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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20110318

Dossier : T-1237-10

Référence : 2011 CF 332

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2011

En présence de madame la juge Johanne Gauthier

 

 

ENTRE :

 

ROBABEH ALINAGHIZADEH

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Robabeh Alinaghizadeh conteste, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), la validité de la décision d’un juge de la citoyenneté de rejeter sa demande de citoyenneté. Comme dans de nombreuses décisions récentes, la présente demande met en cause la question du critère à appliquer pour déterminer s’il y avait ou non résidence aux fins de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

I.          Le contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne de l’Iran âgée de 57 ans. Elle est arrivée au Canada le 17 juillet 1992 et, à la même date, elle en est devenue une résidente permanente. Son époux, M. Seyed Hossein Montazemi-Safari, et leurs trois enfants ont tous obtenu la citoyenneté canadienne depuis des années déjà.  

 

[3]               Pour des motifs restés inexpliqués, la demanderesse a attendu de nombreuses années avant de présenter une demande de citoyenneté canadienne. Elle a fait une telle demande le 7 septembre 2006, affirmant alors qu’elle avait été absente 166 jours (en raison prétendument de cinq voyages) du Canada pendant la période de quatre ans qui avait précédé sa demande (la période du 7 septembre 2002 au 7 septembre 2006).

 

[4]               Dans son questionnaire sur la résidence daté du 4 avril 2007, la demanderesse a prétendu qu’elle avait été absente du Canada pendant 164 jours (toujours par suite de cinq voyages) et elle a fourni un certain nombre de documents à l’appui de sa demande.

 

[5]               Le 9 février 2010, la demanderesse s’est fait signifier un avis de convocation, par suite de quoi elle a comparu devant un juge de la citoyenneté le 2 mars 2010. La demanderesse était alors accompagnée, quoique cela soit contesté, de son gendre (Hossien Montazemi-Safari), lequel aurait agi comme interprète selon le défendeur.

 

[6]               À la fin de l’audience, le juge de la citoyenneté a enjoint à la demanderesse de produire des documents d’appui additionnels et de remplir un nouveau questionnaire sur la résidence. Une note manuscrite versée au dossier du défendeur (pages 19 et 32) laisse croire que la demanderesse savait qu’il lui fallait faire la preuve de sa présence physique au Canada, tout en semblant avoir mal compris le nombre de jours requis de résidence aux fins de l’alinéa 5(1)c) de la Loi (900 jours plutôt le nombre véritablement prescrit de 1 095 jours).

 

[7]               Le 17 mars 2010, la demanderesse a fourni de l’information supplémentaire, prétendant cette fois dans son questionnaire sur la résidence qu’elle n’avait été absente du Canada que 142 jours (en raison de quatre voyages).

 

[8]               Le 1er juin 2010, la demanderesse a été informée par lettre que sa demande de citoyenneté avait été rejetée pour non-conformité aux conditions prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi (les dispositions pertinentes de la Loi sont reproduites à l’annexe A). On mentionnait aussi dans la lettre, entre autres choses, que le juge de la citoyenneté avait enjoint à la demanderesse à l’audience de lui soumettre des documents additionnels comme il estimait insatisfaisants ceux déjà produits, et que les nouveaux documents ne suffisaient malheureusement pas non plus pour que la demanderesse soit jugée avoir démontré sa conformité aux conditions de résidence.

 

II.         Les questions en litige

[9]               La demanderesse soulève les trois questions qui suivent :

                     i.            Le décideur a-t-il enfreint l’équité procédurale en refusant à la demanderesse le droit d’obtenir à l’audience l’aide, à titre d’interprète, d’un membre de sa famille?

 

                   ii.            Le décideur a-t-il manqué à l’obligation de fournir à la demanderesse une décision étayée de motifs valables et suffisants, particulièrement en ne tenant pas compte de tous les documents produits par la demanderesse?

 

                  iii.            Le décideur a-t-il commis une erreur en ne recourant pas au critère qualitatif énoncé dans Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286?

