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Date : 20110329

Dossier : IMM-5197-10

Référence : 2011 CF 382

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

 

ABDALLAH ALI HAMDAR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant le contrôle judiciaire de la décision en date du 5 août 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi.

 

HISTORIQUE

 

[2]               Le demandeur est citoyen libanais. Sa demande d’asile est fondée sur ses opinions politiques et ses liens avec des membres de l’armée et du renseignement israéliens.

 

[3]               L’ancienne femme et le frère du demandeur étaient officiers dans l’armée libanaise pendant toute la période qui nous intéresse. Le demandeur habitait dans la banlieue sud de Beyrouth, où le Hezbollah jouit d’un fort appui et a de nombreux partisans. Il lui est arrivé de critiquer l’idéologie du Hezbollah devant des voisins. En 1997, l’un d’eux l’a dénoncé au Hezbollah et au renseignement syrien, et le demandeur a par la suite été arrêté et battu. Au mois de septembre 1998, des agents du renseignement syrien l’ont de nouveau arrêté, battu et torturé, et il a dû verser une rançon pour être libéré. Au mois de décembre 1999, il a été arrêté et emprisonné pendant un an par le Hezbollah et le renseignement syrien, qui le soupçonnaient d’être l’auteur d’un attentat à la bombe perpétré contre un dirigeant du Hezbollah près de chez lui; il a encore une fois été forcé de payer pour être libéré. En 2001, il a été pris avec un ami lors d’une embuscade dans un supermarché. Son ami a été tué, et lui a reçu une balle à la jambe et a été hospitalisé pendant deux mois. Il a fourni un dossier d’hospitalisation à l’appui de sa demande d’asile.

 

[4]               En 2004, le Hezbollah et le renseignement syrien lui ont demandé d’être informateur pour eux. Le demandeur a cherché sans succès à obtenir la protection de l’armée libanaise. Au mois de janvier 2006, les membres du Hezbollah ont tiré sur la voiture du demandeur en l’informant ensuite qu’il s’agissait d’un avertissement. Le demandeur s’est caché. Il a quitté le Liban le 11 avril 2006 muni d’un visa américain. Il a passé 16 jours en Italie et deux jours à Dubaï et en Oman, puis un mois en Italie de nouveau et trois mois aux États‑Unis. Le 1er janvier 2007, il a traversé la frontière canadienne, et il a demandé asile le même jour.

 

[5]               Avant de s’enfuir du Liban, le demandeur avait voyagé souvent hors du pays entre 2001 et 2004, notamment aux États‑Unis, aux Pays‑Bas, aux Émirats arabes unis et en Malaisie.

 

[6]               L’audience du demandeur devant la SPR s’est tenue les 27 avril et 30 juin 2010. Il était représenté par un avocat, et un interprète était présent. La SPR a conclu qu’il était « très peu probable que le demandeur d’asile soit persécuté pour un motif quelconque de la Convention » s’il retournait au Liban et que « rien dans les éléments de preuve présentés ne pourrait servir de fondement à l’établissement d’un risque personnel ou d’un danger pour le demandeur d’asile au sens du paragraphe 97(1) de la Loi ». C’est la décision visée par la demande de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[7]               Suivant la SPR, la question déterminante était celle de la crédibilité. Elle a indiqué qu’il y avait plusieurs incohérences dans le témoignage du demandeur mais qu’il ne serait question dans sa décision que de celles qui se rapportaient à des éléments essentiels de sa demande d’asile. Voici celles qu’elle a relevées.

 

[8]               Le demandeur a omis de mentionner dans sa déclaration au point d’entrée (DPE) que les problèmes les plus graves avaient commencé en 2004 et 2005 lorsque le Hezbollah et le renseignement syrien ont voulu le recruter comme informateur parce des membres de sa famille étaient dans l’armée libanaise. Il n’a pas indiqué non plus à ce moment que le Hezbollah l’avait arrêté en 1999 pour un attentat à la bombe contre un dirigeant du Hezbollah ni que sa voiture avait été la cible de tirs et endommagée en 2006. Ces détails ont été fournis dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) et dans son témoignage.

