Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110215

Dossier : IMM-3781-10

Référence : 2011 CF 181

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

JIAN HUA ZHENG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en vue du contrôle judiciaire de la décision du 10 juin 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse après avoir conclu qu’elle n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

Faits et contexte

[3]               Jian Hua Zheng (la demanderesse) est née le 9 mai 1976 dans la province du Fujian, en République populaire de Chine (Chine).

 

[4]               La demanderesse est arrivée au Canada en août 2008, en provenance des États-Unis d’Amérique (les É.-U.) et n’a pas fait de demande d’asile avant février 2009. Elle était enceinte lorsqu’elle a fait la demande et a depuis donné naissance (en mai 2009) à un garçon. Son fils est citoyen canadien de naissance.

 

[5]               La demanderesse présente les faits suivants au soutien de sa demande.

 

[6]               En avril 1996, alors qu’elle vivait toujours en Chine, la demanderesse est tombée enceinte. Elle ne pouvait épouser son petit ami, le père de son enfant, puisque ni elle ni lui n’avaient l’âge légal pour ce faire. Comme elle savait qu’elle serait forcée de se faire avorter si les autorités locales venaient à apprendre que sa grossesse n’était pas planifiée, elle s’est cachée. Elle a éveillé les soupçons des représentants de l’ordre lorsqu’elle a manqué un rendez-vous pour un examen physique planifié. Ces derniers ont alors arrêté son père pour la contraindre à se manifester. En juillet 1996, la demanderesse s’est livrée aux autorités, qui ont alors confirmé qu’elle était enceinte. Ils l’ont forcé à se faire avorter. Elle a également dû payer une amende.

 

[7]               La demanderesse et son petit ami ont alors décidé de quitter la Chine. Le petit ami est parti le premier; ils ont perdu contact peu de temps après. Malgré cette perte de contact, la demanderesse était toujours déterminée à partir. Elle a décidé de se rendre seule aux É.-U., en passant par le Canada. Lorsqu’elle est arrivée au Canada, le 7 février 1997, les autorités de l’immigration l’ont détenue. Elle a pu poursuivre sa route vers les É.-U. le 10 février 1997, après avoir été mise en liberté. Elle y a fait une demande d’asile en janvier 1999. Sa demande d'asile a été rejetée.

                                                   

[8]               Pendant l’été 2008, alors qu’elle était toujours aux É.-U., la demanderesse a fait la connaissance d’un homme (sur Internet) qui vivait à Toronto. Il lui a dit que si elle venait au Canada, il la parrainerait afin qu’elle obtienne la résidence permanente. Il a rendu visite à la demanderesse alors qu’il s’était rendu aux É.-U. pour affaires. La demanderesse est tombée enceinte de lui. Elle est venue s’installer au Canada en août 2008. Leur relation a pris fin en janvier 2009. La demanderesse a présenté une demande d'asile en février 2009. L’enfant est né en mai 2009.

 

[9]               Lors de l’audience devant la Commission, la demanderesse a mentionné qu’elle ne voulait pas retourner en Chine parce qu’elle craignait : a) la stérilisation forcée si elle se mariait (elle a souligné qu’elle souhaitait se marier et avoir d’autres enfants); b) qu’il serait difficile ou encore coûteux d’envoyer son fils à l’école en Chine et qu’il ne recevrait pas de soins médicaux là-bas, et c) qu’il serait difficile pour elle d’obtenir un certificat de résidence (un hukou).

 

[10]           La demanderesse a présenté la déclaration d’une personne en situation semblable, sa cousine, à l’appui de ses allégations de crainte. Sa cousine a déclaré qu’elle avait donné naissance à un enfant aux É.-U. pour ensuite être expulsée vers la Chine avec son fils en 2008. Elle a raconté que son fils n’avait accès qu’à une éducation restreinte en Chine malgré des frais de scolarité beaucoup plus élevés que ceux des autres enfants, que son nom ne pouvait être inscrit sur son certificat de résidence, et qu’il n’y avait aucune garantie de soins médicaux pour lui. De plus, sa cousine a indiqué que le Bureau de planification des naissances avait requis qu’elle soit stérilisée, avant de se marier en Chine.