 

[10]           L’avocate de la demanderesse a tenté de faire valoir à l’audience un nouvel argument : la décision du juge de la citoyenneté aurait été déraisonnable, et ce, même si celui-ci avait eu le droit d’appliquer le critère de la présence physique énoncé dans Pourghasemi (Re), (1993) 62 FTR 122, Imm LR (2d) 259, parce que la demanderesse avait démontré avoir résidé au Canada pendant plus de 1 095 jours. La demanderesse a aussi sollicité l’autorisation de témoigner de vive voix relativement à la question de l’absence d’interprète. Le défendeur a soulevé une objection, à juste titre, parce ni cette argumentation, ni la preuve mentionnée par l’avocate de la demanderesse au début de l’audience ne figurait au dossier. Les deux requêtes ont été rejetées, la demanderesse n’ayant pas expliqué pourquoi elle n’avait pas demandé l’autorisation de déposer des observations ou un affidavit complémentaires. La demanderesse a ensuite sollicité verbalement un ajournement d’audience, et le droit de déposer de nouveaux éléments de preuve ainsi qu’un dossier modifié de la demande. Cette requête a également été rejetée, pour divers motifs, notamment l’absence de toute explication quant au défaut d’avoir soulevé plus tôt ces questions.

 

III.       Analyse

[11]           L’avocate de la demanderesse a reconnu à l’audience qu’absolument aucune preuve n’avait été présentée relativement à la première question en litige, comme rien n’était mentionné dans l’affidavit de sa cliente quant au refus allégué d’avoir recours aux services d’un interprète et à l’absence de tels services. Le défendeur s’appuie en outre à cet égard sur le serment de l’interprète signé par le gendre de la demanderesse au début de l’entrevue, et sur les notes du juge de la citoyenneté, selon lesquelles le gendre avait servi d’interprète parce que la demanderesse ne pouvait communiquer correctement dans aucune des deux langues officielles (page 12 du dossier du défendeur) [1]. L’avocate de la demanderesse a quand même insisté, quoi qu’il en soit, pour que la Cour procède à l’examen de cet argument.

 

[12]           Il n’y a évidemment pas grand-chose à dire dans les circonstances, si ce n’est que la demanderesse n’a pu établir le contexte factuel permettant d’étayer sa prétention d’atteinte à l’équité procédurale. Tout porte à croire, en fait, que M. Montazemi-Safari a bien aidé la demanderesse à titre d’interprète.

 

[13]           La demanderesse a soulevé la seconde question en s’appuyant sur le paragraphe 14(3) de la Loi, selon lequel, « [e]n cas de rejet de la demande, le juge de la citoyenneté en informe sans délai le demandeur en lui faisant connaître les motifs de sa décision et l’existence d’un droit d’appel ».

 

[14]           Nul ne conteste que la demanderesse n’a jamais demandé au juge de la citoyenneté de motiver davantage sa décision après avoir reçu la lettre de refus datée du 1er juin 2010. Il appert également, au vu du dossier du défendeur, que le juge de la citoyenneté, le 28 avril 2010, a rédigé des notes détaillés pour étayer sa décision, et qu’il y a passé en revue, en seize paragraphes, l’ensemble des documents produits par la demanderesse. Le juge de la citoyenneté a écrit dans ces notes que la demanderesse devait établir, selon la prépondérance de la preuve, qu’elle satisfaisait aux critères fixés par la Loi, particulièrement à son alinéa 5(1)c). Il a aussi mentionné que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment de documents pour étayer ses déclarations au sujet de sa résidence au Canada pendant la période requise. En outre, elle n’avait pas produit tous les documents qu’il lui avait demandé de fournir au cours de l’entrevue du 2 mars 2010. Le juge de la citoyenneté a ajouté que, de manière générale, la preuve restait insuffisante et que de nombreuses questions demeuraient toujours sans réponse, ce qui minait fortement la crédibilité de Mme Alinaghizadeh.

