 2010 (Dossier A-284-09). Les demandeurs n’ont pas tenté par la suite d’entreprendre une nouvelle demande de contrôle judiciaire visant les permis de pêche ni présenté une demande en vertu de la règle 302 pour permettre que la demande de contrôle judiciaire puisse attaquer le plan de pêche et les permis de pêche. J’estime qu’il est trop tard, au stade des plaidoiries, pour faire une telle demande ou pour demander de scinder l’instance et de permettre aux demandeurs de recommencer les procédures à l’égard des permis délivrés.

 

[35]           Je conclus donc que la présente demande de contrôle judiciaire ne peut viser que l’adoption du plan de pêche. Or, certaines des questions en litige et arguments avancés par les demandeurs concernent le processus d’émission des permis et je considère ne pas avoir à les trancher. C’est le cas des questions en litige 3 et 4 que je traiterai brièvement aux fins d’exposer la nature des questions soulevées.

 

(3)        Le ministre a‑t‑il outrepassé ses pouvoirs en délivrant des permis de pêche qui ne sont pas conformes au cadre législatif et réglementaire et qui ne sont pas destinés à la pêche?

 

[36]           Cet argument concerne l’octroi de contingents temporaires pour la pêche à la crevette aux pêcheurs du groupe « noyau » de l’Île‑du‑Prince‑Édouard et de la Nouvelle‑Écosse. Les demandeurs soutiennent que la preuve démontre que le ministre octroie des permis de pêche à trois regroupements de pêcheurs et non à des pêcheurs individuels : le Gulf Nova Scotia Fleet Planning Board, le PEI Fishermen’s Association (PEIFA) et le PEI Groundfish Association. Ces regroupements ne disposent pas de bateaux immatriculés et ils ne sont pas en mesure d’exploiter les permis qui leur sont délivrés. Ils revendent plutôt leurs contingents par appels d’offres pour financer leurs activités. Les regroupements informent ensuite le ministre de l’identité des pêcheurs, de leurs quotas individuels et des bateaux qu’ils utiliseront. Le ministre octroie alors de nouveaux permis selon les instructions des associations. Les demandeurs soutiennent ainsi que les pêcheurs auxquels sont finalement délivrés les permis ne sont pas des pêcheurs membres des regroupements de pêcheurs auxquels le ministre a accordé les contingents.

 

[37]           Les demandeurs soutiennent que cette procédure, qui est autorisée par le ministre et à laquelle il participe directement, est illégale puisque les permis attribués aux regroupements de pêcheurs ne sont pas destinés à la pêche, tel que l’exige la Loi, mais plutôt à la revente. Selon les demandeurs, cette façon de faire contrevient à l’article 7 de la Loi et elle n’a aucun lien avec le mandat de gestion des pêches confié au ministre. Ils soutiennent que le ministre octroie des permis pour permettre aux regroupements de pêcheurs de financer leurs activités et que, ce faisant, le ministre tient compte de considérations politiques et économiques qui n’ont rien à voir avec la gestion de la pêche et qui sont étrangères à l’objet de la Loi.

 

[38]           Les demandeurs soutiennent également que les permis initiaux octroyés par le ministre aux organisations ne sont pas conformes au Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53 (le Règlement), et au Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985, DORS/86‑21. Ces permis n’identifient aucun bateau qui servira à la pêche ni aucun pêcheur, alors que les règlements exigent clairement qu’un permis identifie le nom de la personne autorisée à l’exploiter de même que le bateau de pêche utilisé et que le permis serve directement à faire la pêche et non à être revendu.

 

[39]           Les arguments invoqués par les demandeurs concernent tous la procédure de délivrance de permis et non le plan de pêche. Dans le plan de pêche, le ministre s’est limité à annoncer l’octroi de permis de pêche aux crevettes aux pêcheurs du groupe « noyau » des deux provinces en question. Le plan ne traite aucunement de la procédure de délivrance des permis. Compte tenu de ma conclusion quant à la portée de la présente demande de contrôle judiciaire, j’estime que je n’ai pas à trancher la question soulevée par les demandeurs.

 

(4)        Le ministre a-t-il illégalement sous‑délégué son pouvoir de délivrer des permis de pêche en permettant que des regroupements de pêcheurs déterminent les modalités de répartition du contingent qui leur est attribué et les personnes qui deviendront titulaires des permis de pêche?