 

Décision contestée

[11]           La Commission a commencé ses motifs en disant que « [l]a question très humaine de la séparation de la mère et de son enfant » est le facteur déterminant dans la demande d’asile de la demanderesse. La Commission a ensuite souligné que le fils de la demanderesse était un citoyen canadien et qu’il n’était donc pas obligé de quitter le Canada, qu’il pouvait même y rester et être confié aux soins des organismes de bien-être social des enfants. Bien que la Commission ait reconnu qu’il soit difficile de séparer une mère de son enfant, elle a également souligné que l’examen des risques avant renvoi (ERAR) ou la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire étaient mieux adaptés à l’examen de cette question. Afin de trancher la demande d’asile, la Commission s’en est tenue au scénario selon lequel la demanderesse retournerait en Chine sans son fils. La Commission a conclu que dans de telles circonstances les autorités chinoises ne sauraient pas que la demanderesse avait eu un fils et qu’ainsi elle ne serait pas exposée à un risque parce qu’elle avait contrevenu aux politiques de planification des naissances en Chine.

 

[12]           La Commission a de plus souligné que la cousine de la demanderesse, qui se trouvait dans une situation semblable, avait été en mesure de retourner en Chine en compagnie de son fils né aux États-Unis et qu’elle n’avait pas été exposée au risque d’être stérilisée jusqu’à ce qu’elle se marie. À cet égard, la Commission a reconnu que le projet de la demanderesse de se marier et d’avoir d’autres enfants n’était, en fait, que « spéculatif ».

 

[13]           La Commission s’est aussi demandé si la disposition relative aux « raisons impérieuses » prévues par la LIPR ‑ au paragraphe 108(4) ‑ pouvait s’appliquer à la situation de la demanderesse. Elle a expliqué qu’il devait y avoir un changement dans la situation pour que le paragraphe 108(4) puisse s’appliquer. Elle a conclu qu’il n’y avait pas eu de tels changements et qu’en conséquence, l’exception ne s’appliquait pas.

 

[14]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle risquait sérieusement d’être persécutée ou qu'elle serait personnellement exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumise à la torture par les autorités en Chine. La demande d’asile présentée par la demanderesse a été rejetée.

 

Questions en litige

[15]           La présente espèce soulève les questions suivantes :

A.        La commission a-t-elle commis une erreur en fondant son analyse sur la prémisse que la demanderesse pourrait retourner en Chine sans son fils?

 

B.         La commission a-t-elle commis une erreur en considérant que le risque de stérilisation était « spéculatif »?

 

C.        La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte les documents faisant état de la situation dans le pays en cause?

 

D.        La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le paragraphe 108(4) ne s’appliquait pas à la demande d’asile présentée par la demanderesse?

 

E.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne conduisant pas une analyse fondée sur l'article 97?

 

Norme de contrôle applicable

[16]           Les quatre (4) premières questions susmentionnées sont des questions mixtes de fait et de droit. La norme de contrôle appropriée est donc celle de la décision raisonnable (Liu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 877, 353 FTR 132, au paragraphe 37).

 

[17]           En ce qui concerne la cinquième question, à savoir si la commission a commis une erreur en n’offrant pas une analyse indépendante fondée sur le paragraphe 97, le juge Crampton a souligné dans Velez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 923, que la norme de contrôle qui est appliquée par la Cour fédérale dépend de la manière dont elle considère la nature de la question. Comme le juge Crampton, j’estime que la décision de la Commission appelle la déférence, dans la mesure où elle concerne la question de savoir si elle doit faire une analyse séparée ou combinée, comme c’est le cas en l’espèce, pour une demande d’asile présentée à la fois en vertu articles 96 et 97 de la LIPR. La norme de la raisonnabilité devrait s’appliquer à cette question également.

