Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110329

Dossier : IMM-4758-10

Référence : 2011 CF 385

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 29 mars 2011

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

JOSE HECTOR AYALA

 

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande vise la décision défavorable que la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rendue au sujet de la demande de protection contre l’organisation criminelle salvadorienne connue sous le nom de « maras » que le demandeur a présentée en application de l’article 97.

 

[2]               Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur résume son comportement, ses expériences et les raisons pour lesquelles il a quitté le Salvador, raisons qui remontent jusqu’en 1982 et qui comprennent sa fuite la plus récente, qui fait l’objet de sa demande. La SPR a décrit les « allégations » de ces antécédents comme suit :

 

Le demandeur d’asile a allégué que, en 1982, à l’âge de 23 ans, il a quitté El Salvador par crainte d’une guerre civile et s’est rendu aux États-Unis en passant par le Guatemala et le Mexique. Après avoir passé un mois à travailler illégalement aux États-Unis, il a été arrêté puis expulsé au Salvador.

En 2003, des récits circulaient au sujet des violences commises par les maras. Ces récits ont de nouveau fait peur au demandeur d’asile, et il s’est encore une fois rendu aux États-Unis en y rentrant illégalement. Cependant, lorsqu’il a entendu dire que les autorités avaient commencé à s’attaquer fermement à l’immigration illégale, il est retourné au Salvador. Il a affirmé qu’il s’est livré à l’agriculture grâce à l’argent qu’il avait épargné en travaillant aux États-Unis.

 

En mars 2007, le demandeur d’asile a reçu la visite de trois membres des maras, qui lui ont ordonné de leur verser de l’argent. Puisque le demandeur d’asile n’avait pas l’argent exigé, ils l’ont battu à coups de pied et de poing, puis l’ont abandonné à son sort.

La dernière semaine du même mois, le demandeur d’asile a reçu une autre visite de trois membres des maras. Ces derniers exigeaient qu’il leur verse 4 000 $. Comme il n’avait pas cet argent, ils l’ont de nouveau battu. Craignant donc les maras, il a encore une fois quitté son pays pour les États-Unis avant de venir au Canada, où il a un frère et une sœur; il a présenté sa demande d’asile le jour même de son arrivée au Canada, le 25 juin 2008. Le demandeur d’asile n’a pas demandé la protection de l’État.

 

(Décision, paragraphes 2 à 5)

 

[3]               Lorsqu’elle a apprécié la preuve du comportement du demandeur, la SPR a conclu que, lorsqu’il avait quitté le Salvador en 1982 et en 2003, la motivation du demandeur était d’immigrer pour des avantages économiques et non pas de fuir un risque. En tirant cette conclusion, la SPR a tiré des conclusions négatives quant à la crédibilité du témoignage du demandeur. En effet, la SPR s’est fondée sur ces conclusions négatives pour rejeter la demande du demandeur, décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[4]               En ce qui a trait au départ du demandeur du Salvador en 1982, la SPR a déclaré dans sa décision :

 

 

En fait, le tribunal ne croit pas que les maras aient rendu visite au demandeur d’asile, qu’ils l’aient menacé et battu ou qu’ils aient cherché à lui extorquer de l’argent. Pour en arriver à cette décision, le tribunal a examiné la preuve dont il est saisi. Par exemple, le demandeur d’asile a affirmé qu’en 1982 il avait quitté le Salvador en raison de la guerre civile. Il a soutenu qu’il craignait d’être tué parce que des gens se faisaient exécuter par balle et qu’il y avait des morts partout. Il s’était alors rendu aux États-Unis pour échapper à la violence, mais avait été expulsé au Salvador après seulement un mois.

 

[…]

 

En fait, le tribunal juge que le demandeur d’asile s’est rendu aux États‑Unis parce qu’il voulait y travailler, pour faire de l’argent, et non parce qu’il craignait quelqu’un ou quelque chose au Salvador. S’il avait craint la guerre civile, comme il l’a affirmé, il aurait présenté une demande d’asile. Or, selon ses propres dires, ce n’est pas parce qu’il ne connaissait pas le principe ou le fonctionnement d’une demande d’asile que le demandeur d’asile n’en a pas présenté une, mais bien parce qu’il avait besoin d’argent pour le faire. Ainsi, le tribunal ne croit pas que le demandeur d’asile avait l’intention de présenter une demande d’asile aux États-Unis, et il juge que sa crédibilité est aussi minée par son explication, à savoir qu’il n’avait pas eu l’occasion d’en présenter une parce qu’il s’était fait prendre trop tôt. Par conséquent, le tribunal estime que dire la vérité pose sérieusement problème au demandeur d’asile : l’allégation selon laquelle il craignait pour sa vie ne représentait que le premier maillon d’une chaîne de fausses allégations qu’il s’est trouvé à faire, en l’espèce, dans le but d’établir une crainte fondée devant le tribunal.

