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Date : 20110321

Dossier : IMM-3198-10

Référence : 2011 CF 347

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

 

RUTE PEREIRA DA SILVA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle, le 6 mai 2010, l’agent Jerome Trottier (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente présentée au Canada par la demanderesse pour des raisons d’ordre humanitaire (CH) en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

A.        Contexte factuel

[3]               Rute Pereira Da Silva (la demanderesse) est une citoyenne du Brésil. Elle est arrivée au Canada le 1er avril 2002 avec un permis de séjour temporaire et, depuis cette date, elle est demeurée au pays sans statut. Elle a présenté sa demande CH le 7 octobre 2005.

 

[4]               La demanderesse est venue au Canada en quête d’une vie meilleure pour ses nièces orphelines, Shirley et Vanessa do Vale Pereira. Shirley est arrivée au Canada le 30 décembre 2002, et Vanessa est arrivée le 11 décembre 2003; elles étaient toutes les deux adultes à leur arrivée. Elles ont épousé des citoyens canadiens et Shirley a donné naissance à un fils, Daniel. Shirley a obtenu le statut de résidente permanente et Vanessa a été approuvée en principe aux fins de la résidence permanente comme étant une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial.

 

[5]               Alors qu’elles étaient jeunes, les nièces ont perdu leurs trois principaux fournisseurs de soins sur une période de trois ans – leur mère, leur père et ensuite leur grand-mère. Elles ont été recueillies par le frère de la demanderesse, mais elles ont été victimes de violence verbale et émotionnelle de la part de sa femme. Tout au long de cette épreuve, la demanderesse a gardé contact avec ses nièces et elle les a recueillies après qu’elles aient eu quitté la maison de leur oncle. La demanderesse prétend qu’elle a été comme une mère pour ses nièces et une grand-mère pour Daniel. La demanderesse ne s’est jamais mariée et n’a aucun enfant.

[6]               La demanderesse est une membre active de l’église et elle est aussi bénévole à la soupe populaire pour les sans-abri. La demanderesse travaille comme gouvernante depuis son arrivée au Canada. La demanderesse et ses nièces n’ont pas touché de prestations d’aide sociale depuis leur arrivée au Canada. La demanderesse n’a jamais été accusée d’une infraction criminelle.

 

[7]               La demande CH était fondée sur les possibilités d’établissement et sur la relation entre la demanderesse et ses nièces et Daniel.

 

B.         Décision contestée

 

[8]               L’agent a examiné la preuve relative à l’établissement, mais a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré un haut degré d’intégration justifiant une décision favorable pour motifs d’ordre humanitaire. Il a aussi conclu qu’il était difficile de savoir si elle pouvait financièrement subvenir à ses besoins parce qu’il n’y avait aucune preuve claire indiquant ses heures de travail et son salaire.

 

[9]               L’agent a tenu compte de la relation de la demanderesse avec ses nièces et Daniel, mais il n’était pas convaincu que la relation ne pouvait pas être préservée si la demanderesse retournait au Brésil. L’agent a aussi souligné que la demanderesse avait encore de la famille là-bas et qu’il ne serait pas difficile pour elle d’y retourner. L’agent a reconnu que la séparation de la demanderesse d’avec Daniel occasionnerait des difficultés, mais a conclu que ces difficultés ne seraient pas inhabituelles, injustifiées ou disproportionnées.

[9]

II.         Questions en litige

 

[10]           La demanderesse conteste l’examen de la preuve relative à l’établissement fait par l’agent et prétend qu’il n’a pas tenu compte des difficultés qu’entraînerait son renvoi parce qu’il ne l’a pas considérée comme un membre de la famille de fait. La demanderesse présente aussi des arguments fondés sur l’équité procédurale. Le défendeur soutient que la demanderesse conteste l’importance accordée à la preuve et prétend que la demanderesse n’est pas un membre de la famille de fait.  

 

[11]           Je formulerai les questions en litige comme suit :

(a)        La conclusion de l’agent au sujet de l’établissement est-elle appuyée par les éléments de preuve au dossier?

(b)        L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur de Daniel?

(c)        La demanderesse est-elle un membre de la famille de fait?

 

III.       Norme de contrôle

 

[12]           La demanderesse n’a présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle. Le défendeur prétend que les décisions CH sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[13]           La conclusion de l’agent au sujet de l’établissement était factuelle et commande la retenue. La Cour suprême a conclu au paragraphe 46 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, que les questions de fait sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[14]           De manière plus générale, la norme de contrôle applicable aux demandes CH est celle de la décision raisonnable (voir Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 307, 2008 CarswellNat 671, conf. 2009 CAF 189). Cette norme a été appliquée aux décisions portant sur l’intérêt supérieur de l’enfant (voir Benyk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 950, 84 Imm LR (3d) 35) et sur la question de savoir si une personne est un membre de la famille de fait (voir John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 85, 2010 CarswellNat 126).