 

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190,

la Cour suprême du Canada affirme ce qui suit au paragraphe 47 :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Argumentation et analyse

A.        La Commission a-t-elle commis une erreur en fondant son analyse sur la prémisse que la demanderesse pourrait retourner en Chine sans son fils?

 

[19]           Selon la demanderesse, le fait pour la Commission de considérer la possibilité qu’elle confie son fils aux soins d’un organisme canadien de protection de bien-être social des enfants et qu’elle retourne en Chine est [TRADUCTION] « révoltant » et « n’a absolument rien de raisonnable ». Elle insiste sur le fait que l’intérêt supérieur de son fils et le sien sont inextricablement liés. À cet égard, elle renvoie à la décision de la Cour dans l’arrêt Obasohan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 92, 103 A.C.W.S. (3d) 1011, au paragraphe 15. La demanderesse prétend que s’il est inacceptable de demander à quelqu’un de cacher ses opinions politiques, ses pratiques religieuses ou son orientation sexuelle, il l’est tout autant de demander à un parent d’abandonner son enfant pour ainsi vivre en sécurité dans son pays d’origine.

 

[20]           La demanderesse invoque la décision de la Cour d’appel fédérale dans De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655,

au soutien de son affirmation selon laquelle l'interprétation et la mise en œuvre de la LIPR doivent avoir pour effet de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire. Plus précisément, elle signale que le paragraphe (1) de l’article 9 de la Convention de l’ONU relative aux droits de l'enfant doit être observé. La demanderesse souligne que selon le paragraphe (1) de l’article 9, les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré. Elle renvoie aussi à l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies qui prévoit notamment que « nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa [...] famille », et au fait que la « la famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'État ».

 

[21]           Enfin, la demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en prenant connaissance d’office que son fils serait accepté dans un organisme de bien-être social des enfants au Canada. Elle fait valoir que ce type d’agence n’interviendra que dans les cas d’inaptitude parentale ou de préjudice causé à l’enfant.

 

[22]           Le défendeur affirme en réponse que ni l’article 96 ni l’article 97 de la LIPR ne saurait convenir à l’évaluation de l’impact qu’aurait la séparation de la demanderesse et de son fils. La défendeur indique plutôt qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire conviendrait davantage à l’appréciation de ces questions. Il s’agit essentiellement, selon le défendeur, des explications que la Commission a fournies dans ses motifs : il n’y a donc aucune raison de les considérer comme déraisonnables.

 

[23]           Il est vrai que la Cour d’appel fédérale a affirmé dans l’arrêt Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164, 102 ACWS (3d) 592 (CA), que l’évaluation d’une demande de protection fondée sur les articles 96 et 97 de la LIPR devrait porter principalement sur le risque invoqué, plutôt que sur les motifs d’ordre humanitaire. Au paragraphe 17, la Cour a précisé qu’il s’ensuivrait dans le cas contraire « une certaine confusion en brouillant la distinction entre les revendications du statut de réfugié et les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire ». En outre, la Cour a indiqué ce qui suit :

Plus on laisse les raisons d'ordre humanitaire intervenir dans le cadre des revendications du statut de réfugié, plus la procédure applicable aux réfugiés  se confond avec la procédure propre à la prise en compte des raisons d'ordre humanitaire. En conséquence, les chances augmentent que le concept de persécution que l'on trouve dans la définition du réfugié soit en pratique remplacé par le concept d'épreuve.

 

[24]      La Cour d’appel fédérale a fait siens les propos tenus par le juge Rothstein au paragraphe 12 de l’arrêt Kanagaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994) 83 F.T.R. 131, 49 A.C.W.S. (3d) 350, déclarant que : « [l]a question des considérations humanitaires est normalement soulevée après qu'il a été déclaré qu'un requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention » [non souligné dans l’original]. Le juge Rothstein a ainsi conclu que l’omission par la Commission d’examiner des considérations humanitaires dans sa décision en matière de statut de réfugié au sens de la Convention n’était pas une erreur susceptible de contrôle.