 

(Décision, paragraphes 9 et 12)

 

[5]               En ce qui a trait au départ du demandeur du Salvador en 2003, la SPR a déclaré :

Le tribunal ne croit pas que le demandeur d’asile craignait réellement de subir la violence des maras lorsqu’il a quitté le Salvador en 2002 ou en 2003. Si tel avait été le cas, le demandeur d’asile n’y serait pas retourné tandis que les mêmes maras qui l’avaient amené à fuir exerçaient encore leurs activités. Le tribunal estime donc que le demandeur d’asile voit sa crédibilité minée par l’allégation selon laquelle il craignait de subir la violence des maras. Le tribunal juge en outre que les explications fournies par le demandeur d’asile pour justifier ses voyages aux États-Unis étaient marquées par des artifices et des exagérations, à savoir qu’il avait d’abord craint la guerre civile, puis les violences rapportées dans les récits qui circulaient à propos des maras; en réalité, le tribunal estime que ces voyages étaient motivés par des raisons économiques, et non par une crainte fondée. Par exemple, lorsque le demandeur d’asile s’est fait demander la raison pour laquelle il était encore allé aux États-Unis, il a répondu que c’était pour ramasser un peu d’argent afin d’effectuer un retour à la terre, d’acheter des animaux – des vaches, des porcs et des poules – et de cultiver sa terre.

 

(Décision, paragraphe 15)

 

 

[6]               Il ne fait aucun doute que les conclusions négatives quant à la crédibilité du comportement du demandeur en 1982 et en 2003 ont entraîné la conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur au sujet de son départ de 2008 du Salvador :

En l’espèce, le demandeur d’asile a affirmé qu’il avait de nouveau quitté le Salvador pour les États-Unis en 2008. Comme toutes les autres fois où il s’est rendu aux États-Unis, il y est allé en passant par le Guatemala et le Mexique. À la question de savoir la raison pour laquelle il n’avait pas demandé l’asile au Guatemala, il a répondu que les maras se trouvaient aussi au Guatemala. Il s’est ensuite vu demander combien de temps il était resté au Guatemala; il a affirmé y être resté une journée. Tenu d’expliquer encore une fois la raison pour laquelle il n’y avait pas demandé l’asile, il a indiqué qu’il avait l’intention de venir au Canada. Il s’est alors vu demander combien de temps il était resté au Mexique; il a répondu qu’il y était resté un mois. Il a aussi affirmé qu’il avait travaillé pendant son séjour au Mexique. Il s’est ensuite fait demander combien de temps il était demeuré aux États‑Unis; il a dit qu’il y était resté un mois. Le tribunal note que le demandeur d’asile n’a pas demandé l’asile au Guatemala ou au Mexique parce que les maras se trouvaient aussi dans ces pays et qu’il était en route vers le Canada. À la question de savoir la raison pour laquelle il n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis, il a répondu que c’était parce qu’il avait déjà été expulsé de ce pays. Or, le tribunal sait que le demandeur d’asile connaît très bien les exigences relatives à l’asile aux États-Unis, mais qu’il ne l’a jamais demandé dans ce pays; selon le tribunal, la raison en est que le demandeur d’asile n’avait pas de crainte fondée à ce moment, pas plus qu’il n’en a aujourd’hui [sic].

 

Le tribunal souligne que le fait qu’une personne n’ait pas demandé l’asile dans un pays où elle a habité ou même séjourné ou voyagé avant de venir demander l’asile au Canada, lorsque ce pays est signataire de la Convention relative au statut des réfugiés, peut être considéré comme un signe que la crainte de cette personne n’existe pas. La Cour fédérale a déjà statué que les demandeurs d’asile doivent avoir une crainte subjective de persécution et que cette crainte doit avoir un fondement objectif. Selon le tribunal, si le demandeur d’asile avait une crainte fondée et n’était pas un migrant économique, il aurait demandé l’asile dans l’un des pays où il a séjourné.

 

(Décision, paragraphes 20 et 21)

 

 

[7]               En ce qui a trait à la présente demande, je n’ai aucune difficulté à différencier les conclusions des trois départs distincts du demandeur du Salvador. En 1982 et en 2003, le demandeur ne pouvait pas démontrer qu’il avait été ciblé et, après avoir quitté le Salvador, il n’a pas demandé l’asile dans un autre pays. Je conclus qu’il existe un fort contraste entre les éléments de preuve au sujet de ces départs et les éléments de preuve à l’appui de la demande faisant l’objet du présent contrôle. En l’espèce, le demandeur a témoigné qu’il avait été ciblé personnellement et il a expliqué pourquoi il n’avait pas demandé l’asile dans les pays qu’il a traversés pour se rendre au Canada et pourquoi il souhaitait demander l’asile au Canada : son frère y habite. À son arrivée au Canada, le demandeur a immédiatement demandé l’asile. Compte tenu de ces différences, à mon avis, il était injuste pour la SPR de se fonder sur les conclusions négatives quant à la crédibilité des départs de 1982 et de 2003 pour tirer une conclusion négative quant à la présente demande. Je suis d’avis que la présente demande doit être évaluée en fonction de ses particularités, sans être entachée par les conclusions de crédibilité quant aux départs précédents du demandeur du Salvador.

 

[8]               Par conséquent, je conclus que la décision de la SPR ne se justifie pas au regard des faits et du droit et que, par conséquent, elle est déraisonnable.


 

ORDONNANCE

Par conséquent, la décision faisant l’objet du contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

            Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4758-10

 

INTITULÉ :                                       JOSE HECTOR AYALA

 c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 29 MARS 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 MARS 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clifford Luyt

POUR LE DEMANDEUR

 

Bradley Bechard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Clifford Luyt

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.