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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110321

Dossier : IMM-1908-10

Référence : 2011 CF 344

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

 

DELISHA ABBOTT

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision de L. Miggiani, agente d’immigration, Citoyenneté et Immigration, datée du 16 mars 2010, et reçue par la demanderesse

le 22 mars 2010. La lettre l’informait qu’elle avait été retirée de la demande de résidence permanente pour circonstances d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse principale alors qu’elle se trouvait au Canada; la demanderesse y avait été désignée comme personne à charge.

 

[2]               La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agente d’immigration et un jugement déclaratoire selon lequel sa demande d’établissement présentée alors qu’elle se trouvait au Canada est approuvée en principe pour des raisons d’ordre humanitaire.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

A.        Contexte factuel

 

[4]               La demanderesse, Delisha Abbott, est une citoyenne de Saint-Vincent.  Sa mère,

Deann Abbott, la demanderesse principale (DP), a présenté une demande pour des circonstances d’ordre humanitaire (CH) en 2003.  La demanderesse alors âgée de 15 ans figurait dans cette demande en tant que personne à charge.  La demande était en partie fondée sur le comportement violent dont avait fait preuve le beau-père de la demanderesse.

 

[5]               En mai 2005, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a été informé que la demanderesse avait été accusée de voies de fait, d’agression armée et de vol en mai 2004.  Ces accusations ont été retirées en décembre 2004.

 

[6]               Par lettre datée du 1er décembre 2005, la DP et la demanderesse ont été informées qu’un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avait approuvé leur requête de dispense présentée à la suite de leur demande CH.  

 

[7]               Après cette évaluation favorable à l’« étape 1 », la demande CH est passée à l’« étape 2 » et le processus d’examen s’est poursuivi.  L’« étape 2 » visait à établir si la DP et ses personnes à charge seraient autrement admissibles et rempliraient  toutes les autres conditions prévues par la Loi sur l’immigration et  la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR]. Il a été demandé à la DP et la demanderesse de remplir de nouveaux formulaires, de fournir d’autres renseignements et d’autres documents ainsi que d’acquitter un droit d’établissement.

 

[8]               En 2007, CIC a appris que la demanderesse avait été accusée de vol au mois d’août 2006, et de possession d’une arme en septembre 2006.  À la suite d’une demande d’information transmise à la DP en août 2007, CIC a appris que les accusations avaient été abandonnées au mois d’octobre 2006.

 

[9]               Dans une lettre datée du mois du 24 juin 2008, le conseil de la DP a demandé à ce que la demanderesse [traduction] « ne soit plus comprise dans la demande de Mme Abbott. La raison qui justifie cette demande étant qu’elle n’est pas d’accord avec les décisions prises par sa fille Delisha sur le plan financier ».  CIC a reçu des informations selon lesquelles des prestations d’un programme provincial d’aide sociale avaient été versées à la demanderesse depuis le 16 avril 2008.

 

[10]           Le 26 juin 2008, le conseil de la demanderesse a informé le bureau de CIC, à Etobicoke, que la demanderesse n’était désormais plus représentée par le conseil de la DP et qu’elle avait désormais son propre conseil.  Au mois de juillet de la même année, le conseil de la demanderesse a présenté à CIC d’Etobicoke des observations et de la documentation à l’appui d’une demande en vue d’exempter la demanderesse des dispositions applicables de la LIPR en matière d’interdiction de territoire.  La demanderesse est mère d’une fille née au Canada qui est affligée de graves problèmes de santé.  La demanderesse a fourni des documents attestant que les soins spécialisés dont sa fille a besoin ne seraient pas disponibles à St-Vincent.

 

[11]           Le 9 novembre 2008, la demanderesse a été accusée d’entrée illégale, d’avoir menacé de causer des dommages à des biens et de méfait.  Ces accusations ont été abandonnées

le 2 février 2010.

 

[12]           Par lettre datée du 6 avril 2009, la DP a reçu instruction de présenter une déclaration solennelle relativement à sa demande du 24 juin 2008 visant à retirer la demanderesse de sa demande CH.  La DP a transmis cette déclaration par lettre datée du 28 septembre 2009.