 

[25]      Lorsqu’elle s’est penchée sur la question de savoir s’il y avait lieu de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire dans une demande d’ERAR, madame la juge Dawson a réitéré au paragraphe 15 de la décision Ammar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1041, 151 ACWS (3d) 499, le principe de la Cour d’appel fédérale en déclarant ce qui suit :

... selon la Cour d’appel fédérale, les motifs d’ordre humanitaire ne doivent pas intervenir dans les décisions portant sur les demandes d’asile. Voir la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Ranganathan, [2001] 2 C.F. 164, au paragraphe 17. Tout comme les motifs d’ordre humanitaire ne doivent pas intervenir dans la décision portant sur une demande d’asile, ils ne doivent pas, selon moi, intervenir dans l’examen d’une demande de protection fondée sur les facteurs prévus par les articles 96 à 98 de la Loi.

 

 

[26]      La Cour d’appel fédérale a confirmé dans la décision Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CAF 394, [2007] 4 R.C.F. 3, que l’intérêt supérieur des enfants nés au Canada est un motif d’ordre humanitaire qui se prête davantage à une demande fondée sur le paragraphe 25(1). Dans cette affaire, la décision défavorable rendue par un agent chargé de l’ERAR était en cause. En plus d’avoir allégué qu’ils étaient personnellement exposés à des risques, les demandeurs avaient allégué que leurs deux enfants nés au Canada seraient exposés à un risque s’ils devaient aussi retourner en Hongrie. L’agent chargé de l’ERAR a refusé de prendre ce dernier risque en considération. Voici ce qu’il a mentionné :

[traduction]

J’ai pour mandat d’évaluer le risque auquel seraient exposés des demandeurs qui font l’objet d’une mesure de renvoi. Les deux enfants des demandeurs qui sont des citoyens canadiens ne sont pas visés par une mesure de renvoi. Il ne m’appartient donc pas de tenir compte des deux autres enfants des demandeurs nés citoyens canadiens.

 

[27]      La Cour d’appel fédérale n’a pas conclu que l’agent chargé de l’ERAR n’avait pas commis d’erreur en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur des deux enfants nés au Canada. Voici ce qu’elle a écrit aux paragraphes 9 et 10 :

9    L'article 96 porte sur la crainte raisonnable d'être persécuté et l'article 97 porte sur le risque d'être soumis à la torture, d'être exposé à une menace à sa vie ou d'être exposé à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou inhumains. Seuls les risques auxquels pourraient être exposés les demandeurs comptent. Ces dispositions ne prévoient pas que l’intérêt supérieur des enfants fasse l’objet d’un examen poussé.

 

10     Cet examen doit plutôt être effectué dans le cadre plus libre qui convient à une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) sollicitant que le demandeur reste au Canada pour des circonstances d'ordre humanitaire (CH).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[28]      Compte tenu des décisions susmentionnées, il semble assez clair que la prise en considération de l’intérêt supérieur des enfants nés au Canada est plus appropriée dans le cadre d’un examen visé par le paragraphe 25(1) de la LIPR, plutôt que celui visé par les articles 96 ou 97 de la LIPR.

 

[29]      Or en l’espèce, la demanderesse n’a toutefois pas demandé que l’intérêt supérieur de son enfant né au Canada soit considéré en tant que facteur dans l’analyse de sa demande d’asile. Sa demande d’asile est plutôt entièrement fondée sur la persécution ou le préjudice dont elle craint être victime si elle retourne en Chine avec son fils, parce que la naissance de ce dernier n’était pas planifiée. Il est vrai qu’une partie des craintes alléguées par la demanderesse concerne le traitement qui sera réservé à son fils s’il retourne en Chine – parce qu’elle craint qu’il ne recevra pas une éducation et des soins de santé adéquats. Toutefois, elle dit aussi craindre pour elle-même personnellement, sa plus grande crainte étant celle de subir la stérilisation forcée si elle choisissait de se marier ou d’avoir d’autres enfants. J’estime que la Commission n’a essentiellement pas pris en considération cette crainte lorsqu’elle a conclu que la demanderesse pouvait laisser son enfant au Canada, et ainsi ne s’est pas livrée à l’analyse des pratiques de stérilisation forcée observées en Chine.