 

[40]           Cet argument concerne lui aussi l’octroi du contingent temporaire pour la pêche à la crevette aux pêcheurs du groupe « noyau » de l’Île‑du‑Prince‑Édouard et de la Nouvelle‑Écosse. Les demandeurs soutiennent que le ministre sous‑délègue de façon illégale le pouvoir de délivrer des permis qui lui est conféré par l’article 7 de la Loi, puisqu’il ne participe pas au choix des individus autorisés à pêcher en vertu du contingent, ni même à la détermination de la quantité de crevettes que chaque pêcheur sera autorisé à pêcher en vertu de chacun des permis. Le ministre délivre une deuxième série de permis de pêche aux pêcheurs indiqués par les regroupements selon les modalités dictées par les regroupements. Or, ce faisant, il sous‑délègue un pouvoir que la Loi ne l’autorise pas à sous‑déléguer.

 

[41]           Je suis donc d’avis qu’à l’instar de la question précédente, cette question conteste elle aussi la procédure de délivrance des permis et que, par conséquent, il n’y a pas lieu que je la tranche.

 

(5)        Le ministre a-t-il omis de motiver sa décision de modifier le plan de pêche et, ce faisant, a‑t‑il rendu une décision arbitraire ?

 

[42]           Cette question concerne l’octroi du contingent additionnel de permis de pêche aux crevettes aux pêcheurs de poisson de fond du Québec et du Nouveau‑Brunswick annoncé le 25 avril 2008.

 

[43]         Les demandeurs soutiennent que la preuve ne permet pas de déterminer les motifs ayant amené le ministre à modifier le plan de pêche pour augmenter le contingent consenti aux pêcheurs de poisson de fond. Les demandeurs soutiennent que l’auteur de l’affidavit déposé en preuve par le défendeur n’a pas participé à la décision du ministre de modifier le plan de pêche et qu’en l’absence de justification, cette modification doit être considérée comme étant arbitraire.

 

[44]           Le défendeur soutient que la preuve démontre clairement que la modification n’était pas arbitraire et que le plan a été modifié pour limiter l’effet économique de la réduction du nombre de permis accordés aux pêcheurs de poisson de fond en vertu du plan de pêche initial.

 

[45]           J’estime qu’il n’est pas nécessaire que je me prononce sur l’existence ou non d’une obligation pour le ministre de motiver sa décision de modifier le plan de pêche, parce que je considère que la décision du ministre était motivée et qu’elle n’était aucunement arbitraire. Les considérations qui ont fondé la décision ressortent amplement de la preuve documentaire, de l’affidavit de Pierre Couillard et de son contre-interrogatoire sur affidavit et, dans les circonstances, il n’est pas nécessaire que Pierre Couillard ait participé au processus décisionnel de la décision pour conclure que la décision était motivée. 

 

[46]           Il est utile d’examiner la modification du plan de pêche en tenant compte du contexte global de l’annonce du plan initial. Comme je l’ai déjà indiqué, le plan de pêche a été adopté lorsque les discussions pour mettre en place une nouvelle entente de cogestion et une formule permanente de partage de la ressource ont échoué.

 

[47]           Une note de service préparée le 25 mars 2008 par les fonctionnaires du MPO à l’intention du ministre fait état de l’échec des négociations et du désir du ministre de voir les négociations se poursuivre. Quatre choix ont été présentés au ministre : le premier choix éliminait toute forme de partage de la pêche à la crevette avec les pêcheurs de poisson de fond, le deuxième prévoyait le partage de 12 % du contingent, avec la mention qu’une formule de partage permanente serait négociée en 2008 et mise en œuvre en 2009, le troisième prévoyait le partage de 18 %, avec la mention qu’une formule de partage permanente serait négociée en 2008 et mise en œuvre en 2009, et le quatrième choix, que l’on recommandait au ministre, prévoyait le partage de 15 %, avec la mention qu’une formule de partage permanente serait négociée en 2008 et mise en œuvre en 2009. Le sommaire de la note de service préparée par les fonctionnaires à l’intention du ministre mentionne ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

Des négociations se poursuivent avec les pêcheurs de crevette du groupe B, parce que la formule de partage expire le 31 mars 2008. Cependant, il n’y a pas encore eu de consensus. De plus, les pêcheurs de crevette du golfe s’attendent à ce qu’une décision sur la remise des droits de permis soit rendue avant le début de la saison de pêche, le 1er avril.