[12]

[13]           La demanderesse a continué à faire progresser le traitement de sa demande.  Le conseil de la demanderesse a demandé à deux reprises une mise à jour de son dossier, par lettres datées du 14 mai 2009 et du 6 octobre 2009.  Un employé de CIC, à Etobicoke, a communiqué avec le conseil de la demanderesse, le 8 octobre 2009, pour l’aviser que les informations médicales concernant la demanderesse n’étaient pas à jour et pour lui demander une mise à jour sur l’état des accusations criminelles qui auraient été portées contre la demanderesse.  Le 19 novembre 2009,  un représentant de CIC à Etobicoke a de nouveau contacté le conseil de la demanderesse, par téléphone, à la recherche de renseignements concernant  la décision relative aux accusations criminelles portées contre la demanderesse. Une lettre portant la date de ce même jour a été transmise à la demanderesse lui indiquant que ses résultats d’examens médicaux n’étaient plus valables.

 

[14]           Le 4 mars 2010, la demande CH de la DP a été assignée à l’agente d’immigration Laura Miggiani (l’AI).  L’AI a remarqué l’affidavit de la DP, dans lequel elle exprimait sa volonté de retirer la demanderesse de sa demande.  Le 12 mars 2010, l’AI a rédigé une note au dossier indiquant qu’elle avait parlé au conseil de la DP qui lui a alors confirmé que c’était la volonté de cette dernière de retirer la demanderesse de sa demande CH. Il a aussi confirmé que la demanderesse était au courant de cette demande de retrait et qu’elle aurait à présenter une demande distincte vu qu’elle n’était plus une personne à charge de la DP.

 

[15]           Le 16 mars 2010, l’AI a transmis une lettre à la demanderesse l’informant qu’elle avait été retirée de la demande de la DP et une lettre à la DP l’avisant qu’il avait été donné suite à sa requête de retrait de la demanderesse de sa demande CH.   

 

[16]           Le 30 septembre 2010, la demanderesse a été accusée sous deux chefs d’emploi d’un document contrefait.

 

[17]           Le 10 novembre 2010, la DP a obtenu le statut de résidente permanente au Canada.  La DP a indiqué qu’aucun membre de sa famille ne l’accompagnait et elle a répondu qu’elle n’avait aucune personne à sa charge.

 

B.         Décision contestée

 

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire vise la lettre de l’AI datée du 16 mars 2010 informant la demanderesse qu’elle avait été retirée de la demande de résidence permanente pour des circonstances d’ordre humanitaire présentée par la DP alors qu’elle se trouvait au Canada, dans laquelle la demanderesse avait été désignée comme personne à charge.

 

[19]           Voici une partie du contenu de la lettre adressée à la demanderesse :

[traduction]

Vous vous trouvez actuellement au Canada sans statut et vous devez quitter le territoire immédiatement.  Si vous ne quittez pas le Canada, il se pourrait qu’une mesure d’exécution de la loi soit prise contre vous.  Veuillez trouver ci-joint une lettre de confirmation de départ volontaire que nous vous demandons de remettre aux responsables de l’immigration à votre point de sortie au moins deux heures avant le départ.

 

[Souligné dans l’original.]

 

II.         Questions en litige

 

[20]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

(a)        L’AI a-t-elle agi sans avoir la compétence voulue en retirant, à la demande de la DP, la demanderesse de la demande CH, dans laquelle elle avait été identifiée en tant que personne à charge, après que cette demande eût reçu l’approbation à l’« étape 1 »?

 

(b)        À titre subsidiaire, si l’AI avait la compétence voulue pour retirer la demanderesse de la demande CH de la façon dont elle l’a fait, l’AI a-t-elle commis une erreur en ne réévaluant pas de façon adéquate l’approbation accordée à l’« étape 1 », comme le recommande le Guide 5 de traitement des demandes au Canada: « Demande présentée depuis le Canada par des immigrants pour des circonstances d'ordre humanitaire » (IP 5), lequel exige que le demandeur soit avisé de cette décision et que l’occasion d’y répondre lui soit donnée?

 

(c)        L’AI a-t-elle commis une erreur de droit et violé des principes d’équité procédurale en se fondant sur une preuve extrinsèque qui n’avaient pas été fournie à la demanderesse avant la décision?