 

[30]      J’estime que la présente espèce est semblable à la situation à laquelle la Cour d’appel fédérale a fait allusion au paragraphe 17 de l’arrêt Varga, précité :

17     Lors de la plaidoirie, l'avocat des intimés a soutenu que l'agent d'ERAR n'avait pas examiné la possibilité que, si leurs deux enfants nés au Canada allaient en Hongrie, les intimés seraient eux-mêmes exposés à un plus grand risque d'être persécutés. Je conviens qu’il s’agit d’une question relevant de la compétence de l’agent d’ERAR. Toutefois, puisque l’avocat n’a pas soumis cette observation à l’agent, il ne peut se plaindre que l’agent a commis une erreur en omettant de l’examiner.

 

[31]      Cet extrait de l’arrêt Varga a été cité par le juge O’Keefe au paragraphe 15 de la décision Narcisse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 514, 157 A.C.W.S. (3d) 613, où il a expliqué ce qui suit :

15     À mon avis, ce paragraphe signifie qu'un agent d'ERAR devrait examiner la question de savoir si le fait que des enfants nés au Canada devaient retourner avec leurs parents dans leur pays d'origine exposerait ces derniers à un plus grand risque de persécution. Comme il n'est pas indiqué au dossier que cet argument a été présenté à l'agente d'ERAR, on ne peut donc pas reprocher à celle-ci de ne pas en avoir tenu compte. À cet égard, l'agente d'ERAR n'a commis aucune erreur.

 

[32]      En l’espèce, la demanderesse faisait principalement valoir dans les observations qu’elle a présentées à la Commission qu’elle était personnellement exposée à un risqué si son fils né au Canada retournait en Chine avec elle. Compte tenu de ce fait, la Cour est d’avis que la demanderesse prétend à raison que la décision de la Commission de refuser d’examiner le risque que courait la demanderesse sur le fondement de cette éventualité constitue une erreur susceptible de contrôle. Cette conclusion est d’autant plus vraie lorsqu’on considère à quel point il est rare qu’une mère choisisse, quelles que soient les circonstances, d’abandonner son jeune enfant dans un pays où il n’a pas de famille qui pourrait en prendre soin.

 

[33]      La demanderesse a également souligné que l'interprétation et la mise en œuvre de la LIPR doivent avoir pour effet de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme (De Guzman, précité). La Cour d’appel fédérale a abordé cette question dans le contexte de l’intérêt supérieur de l’enfant examiné dans Varga, précité, au paragraphe 13 que voici :

13 Ni la Charte ni la Convention relative aux droits de l'enfant n'exigent que l'intérêt des enfants touchés soit examiné dans le cadre de toutes les dispositions de la LIPR : De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655, 2005 CAF 436, au paragraphe 105. Si une loi fournit une possibilité réelle d’examiner l’intérêt des enfants touchés, y compris ceux nés au Canada, comme le fait la LIPR en son paragraphe 25(1), cet intérêt n’a pas à être pris en compte dans chaque décision qui peut les toucher défavorablement. Par conséquent, le juge qui a entendu la demande a commis une erreur en interprétant trop largement les dispositions définissant la portée de la tâche incombant à l’agent d’ERAR de manière à y inclure l’obligation de prendre également en compte l’intérêt des enfants nés au Canada des intimés adultes.

