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Date : 20110222

Dossier : IMM‑3354‑10

Référence : 2011 CF 210

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

JOSEF BLEDY

HELENA SAMKOVA

ADAM FRANTISEK BLEDY

JENIFER BLEDA

JOSEF BLEDY (FILS)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision, en date du 25 mai 2010, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la

Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leur demande d’asile au motif qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je fais droit à la demande de contrôle judiciaire.

 

Contexte

[3]               M. Josef Bledy (le demandeur principal), né le 5 mai 1983, est un citoyen de la République tchèque. Il est entré au Canada avec sa famille (ci‑après les demandeurs) – sa conjointe de fait, Helena Samkova (née le 10 octobre 1983), son fils, Josef Bledy fils (né le 10 juin 2002), sa fille, Jenifer Bledy (née le 3 février 2004), et son fils, Adam Frantisek Bledy (né le 24 septembre 2008) – le 17 décembre 2009 et ils ont demandé l’asile le 19 décembre 2009.

 

[4]               Les demandeurs ont présenté leur demande d’asile en tant que réfugiés au sens de la Convention, alléguant une crainte fondée de persécution en République tchèque en raison de leur origine ethnique rome. Advenant l’échec de leur revendication au titre de l’article 96 de la LIPR, les demandeurs réclamaient aussi une protection au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR au motif qu’ils craignaient d’être à nouveau victimes de violence en République tchèque et que, en tant que citoyens d’origine rome, ils seraient privés de soins médicaux adéquats s’ils devaient retourner en République tchèque.

 

[5]               Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur principal a

 

exposé les faits suivants au soutien de la demande d’asile de sa famille :

a)                  Au jardin d’enfants, le demandeur principal a été harcelé verbalement parce qu’il était rom. Il s’est défendu physiquement et a été expulsé.

 

b)                  Le demandeur principal et sa conjointe ont tous deux été scolarisés dans des écoles « spéciales » destinées aux enfants souffrant d’incapacités mentales.

 

c)                  Les élèves tchèques fréquentant l’école ordinaire injuriaient, dénigraient et agressaient le demandeur principal et sa conjointe parce qu’ils étaient des Roms. Ces derniers s’en sont plaints aux enseignants et au directeur, mais aucune mesure n’a été prise.

 

d)                  Enfant, le demandeur principal ne pouvait participer aux activités sportives (hockey, soccer, karaté) organisées par la ville, et ce, parce qu’il fréquentait une école « spéciale ».

 

e)                  Josef fils a lui aussi été placé dans une école « spéciale » malgré les tentatives de ses parents en vue de l’inscrire dans une école ordinaire et le fait que ses parents croyaient qu’il avait obtenu de bons résultats aux examens d’entrée.

 

f)                    Le demandeur principal n’a pu suivre une formation de briqueteur en raison de sa scolarité insuffisante. Il est inscrit au bureau de placement depuis l’âge de 15 ans, mais il n’a été que rarement embauché à cause de sa faible scolarité et de son origine ethnique.

 

g)                  En août 2005, alors qu’il visitait sa tante à Pisek, le demandeur principal et son cousin ont été agressés par 12 skinheads qui leur lançaient des injures racistes et les ont frappés jusqu’à ce que le cousin subisse une commotion. La tante a appelé le service de police, mais les policiers se sont moqués d’eux, les accusant d’avoir provoqué la bataille.

 

h)                  En janvier 2006, alors qu’ils se trouvaient dans une discothèque à Protivin, le demandeur principal et deux de ses cousins ont été agressés par un groupe de 30 à 40 skinheads. L’un des cousins a reçu un coup de couteau, tandis que le demandeur principal et son autre cousin avaient subi une commotion et saignaient. Les autres clients de la discothèque n’ont rien fait pour s’interposer. Les policiers ont été appelés, mais ils ont accusé les deux hommes d’avoir provoqué les skinheads et n’ont pas rédigé de rapport.

 

i)                    En août 2007, la belle‑mère du demandeur principal a été violée et battue par un homme qui lui avait lancé des jurons et des insultes à caractère racial et l’a laissée dans les bois, inconsciente. Les policiers se sont moqués d’elle et ont laissé entendre qu’elle avait tout inventé ou que ce qui s’était passé était de sa faute. Les policiers disposaient de preuves (la description du véhicule et des échantillons de sperme), et les demandeurs les ont relancés à plusieurs reprises, mais ils n’ont jamais trouvé l’agresseur.

 

j)                    En décembre 2007, les demandeurs ont visité leurs parents à Vimperk pour Noël. Le jour de Noël, quelqu’un a mis le feu à leur maison, mais celle‑ci a été sauvée grâce aux pompiers. Le lendemain, on a mis le feu au sous‑sol, mais là encore l’incendie a été maîtrisé. Le 28 décembre, on a mis le feu au toit, et le 29, le toit tout entier a brûlé ainsi qu’une partie de la maison. Les demandeurs n’ont pas vu les agresseurs, mais ils ont entendu aux nouvelles qu’il s’agissait d’une « agression raciste ». Les parents des demandeurs ont pu obtenir de la ville un logement temporaire, mais celui‑ci n’avait ni eau, ni toilettes, ni salle de bains.