 

(d)        L’AI a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la demanderesse pouvait, en mars 2010, être retirée de la demande CH parce qu’elle était âgée de 22 ans et qu’elle n’était plus une personne à charge sur le plan financier, alors qu’elle l’était au moment où la demande a été présentée en 2003, et qu’elle avait reçu l’approbation à l’« étape 1 » en 2005?

 

[21]           Le défendeur soutient qu’il n’y a qu’une seule question à régler et que, si la Cour adopte la position qu’il lui présente et que la Cour tranche cette question, la présente affaire devrait être réglée :

(a)        La lettre du 16 mars 2010 est-elle une « décision » ou une question à laquelle s’applique l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C., 1985, ch. F-7)?

 

[22]           Je vais traiter de cette question préliminaire en premier lieu.

 

III.       Norme de contrôle

 

[23]           Les erreurs alléguées par la demanderesse sont des erreurs de droit. La norme applicable est donc celle de la décision correcte.

 

IV.       Arguments et analyse

 

A.        S’agit-il d’une « décision »?

 

[24]           Le défendeur fait valoir que l’objet présumé de la présente demande ne porte pas sur une décision d’un office fédéral. Au contraire, la décision de retirer la demanderesse de la demande CH était une décision prise par la DP, et non par le ministre. Selon le défendeur, la lettre du 16 mars 2010 était une lettre de courtoisie ou une lettre d’information, et, selon la jurisprudence de notre Cour, des lettres de ce type ne sont pas des décisions au sens du paragraphe 18.1 et, en conséquence, elles ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

 

[25]           Bien que la demanderesse ne conteste pas que la DP et CIC l’ont informée du fait que la demande CH de la demanderesse devrait être séparée de la sienne, la demanderesse soutient que l’AI a décidé que l’approbation à l’ « étape 1 » de la demanderesse devrait être annulée de sorte qu’elle se trouvait [traduction] « au Canada sans statut et [qu’elle devait] quitter le territoire immédiatement ».  La thèse de la demanderesse s’appuie sur le fait que la lettre informant la DP et la demanderesse de l’approbation à l’« étape 1 » était adressée à la DP et à la demanderesse, et aussi sur le fait que, jusqu’à la réception de la lettre du 16 mars 2010, toutes les autres communications avec CIC d’Etobicoke l’ont amené à croire que le traitement de sa demande suivait un cours normal. 

 

(1)        La lettre était-elle une lettre d’information en soi?

 

[26]           Le défendeur cite la décision de la Cour d’appel fédérale dans Demirtas c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 CF 602 (CA), [1992] ACF no 1126 (QL), où il a été jugé que les lettres d’information ne sont ni des décisions, ni des ordonnances qui sont susceptibles d’être réexaminées par voie d’une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[27]           Voici comment s’est exprimé le juge Gilles Létourneau au paragraphe 8 de l’arrêt Dimirtas, (QL)  précité, 

L'appelant soutient que le juge de première instance a erré en droit en qualifiant de « décision » révisable par certiorari la lettre du 11 juillet 1990 du directeur du Centre adressée au procureur des intimés et je crois qu'il a raison. Même en faisant preuve d'une grande ouverture d'esprit, je n'arrive pas à voir comment l'on peut qualifier de « décision », par surcroît attributive ou négative de droit, une simple lettre d'information d'un fonctionnaire administratif par laquelle, en réponse à une demande qui lui est faite, il attire l'attention de son correspondant sur l'existence de dispositions législatives transitoires et sur le fait qu'un nouvel organisme quasi judiciaire est déjà saisi des dossiers que le correspondant veut voir transférer. D'ailleurs la nouvelle Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans les jours précédant l'échange de correspondance entre le directeur et le procureur des intimés, avait déjà informé les intimés qu'elle était saisie de leurs demandes et qu'elle s'apprêtait à fixer une date d'audition. Si le procureur des intimés entendait contester la juridiction de la Commission sur les demandes de ses clients, il se devait de le faire par objection présentée devant celle-ci et non par une demande à un fonctionnaire de faire transférer les dossiers dans un autre département.

