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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


 Date : 20110317

Dossier : IMM-1177-11

Référence : 2011 CF 331

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

B004

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration demande à la Cour de suspendre la décision rendue le 18 février 2011 par la commissaire Shaw-Dyck de mettre en liberté le défendeur, détenu aux fins de l’immigration. Une suspension provisoire de la décision a été ordonnée sur consentement le 22 février 2011 en attendant l’instruction approfondie sur le fond de la requête. Une ordonnance de confidentialité rendue le 9 décembre 2010 empêche que soit révélée en l’instance l’identité du défendeur.

 

[2]               Le ministre sollicite également l’instruction accélérée de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la commissaire de mettre en liberté le défendeur. Celui-ci ne consent pas à l’octroi de l’autorisation mais, afin que décision soit rendue sur toutes les questions en jeu et par souci d’économie des ressources judiciaires, il consent à ce qu’on instruise ensemble la demande d’autorisation, sur le fond, ainsi que la requête en suspension.

 

[3]               Le demandeur a versé au dossier qu’il a déposé, comme pièce jointe à un affidavit, copie de tous les documents figurant au dossier sur le défendeur tenu par la Section de l’immigration de la Commission, y compris la transcription de l’audience du 18 février 2011 devant la commissaire Shaw-Dyck. 

 

[4]               J’estime que la Cour doit accorder dispense de l’obligation de mettre en état la demande d’autorisation en vue du contrôle judiciaire, accueillir la demande d’autorisation et exempter le tribunal et les parties de l’obligation de déposer d’autres documents dans le cadre de la présente instance. J’en suis arrivé à cette conclusion en tenant compte de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de l’article 55 des Règles des Cours fédérales, du paragraphe 21(2) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, des dossiers déposés par l’une et l’autre parties ainsi que des observations présentées par les avocats des parties lors de l’audience par vidéoconférence tenue le mercredi 16 mars 2011. Dans les présents motifs du jugement et jugement, par conséquent, j’examinerai sur le fond la demande de contrôle judiciaire.

 

LE CONTEXTE

 

[5]               Le défendeur est un citoyen du Sri Lanka âgé de 33 ans. Il était membre de l’équipage du MV Sun Sea, navire qui a assuré le transport, depuis le golfe de Thaïlande jusqu’au Canada, de 492 hommes, femmes et enfants. Il jouait un rôle d’aide à la navigation du navire, en plus d’être de quart en mer. À titre de rémunération, le défendeur et son épouse disposaient d’une couchette dans les locaux affectés aux membres de l’équipage. Le défendeur affirme qu’on lui avait demandé d’exercer ces fonctions après que l’équipage de départ eut abandonné le navire et que le capitaine eut sollicité l’aide de volontaires. Le capitaine aurait donné un cours de navigation d’un jour au demandeur.

 

[6]               Dans l’instance devant la Commission, le défendeur a produit des renseignements sur les emplois qu’il avait occupés au sein de plusieurs organisations non gouvernementales étrangères au Sri Lanka, y compris dans des régions du pays anciennement sous contrôle des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (les TLET). Il avait également servi de chauffeur à un médecin attaché à un hôpital dans une telle région qui faisait l’objet d’enquête de la part du gouvernement sri-lankais pour participation aux activités des TLET. Des éléments de preuve montrent que le défendeur possédait un compte Facebook où l’on avait accès à des vidéos et à des chansons d’appui aux TLET, et, selon des renseignements obtenus d’autres migrants, les TLET auraient défrayé les études informatiques en Malaisie du défendeur, ce qu’a toutefois nié le défendeur.

 

[7]               Le défendeur est détenu depuis son arrivée au Canada le 13 août 2010; on le détenait au départ pour établir son identité. L’identité du défendeur a été confirmée sans beaucoup de difficulté, comme celui-ci avait sur lui des copies de ses documents d’identification et que les originaux en ont été transmis par des membres de sa famille restés au Sri Lanka. Le 9 novembre 2010, l’épouse du défendeur a été mise en liberté sous diverses conditions, comme l’obligation de résider chez un cousin du défendeur à Toronto. Ce cousin a également offert de fournir caution pour le défendeur. Tant le défendeur que son épouse doivent d’importantes sommes d’argent aux organisateurs du voyage à bord du Sun Sea.

