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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110310

Dossier : IMM-4263-10

Référence : 2011 CF 298

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

 

ENTRE :

 

RANFERY ALBERTO MIRANDA RAMOS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, un citoyen du Mexique, s’est vu refuser l’asile par décision écrite, datée du 17 juin 2010, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). La CISR a statué que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). L’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été accordée le 2 décembre 2010.

 

[2]               Dans sa décision, la CISR a relaté les faits de l’affaire et a précisé la loi applicable. Il a été conclu que le caractère suffisant de la protection de l’État était la question déterminante dans la demande. La CISR a statué que le demandeur n’avait pas présenté une preuve claire et convaincante que l’État du Mexique pouvait fournir une protection adéquate. La CISR a critiqué certaines omissions et a mis en doute certains faits pour conclure qu’elle ne croyait pas que l’un des ravisseurs du demandeur faisait partie de la police et que son beau-frère avait payé la rançon. De plus, la CISR a admis le rapport psychiatrique du demandeur indiquant que le demandeur souffrait du trouble de stress post-traumatique, mais a souligné qu’il pouvait être traité au Mexique. Enfin, la CISR a accordé peu de poids aux articles qui ont été jugés comme ayant été mal traduits.

 

[3]               Le demandeur conteste la décision de la CISR au motif que cette dernière aurait fait une analyse erronée de la protection de l’État qui exige l’intervention de la Cour. Le demandeur a fait valoir que la présence d’une erreur typographique était une indication que le dossier du demandeur n’avait pas été adéquatement analysé (le pronom « elle » a été utilisé dans la décision de la CISR en faisant référence au demandeur, qui est un homme). De plus, en vertu de la jurisprudence, le demandeur est tenu de demander la protection de l’État seulement lorsqu’il est raisonnable de croire qu’elle est disponible. On allègue que la CISR a omis d’examiner adéquatement la preuve dont elle a été saisie, y compris la situation actuelle au Mexique en ce qui concerne l’impunité et la corruption.

 

[4]               Le défendeur soutient que la décision de la CISR était raisonnable et que, conformément aux principes du contrôle judiciaire, la Cour ne devrait pas intervenir. L’évaluation de la preuve par la CISR était raisonnable. De plus, le défendeur fait valoir que des conclusions relatives à la crédibilité ont été tirées et que la Cour ne devrait pas réviser ces conclusions.

 

I.          Norme de contrôle

[5]               La Cour est d’accord avec le défendeur lorsqu’il a souligné que la CISR a tiré des conclusions sur la crédibilité. Ces conclusions découlaient implicitement du refus de la CISR d’examiner la preuve du demandeur et du fait de présumer qu’elle n’était pas [traduction] « convaincante ».

 

[6]               Ces conclusions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 CSC 982; Vega Zarza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 139; Ranu c. Canada (Citizenship and Immigration), 2011 FC 87).  La question relative à l’appréciation de la preuve par la CISR est une question mixte de fait et de droit devant être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Garcia Bautista c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 126; Flores Campos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 842). La Cour doit donc examiner si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

II.        Analyse

[7]               La décision contestée n’est pas raisonnable. L’évaluation de la crédibilité sous-jacente est déficiente, puisqu’elle ne tient pas compte de la preuve présentée devant la CISR. L’intervention de la Cour est justifiée étant donné que la conclusion relative à la crédibilité a été tirée sans tenir compte de la preuve (Kengkarasa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 714).

 

[8]               Comme il a été mentionné, la CISR a tiré une conclusion relative à la crédibilité lorsqu’elle a souligné qu’elle ne croyait pas que les ravisseurs du demandeur étaient des policiers. L’un des éléments fondamentaux de cette conclusion était qu’il n’y avait [traduction] « aucune indication dans le formulaire de renseignements personnels original ou modifié du demandeur d’asile que l’un de ses ravisseurs était un chef des forces policières d’Acapulco ou un policier ». En fait, le formulaire de renseignements personnel (FRP) indiquait clairement que « les ravisseurs travaillaient pour la police ». Ceci a été exposé plus en détail lors de l’audience. De plus, le récit du demandeur fait allusion au fait qu’il a été détenu dans un poste de police. Il est possible que la CISR ait estimé que le demandeur n’était pas crédible sur tous les points. Mais pour tirer une telle conclusion, la CISR est tenue d’examiner la preuve au dossier, soit, en l’espèce, le FRP du demandeur. Il est évident que les conclusions relatives à la crédibilité ne doivent pas reposer sur une interprétation erronée de la preuve (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 160 NR 315 (FCA); Osawaru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1270).