 

 

[28]           Le défendeur considère que l’affaire Nkumbi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 160 FTR 194, 50 Imm LR (2d) 155 (1re inst.) s’apparente à la présente affaire.  Dans cette cause, le juge Pierre Blais a cité la décision rendue dans Demirtas, précité, et celle du juge William McKeown dans Carvajal c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 82 FTR 241 (1re inst.), 48 ACWS (3d) 787, pour statuer qu’une lettre d’un agent d’immigration expliquant que le demandeur ne pouvait présenter une nouvelle demande d’asile étant donné qu’une mesure d’interdiction de séjour non exécutée avait été prononcée contre lui ne constituait pas une décision susceptible de contrôle parce que cette lettre n’était seulement qu’une lettre d’information. L’agent n’a pas rendu l’ordonnance d’interdiction de séjour et il n’était pas habilité à l’évaluer ou à l’annuler. 

 

[29]           Au  paragraphe 39 de l’arrêt Nkumbi, précité, la Cour a cité des documents de référence secondaires pour illustrer que l’envoi d’une lettre par un agent d’immigration est une activité semblable à l’exercice d’un pouvoir lié :

Le titulaire du pouvoir lié rend une décision dès que l"administré répond aux conditions objectives fixées par la loi ou le texte réglementaire. Le contenu de la décision à rendre s’impose donc au titulaire dès que des conditions objectives, fixées par le législateur, sont réunies. L’application de ces conditions ne soulève ni problème d’appréciation ni problème d’interprétation. La décision ne fait donc pas (ou fait peu) appel au jugement du décideur. Il ne rend pas une décision qui permet de faire des choix. En ce sens, il n’exerce pas de véritable pouvoir décisionnel.

 

La délivrance de permis fait généralement appel à l’exercice d’un pouvoir lié. En matière municipale, par exemple, un permis de rénovation sera délivré dès que le demandeur satisfait aux conditions objectives déterminées par la municipalité. L’organisme qui est saisi de la demande dans une telle situation n’a aucune liberté de choix à l’égard de la décision à rendre.

 

[30]           La Cour a conclu que la décision qui aurait pu être contestée aurait été l’ordonnance d’interdiction de séjour elle-même.

 

[31]           De la même façon, dans l’affaire Carvajal, précitée, l’agent d’immigration avait écrit aux demandeurs pour leur rappeler qu’ils n’étaient pas admissibles au statut de résident permanent en raison d’une décision antérieure dont ils n’avaient pas demandé le contrôle judiciaire.  La demande a été rejetée en partie en raison du fait que l’agent qui avait transmis l’information n’était pas habilité à prendre la décision que les demandeurs auraient voulu contester.

 

[32]           Le défendeur soutient qu’en l’espèce, comme dans Nkumbi, Carvajal et Demirtas, précités, la lettre de l’AI était une lettre d’information ou une lettre de courtoisie informant la demanderesse de la décision de la DP.  L’AI n’exerçait aucun pouvoir discrétionnaire en la matière et, en conséquence, la lettre n’est pas une «  décision » qui statuait sur un droit substantiel.

 

[33]           La demanderesse a cité la décision du juge Russel Zinn dans Khadr c. Canada, 2010 CF 715, [2010] 4 R.C.F. 36, pour affirmer que les déclarations qui ont une incidence directe sur la demanderesse constituent des décisions qui sont susceptibles d’un contrôle judiciaire.  La demanderesse cite en outre l’affaire Markevich c. Canada, [1999] 3 CF 28, 163 FTR 209 (1re inst.) (infirmée pour d’autres motifs), dans laquelle le juge John Evans souligne, au par. 13, que lorsqu’il s’agit de déterminer si la prise d’une mesure administrative  est susceptible d’un contrôle judiciaire, il est important de se demander si elle touche aux droits ou intérêts d’individus.

 

[34]           La demanderesse fait valoir que la décision qui lui a été communiquée dans la lettre du 16 mars 2010 avait une incidence très grave sur ses droits et intérêts.  La demanderesse considère que l’AI a essentiellement décidé d’annuler son approbation à l’« étape 1 », ce qui a eu pour effet d’entraîner la perte pour la demanderesse de son statut au Canada.  La demanderesse soutient que cette décision revêt un caractère final.