 

k)                  En novembre 2008, le demandeur principal, sa conjointe et les quatre cousins de celle‑ci ont été agressés par six skinheads armés de bâtons de baseball, alors qu’ils se trouvaient dans une brasserie locale pour célébrer le baptême d’Adam. Avant de s’enfuir, les skinheads ont tiré cinq coups de pistolet en guise d’avertissement. La police a appelé une ambulance et s’est lancée à la poursuite des agresseurs. Elle a recueilli les déclarations du demandeur principal et de sa famille, mais les demandeurs n’ont plus jamais entendu parler de l’enquête.

 

[6]               Au cours de l’audience devant la Commission, le demandeur principal a ajouté les allégations suivantes au soutien de la demande d’asile de sa famille :

a)                  En 1992, alors qu’il était encore enfant, son cousin a été agressé et tué par des skinheads. L’avocat des demandeurs a remis à la Commission l’enregistrement vidéo d’un bulletin de nouvelles au sujet de cette tragédie.

 

b)                  Le fils aîné du demandeur principal a été agressé le premier jour d’école par un groupe de six jeunes garçons tchèques. Il est revenu à la maison avec un œil poché, mais l’instituteur a dit que c’était lui qui avait commencé la bataille.

 

c)                  Le beau‑frère du demandeur principal, Stefan, a été agressé en République tchèque trois jours seulement après avoir été renvoyé du Canada, à la suite du rejet de sa demande d’asile.

 

d)                  Il y a des skinheads au sein de la police tchèque. Une fois, un policier s’est approché du demandeur principal dans le parc, lui demandant : [traduction] « Que fais‑tu ici, le nègre? »

 

            La décision contestée

[7]               La Commission a commencé l’exposé de ses motifs en faisant observer qu’elle avait « quelques doutes quant à la crédibilité ». D’abord, elle a indiqué que le demandeur principal avait déclaré avoir subi une commotion à la suite de l’agression à Pisek et avoir passé quelque temps à l’hôpital, alors que, dans son FRP, il ne précisait pas qu’il avait eu hospitalisation. La Commission a estimé qu’il s’agissait là d’un embellissement et que le demandeur n’avait en fait

jamais été hospitalisé à la suite d’une quelconque agression des skinheads. Deuxièmement, la Commission a conclu que « certains détails concernant le viol sont inexacts » et elle a donc accordé « peu de valeur à la déclaration selon laquelle la mère de la deuxième demanderesse d’asile [avait] été violée en raison de son origine [rome] ». Cette conclusion de la Commission reposait sur une divergence entre le FRP du demandeur principal et son témoignage portant sur le nombre d’agresseurs en cause.

 

[8]               La Commission a ensuite fait la distinction entre « discrimination » et « persécution ». Elle a reconnu qu’en République tchèque « les écoles ordinaires refusent encore systématiquement les enfants roms » et que ceux‑ci sont envoyés dans des écoles de redressement spécialisées dans les troubles du développement. Elle a aussi reconnu que ces écoles de redressement dispensent un enseignement de qualité inférieure qui « ne répond pas aux exigences minimales de dignité ».

 

[9]               Elle a ensuite évoqué un rapport du [traduction] « Fonds d’éducation des Roms » où l’on pouvait lire qu’il y avait eu des améliorations au cours des dernières années : classes préparatoires pour enfants issus de milieux difficiles, aides‑enseignants additionnels pour travailler dans les écoles comptant un fort pourcentage de Roms, éducation préscolaire gratuite, bourses d’études secondaires pour élèves roms, abolition des écoles d’enseignement spécial et augmentation du financement public. La Commission a aussi mentionné un programme public appelé [traduction] « réintégration des élèves roms », dont l’objectif était de corriger les cas où des élèves roms avaient été placés à tort dans des écoles de redressement. Elle a également

 

signalé une décision de la Cour européenne des droits de l’homme [la CEDH], qui avait jugé que la République tchèque avait pratiqué indirectement une discrimination à l’égard de certains élèves en les plaçant dans des écoles de redressement. La CEDH avait enjoint à la République tchèque de se doter de textes de loi interdisant la discrimination contre les enfants roms dans le système d’enseignement.

 

[10]           La Commission a reconnu que le traitement qu’ont reçu les demandeurs dans des écoles de redressement, où ils se sont fait « insulter verbalement » et ont « su[bi] des agressions physiques », « constitue manifestement une forme de discrimination ». Cependant, elle a estimé que, puisque des mesures étaient prises pour régler cette discrimination et que la décision de la CEDH signifiait que les demandeurs disposeraient d’un recours pour le placement de leur fils aîné, la situation se rapportant à l’enseignement n’équivalait pas à de la persécution.