 

[15]           Le juge de la citoyenneté a alors répété que la demanderesse ne l’avait pas convaincu du fait, selon la prépondérance de la preuve, qu’elle avait véritablement résidé 1 318 jours au Canada, tel qu’elle l’avait déclaré dans son plus récent questionnaire sur la résidence mais sans en fournir la moindre preuve concrète, particulièrement quant aux dates de ses absences, ni fournir d’explications, ou si peu, au sujet des autres erreurs entachant ses déclarations antérieures. Le juge a finalement fait remarquer que, « tout en considérant le nombre de jours de résidence de Mme Alinaghizadeh qui demeurent approximatifs, si l’on ne prend en considération l’ensemble de la période non justifiée, je trouve que Mme Robabeh Alinaghizadeh n’a pas rempli les conditions de résidence requise pour l’octroi de sa citoyenneté selon l’article 5(1)c) » (dernier paragraphe de la page 14 du dossier du défendeur).

 

[16]           La demanderesse a obtenu copie de ces notes bien avant qu’elle ne dépose son dossier de la demande.

 

[17]           Comme pour toute autre question de manquement à l’équité procédurale, la question de savoir si le juge de la citoyenneté a suffisamment motivé sa décision commande la norme de contrôle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 43).

 

[18]           Dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158 (récemment suivi dans la décision Holmes c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 112, paragraphe 43), la Cour d’appel fédérale a passé en revue la jurisprudence sur le caractère suffisant des motifs depuis VIA Rail Canada c. Office national des transports, [2001] 2 CF 25 (C.A.), pour en dégager les principes fondamentaux et les objectifs visés. Il ne fait aucun doute que la lettre du 1er juin 2010, lue de concert avec les notes du 28 avril 2010, satisfait à toutes les exigences décrites par la Cour d’appel fédérale (paragraphes 16 et 17). Tel que l’a mentionné la Cour d’appel au point a) du paragraphe 17, les motifs écrits font partie d’un contexte général et ils peuvent être détaillés et précisés par la preuve extrinsèque, comme les notes du 28 avril 2010.

 

[19]           À mon avis, toutefois, le juge de la citoyenneté aurait dû joindre copie de ses notes à la lettre du 1er juin 2010, parce qu’il ne devait pas circuler deux ensembles de motifs pour la même décision – d’un côté les notes remises au ministre et le formulaire d’avis au ministre, de l’autre la lettre envoyée à la demanderesse. Cela dit, la demanderesse a bel et bien reçu copie de ces notes aux environs du 13 août 2010, lorsque le dossier certifié lui a été transmis en conformité avec l’article 318 des Règles[2]. Elle a eu amplement le temps d’examiner ces notes avant de déposer, en novembre 2010, son dossier de demande, et savait ainsi comment le décideur avait traité les documents qu’elle avait produits.

 

[20]           Compte tenu de la situation d’espèce, et notamment du fait que la demanderesse a dûment interjeté appel et qu’elle-même et la Cour disposent maintenant d’assez de renseignements pour évaluer si la décision respectait ou non la norme de la raisonnabilité, en particulier quant aux attributs nécessaires de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, la Cour n’est pas disposée à annuler la décision parce que les notes n’étaient pas jointes à la lettre du 1er juin 2010.

 

[21]           La Cour estime que, comme dans la décision Dachan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 538 (paragraphe 13), le présent manquement « technique » à l’équité procédurale n’a tout simplement pas pu avoir d’effet important sur la décision, ou sur la volonté de la demanderesse d’interjeter appel de la décision ou sur sa capacité de la contester.

 

[22]           La Cour examinera donc le caractère raisonnable de la décision en fonction des motifs énoncés dans la lettre susmentionnée ainsi que dans les notes du 28 avril 2010.