 

[35]           La demanderesse distingue la présente affaire des arrêts Demirtas, Nkumbi et Carvajal, précités.  Dans ces causes, les demandeurs sollicitaient l’exercice d’un contrôle judiciaire à l’égard d’une lettre transmise par une personne ou un organisme qui n’était pas autorisé à prendre la décision qu’on leur avait été demandée de prendre, alors qu’en l’espèce la décision a été prise par une agente d’immigration ayant l’autorité déléguée pour disposer de demandes CH.

 

[36]           À mon avis, la lettre du 16 mars 2010 était une lettre d’information.  La décision que l’AI a communiquée à la demanderesse était indubitablement la décision de la DP.  Il est malheureux que la demanderesse ait perdu son statut au Canada en raison de la décision de la DP, mais il s’agit d’une conséquence logique. 

 

[37]           L’argument de la demanderesse, selon lequel la décision revêt un caractère final, qu’elle porte atteinte à ses droits substantiels et qu’en conséquence elle peut être considérée comme une décision aux fins d’une demande de contrôle judiciaire est illusoire.  Il est évident que la demanderesse a la possibilité de présenter de façon indépendante sa propre demande CH.  La lettre ne revêt aucun caractère final ayant pour effet d’empêcher la demanderesse de continuer à employer les mêmes moyens légaux en présentant une demande CH.

 

[38]           De toute évidence, il serait injuste d’exiger de la DP de maintenir le statut juridique au Canada de la demanderesse en l’autorisant à demeurer à la charge de la DP dans le cadre de sa demande CH, alors que la demanderesse a souvent agi de façon à compromettre le traitement de la demande de la DP, ou du moins, à le retarder. Si la demanderesse était déclarée interdite de territoire à l’étape 2 du processus, la DP l’aurait été également et il lui aurait été, en conséquence, impossible d’obtenir le statut de résidente permanente.

 

[39]           D’autre part, étant donné les longs délais de traitement qu’exigent les demandes CH, il semble injuste que la demanderesse soit privée, en premier lieu, du bénéfice d’avoir un statut régularisé au Canada, même de façon temporaire comme c’est le cas en l’espèce, alors qu’elle attend une décision à l’étape 2, et deuxièmement, qu’elle soit privée du temps, des documents administratifs et des efforts qu’elle a déjà consacrés en vue d’obtenir une évaluation favorable à l’étape 2.  Il doit être particulièrement difficile pour la demanderesse de subir ce traitement parce que, comme elle le souligne, toutes les communications échangées avec CIC jusqu’à la réception de la lettre en cause indiquaient que sa demande était traitée de façon normale. J’ajouterai, entre parenthèses, que bien que la demanderesse soutienne dans ses observations écrites avoir été surprise par l’affidavit de la DP qui a conduit à son retrait de la demande, les notes provenant du système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) indiquent que la demanderesse était bien au courant de la situation.

 

[40]           La demanderesse ajoute que dans la présente affaire le défendeur ne peut citer aucune disposition législative dont la poursuite du traitement de sa demande CH de façon distincte de celle de la DP entraînerait la  violation.  Cela est peut-être vrai, mais il n’en est pas moins vrai que je ne peux retracer aucune politique ou disposition législative qui autoriserait essentiellement CIC à séparer les demandes à cette étape de leur traitement.

 

[41]           La demanderesse fait valoir que la lettre confirmant l’approbation à la première étape a été adressée à la fois à la demanderesse et à la DP.  Dans Gomes c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1217, 126 ACWS (3d) 486, la juge Danièle Tremblay-Lamer a cependant été saisie d’une affaire dans laquelle des enfants ont demandé en tant que personnes à charge d’être séparés de la demande de résidence permanente présentée par leur père.  Les personnes à charge étaient étudiantes à temps plein au moment où la demande a été présentée et elles ont été considérées comme telles tout au long du processus d’examen.  Cependant, lorsqu’il a été déterminé que leur père était non admissible pour des raisons de santé, les personnes à charge ont tenté de faire valoir que chacun des membres de la famille avait reçu une lettre d’acceptation distincte et que cela constituait une preuve qu’elles avaient fait l’objet d’un examen distinct.  La juge Tremblay-Lamer a exprimé son désaccord.  Les personnes à charge auraient pu séparer leur demande, mais elles n’ont jamais demandé l’examen séparé de leur demande avant que leur père ne soit déclaré inadmissible. En outre, il était évident que la demande pour circonstances d’ordre humanitaire a été approuvée parce qu'elle visait la famille en tant qu'unité.

