Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110310

Dossier : IMM-3456-10

Référence : 2011 CF 297

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

MAYRA PAOLA CAMPOS QUEVEDO

SIGRID CAMPOS QUEVEDO

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mayra Paola Campos Quevedo, la demanderesse principale, est une citoyenne mexicaine qui soutient avoir été victime de violence de la part de son petit ami à l’époque. Elle a demandé l’asile au Canada avec sa fille, mais sa demande a été refusée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR). Dans une décision datée du 6 avril 2010, la CISR a conclu que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch.  27 (la LIPR). L’autorisation de contrôle judiciaire a été accordée le 30 novembre 2010.

 

[2]               Après avoir relaté les principaux faits de l’affaire, la CISR s’est penchée sur les questions de droit touchant la protection de l’État. Puis, ayant défini les principes juridiques, la CISR a déterminé que la protection fournie par le Mexique serait raisonnablement disponible si la demanderesse principale désirait s’en prévaloir. La CISR a noté qu’il n’y avait pas de preuve convaincante qui démontrait que la police n’enquêtait pas sur les allégations. La CISR a remarqué que la demanderesse principale aurait dû demander protection auprès d’autres autorités. On a jugé que les réponses fournies en matière de protection « n'étaient pas crédibles, que bon nombre d'entre elles n'étaient pas justifiées et qu'elles n'étaient pas compatibles avec la preuve documentaire ». Bien qu’elle ait examiné la preuve documentaire, la CISR a tranché en faveur de la preuve soutenant que le Mexique faisant des progrès et que la protection était offerte aux femmes battues. Conséquemment, la demande d’asile a été rejetée puisqu’aucune preuve claire et convaincante n’a été présentée réfutant la présomption de la protection de l’État.

 

I.          La norme de contrôle

[3]               Les demanderesses ont déposé plusieurs arguments étayant leur demande de contrôle judiciaire. Quoique leur position soit considérablement plus nuancée, la Cour résume l’argumentaire des demanderesses en une question plus générale : est-ce que la CISR a erré dans son évaluation de l’existence de la protection de l’État pour les femmes battues au Mexique?

 

[4]               Étant une question mixte de faits et de droit, cette question doit être étudiée en fonction de la norme de raisonnabilité, par laquelle la Cour évaluera si la décision appartient à la gamme des issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Garcia Bautista c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 126; Flores Campos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 842).

 

II.        Analyse

[5]               La décision de la CISR est déraisonnable : son analyse de la suffisance de la protection de l’État est déficiente. La Cour est aussi préoccupée par la cohérence et le caractère exhaustif de l’analyse de la CISR.

 

[6]               Tout d’abord, il est utile de reproduire le paragraphe 19 des motifs de la CISR dans son intégrité afin de mieux faire ressortir les préoccupations en matière de cohérence dans la décision contestée :

Je conclus que la demandeure d’asile principale ne fait que formuler une hypothèse lorsqu’elle affirme que la police n’enquête pas au sujet de ses allégations. En réponse à la question lui demandant si elle savait quelles étaient les activités de Jovani depuis qu’elle l’avait quitté, la demandeure d’asile principale a répondu qu’il s’était caché après la fermeture de la boîte de nuit où il travaillait. Je conclus qu’il serait difficile pour la police de poursuivre Jovani en justice pour les agressions et les menaces à l’endroit de la demandeure d’asile principale s’il se cachait. En outre, la police a pris des mesures lorsque la mère de la demandeure d’asile principale lui a signalé les menaces de Jovani en février 2009. Une citation à comparaître devant le département des enquêtes préliminaires a été délivrée à Jovani le 7 avril 2009. La demandeure d’asile principale ne connaît pas l’issue de cette enquête. Aucune preuve convaincante n’a été présentée qui indiquerait que la police n’enquêtait pas sur toutes les allégations de la demandeure d’asile principale.

 

[7]                Des affirmations de ce paragraphe sont difficilement conciliables. D’une part, la CISR note qu’il serait difficile pour la police de trouver Jovani et ainsi de répondre à l’obligation de l’État de protéger sa population. D’autre part, elle indique qu’il n’y a pas de preuve convaincante montrant que la police ne menait pas d’enquête. Ces affirmations se contredisent. De plus, le manque de « preuve convaincante » découle d’une lecture sélective des déclarations de la demanderesse principale. Une de ces déclarations veut qu’un agent du ministère public ait rédigé un rapport seulement en réponse à l’insistance du beau-père de la demanderesse principale. La CISR a noté ce fait au paragraphe 4, mais a omis un fait nécessaire : la demanderesse principale a reconnu cet agent comme un des collaborateurs de son petit ami dans la vente de stupéfiants. Étant donné que la crédibilité de la demanderesse n’était pas directement remise en doute par la CISR, celle-ci avait le devoir d’inclure ce fait important, ou du moins expliquer pourquoi il n’était pas considéré, afin que la déclaration selon laquelle la demanderesse principale ne fait que « formuler une hypothèse » soit adéquate. De plus, en ce qui concerne [traduction] « la preuve évidente que la police ne menait pas d’enquête », la demanderesse principale a en effet affirmé qu’elle avait reçu un appel du bureau du procureur public l’informant que les renseignements relatifs à sa plainte n’étaient pas accessibles à cause des amis influents de Jovani. La CISR a inscrit cette preuve au paragraphe 4, mais ne s’est pas prononcée sur sa validité ou sur le motif pour lequel elle ne serait pas considérée. Encore là, puisque la crédibilité n’était pas clairement un enjeu, la CISR aurait dû traiter de ce renseignement dans ses motifs, et plus encore, car n’importe quel lecteur objectif aurait pu considérer la preuve comme « convaincante ».