 

[9]               Le demandeur a expliqué qu’il était fatigué et en proie à la confusion au point d’entrée et qu’il hésitait à révéler toute son histoire parce qu’il craignait d’être renvoyé au Liban. La SPR a jugé que cette explication n’était ni crédible ni raisonnable. Elle a estimé que le demandeur, qui était instruit, avait beaucoup voyagé et arrivait au Canada dans l’intention bien arrêtée d’y demander asile, aurait mentionné ces importants événements s’ils s’étaient réellement produits, d’autant plus qu’il les décrit comme les principales causes de sa fuite.

 

[10]           Le demandeur a également déclaré au point d’entrée qu’il distribuait des tracts contre l’armée syrienne, mais il n’a rien mentionné de cela dans son FRP ou à l’audience. C’est encore l’explication de la fatigue, de l’état de confusion et de la crainte de révéler toute son histoire qu’il a donnée à l’égard de cette incohérence.

 

[11]           Le demandeur a bien indiqué dans sa DPE et son FRP ainsi qu’à l’audience qu’il avait reçu une balle à la jambe lors de l’incident du supermarché en 2001. Il avait cependant mentionné dans la DPE que sept autres personnes avaient été tuées. En raison des autres divergences susmentionnées, la SPR a écarté l’affirmation faite dans le FRP que le demandeur était la cible de l’attaque, la qualifiant de supposition. Elle n’a pas retenu non plus l’explication voulant qu’il n’avait pas mentionné les sept autres victimes parce qu’il était davantage centré sur lui‑même.

 

[12]           La SPR a conclu à l’absence de crainte subjective de persécution chez le demandeur. Le temps qu’il avait mis à quitter le Liban et le fait qu’il n’avait demandé asile dans aucun des nombreux pays qu’il avait visités ne concordaient pas avec l’existence d’une telle crainte. La SPR n’a pas retenu l’explication du demandeur selon laquelle il répugnait à laisser sa famille et son commerce et qu’il ne s’est décidé à quitter pour de bon le Liban qu’à la mi‑décembre 2006, lorsqu’il a pris conscience que la promesse américaine de désarmer le Hezbollah ne se réaliserait pas. Il était alors aux États‑Unis et il s’est rendu peu après au Canada pour y demander asile.

 

[13]           S’agissant de la demande fondée sur l’article 97, la SPR a conclu que la preuve n’établissait pas que le demandeur serait exposé à un risque personnel ou un danger s’il retournait au Liban.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

i.         les conclusions de la SPR en matière de crédibilité sont‑elles déraisonnables;

ii.       la SPR a‑t‑elle insuffisamment motivé le rejet de la demande fondée sur l’article 97;

iii.      la SPR a‑t‑elle manqué aux règles d’équité procédurale à l’audience?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[15]           Voici les dispositions de la Loi qui s’appliquent en l’espèce :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[16]           La Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, qu’il n’est pas nécessaire de procéder chaque fois à l’analyse de la norme de contrôle applicable et que, lorsque la norme applicable à la question précise qui se pose est bien établie en jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche est infructueuse que la cour examine les quatre facteurs permettant de déterminer la norme applicable.

 

[17]           La première question soulevée conteste les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Ce type de conclusion relève du domaine de spécialisation de la SPR, de sorte que la norme applicable est celle de la raisonnabilité. Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886 (CAF); Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, au paragraphe 14; Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 53.

 

[18]           Lorsqu’une décision est contrôlée suivant la norme de la raisonnabilité, l’analyse se rapporte « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour n’intervient que si la décision est déraisonnable au sens où elle n’entre pas dans les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[19]           La deuxième question porte sur la suffisance des motifs, et la troisième, sur l’équité procédurale en général. Notre Cour a jugé dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Charles, 2007 CF 1146, paragraphe 24, citant S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, que la suffisance des motifs participe de l’équité procédurale. Les questions d’équité procédurale sont contrôlées suivant la norme de la décision correcte.