 

[8]               Lors de l’audience tenue devant la commissaire Shaw-Dyck le 18 février 2011, le ministre a soutenu que le défendeur constituait un danger pour la sécurité publique, et se soustrairait vraisemblablement à son enquête. Cela a nécessité la prise en compte par la commissaire des critères énoncés à l’article 58 de la LIPR et des critères réglementaires prévus aux articles 245, 246 et 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement IPR).

 

LE CADRE LÉGAL ET RÉGLEMENTAIRE

 

[9]               Le paragraphe 58(1) de la LIPR prévoit que les résidents permanents et les étrangers qui sont détenus doivent être mis en liberté à moins que certains critères s'appliquent :

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger,

sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires,

de tel des faits suivants :

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

(a) they are a danger to the public;

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au  contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe

44(2);

(b) they are unlikely to appear for examination,

an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de

soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée

mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger.

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been,

but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish

their identity.

 

[10]           L’article 244 du Règlement IPR prescrit pour sa part ce qui suit :

 

244. Pour l’application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l’appréciation:

244. For the purposes of Division 6 of Part 1 of the Act, the factors set out in this Part shall be taken into consideration when assessing whether a person

a) du risque que l’intéressé se soustraie vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi;

 

(a) is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2) of the Act;

b) du danger que constitue l’intéressé pour la sécurité publique;

 

(b) is a danger to the public; or

c) de la question de savoir si l’intéressé est un étranger dont l’identité n’a pas été prouvée.

(c) is a foreign national whose identity has not been established.

 

[11]           L’article 245, reproduit ci-après, aide à établir s’il existe un risque de fuite :

 

245. Pour l’application de l’alinéa 244a), les critères sont les suivants :

 

245. For the purposes of paragraph 244(a), the factors are the following

a) la qualité de fugitif à l’égard de la justice d’un pays étranger quant à une infraction qui, si elle était commise au  Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale;

 

(a) being a fugitive from justice in a foreign jurisdiction in relation to an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an

Act of Parliament;

b) le fait de s’être conformé librement à une mesure d’interdiction de séjour;

 

(b) voluntary compliance with any previous departure order;

c) le fait de s’être conformé librement à l’obligation de comparaître lors d’une

instance en immigration ou d’une instance criminelle;

 

(c) voluntary compliance with any previously required appearance at an immigration

or criminal proceeding;

d) le fait de s’être conformé aux conditions imposées à l’égard de son entrée, de sa mise en liberté ou du sursis à son renvoi;

 

(d) previous compliance with any conditions imposed in respect of entry, release

or a stay of removal;

e) le fait de s’être dérobé au contrôle ou de s’être évadé d’un lieu de détention, ou toute tentative à cet égard;

 

(e) any previous avoidance of examination or escape from custody, or any previous attempt to do so;

f) l’implication dans des opérations de passage de clandestins ou de trafic de personnes qui mènerait vraisemblablement l’intéressé à se soustraire aux mesures

visées à l’alinéa 244a) ou le rendrait susceptible d’être incité ou forcé de s’y soustraire par une organisation se livrant à de telles opérations;

(f) involvement with a people smuggling or trafficking in persons operation that would likely lead the person to not

appear for a measure referred to in paragraph 244(a) or to be vulnerable to being influenced or coerced by an organization

involved in such an operation to not appear for such a measure; and

g) l’appartenance réelle à une collectivité au Canada

(g) the existence of strong ties to a community in Canada.