 

[11]           Passant aux difficultés du demandeur principal à trouver un emploi, la Commission a reconnu qu’il avait pu y avoir discrimination.

 

[12]           S’agissant de l’affirmation selon laquelle la police avait fait preuve de discrimination à l’endroit du demandeur principal en le traitant de tous les noms, la Commission a fait observer que cela ne s’était produit qu’une seule fois.

 

[13]           La Commission a ensuite examiné deux des agressions qu’il avait relatées. En ce qui concerne l’agression survenue à Pisek en 2005, elle a réaffirmé qu’elle avait « quelques

 

inquiétudes quant à l’embellissement des détails » entourant cet incident. Quant aux incendies qui seraient survenus en 2007, pendant la période de Noël, elle a conclu qu’il n’y avait pas de preuve convaincante que les incendies avaient été allumés parce que les occupants étaient des Roms.

 

[14]           La Commission a alors indiqué que le mot « persécution » avait été défini comme la [traduction] « [v]iolation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État ». Elle a ajouté que les agressions physiques dont les demandeurs avaient été victimes seraient analysées dans la section subséquente portant sur la protection offerte par l’État et que, en définitive, il n’avait été apporté aucune preuve convaincante de l’existence d’une violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant une absence de protection de l’État.

 

[15]           Elle a conclu son analyse de la persécution par les mots suivants : « [j]’ai également examiné ces affaires isolément et dans l’ensemble, et j’estime qu’aucune d’elles n’équivaut à de la persécution ».

 

[16]           S’agissant de la protection de l’État, la Commission a estimé que, puisque la République tchèque est une démocratie, la présomption d’existence d’une protection de l’État est forte. Elle a renvoyé à la législation tchèque, qui offrait une protection aux Roms, notamment à des lois tchèques contre la discrimination et les crimes haineux. Elle a expressément fait état des réformes engagées dans la police tchèque : la création de postes d’assistants de police roms, le

 

recrutement de policiers roms et la formation de la police aux modes d’interaction avec les minorités. La Commission a aussi fait remarquer que le système judiciaire tchèque avait poursuivi les auteurs de plusieurs crimes haineux commis contre les Roms et que le nombre de procès de cette nature s’était accru ces dernières années. Outre la police, la Commission a mentionné l’existence d’autres ressources visant à aider les Roms : l’ombudsman tchèque, les quelque 400 ONG romes, l’Inspectorat tchèque du commerce, le Comité Helsinki tchèque chargé d’enquêter sur les dérapages policiers et le Bureau de l’inclusion sociale. La Commission a conclu que « la prépondérance de la preuve documentaire indique que le gouvernement de la République tchèque déploie des efforts très sérieux pour protéger les Roms, qu’il s’agisse de victimes de crimes haineux ou non, en veillant à ce qu’ils aient accès aux soins de santé ou à l’éducation et en les aidant à faire partie intégrante de la société tchèque ».

 

[17]           S’agissant de l’agression survenue en 2006 dans la discothèque, la Commission a jugé qu’il était évident que la police avait enquêté sur l’incident et avait recueilli les déclarations des témoins avant de conclure qu’aucune accusation ne serait portée. Selon la Commission, il serait difficile de se faire une idée claire de ce qui s’était produit en l’absence de rapports de police ou d’autres déclarations. S’agissant de l’incident survenu dans la brasserie en 2008, la Commission a indiqué que la police était intervenue et avait poursuivi les agresseurs. Elle avait donc pris des mesures. Par ailleurs, la police avait activement enquêté sur les incendies. Tout bien considéré, la Commission a conclu que, lorsque les demandeurs avaient fait appel à la police, la police était effectivement intervenue. Les demandeurs n’avaient sans doute pas été satisfaits du résultat,

 

mais, selon la Commission, ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante.

 

[18]           Finalement, la Commission a rejeté la demande d’asile.

 

Questions

[19]           Les questions soumises à la Cour sont les suivantes :

a)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas victimes de persécution en République tchèque?

 

b)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient obtenir une protection de l’État en République tchèque?

 

Norme de contrôle

[20]           La détermination de la persécution qui sous‑tend des incidents de discrimination ou de harcèlement a toujours été considérée par notre Cour comme étant une question susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir Tetik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1240, 86 Imm LR (3d) 154, paragraphe 25; Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 450, 166 ACWS (3d) 950, paragraphe 12. Il est bien établi aussi que la norme de contrôle à appliquer à la question de l’existence ou non d’une protection de l’État est celle de la décision raisonnable : voir la décision Tetik, précitée, paragraphe 25; Mendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de

 

l’Immigration), 2008 CF 584, 168 ACWS (3d) 596, paragraphes 11 à 13.