 

[23]           Pour ce qui est des attributs de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification, en tant qu’éléments de la norme de la raisonnabilité, la Cour ne partage pas l’avis de la demanderesse selon lequel le juge de la citoyenneté n’aurait pas clairement énoncé le critère qu’il a utilisé pour évaluer si elle respectait les conditions de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[24]           Il a en fait toujours été si manifeste que le juge de la citoyenneté avait utilisé le critère quantitatif de la présence physique que cela a conduit la demanderesse à contester son droit au recours à ce critère plutôt qu’au critère qualitatif énoncé dans les décisions Koo (Re), précitée, et Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.). La demanderesse soutient également que le juge de la citoyenneté aurait dû appliquer le critère de Koo (Re), une fois arrivé à la conclusion qu’elle ne satisfaisait pas au critère quantitatif. Il semble en outre, on l’a dit, que la demanderesse savait après son entrevue qu’il lui fallait démontrer avoir été physiquement présente au Canada (dossier du défendeur, pages 19 et 32).

 

[25]           En ce qui a trait à la troisième et dernière question en litige, qui constitue véritablement l’élément central de la présente instance, la Cour a étudié avec grand soin toutes les décisions citées par les parties, en tenant compte des avis divergents récemment exprimés dans les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Takla, 2009 CF 1120[3] et Hao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 46[4].

 

[26]           Comme l’avait fait de nombreux juges avant lui depuis plus d’une décennie, le juge Robert Mainville (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a exprimé, dans Takla, la frustration de la Cour face à la situation intolérable, pour reprendre les termes d’un autre juge, découlant du recours à différents critères pour établir si un résident permanent satisfaisait ou non aux conditions de résidence prévues dans la Loi. Il se peut fort bien, en effet, que le privilège sollicité (la citoyenneté) soit accordé à un intéressé, mais pas à un autre dans des circonstances identiques, selon celle des deux ou trois interprétations « raisonnables » de la Loi que choisit le juge de la citoyenneté chargé du dossier.

 

[27]           En vue manifestement de trouver une solution à ce problème, le juge Mainville, après avoir dit essentiellement estimer qu’il était juste et approprié d’interpréter le paragraphe 5(1)c) de la Loi comme requérant la présence physique au Canada pendant au moins 1 095 jours, a ensuite conclu qu’on devrait néanmoins utiliser uniquement le critère énoncé dans Koo (Re) (présumé être le critère dominant)[5] afin d’assurer l’uniformité du droit.

 

[28]           Il est toutefois maintenant évident que la tentative faite par le juge Mainville pour corriger la situation n’a pas été couronnée de succès, puisqu’à mon avis le problème ne peut tout simplement pas être réglé par la Cour seule. Cela est particulièrement vrai si l’on tient compte des diverses décisions rendues depuis Takla, précitée, comme l’a fait le juge Richard Mosley dans Hao, précitée, pour ne rien dire des décisions rendues depuis Hao même.

 

[29]           Le principe de la courtoisie judiciaire n’est d’aucune utilité ni même applicable en l’espèce, étant donné les raisonnements très divers employés par mes collègues (d’autant plus qu’il s’agissait bien souvent de simples obiter dicta) et le fait que le 10 juin 2010, après le prononcé de Takla, et peut‑être en réponse à cette décision, un nouveau projet de loi visant à modifier la Loi sur la citoyenneté (le projet de loi C-37) a été déposé. En sa version actuelle, le projet de loi lève toute équivoque : un résident permanent doit être physiquement présent au Canada pendant la période prévue à l’alinéa 5(1)c)[6]. Cela vient-il confirmer que c’était là depuis toujours l’intention même du législateur?

 

[30]           Cela dit, j’estime particulièrement convaincant le raisonnement du juge Mosley[7]. Les parties ont convenu en l’espèce que, comme dans l’affaire Hao, la norme de contrôle applicable à cette question devrait être la raisonnabilité. À l’instar du juge Mosley dans la décision Hao (paragraphe 39), j’aurais eu du mal à conclure que cette question appelait la norme de la décision correcte. Si toutefois telle avait été la bonne norme, j’aurais dû demander aux parties de présenter une argumentation plus détaillée. En effet, il aurait alors pu être requis de s’engager dans un exercice détaillé et exhaustif d’interprétation de la disposition en cause, en conformité avec l’approche moderne d’interprétation des lois reconnue, car un tel exercice ne semble pas avoir été effectué depuis quelque temps déjà.