 

[12]           L'article 246 du Règlement IPR, dont les éléments pertinents sont reproduits ci-après, énonce un certain nombre de critères devant être pris en compte lors du contrôle de la détention par le commissaire qui doit décider si l’intéressé constitue ou non un danger pour la sécurité publique : 

246. Pour l’application de l’alinéa 244b), les critères sont les suivants :

 

246. For the purposes of paragraph 244(b), the factors are the following:

[...]

 

[...]

b) l’association à une organisation criminelle au sens du paragraphe 121(2) de

la Loi;

 

(b) association with a criminal organization within the meaning of subsection 121(2) of the Act;

 

c) le fait de s’être livré au passage de clandestins ou le trafic de personnes;

 

(c) engagement in people smuggling or trafficking in persons;

[...]

[...]

 

[13]           L’article 248 énonce d’autres critères devant être pris en compte avant qu’une décision soit prise quant à la détention ou à la mise en liberté :                      

248. S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

 

248. If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is

made on detention or release:

a) le motif de la détention;

 

(a) the reason for detention;

b) la durée de la détention;

(b) the length of time in detention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

 

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

 

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department or the person concerned; and

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

(e) the existence of alternatives to detention.

 

 

LA DÉCISION À L’EXAMEN

 

[14]           La commissaire a conclu, « de justesse, selon la prépondérance des probabilités, que le risque que vous [le défendeur] ne vous présentiez pas à votre enquête existe vraiment »; elle a cependant jugé que le défendeur ne constituait pas un danger immédiat et futur pour la sécurité publique. La commissaire a enfin conclu qu’un cautionnement de 5 000 $ à fournir par le cousin du défendeur, si l’on y ajoutait l’imposition de conditions, notamment l’obligation de se présenter sur demande, l’interdiction d’établir des contacts et des conditions de résidence, constituaient des solutions de rechange valables à la détention.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[15]           Le défendeur a fait valoir à titre de question préalable que la Cour n’était pas valablement saisie de divers documents du volume 2 du dossier de requête du demandeur. Ces documents n’avaient pas été soumis à la Section de l’immigration, et ils n’étaient donc pas admissibles dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire (Noor c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] A.C.F. n574 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 6. À l’audience, l’avocate du demandeur a déclaré que ces documents avaient été inclus aux fins de la requête en suspension et qu’ils ne serviraient pas de fondement à la demande de contrôle judiciaire.

 

[16]           Les questions de fond restant à trancher sont les suivantes :  

a.       La commissaire a-t-elle commis une erreur de droit quant au seuil juridique applicable au maintien de la détention pour danger pour la sécurité publique?

b.      La commissaire a-t-elle mal interprété les critères énoncés aux alinéas 246b) et c) du Règlement IPR lorsqu’elle a conclu que le défendeur ne constituait pas un danger pour la sécurité publique?

c.       La commissaire a-t-elle procédé à une analyse exhaustive de la question du risque de fuite du défendeur? 

d.      La commissaire a-t-elle commis une erreur en tirant sa conclusion sur les solutions de rechange à la détention?

 

ANALYSE

           

[17]           Le demandeur soutient que, en ce qui concerne la question de savoir si la commissaire a tenu compte ou non du Règlement IPR, ou l’a mal interprété ou non, la norme de contrôle judiciaire applicable est la décision correcte. Cela ne vaut que lorsqu’un commissaire a fait totalement abstraction des critères pertinents, comme il en était question dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Gill, 2003 CF 1398, 242 F.T.R. 126, au paragraphe 26.

 

[18]           Les décisions par suite de contrôles des motifs de détention reposent essentiellement sur les faits d’espèce. Comme l’a déclaré le juge Michael Phelan dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. XXXX, 2010 CF 1095, au paragraphe 18, et l’a répété le juge en chef Allan Lutfy dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B386, 2011 CF 140, au paragraphe 9, les audiences relatives à la détention sont souvent tenues à la hâte. Elles sont toutefois tenues par des commissaires de la Section de l’immigration, qui ont acquis des compétences poussées dans le domaine, comme l’a fait remarquer ma collègue la juge Johanne Gauthier dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2003 CF 1225, au paragraphe 42, confirmée, 2004 CAF 4 :