 

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada écrivait que :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

Arguments et analyse

a)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas victimes de persécution en République tchèque?

 

[22]           Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas adéquatement examiné la question de savoir si la discrimination et les agressions physiques dont ils ont été victimes en République tchèque pouvaient, cumulativement, équivaloir à de la persécution. Ils affirment que la Commission a simplement examiné leurs témoignages un par un sans les apprécier dans leur totalité. Selon eux, il incombait à la Commission d’expliquer pourquoi, à son avis, les épreuves cumulées qu’ils avaient subies n’équivalaient pas à de la persécution.

 

[23]           Les demandeurs affirment aussi que la Commission a aggravé cette erreur en n’examinant que deux des faits de harcèlement et d’agression physique - l’agression commise en 2005 à Pisek, et l’incendie de 2007 - dans le cadre de son analyse relative à l’existence ou non de persécution et en ne prenant compte des autres incidents que dans son analyse de la question de

 

la protection de l’État. Selon les demandeurs, la Commission a totalement omis de traiter de certains faits, par exemple : le meurtre du cousin du demandeur principal (meurtre confirmé par un enregistrement vidéo), l’agression dont a été victime le fils du demandeur principal et celle visant le beau‑frère du demandeur principal.

 

[24]           Les demandeurs font aussi valoir que la Commission a commis une erreur dans sa manière dont elle a traité la preuve documentaire se rapportant à la persécution. Ils disent que la Commission a examiné de façon sélective la preuve portant sur l’accès à l’éducation et qu’elle a totalement omis de tenir compte des documents portant sur la situation dans le pays qui traitaient de questions telles que les agressions physiques, la discrimination à l’embauche et la discrimination dans l’accès au logement. Selon les demandeurs, il incombait à la Commission d’examiner expressément cette preuve étant donné qu’elle contredisait sa conclusion ultime selon laquelle les épreuves subies par les demandeurs n’équivalaient pas à de la persécution.

 

[25]           Le défendeur soutient que la Commission a examiné, séparément et cumulativement, les agressions physiques dont ont été victimes les demandeurs, et qu’elle a conclu de façon raisonnable que ces agressions n’équivalaient pas à de la persécution. Selon le défendeur, chaque fait grave allégué par les demandeurs a été traité dans les motifs de la Commission. Finalement, le défendeur affirme que les demandeurs n’ont pas prouvé que la Commission a conclu à tort à l’absence d’une persécution.

 

[26]           Pour pouvoir être qualifié de réfugié au sens de la Convention en application de

 

l’article 96 de la LIPR, un demandeur d’asile doit démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.

 

[27]           Il a été reconnu à maintes reprises que, lorsque la preuve atteste une série d’actes pouvant être assimilés à de la discrimination, voire de la persécution, il incombe à la Commission de s’interroger sur l’effet cumulatif de tels actes pour savoir si, considérés ensemble, ils pourraient justifier de craindre avec raison d’être persécuté. La Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit dans l’arrêt Munderere c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 84, 291 DLR (4th) 68, au paragraphe 42 :

[...] la Commission a l’obligation de tenir compte de tous les faits qui peuvent avoir une incidence sur l’affirmation du demandeur d’asile suivant laquelle il craint avec raison d’être persécuté, y compris des incidents qui, pris isolément, ne constitueraient pas de la persécution mais qui, pris globalement, pourraient justifier une allégation de crainte fondée de persécution.

 

 

[28]           Dans la décision Mete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 840, 46 Imm LR (3d) 232, la juge Eleanor Dawson a écrit ce qui suit aux paragraphes 4 à 6 :

4     Les trois principes juridiques ci‑après énoncés ne sont pas controversés. Premièrement, dans l’arrêt Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 N.R. 129, la Cour d’appel fédérale a défini la persécution comme suit : harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit; tourmenter ou punir en raison d’opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d’un culte particulier; succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une religion particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu’en soit l’origine.

 

5     Deuxièmement, dans les cas où la preuve établit une série d’actions qui sont considérées comme de la discrimination plutôt que de la persécution, il faut tenir compte de la nature cumulative de cette conduite. Cette exigence reflète le fait que des incidents antérieurs peuvent servir de fondement à la crainte actuelle. Voir : Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 132 N.R. 53 (C.A.F.). Ce principe est également exprimé comme suit, au paragraphe 53 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide sur le statut de réfugié) : [...]