 

Compte tenu de l’état actuel des négociations au sujet de l’entente de partage avec les pêcheurs de crevette du groupe B, le ministère recommande un partage (le choix 4) qui permettra de poursuivre les consultations avec les flottilles, tout en montrant que, collectivement, nous devons aller de l’avant et résoudre la question du partage des ressources de crevettes dans le golfe.

 

 

[48]           La note de service présentait également des considérations pour chacun des choix. Il est utile de citer les considérations notées pour les troisième et quatrième choix :

[TRADUCTION]

 

Choix 3 : Partage temporaire de 18 % en 2008. Une formule de partage permanente serait négociée en 2008 et mise en œuvre en 2009.

 

Considérations :

 

► Comme les négociations ont eu lieu principalement en février, ce choix permettrait aux pêcheurs de crevette du groupe B de négocier une formule de partage permanente acceptable pour les deux parties.

 

► Le choix est conforme à l’annonce du ministre du 12 avril 2007, selon laquelle il avait l’intention de travailler avec les pêcheurs et les personnes intéressées pour que les ententes de partage soient permanentes et stables au plus tard en 2010.

 

► Il n’y a aucune assurance qu’une entente à long terme avec les pêcheurs de crevette sera conclue au cours de l’année, compte tenu des prix prévus et des coûts du carburant en 2008.

 

► À 18 %, les pêcheurs traditionnels et les pêcheurs des PN [Premières nations] recevraient 24 434 t, et un contingent de 4 315 t irait aux nouveaux pêcheurs temporaires.

 

Choix 4 : Partage temporaire de 15 % en 2008. Une formule de partage permanente serait négociée en 2008 et mise en œuvre en 2009.

 

Considérations :

 

► Les mêmes que celles du choix 3, mais à 15 %, les pêcheurs traditionnels et les pêcheurs des PN recevraient 25 153 t, et un contingent de 3 596 t irait aux nouveaux pêcheurs temporaires.

 

► Une réduction signalerait aux flottilles que le MPO est prêt à négocier une formule de partage qui tient compte des difficultés économiques des pêcheurs de crevette traditionnels, tout en donnant un accès aux nouveaux pêcheurs temporaires pendant que les consultations sont en cours.

 

[49]           Le ministre a accepté la recommandation des fonctionnaires et a annoncé, le 4 avril 2008, un plan de pêche annuel qui prévoyait un TAC de 36 184 tonnes réparties entre les pêcheurs de crevette traditionnels, qui recevaient 85 % du TAC (25 153 tonnes), et les pêcheurs de poisson de fond du Québec et du Nouveau‑Brunswick, qui recevaient 15 % du TAC (3 596 tonnes). Le plan de pêche prévoyait également un contingent temporaire de 526 tonnes pour les pêcheurs du groupe « noyau » de l’Île‑du‑Prince‑Édouard (263 tonnes) et de la Nouvelle-Écosse (263 tonnes). Après avoir précisé la formule de partage, le plan du 4 avril 2008 énonçait ce qui suit :

[…] En conformité avec l’objectif du MPO d’amener une permanence et une stabilité dans le partage de la ressource à long terme, des discussions auront lieu au cours de l’année 2008 pour en arriver à une formule de partage permanente dès 2009. Un calendrier précis devra être établi entre l’industrie et le MPO pour en arriver à une solution finale en 2009.

 

 

[50]           La preuve démontre que les pêcheurs de poisson de fond étaient mécontents de la part qui leur était octroyée, laquelle était bien inférieure à celle de 21 % qu’ils avaient reçue en moyenne au cours des années antérieures. Ces pêcheurs alléguaient que cette réduction mettait en péril leur rentabilité et ils ont réclamé haut et fort une augmentation de leur contingent. Le 25 avril 2008, le ministre a annoncé que le contingent temporaire accordé aux pêcheurs de poisson de fond annoncé le 4 avril 2008 serait augmenté de 719 tonnes. L’avis se lit comme suit :

Le ministère des Pêches et des Océans (MPO) du Canada a annoncé une augmentation du montant de l’allocation temporaire de crevette du Groupe B octroyée en majeure partie à la flottille de pêcheurs de poisson de fond engin mobile de la Gaspésie, de la Côte‑Nord du Québec et du Nouveau‑Brunswick pour la saison de pêche 2008 seulement.