 

[15]           Comme il a été établi dans Khosa, précité, et dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décision, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.       Arguments et analyse

A.        La conclusion de l’agent au sujet de l’établissement est appuyée par les éléments de preuve au dossier

 

[16]           La demanderesse prétend que l’agent a mal interprété la preuve relative à son établissement et que sa conclusion est donc déraisonnable. Elle soutient que les relevés bancaires qu’elle a présentés démontrent son autonomie financière et réfutent la conclusion de l’agent selon laquelle elle n’avait pas établi son revenu et son indépendance financière. La demanderesse se fonde sur deux décisions relatives à une demande d’asile de la Cour d’appel fédérale pour appuyer cet argument, mais ni l’une ni l’autre n’est pertinente parce qu’elles ont trait à des situations où la Commission n’a pas tenu compte de la preuve au dossier. La demanderesse prétend également que le critère appliqué par l’agent pour déterminer si l’établissement justifie une décision CH favorable est tellement élevé qu’il est déraisonnable et irréaliste.  

 

[17]           L’agent n’a pas ignoré la preuve relative à l’établissement de la demanderesse. Il a expressément pris en compte les lettres d’emploi et la lettre de son église. Bien que l’agent n’ait pas mentionné ses relevés bancaires dans sa décision, le défendeur fait remarquer à bon droit que les relevés bancaires n’établissent pas la provenance des fonds, mais plutôt le solde d’un compte bancaire particulier et, par conséquent, ils ne permettent pas d’établir le revenu de la demanderesse. La demanderesse n’a pas démontré que l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable ou de mauvaise foi en examinant son établissement au Canada.

 

B.         L’agent n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur de Daniel

[18]           La demanderesse prétend que l’agent a commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur de Daniel. L’appréciation faite par l’agent de l’intérêt supérieur de Daniel se limite à un paragraphe :

[traduction] Je sais également que la nièce aînée a un garçon au Canada nommé Daniel. La demanderesse a affirmé avoir établi des liens très forts avec l’enfant et qu’elle le considère comme son petit-fils. J’ai tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant en cause dans la présente affaire et j’y suis sensible. Je sais que certaines difficultés découleront nécessairement d’une séparation physique d’avec l’enfant et les deux nièces et j’ai accordé une certaine importance à cet argument. Cependant, je ne suis pas d’avis que les difficultés soient inhabituelles, injustifiées ou disproportionnées compte tenu de la preuve dont je dispose.

 

 

[19]           La demanderesse prétend que l’agent n’a pas tenu compte de sa relation avec Daniel et du fait qu’elle le considère comme son petit-fils. Elle soutient que les difficultés sont aggravées par le fait qu’elle n’est pas admissible au parrainage de la part de ses nièces.

 

[20]           La demanderesse se fonde sur Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2008 CF 165, 323 FTR 181). Dans cette décision, le juge Douglas Campbell a décrit la règle selon laquelle l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant touché par la décision.  

 

[21]           L’analyse effectuée par l’agent quant à l’intérêt supérieur de Daniel est brève et ne fait pas état des facteurs énumérés dans l’affaire Kolosovs, précitée, et dans le document IP 5. Cependant, la demanderesse n’a fourni aucune preuve selon laquelle elle s’occupe principalement de Daniel ou même qu’elle est l’une des personnes qui s’occupent de lui. Par conséquent, une analyse aussi détaillée de l’intérêt supérieur de Daniel ne semble pas nécessaire.  Notre Cour a imposé une obligation d’évaluer l’intérêt supérieur d’un petit enfant dans Benyk, précitée, mais la grand-mère dans cette décision était l’un des deux principaux fournisseurs de soins des enfants et les enfants avaient besoin de leur grand-mère parce que leur mère travaillait la nuit.

 

[22]           La mère de Daniel est une résidente permanente du Canada et il ne fait aucun doute qu’il demeurera au Canada que la demanderesse soit renvoyée ou non. L’agent a tenu compte du lien affectif entre la demanderesse et Daniel et a reconnu que leur séparation serait difficile. Ce lien affectif est le seul facteur que l’agent devait examiner lors de son évaluation de l’intérêt supérieur de Daniel, et la demanderesse n’a relevé aucun autre facteur dont l’agent aurait dû tenir compte.