 

6     Troisièmement, la SPR commet une erreur de droit en ne tenant pas compte de la nature cumulative de la conduite à l’endroit du demandeur. Voir : Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) reflex, (1994), 85 F.T.R. 13 (1re inst.), au paragraphe 22, et les décisions faisant autorité que ma collègue, la juge Tremblay‑Lamer, a examinées.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[29]           Le document du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés intitulé Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (le Guide des Nations Unies) explique pourquoi il est nécessaire de considérer l’effet cumulé des expériences passées. On peut y lire ce qui suit :

[53] ... un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l’objet de mesures diverses qui en elles‑mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s’ajouter dans certains cas d’autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d’insécurité dans le pays d’origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d’esprit qui permet raisonnablement de dire qu’il craint d’être persécuté pour des « motifs cumulés »[...]

 

 

 

 

[30]           L’obligation de considérer l’effet cumulé de mauvais traitements passés rend compte aussi du principe selon lequel des événements antérieurs peuvent constituer le fondement d’une crainte actuelle : voir l’arrêt Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 132 NR 53, 27 ACWS (3d) 481 (CAF). Ainsi que l’écrivait le juge en chef Arthur Thurlow dans l’arrêt Alfredo Manuel Oyarzo Marchant c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] 2 C.F. 779 (CA) :

[...] puisqu’il s’agit d’examiner le fondement d’une crainte actuelle, ces incidents antérieurs font partie d’un tout et on ne peut pas les exclure complètement des motifs de la crainte, même s’ils ont été relégués dans l’ombre par les événements subséquents.

 

 

[31]           Après lecture attentive de la décision de la Commission, il ne fait aucun doute que la Commission savait qu’elle devait considérer l’effet cumulé des expériences passées des demandeurs pour savoir s’ils avaient une crainte fondée de persécution, par opposition à une crainte de simple discrimination, en République tchèque. Au paragraphe 26 de ses motifs, la Commission a posé la bonne question : « Est‑ce que les actes de discrimination dont ont été victimes les demandeurs d’asile équivalent, isolément ou dans leur ensemble, à de la persécution? » Toutefois, la Commission ne s’est posé cette question qu’après avoir examiné une par une les expériences passées des demandeurs; elle a d’abord tenu compte de la discrimination dont ils étaient victimes pour l’accès à l’éducation, puis de la discrimination dans l’accès à l’emploi, de la discrimination exercée contre eux par la police et enfin des agressions physiques. Ensuite, après avoir donné une définition de « persécution », la Commission a conclu ainsi : « J’ai [...] examiné ces affaires isolément et dans leur ensemble, et j’estime qu’aucune d’elles n’équivaut à de la persécution ». La Commission n’analyse nulle part l’effet cumulé des incidents discriminatoires et n’explique pas pourquoi ces incidents, considérés ensemble, n’équivalaient pas à de la persécution.

 

[32]           Le juge Yves de Montigny a fait une observation semblable dans la décision Tetik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1240, 86 Imm LR (3d) 154, au paragraphe 27 :

[...] La SPR était manifestement consciente du critère de la persécution cumulée, mais en fait elle n’a pas considéré les actes discriminatoires comme un tout et a procédé dans l’ordre, en suivant la chronologie relatée par les demandeurs, sans apprécier la totalité ou l’effet cumulé de leurs éléments de preuve non contestés quant au traitement qu’ils avaient subi. Il s’agissait là d’une erreur cruciale[...]

 

 

[33]           L’analyse conduite par la Commission dans la présente affaire est également assez semblable à celle qui a été faite dans la décision Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 768, 348 FTR 69. Le juge James Russell y écrivait ce qui suit, aux paragraphes 65 à 67 :

65     Au paragraphe 21 de sa décision, la Commission affirme que la conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas persécuté s’il retournait au Liban a été tirée « non seulement en examinant soigneusement les diverses formes de discrimination qu’a endurées le demandeur d’asile, mais aussi [en tenant compte du cumul] des diverses formes de discrimination ». La Commission a par la suite examiné séparément les « diverses formes de discrimination », mais n’a jamais fourni de véritable explication quant à savoir pourquoi l’effet cumulatif n’équivalait pas à de la persécution.

 

66     Comme la juge Dawson l’a souligné au paragraphe 9 de la décision Mete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 840, « il ne suffit pas pour la SPR de dire simplement qu’elle a tenu compte de la nature cumulative des actes discriminatoires ».

 

67     Comme dans l’affaire Mete, l’analyse de la Commission en l’espèce « ne prenait absolument pas en considération l’effet cumulatif de la conduite que la SPR considérait comme de la discrimination ou du harcèlement, comme l’exigeait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Retnem, [[1991] A.C.F. no 428] et comme on l’explique dans le Guide sur le statut de réfugié ». Il ne suffit pas que la Commission mentionne simplement qu’il a tiré sa conclusion « [en tenant compte du cumul] des diverses formes de discrimination ». Les motifs doivent expliquer pourquoi l’épouvantable discrimination si longtemps exercée par l’État du Liban contre le demandeur en tant que Palestinien apatride n’équivaut pas à de la persécution. La décision ne fait aucunement état du critère appliqué par la Commission ou de son raisonnement sur la question de savoir si l’effet cumulé des discriminations équivalait à de la persécution.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[34]           Étant donné qu’elle a expressément reconnu dans ses motifs que ce que les demandeurs avaient vécu eu égard à leur scolarité, les injures répétées et les nombreuses agressions étaient « manifestement » discriminatoires par nature, et qu’elle a admis qu’il « peut y avoir eu de la discrimination » envers le demandeur principal en matière d’emploi, la Commission avait l’obligation d’expliquer pourquoi ces nombreux actes de discrimination n’équivalaient pas, cumulativement, à de la persécution.