 

L’allocation temporaire octroyée globalement dans le Groupe B passera de 3 596 tonnes à 4 315 tonnes, soit une augmentation de 719 tonnes. Cette augmentation est exceptionnellement allouée en surplus des contingents actuels et ne touche aucunement les quotas déjà alloués aux crevettiers traditionnels.

 

L’augmentation de l’allocation temporaire se veut un moyen d’aider les pêcheurs de poisson de fond à finaliser les plans de restructuration visant à favoriser leur viabilité. Le MPO maintient son objectif d’amener une permanence et une stabilité dans le partage de la ressource à long terme et d’en arriver à une formule de partage permanente dès 2009. Les discussions entre les représentants de cette flottille et le MPO se poursuivront au cours de l’année 2008.

 

 

[51]           Il est utile de noter que le contingent additionnel s’ajoutait au contingent déjà octroyé aux pêcheurs de poisson de fond par l’avis du 4 avril 2008 et ramenait la part de ces pêcheurs à 18 % du contingent du groupe B, ce qui correspond au troisième choix qui apparaissait dans la note de service préparée à l’intention du ministre le 25 mars 2008.

 

[52]           La note de service du 25 avril 2008 traitant de l’augmentation temporaire contient les mentions suivantes :

[TRADUCTION]

 

Conformément aux instructions, le ministère a offert une augmentation égale à ce que les nouveaux pêcheurs temporaires du groupe B auraient reçu en vertu du choix initial prévoyant une entente de partage de 18 %. Cela n’aura pas d’incidence sur le nombre de tonnes octroyées à la flottille de pêcheurs traditionnels en vertu de la formule de partage de 15 % que vous avez annoncée le 4 avril (voir la note jointe à l’onglet 1). Le total admissible des captures (TAC) a été augmenté de 719 t, mais l’augmentation n’a été offerte qu’aux nouveaux pêcheurs temporaires du groupe B à titre de mesure de secours ponctuelle pour 2008.

 

Cette mesure de secours ne doit pas compromettre les discussions à venir sur la future entente de partage pour les nouveaux pêcheurs temporaires et les flottilles de pêcheurs traditionnels du groupe B.

 

 

[53]           Je considère, à la lumière de ce qui précède, que la décision du ministre était suffisamment motivée et qu’elle n’était pas arbitraire.

 

(6)        Le ministre a-t-il illégalement octroyé des contingents de pêche aux pêcheurs de poisson de fond pour financer le programme de rationalisation de la pêche au poisson de fond ?

 

[54]           Les demandeurs soutiennent que la preuve révèle que le ministre a attribué des contingents  de pêche à la crevette aux pêcheurs de poisson de fond en contrepartie de leur engagement à rationaliser les activités de pêche de poisson de fond. Ainsi, le ministre utiliserait son pouvoir d’octroyer des quotas de pêche et de délivrer des permis de pêche pour des motifs inappropriés et étrangers à la loi, soit pour financer le programme de rationalisation de la pêche au poisson de fond à défaut d’avoir l’affectation budgétaire pour le faire. Les demandeurs soutiennent que les principes énoncés dans l’arrêt Larocque c Canada (Ministre des Pêches et Océans), 2006 CAF 237, 270 D.L.R. (4th) 552 [Larocque] s’appliquent directement à cette situation.

 

[55]           Le défendeur soutient qu’il n’y a aucune preuve que les mesures énoncées dans le plan de pêche étaient fondées sur des considérations inappropriées ; au contraire, les considérations énoncées par le ministre ont été retenues en examinant et en équilibrant les intérêts socioéconomiques des différents groupes de pêcheurs et la décision du ministre est tout à fait conforme à son mandat aux termes de la Loi sur le MPO. Le défendeur soutient que l’affidavit de M. Couillard démontre clairement la procédure suivie et les considérations prises en compte dans l’élaboration du plan de pêche.