 

[9]               La conclusion de la CISR relative au paiement d’une rançon par le beau-frère du demandeur est également déraisonnable. La CISR a souligné qu’elle n’était pas [traduction] « convaincue qu’une rançon a été payée pour libérer le demandeur d’asile ». En fait, le demandeur a indiqué qu’à tout le moins, ses ravisseurs avaient gardé son véhicule à titre de rançon (p. 23 de la transcription, ligne 45). De plus, le rôle du beau-frère du demandeur dans la négociation de la rançon a été exposé et examiné durant l’audience. Par conséquent, la conclusion de la CISR est déraisonnable étant donné qu’elle ne tient pas compte d’un élément clé de la preuve, ou à tout le moins, qu’elle n’explique pas pourquoi la preuve n’a pas été examinée (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35 (CF 1re inst.).

 

[10]           En conséquence, on peut dire que les conclusions sur la crédibilité tirées par la CISR étaient déraisonnables étant donné qu’elles ne tenaient pas compte adéquatement des éléments de preuve et qu’elles reposent sur de fausses prémisses. Comme il a été mentionné précédemment, la conclusion sur la crédibilité n’était pas étayée par la preuve, du moins pas adéquatement d’après la façon dont l’a justifié la CISR. Il est donc logique que les conclusions découlant de cette conclusion relative à la crédibilité soient également jugées déraisonnables. Comme je l’ai indiqué précédemment, et selon ce que dicte le bon sens, les conclusions relatives à la crédibilité sont au cœur du travail de la CISR et sont des questions déterminantes (Umubyeyi c. Canada (Citizenship and Immigration), 2011 FC 69; Ortez Villalta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1126). Certes, si la CISR n’a pas jugé le demandeur crédible, le reste des conclusions de l’affaire seront tranchées en conséquence. Dans Quintero Cienfuegos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262, par. 25, le juge Shore a souligné que « la conclusion concernant l’absence de crédibilité est déterminante en soi et le défaut de faire la preuve qu’elle est déraisonnable suffit pour faire échec à la présente demande ». En l’espèce, le demandeur a démontré que la conclusion relative à la crédibilité était déraisonnable et la demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

 

[11]           La Cour souligne les commentaires importants formulés par la Cour dans Cepeda‑Gutirriez, précité, lorsqu’elle s’est exprimée comme suit :

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). […] Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

[12]           Certes, la Cour doit tenir compte de la norme de contrôle applicable, soit celle de la décision raisonnable. Ceci commande une déférence, et les commentaires formulés dans Cepeda‑Gutierrez mettent en garde contre l’analyse hypocrite des décisions de la CISR. Toutefois, lorsque les motifs énoncent clairement des conclusions qui sont contraires à la preuve (la plus importante en l’espèce étant peut-être la conclusion relative au FRP), l’intervention de la Cour est justifiée.

 

[13]           Il relève clairement de la compétence de la CISR de tirer des conclusions relatives à la crédibilité. En fait, il est bien établi que la CISR a ce rôle privilégié. Or, ces conclusions doivent être justifiées et expliquées dans les motifs. Ceci est exigé non seulement au nom de l’équité procédurale, mais également suivant la norme de contrôle de la décision raisonnable, en vertu de laquelle les motifs doivent être examinés au même titre que les conclusions (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47).

 

[14]           Par conséquent, l’affaire est renvoyée à une formation de la CISR différemment constituée afin qu’elle statue à nouveau sur l’affaire.

 

[15]           Aucune question n’est certifiée. 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un une formation de la CISR différemment constituée afin que celle-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4263-10

 

INTITULÉ :                                       RANFERY ALBERTO MIRANDA RAMOS

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                    LE JUGE S. NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alesha A. Green

 

POUR LE DEMANDEUR

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alesha Green

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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