 

[35]           Je me range aussi à l’opinion des demandeurs pour qui la Commission a commis une erreur en ne mentionnant que deux des agressions dans son analyse de la discrimination par rapport à la persécution : l’agression commise en 2005 à Pisek, dont la Commission doutait qu’elle fût crédible, et les incendies dans la maison en 2007. La Commission a écrit que « [l]es agressions physiques subies par les demandeurs d’asile sont examinées dans la section suivante

 

portant sur la protection de l’État ». Toutefois, comme le font observer à juste titre les demandeurs, cela pose un problème : on a l’impression que la Commission n’a pas nécessairement tenu compte de la totalité des agressions avant de conclure que l’effet cumulé des agressions, combiné à la discrimination dans d’autres domaines, n’équivalait pas à de la persécution. Dans la décision Tetik, précitée, le juge de Montigny a écrit ce qui suit, au paragraphe 29 :

29    Par ailleurs, je conviens avec les demandeurs que la SPR n’a pas pris en considération les actes de harcèlement les plus sérieux dans son analyse de la persécution, mais uniquement dans la partie « protection de l’État » de ses motifs. La SPR a mis l’accent sur les incidents mineurs ainsi que sur les faits qui ne constituent même pas de la discrimination (l’ostracisme exercé par les familles, le traitement infligé à Ceday au jardin d’enfants) dans la partie de ses motifs qui porte sur la persécution. Les incidents plus sérieux que sont les menaces et les agressions ont été analysés, mais uniquement dans le contexte de la protection de l’État. Les agressions physiques qu’ils ont subies auraient dû être prises en considération dans l’analyse des effets cumulés; ne pas l’avoir fait signifie que la SPR n’a pas pris en considération la totalité des circonstances avant de conclure à une absence de persécution. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[36]           La Commission n’a pas évoqué certaines des prétendues agressions. Elle n’a pas fait état dans ses motifs des agressions mentionnées par le demandeur principal pour la première fois à l’audience (et qui n’étaient pas mentionnées dans les FRP des demandeurs). Parmi les faits occultés par la Commission dans ses motifs, il y avait les allégations suivantes : le cousin du demandeur principal a été agressé et tué par des skinheads en 1992; le fils aîné du demandeur principal a été agressé son premier jour d’école; le beau‑frère du demandeur principal avait récemment été agressé en République tchèque, à son retour dans ce pays à la suite du rejet de sa demande d’asile au Canada. Étant donné qu’elle n’a pas dit qu’elle doutait de la véracité de ces

 

allégations, la Commission aurait dû les prendre en compte dans son analyse cumulative.

 

[37]           Finalement, s’agissant de l’argument des demandeurs selon lequel la Commission a commis une erreur dans sa façon de traiter la preuve documentaire sur la persécution des Roms en République tchèque, le juge John O’Keefe a écrit, au paragraphe 25 de Kaleja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 252, que « le principe voulant que la preuve documentaire relative à la persécution d’un groupe particulier doive être évaluée sérieusement s’applique au cas des Roms ». La Commission a dûment pris en compte la preuve documentaire concernant l’accès à l’éducation en faisant observer, d’une part, que sur ce point « [l]es préjugés sont encore bien présents » et, d’autre part, que des mesures étaient prises pour améliorer la situation. Cependant, elle n’a pas examiné la preuve documentaire relative aux autres sujets de préoccupation soulevés par les demandeurs, principalement la discrimination à l’embauche et la crainte d’agressions physiques.

 

[38]           Le rapport du Département d’État des États‑Unis sur les pratiques observées en République tchèque en matière de droits de l’homme, « Country Reports on Human Rights Practices for 2008 » (25 février 2009), indiquait notamment :

[traduction] La loi interdit la discrimination à l’embauche fondée sur l’origine ethnique; cependant, les Roms connaissent encore la discrimination, à la fois dans l’accès à l’emploi et dans l’accès à l’éducation. Les chiffres précis n’ont pas été communiqués, mais le taux de chômage chez les Roms était estimé à environ 75 p. 100. Certains employeurs refusaient d’embaucher des Roms et demandaient aux bureaux de placement locaux de ne pas leur envoyer de candidats roms.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[39]           Plutôt que d’examiner les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays concernant l’emploi, la Commission a conclu qu’« [i]l peut y avoir eu de la discrimination » envers le demandeur principal dans sa recherche d’emploi. En négligeant de tenir compte d’une preuve documentaire digne de foi qui rattachait la discrimination à des niveaux très élevés de chômage parmi les Roms en République tchèque, la Commission a manqué à son obligation de considérer toute la preuve qui lui avait été soumise.