 

[8]               Des déclarations générales selon lesquelles [traduction] « tous les éléments de la preuve » ont été considérés ne sont pas suffisantes en l’espèce. Avant de déclarer qu’il n’y avait pas de « preuve convaincante », la CISR avait l’obligation d’étudier de manière sérieuse la preuve et les déclarations de la demanderesse principale, en particulier si on pouvait raisonnablement envisager qu’elles répondaient aux préoccupations de la CISR quant à la suffisance de la protection de l’État. Le fait que la CISR doit examiner la preuve qui lui est présentée, notamment lorsqu’elle apparait être une « preuve convaincante », est un principe de droit de l’immigration bien établi (voir, entre autres, Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35 (CF 1ère inst.); Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491; Vigueras Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359).

 

[9]               En l’espèce, l’énoncé général de la CISR commentant les réponses de la demanderesse principale comme « n'étaient pas crédibles, que bon nombre d'entre elles n'étaient pas justifiées et qu'elles n'étaient pas compatibles avec la preuve documentaire » aurait pu être nuancé. Il aurait été préférable de mieux évaluer la situation à la lumière des faits de l’affaire. Parmi ceux-ci, le fait que la demanderesse principale a communiqué avec les autorités six (6) fois relativement à de la violence fondée sur le sexe sans posséder de preuve concrète que l’État prenait des mesures pour assurer sa protection. Ainsi, il est clair qu’au-delà de l’énoncé général que [traduction] « les Directives ont été prises en considération », la CISR a omis de traiter des motifs mis de l’avant dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Ce faisant, une erreur susceptible de contrôle a été commise (Isakova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 149). En l’espèce, il ne s’agit pas d’un cas où les Directives renforcent une demande vague et qu’elles présentent un témoignage en tant que vérité, comme cela a pu être le cas dans la décision Vigueras Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, mais bien une affaire dans laquelle les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’ont pas été dument prises en considération.

 

[10]           Concernant la preuve documentaire et la protection suffisante de l’État, il est apparent que la CISR a agi d’une façon qu’on a qualifiée d’analyse « pro forma » (voir, par exemple, Alexander c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1305). Visiblement, les principes de la protection de l’État sont tels qu’un demandeur d’asile doit épuiser les recours internes avant de demander la protection auxiliaire du droit relatif aux réfugiés (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689). Cependant, la Cour adopte le raisonnement du juge De Montigny dans la décision Aguirre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 916, au paragraphe 20 :

Il ressort de nombreux précédents qu’il ne suffit pas à un État de se doter des moyens nécessaires pour offrir une protection; il faut aussi établir objectivement que l’État est en mesure d’offrir en pratique cette protection : voir notamment Avila c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 359; Sanchez c. Canada (M.C.I.), 2009 CF 101; Capitaine c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 98. Cependant, la SPR ne semble pas avoir fait la distinction, et elle ne signale aucune preuve documentaire montrant que les moyens consacrés à la lutte contre le crime ont produit des résultats concrets.

 

 

[11]           En l’espèce, cette distinction claire n’a pas été prise en considération, car l’analyse de la CISR concernant la protection offerte était largement théorique. Elle n’a pas étudié la preuve documentaire démontrant comment les lois et les mesures prises se sont manifestées de manière concrète. À tout le moins, la CISR est tenue d’expliquer de façon satisfaisante la raison pour laquelle la preuve n’a pas été considérée (Cepeda-Gutierez, précitée). En l’espèce, il est évident que les déclarations générales selon lesquelles le commissaire errerait s’il n’étudiait pas la preuve contraire ne suffisent pas. De plus, la Cour est préoccupée par l’utilisation par la CISR de mesures législatives et politiques comme justification d’une protection de l’État suffisante, tandis que du même souffle, elle cite des documents plus récents indiquant clairement que ces mesures ont été inefficaces ou sans effet.

 

[12]           Sans aucun doute, la CISR doit faire l’effort de présenter plus qu’un aperçu général de la protection de l’État disponible au Mexique. Une analyse claire, instructive et à jour doit être réalisée.

 

[13]           Il est possible que les assignations émises à l’endroit de Jovani soient déterminantes pour l’issue de l’affaire. Aussi, il se peut que la CISR arrive à des conclusions similaires à celles de l’espèce. Cependant, selon la jurisprudence, pour y arriver une justification adéquate doit être fournie, ce qui n’a pas été le cas dans la présente affaire. Afin qu’un tribunal de révision s’acquitte dûment de son devoir, une considération appropriée doit être accordée au motif de la décision et non seulement à l’issue finale de la décision (Dunsmuir, précitée, au paragraphe 47 : « La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. »)

 

[14]           Conséquemment, la réparation appropriée pour l’espèce est d’accorder la demande et de renvoyer à une formation de la CISR différemment constituée afin que celle-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

[15]           Aucune question n’a été soumise pour la certification et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie. L’affaire doit être renvoyée à un une formation de la CISR différemment constituée afin que celle-ci statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3456-10

 

INTITULÉ :                                       MAYRA PAOLA CAMPOS QUEVEDO

                                                            SIGRID CAMPOS QUEVEDO

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE S. NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 7 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Luis Antonio Monroy

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Samantha Reynolds

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luis Antonio Monroy

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.