En tant que fonctionnaires de carrière, ils sont en mesure d'acquérir des compétences poussées au fil des ans. En fait, en matière de contrôle des motifs de la détention, d'anciens arbitres qui sont devenus commissaires de la Section de l'immigration ont vraisemblablement acquis de nombreuses années d'expérience en traitant des problèmes semblables [...] Cela est particulièrement vrai lorsqu'on considère que, dans le cas de certains des critères énumérés dans le Règlement (comme la durée probable de la détention de l'intéressé), des commissaires de la Section de l'immigration possèdent incontestablement de meilleures connaissances et compétences que notre Cour.

 

[19]           Il faut donc faire preuve de beaucoup de retenue face à leurs décisions (Walker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 392, 89 Imm. L.R. (3d) 151, aux paragraphes 25 et 26), la Cour ne devant alors intervenir que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). La norme de contrôle applicable est à ce titre la raisonnabilité (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Karimi-Arshad, 2010 CF 964, 92 Imm. L.R. (3d) 32, au paragraphe 16). 

 

[20]           Lorsque la liberté d'une personne est en jeu, on doit procéder au contrôle de la décision concernant sa détention ou sa mise en liberté en tenant compte des droits que lui confère l’article 7 de la Charte (Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 214 (QL), paragraphes 25 à 27; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham (C.A.F.), précité, paragraphe 14).

 

[21]           C’est au ministre qu’il incombait d’établir, selon la prépondérance de la preuve, que le défendeur constituait un danger pour la sécurité publique. Et j’estime tout comme le défendeur que la commissaire n’a pas commis d’erreur de droit ou de fait en concluant que le ministre ne s’était pas acquitté de ce fardeau de preuve. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire semblable à celle récemment instruite par mon collègue le juge de Montigny dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B157,  2010 CF 1314, où la preuve était d’importance quant au soutien offert par le défendeur aux TLET, et à sa participation à leurs activités.

 

[22]           En l’espèce, un autre commissaire de la Section de l’immigration avait jugé être [traduction] « fort mince » la preuve relative au danger représenté par le défendeur. Pratiquement toutes les observations du ministre présentées devant la commissaire Shaw-Dyck, et d’ailleurs devant la Cour, sur la question du danger pour la sécurité publique avaient trait au travail fait sur le navire par le défendeur. Bien peu d’éléments font croire à la participation du défendeur aux activités des TLET au Sri Lanka, et même, du témoignage de certaines des personnes pour lesquelles le défendeur y a travaillé, y compris d’un représentant canadien d’ONG, une telle participation était improbable.

 

[23]           Le demandeur soutient que, pour évaluer la preuve, la commissaire n’a pas recouru au critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 393 (QL), autorisation d’appel refusée, [1997] C.S.C.R. n° 332 (QL), soit celui de savoir si la présence de l’intéressé créait « un risque inacceptable pour le public ». La commissaire Shaw-Dyck a décrit dans les termes suivants le critère qu’elle a utilisé :

[...] Je ne suis pas en mesure de conclure maintenant, simplement d’après vos activités à bord du navire, que vous présentez un danger immédiat et futur pour le public canadien.

 

[24]           J’estime comme le défendeur que ce critère est plus large que ce que requiert la décision Williams. Une personne ne constituant pas un « danger [...] pour le public », cela n’atteint pas le seuil posé du « risque inacceptable pour le public ».

 

[25]           Il ne fait aucun doute que les personnes qui ont organisé le transport de plusieurs centaines de migrants dans un navire en piètre état de navigabilité, sans disposer d’un équipage bien formé et compétent, ont mis en danger la vie de tous les passagers, comme n’a cessé de le répéter l’avocate du demandeur. En jouant son rôle d’aide à la navigation et de quart en mer, en échange de meilleures conditions d’hébergement pour lui-même et son épouse, le défendeur s’est assurément fait le complice des organisateurs du voyage. Aucune preuve au dossier dont la commissaire était saisie, toutefois, autant que je puisse le constater, ne démontrait l’appartenance du défendeur au groupe organisateur. Aucune preuve n’a été présentée non plus démontrant que les organisateurs et l’équipage constituaient une organisation criminelle selon la définition qui en est donnée au paragraphe 121(2) de la LIPR.