 

[40]           Le même rapport du Département d’État des États‑Unis évoquait la question des agressions physiques commises contre les Roms. On pouvait y lire que [traduction] « des néonazis, des membres du Parti des travailleurs d’extrême droite et des skinheads ont agressé et harcelé des Roms et d’autres minorités au cours de l’année » et que [traduction] « [d]es membres et des sympathisants d’organisations de skinheads étaient la plupart du temps les auteurs des violences interethniques, en particulier contre les Roms ». La Commission aurait dû tenir compte de ce genre de preuve objective sur la situation dans le pays avant de décider si les épreuves subies par les demandeurs en République tchèque équivalaient à de la persécution ou simplement à de la discrimination.

 

[41]           Ces omissions de la Commission m’amènent à conclure qu’elle a eu tort de dire que les expériences vécues par les demandeurs en République tchèque n’équivalaient pas à de la persécution. La Commission n’a pas fait une analyse cumulative en bonne et due forme, elle n’a pas suffisamment traité des divers cas de mauvais traitements allégués par les demandeurs et elle n’a pas prêté une attention suffisante aux documents objectifs qui décrivaient la situation dans le

 

pays.

 

b)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient obtenir une protection de l’État en République tchèque?

 

[42]           Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a tenu compte que de quelques éléments de preuve documentaire sélectionnés relatifs à la question de l’existence d’une protection de l’État. Ils disent que la Commission a omis de tenir compte ou de mentionner des éléments de preuve documentaire qui tendaient à démontrer que la protection offerte par l’État était en fait insuffisante pour des personnes se trouvant dans une situation semblable à la leur en République tchèque.

 

[43]           Les demandeurs prétendent aussi que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a tenu aucun compte de leurs tentatives infructueuses antérieures d’obtenir une protection en République tchèque. Ils font observer que la Commission a totalement esquivé cette question de la protection en dépit des affirmations suivantes des demandeurs adultes : ils avaient été ignorés par leurs enseignants lorsque, enfants, ils avaient été agressés; la police s’était moquée d’eux après les agressions commises en 2005 à Pisek, la police s’était également moquée d’eux à la suite du viol commis en 2007; nul n’avait été puni pour le meurtre du cousin du demandeur principal en 1992; le cousin du demandeur principal n’avait pu obtenir la protection de la police lors de l’agression commise en 2010; la police compte dans ses rangs plusieurs skinheads et avait déjà proféré des injures racistes à l’endroit du demandeur principal et d’autres Roms.

 

[44]           Les demandeurs font globalement valoir que la simple existence d’une protection de

 

l’État ne suffit pas et que, pour savoir si cette protection est adéquate, il faut se demander si les moyens mis en place donnent des résultats. Les demandeurs affirment que, compte tenu des erreurs commises par la Commission dans l’analyse des documents relatifs à la situation dans le pays et de ses erreurs lorsqu’elle a évalué les tentatives personnelles des demandeurs en vue d’obtenir une protection de l’État, l’analyse de la Commission concernant le caractère adéquat de la protection de l’État était déraisonnable.

 

[45]           Le défendeur soutient que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau ultime ou charge de persuasion de produire une preuve propre à réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. Il affirme donc qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que la protection offerte par l’État en République tchèque était suffisante.

 

[46]           La Commission a axé son analyse de la protection offerte par l’État sur l’examen de la situation dans le pays décrite dans l’exposé de la CISR intitulé « Protection offerte par l’État : Rapport de la mission d’enquête en République tchèque » (juin 2009). Comme je l’ai souligné précédemment, la Commission a signalé l’existence de lois interdisant la discrimination ainsi que la mise en œuvre de mesures destinées à réformer les forces policières du pays et à offrir une protection accrue aux populations romes. La Commission a conclu que « [l]a prépondérance de la preuve documentaire » montrait que le gouvernement tchèque faisait « des efforts très sérieux » pour protéger les Roms.

 

[47]           Cependant, comme notre Cour l’a fait observer à maintes occasions, la simple volonté

 

d’un État d’assurer la protection de ses citoyens ne suffit pas en soi à établir sa capacité de les protéger. La protection doit présenter un certain niveau d’efficacité : voir Burgos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1537, 160 ACWS (3d) 696; Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1183, paragraphe 32. Un demandeur peut donc réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État en démontrant soit qu’un État n’est pas disposé à lui offrir une protection suffisante, soit qu’il en est incapable : voir Cosgun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, paragraphe 52.