 

[56]           Le défendeur a soutenu que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable et que l’examen que doit faire la Cour à l’égard d’une décision discrétionnaire adoptée par un ministre a été fixé dans Maple Lodge Farms Ltd. c Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2 (disponible sur CanLII) [Maple Lodge].  Les demandeurs ont convenu que cette norme de contrôle s’appliquait à l’égard de la présente question en litige.

 

[57]           Je partage l’avis des parties.

 

[58]           Dans Arsenault, la Cour d’appel fédérale a insisté sur l’importance de la discrétion dont dispose le ministre lorsqu’il adopte un plan de pêche et a discuté de la norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’égard des décisions discrétionnaires. La Cour a en outre réitéré les principes qu’elle avait dégagés dans l’arrêt Carpenter Fishing Corp. c Canada, [1998] 2 C.F. 548, 155 D.L.R. (4th) 572, quant à l’étendue du pouvoir discrétionnaire du ministre relativement aux politiques en matière de quotas de pêche et dans lequel la Cour avait retenu la norme de contrôle décrite dans Maple Lodge. Il convient de citer l’extrait suivant du jugement :

 

[41]      Dans Carpenter Fishing c. Canada, [1998] 2 C.F. 548, notre Cour, au paragraphe 28 des motifs, a traité de la nature des politiques en matière de quotas imposées par le ministre. Le juge Décary, qui a rédigé les motifs de la Cour, a indiqué qu’une politique en matière de quotas, contrairement à un permis de pêche accordé en vertu de l’article 7 de la Loi, constituait une décision discrétionnaire et que son contrôle judiciaire était grandement limité. Il a en outre indiqué que le ministre pouvait émettre des lignes directrices stratégiques à la condition qu’elles n’entravent pas son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis « en tenant les lignes directrices pour obligatoires ». Voici l’intégralité de ses remarques :

 

28.       La mise en œuvre d’une politique en matière de quotas (par opposition à la délivrance d’un permis particulier) est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique. Les lignes directrices stratégiques qui exposent les conditions générales rattachées à la délivrance d’un permis ne sont pas des règlements; elles n’ont pas force de loi non plus. Il découle de la décision Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada de la Cour suprême du Canada et de la décision Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général) de cette Cour que le ministre est libre d’indiquer le genre de considérations qui, de façon générale, le guideront pour attribuer les quotas, à condition de ne pas entraver l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis en tenant les lignes directrices pour obligatoires. Ces lignes directrices discrétionnaires ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sauf en ce qui a trait aux trois exceptions mentionnées dans l'arrêt Maple Lodge Farms, à savoir la mauvaise foi, le non‑respect des principes de justice naturelle dont l’application est exigée par la loi et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[42]      De plus, dans l’arrêt Carpenter, précité, le juge Décary a insisté au paragraphe 37 de ses motifs sur l’importance de reconnaître au ministre une large discrétion dans l’exercice de ses pouvoirs relativement à l’établissement d’une politique en matière de quotas de pêche :

 

37.       Il s’ensuit que les tribunaux qui sont saisis de la question de l’exercice par le ministre de ses pouvoirs et fonctions et de son pouvoir discrétionnaire relativement à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une politique en matière de quotas de pêche devraient reconnaître l’intention exprimée par le législateur et le gouverneur en conseil de donner au ministre la plus grande marge possible de manœuvre, et y donner effet. C’est uniquement lorsque le Ministère prend des mesures, par ailleurs autorisées par la Loi sur les pêches, qui outrepassent manifestement les buts généraux autorisés par la Loi que les tribunaux devraient intervenir.

 

[59]           Dans Mainville c Canada (Procureur général), 2009 CAF 196, 398 N.R. 249, la Cour d’appel fédérale a confirmé comme suit l’examen applicable à l’égard d’un plan de pêche :

[4]        En réalité, les appelants nous demandent, comme ils le demandaient au juge Blanchard, d’amender le plan de pêche du Ministre du 30 mars 2006. En d’autres mots, les appelants nous demandent d’exercer, mais de façon différente, la discrétion qu’a exercée le Ministre en formulant son plan de pêche et en émettant les permis de pêche.