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        Les conclusions relatives à la crédibilité

 

[20]           Le demandeur conteste la raisonnabilité des conclusions de la SPR en matière de crédibilité, plus particulièrement en ce qui a trait à son omission de mentionner dans la DPE des faits qu’il a relatés dans son FRP et à l’audience. Il a expliqué qu’il craignait de compromettre sa sécurité et celle de sa famille en exposant toute son histoire aux agents d’immigration au point d’entrée. Il n’a pas menti, mais il n’a pas tout révélé non plus tant qu’il n’a pas eu la possibilité de consulter un avocat et de se faire confirmer qu’il serait autorisé à rester au Canada. Il a fourni des éléments de preuve corroborant qu’il avait été blessé par des gens du Hezbollah et du renseignement syrien et établissant que des membres de sa parenté étaient liés à l’armée libanaise. Compte tenu du contexte culturel du demandeur et de son expérience avec le Hezbollah et le renseignement syrien, cette explication est plausible. En la rejetant, la SPR a appliqué un raisonnement nord‑américain à la conduite du demandeur, s’écartant ainsi du principe formulé par notre Cour dans RKL c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 12.

 

[21]           Le demandeur reconnaît que l’appréciation de la crédibilité est décisive dans l’examen d’une demande d’asile et qu’une conclusion défavorable à cet égard entraînera presque invariablement le rejet de la demande pour inexistence d’une crainte fondée de persécution. Il fait cependant valoir qu’en l’espèce les divergences relevées par la SPR ne portaient pas sur des points essentiels pour la demande et qu’elles n’étaient pas manifestement invraisemblables. La SPR a plutôt examiné la preuve à la loupe en s’attachant à des détails de façon si obsessive qu’elle a perdu de vue l’essentiel des faits sur lesquels reposait la demande d’asile, s’écartant ainsi du raisonnement tenu par notre Cour dans Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 190 FTR 225, [2000] A.C.F. no 568 (QL), aux paragraphs 22-24. Voir aussi Jamil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792, paragraphes 24 et 25. En n’exerçant pas la prudence requise dans son appréciation de la crédibilité, la SPR a agi de façon déraisonnable.

 

[22]           Cette conclusion déraisonnable concernant la crédibilité a entraîné d’autres conclusions erronées. Par exemple, le nombre exact de personnes tuées dans l’attaque du supermarché n’est pas pertinent pour la demande. Ce qui importe c’est la constance avec laquelle le demandeur a affirmé qu’il avait été blessé et que son ami avait été tué. Le dossier d’hospitalisation déposé en preuve confirme que le demandeur a été blessé par balle à la jambe et qu’il est resté plus de deux mois à l’hôpital. Selon le demandeur, ce dossier prouve qu’il a témoigné de façon cohérente pendant toute l’audience, en fournissant de nombreuses précisions et sans se contredire.

 

[23]           Il ajoute que la SPR a mal interprété la preuve concernant les raisons pour lesquelles il n’avait pas demandé asile dans un autre pays même s’il en avait eu l’occasion. En considérant uniquement que le demandeur ne voulait pas quitter sa famille, elle a omis les importants détails suivants. Pendant un certain temps, le demandeur a pu payer pour être protégé à Beyrouth, et il a donc continué à vivre avec sa famille et à exploiter son commerce, ce qui constituait son premier choix. Quand il n’a plus été possible de payer pour sa protection, il est allé ailleurs dans le pays, en particulier dans les régions chrétiennes du nord, plus sécuritaires. Lorsque ces régions aussi ont cessé d’être sûres, il a été forcé de partir, mais il continuait d’espérer et de vouloir revenir chez lui si les États‑Unis parvenaient à désarmer le Hezbollah et si la sécurité s’améliorait. Quand il a vu que cela n’arrivait pas, il s’est rabattu sur la dernière solution qu’il envisageait – demander asile au Canada – et il a traversé la frontière canadienne. Considérée dans son intégralité, l’explication du demandeur au sujet du temps qui s’est écoulé avant qu’il parte est raisonnable. En l’amputant, la SPR a mal interprété les gestes du demandeur qui ont alors semblé ne pas correspondre à ceux d’une personne craignant avec raison d’être persécutée. C’est une erreur sujette à contrôle.