 

[48]           L’analyse de la Commission ne reconnaît nulle part l’existence de la preuve objective concernant la possibilité de l’insuffisance de la protection offerte par l’État. Par exemple, le Rapport d’Amnestie Internationale de 2009 sur les droits de l’homme en République tchèque indique ce qui suit :

Le gouvernement n’avait toujours pas mis en œuvre les mesures appropriées pour lutter contre la discrimination, dont diverses formes continuaient à affecter les Roms, notamment en matière d’accès à l’enseignement, au logement et aux services de santé. Les Roms étaient en outre victimes de menaces de violences de la part de groupes d’extrême droite.

 

 

Le rapport du Département d’État des États‑Unis sur les pratiques observées en République tchèque en matière de droits de l’homme en 2008, intitulé « Country Reports on Human Rights Practices for 2008 » (25 février 2009), renfermait ce qui suit :

[traduction] Les lois interdisent la discrimination fondée sur la race, le sexe, les déficiences, la langue ou le statut social; cependant, d’importantes discriminations sociétales à l’encontre des Roms et des femmes persistaient.

 

 

Une réponse à une demande d’information de la Commission elle‑même, CZE102667.EX (12 décembre 2007) contenait ce qui suit :

Toutefois, selon l’ERRC, il régnait en 2006 [traduction] « une impunité quasi totale en ce qui concerne la discrimination raciale à l’égard des Roms » en République tchèque (1er mars 2007). L’IHF affirme que dans la majorité des cas où des minorités, et notamment des Roms, ont été la cible de néo‑nazis, [traduction] « les autorités, y compris la police, fermaient les yeux » (IHF 2007). D’après l’IPS, un sondage mené en 2006 a révélé que [traduction] « les tribunaux enquêt[aient] rarement sur les cas de discrimination raciale » (6 avr. 2007). Aucune autre information sur ce sondage n’a pu être trouvée parmi les sources consultées par la Direction des recherches.

 

On pouvait lire dans une réponse précédente à une demande d’information de la Commission, CZE100727.E (26 janvier 2006), ce qui suit :

Toutefois, la Fédération internationale d’Helsinki pour les droits de l’homme (IHF) a souligné que la police [traduction] « avait fréquemment omis de prendre les mesures appropriées » dans les cas d’attaques violentes contre des Roms en 2004 (27 juin 2005) et, selon le Département d’État des États‑Unis (United States Department of State), il existait encore [traduction] « des incohérences judiciaires dans le traitement formel des crimes motivés par la race ou l’ethnie » (Country Reports 2004 28 févr. 2005, sect. 5).

 

Le document lui‑même sur lequel s’est fondée la Commission, à savoir l’exposé de 2009, renfermait ce qui suit :

D’autres représentants d’ONG ont affirmé que, lorsque des actes extrémistes sont commis, la police a tendance à intervenir uniquement s’ils sont considérés comme graves ou s’ils sont trop médiatisés pour être ignorés [...].

 

 

[49]           En l’espèce, je suis d’avis qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de s’être focalisée sur les « efforts très sérieux » déployés par la République tchèque pour protéger ses citoyens roms, en laissant de côté la preuve démontrant que, en pratique, ces efforts étaient sans doute inadéquats. La Commission n’était pas tenue de renvoyer à chacun des éléments de preuve qui lui ont été soumis. Cependant, puisque les demandeurs avaient produit des éléments de preuve pertinents et dignes de foi qui appuyaient leurs dires au regard de la situation dans le pays, la Commission avait l’obligation de prendre acte de ces éléments de preuve et d’expliquer pourquoi elle était d’avis que, en dépit de ces éléments de preuve, les « efforts très sérieux » du gouvernement étaient suffisants : voir la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 ACWS (3d) 264 (1re inst.).

 

[50]           Étant donné que la Commission n’a pas traité de manière raisonnable la preuve objective se rapportant à la situation dans le pays, il est inutile d’examiner maintenant la manière dont elle a jugé les démarches faites par les demandeurs pour tenter d’obtenir une protection de l’État. Son appréciation déraisonnable de la preuve relative à la situation dans le pays a pour effet d’invalider sa conclusion selon laquelle l’État offrait une protection. Le processus décisionnel suivi par la Commission était donc dépourvu de justification, de transparence et d’intelligibilité, rendant ainsi déraisonnable sa conclusion générale.

 

Conclusion

[51]           Étant donné que la Commission n’a pas dûment analysé la question de la persécution et qu’elle a commis une erreur dans son analyse relative à la protection offerte par l’État, en raison d’un examen inadéquat des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays, je fais droit à la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

 

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3354‑10

 

INTITULÉ :                                                   BLEDY ET CONSORTS. c.
MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 2 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SCOTT

 

DATE :                                                           Le 22 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Radin

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Radin

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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