 

[5]        Le plan de pêche étant l’entière responsabilité du Ministre et partie intégrante de sa discrétion, nous ne pouvons intervenir à moins que le Ministre ait fondé son plan et émis les permis en raison de considérations non pertinentes, ou qu’il ait agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire. À notre avis, il n’existe aucune preuve au dossier pouvant soutenir une telle proposition.

 

 

[60]           J’estime donc qu’en l’espèce, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et que l’examen doit être inspiré des principes énoncés dans l’arrêt Maple Lodge. Ainsi, la Cour n’interviendra pas en l’absence de mauvaise foi, de non-respect des principes de justice naturelle dont l’application est requise par la loi ou de la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la Loi. En l’espèce, il n’y a aucune preuve de mauvaise foi et il n’est pas question de violation des principes de justice naturelle. Les demandeurs ne m’ont pas convaincue non plus que les modalités prévues au plan de pêche avaient été adoptées sur la base de considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi. 

 

[61]           La preuve a démontré que le ministre impose un partage du TAC de la crevette avec les pêcheurs de poisson de fond depuis 1997. La décision du ministre d’accorder des contingents temporaires de pêche aux crevettes à des pêcheurs de poisson de fond relève de ses attributions et n’a pas été prise en raison de considérations non pertinentes, inappropriées ou étrangères à l’objet de la Loi sur le MPO ou de la Loi.

 

[62]           La preuve révèle en outre que des contingents de pêche à la crevette ont été accordés aux pêcheurs de poisson de fond pour les aider à faire face aux difficultés économiques résultant du moratoire imposé en 1993 à l’égard de la pêche à la morue. En leur accordant des contingents et des permis de pêche à la crevette, le ministre aide ces pêcheurs à diversifier leurs activités et il favorise en même temps la rationalisation de la pêche au poisson de fond. Je ne vois rien d’illégal ou d’inapproprié au plan juridique dans ces décisions.

 

[63]           Le ministre a la responsabilité de gérer la pêche et les ressources halieutiques de façon responsable et c’est ce qu’il fait lorsqu’il établit un TAC pour une ressource donnée, lorsqu’il ordonne la suspension de la pêche ou lorsqu’il partage les ressources entre les divers groupes de pêcheurs. Aucun groupe de pêcheurs ne possède de droits acquis à un quelconque monopole à l’égard d’une ressource donnée ou à un nombre donné de permis. Prendre en compte les conditions socioéconomiques de tous les groupes de pêcheurs et partager les ressources entre eux fait partie des attributions et des pouvoirs discrétionnaires du ministre.

 

[64]           La preuve ne permet pas de conclure que les mesures adoptées pour l’année 2008 étaient déraisonnables. Au contraire, la preuve démontre qu’elles étaient fondées sur des considérations pertinentes et conformes à l’objet de la Loi et de la Loi sur le MPO.

 

[65]           L’affaire Comeau’s Sea Foods Ltd. c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, 142 D.L.R. (4th) 193, mettait en cause le pouvoir du ministre de délivrer des permis de pêche et non celui d’adopter un plan de pêche, mais les commentaires suivants du juge Major m’apparaissent tout aussi pertinents à l’égard d’un plan de pêche :

36.       Je suis d’avis que le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la délivrance de permis, qui est conféré au Ministre par l’art. 7, est, à l’instar de son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis, restreint seulement par l’exigence de justice naturelle, étant donné qu’il n’y a actuellement aucun règlement applicable. Le Ministre doit fonder sa décision sur des considérations pertinentes, éviter l’arbitraire et agir de bonne foi. Il en résulte un régime administratif fondé principalement sur le pouvoir discrétionnaire du Ministre : voir Thomson c. Ministre des Pêches et Océans, C.F. 1re inst., no T‑113‑84, 29 février 1984.

 

37.       Cette interprétation de la portée du pouvoir discrétionnaire du Ministre est conforme à la politique globale de la Loi sur les pêches. Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public (art. 43). Les permis sont un outil dans l’arsenal de pouvoirs que la Loi sur les pêches confère au Ministre pour gérer les pêches. Ils permettent de restreindre l’accès à la pêche commerciale, de limiter le nombre de pêcheurs et de navires et d’imposer des restrictions quant aux engins de pêche utilisés et à d’autres aspects de la pêche commerciale.