 

[23]           Contrairement à ce que prétend la demanderesse, l’agent a expressément reconnu la prétention de la demanderesse selon laquelle elle considère Daniel comme son petit-fils. Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec l’analyse effectuée par l’agent quant à l’intérêt supérieur de Daniel, elle n’a pas démontré qu’elle était déraisonnable.

 

C.        La demanderesse n’est pas un membre de la famille de fait

 

[24]           Je suis d’accord avec les commentaires formulés par le juge Luc Martineau dans Frank c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 270, 2010 CarswellNat 525, au par. 30 de la décision :

[30]      Je ne crois pas que la décision John, précitée, crée une obligation pour tous les agents d’immigration d’examiner précisément la question des membres de la famille de fait dans chaque affaire. En l’espèce, il ne fait aucun doute que l’agente a tenu compte de la relation du demandeur avec sa famille au Canada et, s’il n’est pas démontré que l’agente n’a examiné aucun autre critère pertinent pour trancher la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la Cour ne doit pas intervenir.

 

[25]           Dans la présente demande, il est clair que l’agent a tenu compte de la relation de la demanderesse avec sa famille au Canada.

 

[26]           La demanderesse se fonde sur Koromila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2009 CF 393, 2009 CarswellNat 1167), et prétend que la dépendance affective suffit pour être considérée comme un membre de la famille de fait. Cette décision est peu pertinente en l’espèce puisqu’elle portait sur une décision rendue par un agent des visas à l’étranger relativement à une demande pour travailleur qualifié. Dans son examen de la question de savoir s’il existait des facteurs d’ordre humanitaire, l’agent dans l’affaire Koromila a ignoré la preuve quant à la dépendance affective et a refusé d’examiner si la demanderesse était un membre de la famille de fait qui avait été laissée derrière. Dans la décision faisant l’objet du contrôle, bien que l’agent n’ait pas expressément examiné la question de savoir si la demanderesse était un membre de la famille de fait, il a tenu compte du lien affectif entre la demanderesse et ses nièces. De plus, rien n’indique que la demanderesse serait isolée au Brésil, contrairement à la situation dans Koromila où il y avait une preuve d’isolement.

 

[27]           Cependant, il ressort clairement de l’examen des décisions John et Frank, précitées, que la demanderesse n’est pas un membre de la famille de fait. Dans Frank, le juge Martineau a conclu ce qui suit au paragraphe 29 :

[29]      Il ressort clairement de ce qui précède que le statut de membre de la famille se limite aux personnes vulnérables qui n’entrent pas dans la définition de membres de la famille au sens de la Loi et qui dépendent du soutien, tant financier qu’affectif, qu’ils reçoivent des personnes habitant au Canada. Par conséquent, le statut de membre de la famille de fait n’est pas généralement accordé à des adultes indépendants et fonctionnels qui ont un lien affectif étroit avec un parent habitant au Canada, comme c’est le cas en l’espèce. [Je souligne.]

 

[28]           De même, le juge Sean Harrington a abordé le concept du membre de la famille de fait au paragraphe 12 de John, précitée :

[12]      Pour ce qui est des membres de la famille de fait, selon le paragraphe 13.8 du document IP 5, il convient de se demander dans quelle mesure la demanderesse aurait du mal à combler ses besoins affectifs ou financiers sans le soutien et l’aide de la famille au Canada.

 

[29]           L’omission de l’agent d’examiner si la demanderesse est un membre de la famille de fait est raisonnable, car il ressort clairement de ces deux passages et de la preuve au dossier que la demanderesse n’est pas un membre de la famille de fait. Bien qu’elle ait certainement un lien affectif étroit avec ses nièces, un membre de la famille de fait est une notion définie en matière d’immigration et la demanderesse ne répond tout simplement pas à la définition. La demanderesse prétend être autonome financièrement, et elle n’a pas démontré une dépendance affective vis-à-vis ses nièces qui ferait en sorte qu’elle soit un membre de la famille de fait. La demanderesse est une adulte indépendante et fonctionnelle, comme l’était le demandeur dans l’affaire Frank, précitée, et par conséquent, elle n’est pas un membre de la famille de fait.

 

V.        Conclusion

 

[30]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne se pose en l’espèce.

 

[31]           Compte tenu des conclusions tirées précédemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3198-10

 

INTITULÉ :                                       RUTE PEREIRA DA SILVA c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dov Maierovitz

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bradley Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Gertler & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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