 

Analyse déficiente concernant l’article 97

 

[24]           Le demandeur affirme que la SPR [traduction] « n’a pratiquement rien dit » au sujet de sa demande fondée sur l’article 97 malgré la preuve qu’il avait été arrêté, détenu, torturé et attaqué par le Hezbollah et le renseignement syrien en 1997, 1998, 1999, 2001 et 2006. La SPR n’a pas tenu compte des documents relatifs à la situation au Liban ni d’autres éléments de preuve pour examiner si le demandeur était une personne à protéger. En n’individualisant pas son évaluation, la SPR a agi de façon déraisonnable et elle ne s’est pas conformée à la décision Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 84.

 

La SPR a manqué aux règles d’équité procédurale

 

[25]           Le demandeur soutient qu’en l’interrompant continuellement et en lui demandant plusieurs fois de répéter ce qu’il disait pendant son témoignage la SPR l’a privé de la possibilité de se faire entendre. La conduite de la SPR a beaucoup nui à ses explications et à la présentation ordonnée de sa cause. Il fait valoir qu’elle ne s’est pas contentée de diriger le déroulement de l’audience mais qu’elle s’est ingérée dans son témoignage, ce qui suivant notre Cour et la Cour d’appel fédérale constitue un manquement à l’équité procédurale. Voir Kumar c. Canada (Minisre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 2 C.F. 14, [1987] A.C.F. no 1015 (C.A.F.) (QL); Thiara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 127 FTR 209, [1997] A.C.F. no  58 (QL).

 

L’intimé

            La conclusion en matière de crédibilité était raisonnable

 

[26]           La SPR signale qu’elle ne fait mention que de quelques‑unes des divergences relevées dans le témoignage du demandeur, celles qui se rapportent le plus étroitement à sa demande.

 

[27]           Le défendeur soutient que le demandeur ne fait que contester l’évaluation de sa crédibilité faite par la SPR et exhorte la Cour à procéder à une nouvelle appréciation de la preuve et, en particulier, les explications se rapportant à ses déclarations contradictoires, ce qui n’entre pas dans le rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire. Voir Khosa, précité, au paragraphe 61.

 

[28]           En sa qualité de juge des faits, la SPR a l’avantage d’avoir entendu le témoignage. Son expérience en matière d’appréciation de la crédibilité n’est pas contestée et les incohérences et contradictions qu’elle a relevées font partie intégrante de cette appréciation. Elle a le droit de tirer des conclusions défavorables de l’existence de telles contradictions. Voir Dhindsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 102 ACWS (3d) 165, [2000] A.C.F. no 2011 (C.F.) (QL).

 

[29]           Une conclusion négative de la SPR à l’égard de la crédibilité « suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur ». Voir Sellan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381.

 

[30]           À cause des incohérences relevées dans la preuve du demandeur en l’espèce, divergences qu’il n’a pas expliquées de façon satisfaisante, la SPR n’était pas convaincue que le Hezbollah et le renseignement syrien représentaient un risque pour celui‑ci. Le défendeur invoque plus particulièrement la preuve indiquant que la fusillade au supermarché ne visait pas le demandeur, qui se rapporte à l’essence de la prétention de ce dernier qu’il était exposé à un risque personnalisé. Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité reposent sur la preuve et elles ne sont pas déraisonnables.

 

Absence de crainte fondée de persécution

 

[31]           Selon le défendeur, le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la SPR qu’il ne craignait pas avec raison d’être persécuté, conclusion suffisante pour entraîner le rejet de la demande.