 

 

[66]           En l’espèce, la preuve concernant notamment l’histoire de la pêche à la crevette, la suspension de la pêche à la morue et les contingents temporaires octroyés depuis 1997 démontre que les considérations retenues par le ministre étaient pertinentes et conformes à l’objet de la Loi sur le MPO et de la Loi. Le ministre n’a pas agi de mauvaise foi ni de façon arbitraire.

 

[67]           Dans Association des Senneurs du Golf inc. c La Reine, 1999 CanLII 8744 (C.F. 1re inst.), confirmé par 2001 CAF 276, le juge Nadon, alors qu’il était à la Cour fédérale, a reconnu le pouvoir du ministre, dans l’exercice de ses fonctions, de tenir compte de considérations sociales et économiques. Il s’est exprimé comme suit au par. 25 :

Puisqu’il n’existe aucune restriction dans la Loi sur les pêches ou les Règlements concernant l’objet en fonction duquel le Ministre doit exercer ses pouvoirs, il ne peut faire de doute, à mon avis, que le Ministre possède le pouvoir de gérer la pêche, compte tenu de considérations sociales, économiques ou autres. À mon avis, rien n’empêche le Ministre de favoriser un groupe de pêcheurs au détriment d’un autre. Dans Gulf Trollers Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1987] 2 C.F. 93, le juge Marceau, pour la Cour d’appel fédérale, s’exprimait comme suit à la page 106, concernant la compétence du Parlement fédéral sous le paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 :

 

La compétence conférée au Parlement en vertu du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 ne fait, selon mon interprétation, l’objet d’aucune restriction qui lui fixe la poursuite de certains objectifs particuliers à l’exclusion des autres. Le Parlement peut tenir compte de considérations sociales, économiques ou autres dans la gestion des pêcheries soit en les associant à ses mesures visant la conservation, la protection et l’exploitation des ressources, soit simplement en les alliant à la poursuite d’objectifs et à la mise en application de politiques de nature sociale, culturelle ou économique. En fait, selon mon opinion, à moins que et jusqu’à ce que la partie qui attaque un texte législatif en s’appuyant sur la répartition des compétences fasse état d’une atteinte possible à une compétence législative expressément attribuée à un autre niveau de gouvernement, l’objet visé lors de l’adoption du texte ne peut aucunement intéresser les tribunaux.

 

 

[68]           J’estime que c’est ce qu’a fait le ministre en l’espèce.

 

[69]           Les demandeurs appuient leur position sur Larocque. Avec respect, je considère que le contexte qui prévalait dans cette affaire est nettement différent de celui en l’espèce. Dans Larocque, le ministre avait délivré un permis de pêche à titre de paiement à un pêcheur pour des activités de recherche qu’il faisait pour le compte du ministère. Faute de fonds pour payer les coûts d’exploitation du navire, le ministre avait permis au pêcheur de se payer en vendant du crabe des neiges. La Cour d’appel fédérale a conclu que c’est le pouvoir de dépenser du ministre qui était en cause et que le ministre n’avait pas le pouvoir de payer un fournisseur avec les produits de la pêche. En l’espèce, le ministre n’a pas acheté des services qu’il aurait payés en délivrant des permis de pêche et la preuve ne permet pas de conclure qu’il a accordé un contingent de crevettes en contrepartie d’un engagement des pêcheurs de poursuivre la rationalisation de la pêche au poisson de fond. La preuve démontre que le ministre voulait encourager la rationalisation de la pêche au poisson de fond, mais non qu’il a soumis l’octroi des permis à un engagement des pêcheurs de rationaliser leur flottille, ni délivré les permis en contrepartie d’engagements quelconques de la part des pêcheurs.

 

[70]           Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Le tout, avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 

                                                                                                                             


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-725-08

 

INTITULÉ :                                       ASSOCIATION DES CREVETTIERS ACADIENS DU GOLFE INC. ET AL.

                                                            c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Bédard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Quesnel

Patrick Ferland

 

POUR LES DEMANDEURS

Jean-Robert Noiseux

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HEENAN BLAIKIE s.e.n.c.r.l.

Montréal, Québec

 

POUR LES DEMANDEURS

Miles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Ontario

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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