 

[42]           De la même manière, je ne vois pas en quoi, en l’espèce, le fait que la lettre confirmant l’approbation à l’étape 1 a été adressée à la fois à la DP et à la demanderesse constitue une preuve convaincante que la demanderesse avait reçu l’approbation à l’étape 1, laquelle a été depuis illégalement annulée.  Il est évident que la demanderesse a reçu l’approbation à l’étape 1 en tant que personne à charge de la DP et que cette décision était fondée sur les difficultés auxquelles la DP serait exposée si elle devait présenter une demande de l’extérieur du pays.  Il serait spécieux de séparer les demandes, mais de permettre à la demanderesse d’invoquer en sa faveur les facteurs sur lesquels était fondée la demande de la DP.

 

[43]           Je réitère, comme la juge Tremblay-Lamer l’a fait dans Gomes, précité, que la demanderesse demeure libre de présenter sa propre demande en tout temps.

 

[44]           À elle seule, la conclusion selon laquelle la lettre est une lettre d’information est suffisante pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire.  Cette conclusion neutralise également les autres arguments de la demanderesse.  Elle ne réussit pas à soulever d’erreur susceptible de contrôle, mais ses observations sont analysées ci-après par souci d’exhaustivité. 

 

B.         Y a-t-il d’autres erreurs susceptibles de contrôle?

 

(1)        L’AI a-t-elle outrepassé sa compétence?

 

[45]           La demanderesse a fait valoir que ni la LIPR ni le Règlement sur l’ immigration et la protection des réfugiés, (DORS/2002-227) [RIPR] autorisent le retrait de la demanderesse de la demande CH de la façon dont l’AI l’a effectué.  La demanderesse soutient que même si les décisions favorables à « l’étape 1 » ne mènent pas toutes à l’obtention du statut de résident permanent, le processus en deux étapes a pour effet d’accorder le statut conditionnel de résident permanent à l’étape 1, pourvu que le demandeur et les membres de sa famille l’accompagnant ne soient pas inadmissibles pour quelque autre motif que ce soit.  Selon la demanderesse, les motifs justifiant la transmission d’une lettre de refus ne comprennent pas celui d’accorder la préférence au demandeur principal par rapport à la personne à charge qui poursuit le traitement d’une demande.

 

[46]           Le défendeur réitère dans ses observations que la demanderesse a été retirée de la demande de la DP à l’initiative de cette dernière, et non de l’AI, et qu’il relevait exclusivement de la DP de présenter une demande de cette nature.  Bien que tous les membres de la famille doivent être inscrits dans la demande et doivent faire l’objet d’un contrôle d’admissibilité, la décision d’inclure un membre de la famille en vue d’un traitement simultané dans le cadre de la demande de la DP relève entièrement de cette dernière.  Selon le défendeur, le fait que la DP était « approuvée en principe » est sans pertinence aucune – la DP étant libre à tout moment durant le traitement de la demande d’exiger qu’un membre de sa famille qui est une personne à charge soit retiré de sa demande CH pour les fins d’un traitement simultané.

 

(2)        L’AI a-t-elle omis de réévaluer de façon appropriée l’approbation à l’étape 1 de la demanderesse?

 

[47]           La demanderesse soutient que l’AI a commis une erreur en omettant de réévaluer de façon appropriée l’approbation à l’« étape 1 ». La demanderesse invoque les lignes directrices formulées dans le guide IP 5 qui prévoient que l’approbation à l’étape 1 peut être révisée lors de la découverte de circonstances importantes, comme le retrait d’un engagement.  La demanderesse fait valoir qu’elle ne fait pas partie de cette catégorie, car tout au long du traitement de la demande elle était une enfant de la DP, âgée de moins de 22 ans.  La demanderesse soutient de plus que lorsqu’une décision à l’étape 1 est révisée ou rouverte, dans les cas de fausse déclaration ou de fraude, il doit être donné à la personne concernée l’occasion de répondre aux allégations de fausse déclaration.  L’AI n’a jamais donné à la demanderesse cet avis, au contraire toutes les communications échangées avec CIC, avant la lettre du 16 mars 2010, lui indiquaient que sa demande était soumise au processus de détermination de l’étape 2.