 

[34]      De même, la Cour d’appel fédérale a dit au paragraphe 54 de l’arrêt Idahosa c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 418, 307 DLR (4th) 368, que « seul un examen global de la loi en cause permet de dire si l’une de ses dispositions est effectivement contraire aux obligations incombant au Canada en vertu du droit international. La LIPR offre plusieurs occasions de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants de personnes visées par une mesure d’expulsion. »

 

[35]      Je ne crois pas que l’argument de la demanderesse fondé sur le droit international soit particulièrement convaincant. Pas plus que son argument selon lequel la Commission a commis une erreur en prenant connaissance d’office du fait qu’un organisme de bien-être social pour enfants prendrait soin du fils de la demanderesse s’il devait demeurer au Canada – la Cour pouvait raisonnablement tirer une telle conclusion.

 

[36]      Notre Cour estime toutefois que la Commission a commis une erreur en fondant son analyse sur la prémisse que la demanderesse pouvait retourner en Chine sans son fils. Cette prémisse ne faisait pas partie des issues acceptables et défendables au regard des faits et du droit et était, par conséquent, déraisonnable. 

 

B.         La Commission a-t-elle commis une erreur en considérant que le risque de stérilisation était « spéculatif »?

[37]      La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en qualifiant sa crainte de stérilisation forcée de « spéculative ». La Commission a eu tort, selon la demanderesse, de considérer que son projet de se marier et d’avoir d’autres enfants n’était qu’un dénouement possible. Elle fait valoir qu’on devrait lui accorder le bénéfice du doute à cet égard, étant donné qu’il n’y a pas eu de conclusion négative tirée au sujet de sa crédibilité. De plus, la demanderesse indique que la Commission a eu tort d’écarter le témoignage de la personne en situation semblable (sa cousine) au motif que sa cousine n’a été stérilisée que lorsqu’elle a décidé de se marier.

 

[38]      Le défendeur affirme que la décision de la Commission était, à cet égard, raisonnable. À son avis, il est vrai que les femmes en Chine qui ont un enfant et qui font face à la stérilisation forcée constituent un groupe social particulier pour les besoins de la LIPR, mais la demanderesse n’est pas encore en situation de stérilisation forcée, puisqu’elle n’est pas encore enceinte d’un deuxième enfant. En l’espèce, le défendeur affirme que la demanderesse n’a pas satisfait au fardeau de prouver l’existence d’un préjudice non hypothétique.

 

[39]      Notre Cour convient avec la demanderesse que le raisonnement de la Commission est problématique. Premièrement, les motifs de la Commission étaient très brefs sur cette question. Elle n’a fait qu’affirmer ce qui suit :

[TRADUCTION]

[7] Le tribunal souligne également le cas de la cousine de la demandeure qui se trouvait dans une situation semblable et qui a été en mesure de retourner en Chine avec son enfant des États-Unis, de se ré-établir avec son fils et il souligne qu’elle ne risque pas de subir la stérilisation jusqu’à ce qu’elle se remarie.

 

[8] En ce qui concerne la déclaration de la demandeure d’asile selon laquelle elle souhaite prendre époux et avoir d’autres enfants, le tribunal souligne que ce dénouement possible est souhaité, mais n’est que spéculatif aujourd’hui.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[40]      La Commission ne s’est pas demandé si la demanderesse ferait réellement face à la stérilisation forcée si elle se mariait ou tombait enceinte en Chine. En fait, la Commission semble avoir tenu pour acquis que ces affirmations étaient des vérités – c’est-à-dire que la demanderesse pourrait fort bien être stérilisée si elle se mariait ou tombait enceinte en Chine. Plutôt que d’évaluer l’ampleur du problème concernant la stérilisation en Chine à partir des éléments de preuve présentés ‑ les documents faisaient état de la situation dans le pays et le témoignage de la personne en situation semblable ─, la Commission a essentiellement laissé entendre que tant et aussi longtemps que la demanderesse ne se mariait pas ou ne donnait pas naissance à d’autres enfants, elle ne serait pas exposée à la stérilisation forcée. Puisque le mariage et les autres enfants ne sont que « spéculatifs », la Commission a conclu que le préjudice allégué n’était lui aussi que « spéculatif ».