 

[31]           Si j’en reviens à l’examen de la raisonnabilité de la décision dont je suis saisie, il est utile de mentionner que dans Smith c. Alliance Pipeline, 2011 CSC 7, la Cour suprême du Canada a insisté pour que les cours de révision n’oublient pas le principe suivant :

D’ailleurs, même avant l’arrêt Dunsmuir, la norme de la décision raisonnable a toujours reposé « sur l’idée qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable, et un litige, à plus d’une solution », de telle sorte que « la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel » (Dunsmuir, au par. 41).

 

[32]           Notre plus haute cour répliquait ainsi à l’argument d’Alliance Pipeline selon lequel « l’adoption de la norme de la décision raisonnable irait à l’encontre du principe de la primauté du droit, en mettant à l’abri du contrôle judiciaire les décisions contradictoires des comités d’arbitrage quant à l’interprétation appropriée du par. 99(1) de la [Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. N-7] », la disposition à l’examen dans cet arrêt (paragraphe 38).

 

[33]           Comme dans la décision Hao, précitée, on n’a pas convaincu la Cour en l’espèce qu’il avait été déraisonnable pour le juge de la citoyenneté d’appliquer le critère de la présence physique, le soi-disant critère quantitatif, pour déterminer si Mme Alinaghizadeh avait démontré, selon la prépondérance de la preuve, qu’elle satisfaisait aux conditions de l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Non seulement la décision du juge de la citoyenneté à cet égard correspondait-elle à une interprétation possible acceptable de l’alinéa 5(1)c), mais il se peut bien qu’il s’agissait là de la seule interprétation correcte. La Cour ne partage donc pas l’avis de la demanderesse selon lequel le décideur a commis une erreur susceptible de contrôle en n’appliquant pas le critère énoncé dans Koo (Re).

 

[34]           Comme l’a déclaré la juge Eleanor Dawson (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) il y a nombre d’années dans la décision Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 346, au paragraphe 21, « [s]eul le Parlement peut remédier à cette situation [l’incertitude du droit] en exprimant clairement sa volonté concernant l’exigence de la résidence ».

 

[35]           On l’a dit, la Cour n’a pas à décider s’il était déraisonnable pour le juge de la citoyenneté de conclure que la demanderesse n’avait pas démontré sa présence physique au Canada pendant 1 095 jours. Je dirai donc simplement qu’au vu des conclusions relatives à la qualité ou à l’insuffisance de la preuve et à la crédibilité de la demanderesse, l’intervention de la Cour aurait été difficile à justifier.

 

[36]           Mme Robabeh Alinaghizadeh peut présenter n’importe quand une nouvelle demande. Elle sait maintenant combien il importe de produire suffisamment de documents au soutien d’une telle demande. Elle sait aussi qu’il lui faut soumettre une preuve concluante démontrant sa présence au Canada pendant toute la période visée[8]. Si elle présente une nouvelle demande, elle n’aura plus à écarter comme obstacle le vol de son passeport (avant le 8 octobre 2003). Elle saura aussi qu’il ne lui faudra ménager aucun effort (l’argent ne semblant pas constituer un problème dans son cas) pour obtenir des relevés mensuels pour toute la période en cause plutôt que, par exemple, une simple lettre de sa banque déclarant qu’elle en est une cliente depuis 1992 ou encore des relevés ne visant qu’une très courte période. Je ne doute pas que si elle s’y met et veille à ne pas prendre plus de 90 jours de vacances hors du Canada chaque année pour visiter ses parents et amis pendant la période pertinente, elle pourra obtenir la citoyenneté canadienne comme les autres membres de sa famille.