 

[48]           En réponse, le défendeur maintient que la demanderesse omet de prendre en compte le fait que la décision de traiter de façon simultanée sa demande de personne à charge à titre de membre de la famille accompagnant la DP était du ressort exclusif de cette dernière.  En conséquence, à la suite du retrait de la demanderesse de la demande de la DP, l’AI n’avait aucune obligation correspondante de réévaluer l’approbation à l’étape 2 de la demanderesse.

 

(3)               L’AI a-t-elle violé le droit à l’équité procédurale de la demanderesse?

 

[49]           La demanderesse a présenté de longues observations écrites alléguant que l’AI avait commis une erreur de droit et qu’elle avait violé les principes en matière d’équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui avaient pas été fournis avant la décision.  Les motifs obtenus par la demanderesse en application de l’article 9 des Règles des Cours fédérales, (DORS/98-106) constitués de notes du SSOBL, renvoient à l’affidavit dans lequel la DP demandait le retrait de la demanderesse.  La demanderesse soutient qu’elle ne savait rien de l’existence de l’affidavit avant de recevoir les motifs, qu’il s’agit en fait d’une preuve extrinsèque et qu’un exemplaire aurait dû lui être transmis pour commentaires.

 

[50]           Encore une fois, le défendeur fait valoir que la demanderesse ne saisit pas que cette décision a été prise par la DP, et non par l’AI.  L’affidavit était simplement une confirmation de la volonté de la DP de retirer la demanderesse de sa demande CH.

 

[51]            Je suis d’accord avec le défendeur.  Il est difficile d’imaginer les conséquences découlant de l’autorisation qui aurait été accordée à la demanderesse de commenter l’affidavit avant que la lettre soit transmise.  Contrairement à la jurisprudence citée par la demanderesse, il n’est pas clair que les commentaires formulés par la demanderesse auraient eu quelque incidence que ce soit sur les mesures prises par l’AI.  Comme le souligne le défendeur, l’AI n’a pas, en l’espèce, pris de décision à l’égard de laquelle les règles d’équité procédurale puissent même être appliquées. Ce processus de décision entrepris exclusivement par la DP ne laissait aucune marge de manœuvre à la demanderesse pour véritablement y participer.

 

(4)        Date déterminante

 

[52]           Les notes du SSOBL indiquent comme motifs partiels à l’appui de la lettre du 16 mars 2010 que la demanderesse est âgée de 22 ans et qu’elle n’est plus une personne à charge.  À l’époque où la demande CH a été présentée pour la première fois, la demanderesse avait 15 ans.  L’approbation à l’étape 1 a été accordée en 2005, alors que la demanderesse avait 17 ans.  La demanderesse soutient que l’AI a commis une erreur en concluant que l’âge de la demanderesse au moment où la lettre avait été préparée constituait un motif valable pour conclure qu’elle n’était plus une enfant à charge.  Aux fins d’évaluer la dépendance dans le cadre d’une demande d’engagement de parrainage, ou même d’une demande pour travailleur qualifié, l’âge est gelé à la date de présentation de la demande.

 

[53]           Le défendeur soutient que cet argument ne fait que brouiller les pistes.  Le défendeur fait valoir que la demande de la demanderesse en tant que membre de la famille à la charge de la DP  était conditionnelle à ce que son traitement procède avec l’assentiment de la DP – assentiment qu’elle pouvait retirer à tout moment. L’AI a simplement souligné qu’il était maintenant possible pour  la demanderesse, n’étant plus une personne à charge, de présenter sa propre demande CH indépendante.

 

[54]           Je retiens l’argument du défendeur sur ce point.

 

V.        Conclusion

 

[55]           Étant donné les conclusions qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[56]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

«  D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme.

 

Jean-Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1908-10

 

INTITULÉ :                                       ABBOTT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 JANVIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 MARS 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aadil Mangalji

 

POUR LA DEMANDERESSE

Stephen H. Gold

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Long Mangalji LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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