 

[41]      Cette conclusion est déraisonnable. Si la Commission a accepté que la stérilisation forcée était véritablement possible si la demanderesse se mariait ou si elle avait d’autres enfants, la Commission aurait aussi dû se demander si le fait d’empêcher la demanderesse de se marier ou de l’empêcher d’avoir d’autres enfants en la menaçant de stérilisation forcée pouvait en soi constituer de la persécution. À cet égard, la juge Hansen a déclaré ce qui suit au paragraphe 48 de la décision SAI JIN CHI (AKA SUI GIN DIA) c. MCI, 2002 CFPI 126, 112 A.C.W.S. (3d) 132 :

La demanderesse craint que l'État ne lui impose des mesures visant à l'empêcher d'avoir des enfants. En laissant entendre que la demanderesse pouvait retourner en Chine et y vivre seule sans crainte d’être ciblée pour la stérilisation ou le port d’un stérilet, le tribunal lui imposait un choix personnel important qu’elle ne voulait pas faire et il omettait de prendre en compte le contexte culturel.

 

[42]      Ainsi, notre Cour conclut que les motifs de la Commission à cet égard sont déraisonnables parce qu’ils ne tiennent pas à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du pouvoir décisionnel.

 

C.        La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des documents faisant état de la situation en Chine?

[43]      La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en ne prenant pas en considération les documents faisant état de la situation en Chine concernant la stérilisation et les avortements forcés. Elle soutient que ces documents prouvent qu’il y a toujours des stérilisations et des avortements forcés en Chine et que sa crainte est donc objectivement fondée. Elle renvoie à des extraits précis tirés de ces documents.

 

[44]      Les motifs de la Commission tendent à indiquer qu’elle n’a pas examiné la preuve documentaire sur la stérilisation forcée en Chine parce qu’elle croyait que même si le gouvernement chinois s’adonnait vraiment à ces pratiques, la demanderesse ne serait pas visée. La Commission a conclu que : a) la demanderesse retournerait en Chine sans enfant, et b) que la possibilité que la demanderesse se marie ou qu’elle ait d’autres enfants en Chine n’était que « spéculative ». Les motifs de la Commission indiquent clairement qu’elle croyait que la demanderesse « ne contreviendrait pas à la politique de l’enfant unique » et qu’elle ne serait visée par aucune pratique de stérilisation forcée, à supposer que ces pratiques existent.

 

[45]      Compte tenu de ses conclusions sur les deux questions examinées ci-dessus, la Cour conclut également qu’il était déraisonnable pour la Commission de ne pas avoir pris en considération les documents faisant état de la situation en Chine dans la mesure où ils sont liés à la stérilisation et aux avortements forcés.

 

D.        La Commission a-t-elle commis une erreur en statuant que le paragraphe 108(4) ne s’appliquait pas à la demande d’asile présentée par la demanderesse?

[46]      La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur en concluant que le paragraphe 108(4) de la LIPR ne pouvait s’appliquer à sa demande. Elle souligne que la disposition devrait s’appliquer étant donné qu’elle a déjà subi un avortement forcé pour une grossesse non planifiée et qu’elle craint à présent devoir subir une stérilisation forcée pour une naissance non planifiée.

 

[47]      Le défendeur affirme que le paragraphe 108(4) de la LIPR ne s’applique qu’à des cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même l’éventualité d’un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant (Dini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 217, 104 A.C.W.S. (3d) 549). Le défendeur prétend, en conséquence, que la Commission n’a pas commis d’erreur à cet égard.

 

[48]      Le paragraphe 108(4) de la LIPR dispose :

108 (4) L'alinéa (1)e) ne s'applique pas si le demandeur prouve qu'il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

 

[49]      L’alinéa 108(1)e) de la LIPR dispose :

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

[50]      Madame la juge Carolyn Layden-Stevenson indique ce qui suit au paragraphe 5 de Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 635, 264 F.T.R. 244 :

Pour que la Commission entreprenne une analyse des raisons impérieuses, elle doit d'abord conclure qu'il existait une demande valide du statut de réfugié (ou de personne à protéger) et que les motifs de la demande ont cessé d'exister (en raison d'un changement de la situation dans le pays). C’est alors seulement que la Commission doit évaluer si la nature des expériences du demandeur dans l’ancien pays était à ce point épouvantable que l’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il ou elle rentre dans son pays et se réclame de la protection de l’État.