 

[32]           La SPR pouvait raisonnablement conclure à l’absence de crainte fondée de persécution en raison du temps que le demandeur avait mis à quitter le Liban et de son défaut de présenter une demande d’asile lors de ses voyages d’affaires à l’étranger ou immédiatement après être parti pour de bon du Liban en 2006. S’il croyait réellement sa vie en danger, sa principale préoccupation aurait été d’obtenir protection. Voir Riadinskaia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 102 ACWS (3d) 967, [2001] A.C.F. no 2011 (C.F.) (QL). Le défendeur souligne que d’autres éléments de la preuve du demandeur contredisent son affirmation qu’il a attendu avant de faire une demande d’asile à la mi‑décembre 2006 parce qu’il n’était pas encore décidé à quitter le Liban pour de bon. Il a en effet déclaré dans son FRP : [traduction] « [j]e n’ai pas fait de demande dans ces autres pays parce que je n’avais pas l’impression que je serais capable d’y bâtir une vie pour ma famille » et, à l’audience, il a indiqué qu’il n’a pas pensé à demander asile en Italie parce que son plan bien arrêté était de venir au Canada. Cette « recherche du meilleur pays d’asile » étaye la conclusion d’absence de crédibilité et de crainte fondée tirée par la SPR. Selon le défendeur, le demandeur est à la recherche d’un nouveau pays où élever sa famille; il est prêt à dire ce qu’il faut pour obtenir la qualité de réfugié au Canada; il ne croit pas que sa sécurité soit en péril.

 

Une analyse distincte relative à l’article 97 n’était pas nécessaire

 

[33]           Selon le défendeur, la SPR ayant effectué une analyse exhaustive relativement à l’article 96, elle n’avait rien à ajouter pour ce qui est de l’article 97; la preuve était la même, tout comme les questions de crédibilité. Voir Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635; Biro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1428, au paragraphe 21; Herrera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 979.

 

L’audience n’a pas été inéquitable

 

[34]           Le demandeur n’a pas prouvé que la SPR l’a empêché de dire ce qu’il voulait ou qu’elle a mal interprété les faits, en dépit de sa prétention qu’elle a entravé la présentation de sa cause. La SPR a le droit de poser des questions à un demandeur au sujet des incohérences présentes dans sa preuve. Il n’y a rien là d’inéquitable.

 

[35]           De plus, le demandeur n’ayant pas protesté à l’audience, il ne s’est pas acquitté de son obligation de formuler les objections à la première occasion au lieu d’attendre que la décision soit rendue. Citant l’arrêt Yassine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 172 NR 308, [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.) (QL), paragraphe 7, le défendeur soutient qu’en supposant même qu’il y ait eu manquement aux principes de justice naturelle, le défendeur a, par sa conduite, renoncé à l’invoquer.

 

La réponse du demandeur

 

[36]           Le demandeur prétend qu’il était déraisonnable pour la SPR de considérer la DPE comme un exposé exhaustif de sa demande d’asile. Dans Samarakkodige c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 301, paragraphe 50, le juge John O’Keefe signale qu’on ne peut s’attendre à ce que les notes d’un agent d’immigration rendent compte de tous les détails d’une demande d’asile. L’entrevue au point d’entrée est axée sur les questions d’interdiction de territoire et de recevabilité. Selon le demandeur, le raisonnement de la SPR à l’égard de la DPE tient de l’excès de vigilance.

 

[37]           Relativement à la fusillade au supermarché survenue en 2001, le demandeur soutient que, contrairement à ce qu’affirme la SPR dans ses motifs, le nombre de victimes n’était pas pertinent pour la question de savoir s’il en était ou non la cible. Il a reçu un message d’un ami indiquant qu’il s’agissait de représailles pour l’attentat à la bombe contre un dirigeant du Hezbollah qui lui était imputé. Il était loisible à la SPR de conclure que la preuve n’était pas crédible mais non qu’en raison du nombre de personnes tuées au cours de l’incident le demandeur n’en était pas la cible.