 

[37]           Compte tenu de la question juridique (la troisième question en litige) soulevée dans le cadre de la présente demande, aucuns dépens ne seront adjugés.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée, sans dépens.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


ANNEXE A

 

Loi sur la citoyenneté (L.R.C. 1985, ch. C-29)

Citizenship Act (R.S., 1985, c. C-29)

 

 

Attribution de la citoyenneté

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

a) en fait la demande;

 

 

b) est âgée d’au moins dix‑huit ans;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de

la manière suivante :

 

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

 

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

Grant of citizenship

 

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

 

 

Examen par un juge de la citoyenneté

 

14. (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité — avec les dispositions applicables en l’espèce de la présente loi et de ses règlements — des demandes déposées en vue de :

 

a) l’attribution de la citoyenneté, au titre des paragraphes 5(1) ou (5);

 

b) [Abrogé, 2008, ch. 14, art. 10]

 

c) la répudiation de la citoyenneté, au titre du paragraphe 9(1);

 

d) la réintégration dans la citoyenneté, au titre du paragraphe 11(1).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[…]

 

Information du demandeur

 

(3) En cas de rejet de la demande, le juge de la citoyenneté en informe sans délai le demandeur en lui faisant connaître les motifs de sa décision et l’existence d’un droit d’appel.

 

Consideration by citizenship judge

 

14. (1) An application for

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) a grant of citizenship under subsection 5(1) or (5),

 

(b) [Repealed, 2008, c. 14, s. 10]

 

(c) a renunciation of citizenship under subsection 9(1), or

 

(d) a resumption of citizenship under subsection 11(1)

 

shall be considered by a citizenship judge who shall, within sixty days of the day the application was referred to the judge, determine whether or not the person who made the application meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application.

 

 

Notice to applicant

 

 

(3) Where a citizenship judge does not approve an application under subsection (2), the judge shall forthwith notify the applicant of his decision, of the reasons therefore and of the right to appeal.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1237-10

 

INTITULÉ :                                       ROBABEH ALINAGHIZADEH c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Amir Kafshdaran

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christine Bernard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Amir Kafshdaran

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

                                                                                   

 

 

 

 

 



[1] Le décideur a aussi mentionné que la demanderesse, comme elle avait plus de 55 ans, n’avait pas à subir d’évaluation de ses compétences linguistiques ou de ses connaissances.

[2] Dossier du défendeur, onglet A, paragraphe 4.

[3] Dans les décisions suivantes, postérieures à Takla, on a suivi cette dernière décision ou appliqué le critère énoncé dans Koo (Re) : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elzubair, 2010 CF 298; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Cobos, 2010 CF 903; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Salim, 2010 CF 975; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Emmanuel Manas, 2010 CF 1056; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Abou-Zahra, 2010 CF 1073; Dedaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 777; Ghaedi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 85.

[4] Dans les décisions suivantes postérieures à Takla, on a permis au juge de la citoyenneté de procéder au choix du critère à appliquer : Shubeilat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1260; Cardin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 29; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Jeizan, 2010 CF 323; Shaikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1254; Abbas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 145; Debai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 146.

[5] Le défendeur a fait remarquer à la Cour que seule une petite partie des décisions rendues par les juges de la citoyenneté parvenaient devant elle, et que rien ne démontrait que le critère de la décision Koo (Re) était le critère principalement utilisé par les décideur s de première ligne, et ce, malgré le formulaire mentionné au paragraphe 43 de Takla.

[6] Il en était de même pour le projet de loi C-63, qui avait été présenté au moment où a été rendue la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (QL).

[7] De façon générale, la Cour partage le point de vue du juge Mainville quant au besoin d’uniformité, mais elle ne peut admettre que l’argument de l’uniformité puisse éclipser les divers facteurs applicables dans l’interprétation d’une loi par la Cour (se reporter à Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd (Toronto, Butterworths, 1983), page 87, et à Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd (Toronto, Butterworths, 1994), page 131).

[8] Une telle preuve serait utile même si un futur décideur devait appliquer le critère de Koo (Re).

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