 

[51]      La Commission n’a jamais conclu qu’il existait une demande valide du statut de réfugié (ou de personne protégée) dans la présente affaire. Elle n’a pas non plus conclu que les motifs de la demande avaient cessé d’exister. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle il « n’y a eu aucun changement dans la situation et, en conséquence, rien ne déclenche l’examen de l’exception » était raisonnable.

 

E.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne conduisant pas une analyse fondée sur l'article 97?

[52]      La demanderesse prétend que la Commission n’a pas bien évalué sa demande d’asile parce qu’elle aurait dû prévoir une analyse distincte fondée sur l’article 97 dans ses motifs.

 

[53]      La Cour a statué que la Commission peut fort bien faire une analyse combinée des demandes d’asile selon les articles 96 et 97, à condition qu’elle analyse chacune des demandes. Dans la décision Velez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 923, le juge Crampton a déclaré au paragraphe 47 qu’une analyse combinée était acceptable dans cette affaire, parce que « la SPR n’a pas manqué d’analyser les demandes d’asile au titre de l’article 97. Elle les a plutôt analysées en même temps que les demandes d’asile au titre de l’article 96, ce qui est autorisé... » Le juge Crampton a ensuite donné les explications suivantes au paragraphe 49 :

49 En l'espèce, l'évaluation combinée qu'a faite la SPR s'est focalisée sur deux aspects, qui tous deux intéressaient les allégations faites par les demandeurs pour chacun des articles 96 et 97 de la LIPR. Il s’agissait des aspects suivants : (i) le fait que les demandeurs n’avaient pas demandé l’asile ni autrement régularisé leur situation aux États-Unis durant plus de huit ans s’accordait-il avec les craintes qu’ils disaient avoir? et (ii) la preuve documentaire renfermait-elle un fondement objectif validant ces craintes? Dans ce contexte, il n’était pas nécessaire pour la SPR de faire une analyse distincte des demandes d’asile pour l’article 96 et l’article 97 de la LIPR, puisque les allégations et les preuves des demandeurs au titre de chacune de ces dispositions pouvaient aisément être analysées simultanément.

 

[54]      Si l’analyse faite par la Commission en l’espèce avait été jugée raisonnable, elle aurait permis le rejet de la demande d’asile fondée tant sur l’article 96 que sur l’article 97 – la démarche combinée de la Commission aurait ainsi été acceptable.

 

[55]      Cependant, comme il était déraisonnable pour la Commission de fonder sa décision sur la prémisse que la demanderesse pourrait laisser son fils au Canada et de juger que le risque auquel était exposée la demanderesse était « spéculatif », et comme la décision de la Commission de ne pas examiner la situation en Chine constitue une erreur susceptible de contrôle, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est donc renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

 

 

Question à certifier

[56]      Le conseil de la demanderesse a proposé la question suivante pour que je la certifie à titre de question grave de portée générale :

[TRADUCTION]

Les documents gouvernementaux établissant les actes de persécution allégués sont-ils en soi préjudiciables à la demanderesse d’asile vu qu’une telle situation équivaut à demander au loup de prendre soin de la bergerie?

 

[57]      Il ne s’agit pas à mon avis d’une question grave de portée générale; aucune question n’est donc certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen ;

 

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

L. Brisebois


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                         IMM-3781-10

 

INTITULÉ :                                       JIAN HUA ZHENG

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 1er FÉVRIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 15 FÉVRIER 2011

 

 

 

Comparutions :

 

Marvin Moses

 

Pour lA demandeResse

 

Khatidja Moloo

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marvin Moses Law Office

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandEresse

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.