 

[38]           Invoquant l’arrêt Sellan, précité, de la Cour d’appel fédérale, le demandeur affirme que la SPR a l’obligation d’apprécier les éléments de preuve objective pertinents étayant une demande fondée sur l’article 97, même lorsqu’elle a formulé une conclusion défavorable en fonction de la preuve subjective. La SPR aurait dû, plus précisément, tenir compte du rapport médical confirmant que le demandeur avait été blessé par balle et hospitalisé après la fusillade de 2001.

 

Mémoire supplémentaire du demandeur

 

[39]           Selon le demandeur, la conclusion de la SPR qu’il n’éprouvait pas de crainte subjective de persécution parce qu’il n’a pas quitté le Liban ou présenté de demande d’asile à la première occasion tient de la supposition et de l’hypothèse. Il a expliqué à la SPR que c’est parce qu’il ne voulait pas abandonner sa famille et qu’il espérait encore que la sécurité s’améliorerait au Liban qu’il a agi comme il l’a fait. C’est une explication tout à fait plausible. Rien dans la preuve n’étaye la conclusion que le demandeur n’éprouvait pas de crainte subjective. Le demandeur invoque une affaire analogue à la sienne, Mohammadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1028, statuant que la loyauté envers sa famille peut amener une personne à adopter une conduite risquée qui, sans cela, pourrait faire conclure à l’absence de crainte subjective. Il fait valoir que la SPR n’a pas indiqué pourquoi elle a jugé l’explication non convaincante.

 

Mémoire supplémentaire du défendeur

 

[40]           Selon le défendeur, le demandeur cite à mauvais escient la décision Mohammadi, précitée. Il apparaît clairement, aux paragraphes 28 et 29, que la Cour a simplement indiqué que la SPR n’avait pas exposé assez clairement sur quels éléments de preuve reposait sa conclusion en matière de crédibilité, et que cette omission constituait une erreur susceptible de contrôle.

 

[41]           L’affaire Mohammadi se distingue de la présente affaire, suivant le défendeur. La conclusion relative à la crédibilité, en l’espèce, ne procédait pas d’inférences, elle découlait plutôt de contradictions et d’incohérences entre la DPE, le FRP et le témoignage à l’audience. Le demandeur a déclaré dans son FRP : [traduction] « [j]e n’ai pas fait de demande dans ces autres pays parce que je n’avais pas l’impression que je serais capable d’y bâtir une vie pour ma famille ». Pour le défendeur, cette déclaration [traduction] « contredit carrément » l’affirmation contenue dans le FRP selon laquelle il n’a pas demandé asile ailleurs parce qu’il ne voulait pas quitter sa famille et espérait encore que la sécurité s’améliorerait ainsi que son témoignage à l’audience indiquant qu’il n’avait pas pensé à demander asile en Italie parce qu’il avait le plan bien arrêté de venir au Canada et d’y présenter une demande d’asile.

 

ANALYSE

 

[42]           Comme la SPR l’énonce clairement dans sa décision, le point décisif était la crédibilité. Plutôt que d’aborder les aspects positifs de la demande, la SPR a fondé sa conclusion défavorable en cette matière sur des « incohérences qu’il n’a pas expliquées de manière satisfaisante ... ». La SPR a donné quatre exemples de telles incohérences étayant selon elle sa conclusion générale d’absence de crédibilité.

 

Faits non mentionnés dans l’entrevue auprès de l’ASFC

 

[43]           La SPR a reproché au demandeur de ne pas avoir mentionné les faits suivants lors de son entrevue avec un fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada le 1er janvier 2007 à son entrée au Canada :

a.         ses principaux problèmes au Liban ont commencé avec le Hezbollah en 2004/2005;

b.         l’aile militaire du Hezbollah voulait qu’il l’informe sur l’armée et le renseignement libanais parce que sa femme, son frère et son cousin étaient officiers de l’armée libanaise;

c.         des coups de feu avaient été tirés sur son auto le 11 janvier 2006 et l’avaient endommagée.