 

[26]           La conclusion selon laquelle le défendeur était membre de l’équipage qui a permis la traversée du navire vers le Canada ne conduit pas inexorablement à conclure que sa mise en liberté, comme le soutient le ministre, constituerait un danger pour la sécurité publique au pays. Je suis d’accord avec la commissaire Shaw-Dyck lorsqu’elle dit que le fondement d’une détention pour ce motif ce doit être « plus que la théorie ». Des éléments de preuve doivent faire voir que le défendeur présente un danger immédiat et futur pour le public canadien.

 

[27]           Il ressort clairement de la transcription de ses motifs que la commissaire a bien pris en compte le critère de l’alinéa 246c) en vue d’établir si le défendeur constituait ou non un danger pour la sécurité publique. Même si la commissaire n’a pas tiré comme telle de conclusion quant à savoir si le défendeur s’était livré ou non au passage de clandestins, elle a néanmoins conclu que les faits d’espèce ne démontraient pas que la participation du demandeur suffisait pour qu’on considère qu'il constitue un danger. Il était raisonnable pour la commissaire, au vu de la preuve, de tirer cette conclusion.

 

[28]           Quant au risque que le défendeur se soustraie à la procédure liée à son admissibilité au Canada, le demandeur a fait valoir deux arguments devant la commissaire : le défendeur devait toujours de l’argent aux passeurs de clandestins, et la relation entre le défendeur et son cousin de Toronto n’était pas étroite. La commissaire s’est penchée sur l’un et l’autre argument. Elle a examiné les incohérences que comportait apparemment la description faite par le défendeur de leur dette, à lui et à son épouse, et pris en considération le fait que le défendeur risquait d’être soumis à une enquête aux conséquences défavorables. Et la commissaire a bien conclu, compte tenu de ces facteurs, que le défendeur risquait de prendre la fuite. L’analyse de la commissaire a été suffisante à cet égard.

 

[29]           La commissaire ayant conclu en l’existence d’un risque de fuite, elle devait, en application du paragraphe 248 du Règlement IPR, procéder à une analyse fondée sur la Charte. Elle a pris en considération la durée de la détention du défendeur et la durée probable de sa détention future s’il n’était pas mis en liberté, et l’existence de solutions de rechange à la détention. La commissaire a fait remarquer que l’individu proposé pour fournir caution était un cousin germain du défendeur, et que l’avocate du ministre l’avait contre-interrogé à l’audience. Ce cousin était un citoyen canadien et il occupait un emploi stable. Le cautionnement était d'un montant élevé par rapport à son revenu. Il était disposé à offrir au défendeur un lieu où résider, et à surveiller ce dernier ainsi qu’à s’en porter garant. Au vu de cette preuve, il était loisible à la commissaire de conclure en l’existence d’une solution de rechange raisonnable à la détention.

 

[30]           La Cour ne peut, ni ne doit, donc intervenir pour quelque motif que ce soit face à la décision de la commissaire. Les parties ont eu l’occasion de présenter des questions en vue de leur certification, mais aucune question n’a été proposée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.      La demande d’autorisation du demandeur en vue du contrôle judiciaire est par la présente accueillie.

2.      La demande de contrôle judiciaire de la décision du 18 février 2011 par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a mis en liberté le défendeur, détenu aux fins de l’immigration, est rejetée.

3.      La suspension provisoire de l’ordonnance de mise en liberté est annulée.

4.      Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1177-11

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                            et

 

                                                            B004

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

                                                            (par vidéoconférence avec Vancouver)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Helen Park

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laura Best

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

LAURA BEST

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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