 

Le demandeur avait mentionné ces faits dans son FRP et à l’audience.

 

[44]           La SPR y a vu une divergence entre l’entrevue initiale et le FRP rempli par la suite et elle a demandé des explications. Il appert du dossier que le demandeur a témoigné et qu’il a expliqué plusieurs fois de façon claire et cohérente qu’il avait peur de ce qui pouvait arriver au point d’entrée. Il a indiqué en détail qu’il craignait que les fonctionnaires américains tentent d’obtenir des renseignements de lui s’ils découvraient qu’il était contre le Hezbollah, ce qu’il voulait éviter parce qu’il redoutait que cela ne mette sa famille en péril. Cette crainte était très présente lorsque le demandeur est entré au Canada le 1er janvier 2007, et l’on peut raisonnablement conclure qu’il avait peur d’exposer tous ses démêlés avec le Hezbollah aux autorités de l’immigration tant qu’il n’avait pas l’assurance de pouvoir rester au Canada et y présenter une demande d’asile. Il a estimé qu’il valait mieux pour lui ne divulguer qu’une partie de son histoire au point d’entrée jusqu’à ce qu’il ait l’occasion de consulter un avocat et de prendre des dispositions pour que la divulgation complète des actes de persécution ne compromette pas sa sécurité et celle de sa famille.

 

[45]           La SPR a dit ceci au sujet des explications du demandeur :

Prié à l’audience d’expliquer cette omission, le demandeur d’asile a déclaré qu’il n’a pas cherché à cacher des renseignements, mais qu’il était confus et craintif quant à son avenir. Le tribunal ne considère pas les explications du demandeur d’asile crédibles ou raisonnables. Le demandeur d’asile est une personne instruite qui a beaucoup voyagé et il est arrivé au Canada avec l’intention bien arrêtée de demander l’asile. Le tribunal est d’avis qu’il aurait mentionné ces événements importants qui sont essentiels à sa demande d’asile s’ils s’étaient réellement produits, particulièrement lorsqu’il les décrit comme des problèmes importants qui l’ont conduit à quitter son pays.

 

 

[46]           Dans la récente décision Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1102, le juge James O’Reilly a formulé l’avertissement suivant au paragraphe 16 :

En ce qui a trait au fait que la Commission s’appuie sur les différences entre les déclarations de M. Wu au PDE et son témoignage à l’audience, j’admets que la Commission devrait prendre soin de ne pas trop s’appuyer sur les déclarations au PDE. Les circonstances dans lesquelles ces déclarations sont recueillies sont loin d’être idéales, et leur fiabilité soulève souvent des doutes.

 

 

[47]           Le juge Luc Martineau avait formulé un avertissement analogue dans RKL c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 13 :

Lorsqu’elle évalue les premiers rapports du demandeur avec les autorités canadiennes de l’Immigration ou qu’elle fait référence aux déclarations faites par le demandeur au point d’entrée, la Commission devrait être attentive également au fait que [traduction] « la plupart des réfugiés ont vécu dans leur pays d’origine des expériences qui leur donnent de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux personnes en autorité » : voir le professeur James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, Toronto, Butterworth, 1991, aux p. 84 et 85; Attakora, précitée; Takhar, précitée.

 

 

[48]           Il appert de sa décision que la SPR n’a pas prêté attention à ces avertissements. Nous ignorons quelles questions ont été posées au demandeur par l’agent de l’ASFC ou comment il a été encouragé à relater toute son histoire et à quel point il en a eu la possibilité, et pourtant la SPR traite les notes consignées au point d’entrée comme si elles devaient révéler essentiellement ce qui a été exposé dans le FRP et à l’audience. Au point d’entrée, le demandeur a effectivement identifié l’agent de persécution mais, comme il l’a expliqué à l’audience, il n’a pas tout dit parce qu’il ne savait pas alors jusqu’à quel point sa famille et lui étaient à l’abri de la persécution au Liban.

 

[49]           La transcription et le témoignage du demandeur montrent clairement que celui‑ci voulait à tout prix que rien de ce qui concernait la démarche d’immigration ne soit rapporté au Hezbollah. Il a demandé un nouvel interprète à l’audience parce que la première connaissait sa famille au Liban (voir les pages 356-358 du dossier du Tribunal) et qu’il ne pensait pas être capable de témoigner librement en sa présence même si elle avait prêté serment. Il n’a pas tout dit non plus au point d’entrée parce qu’il avait peur de révéler des renseignements défavorables au Hezbollah et d’être ensuite renvoyé avec toutes les conséquences que cela comportait. Ce n’est que lorsque son avocat lui a donné l’assurance qu’il pourrait être autorisé à demeurer au Canada qu’il a relaté la totalité des faits. Je ne suis pas convaincu que la SPR ait pris cela en compte.

 

[50]           En outre, le raisonnement suivi par la SPR pour rejeter l’explication du demandeur sur ce point laisse sérieusement à désirer. Le fait que le demandeur soit instruit et qu’il soit venu au Canada avec un plan bien arrêté n’affaiblit aucunement son explication qu’il pensait devoir faire extrêmement attention à ce qu’il disait à la frontière parce que cela pouvait le faire renvoyer directement au Liban. Cela me semble en fait être exactement le genre de précaution que prendrait un homme instruit ayant un plan bien arrêté.

 

[51]           Les conclusions qu’il y avait des incohérences et que le demandeur n’était pas crédible formulées au paragraphe 16 de la décision de la SPR souffrent du même problème. Comme le juge François Lemieux l’a indiqué au paragraphe 25 de la décision Jamil, précitée, un tribunal doit faire preuve de discernement avant de rejeter les raisons données par un demandeur pour expliquer une contradiction et ne pas « appliquer trop rapidement une logique et un raisonnement nord-américains au comportement du demandeur »; il doit « apprécier la demande d’asile du demandeur en tenant compte de l’ensemble de la preuve ».

 

[52]           Le fait que la SPR a omis de mentionner une partie importante de l’explication du demandeur donne à penser qu’elle n’en a pas pleinement tenu compte et qu’elle n’a pas suivi les avertissements susmentionnés de la Cour.

 

[53]           J’estime en outre que le même problème s’est posé concernant la fusillade du 30 novembre 2001 dans un supermarché. Dans ce cas, la SPR ne s’est même pas reportée au dossier d’hospitalisation soumis par le demandeur dont il ressortait qu’il avait été traité pour une blessure par balle à la jambe et hospitalisé pendant deux mois et demi.

 

[54]           Suivant la preuve, l’ami tué lors de l’incident et le demandeur se trouvaient à des endroits différents du supermarché et les coups de feu ont été tirés de l’extérieur, mais il est évident à la lecture de la transcription qu’il ne s’agissait pas d’un « supermarché » au sens nord‑américain du terme. Il s’agissait plutôt d’un étal de fruits et légumes à façade ouverte situé dans une galerie marchande mesurant seulement [traduction] « quelques mètres » de sorte que les coups de feu ont été tirés de l’entrée du marché vers l’intérieur.

 

[55]           Les détails indiquent que l’affirmation du demandeur qu’il était la cible principale était beaucoup moins invraisemblable que la SPR l’a conclu. La SPR s’est dite peu encline à accepter le récit de la fusillade présenté par le demandeur et le fait qu’il en était la cible à cause des autres contradictions dans la preuve du demandeur : « [à] la lumière des autres incohérences, le tribunal n’estime pas l’explication du demandeur d’asile crédible ou digne de foi ». Cela signifie alors que si les conclusions de la SPR au sujet de ces autres incohérences sont déraisonnables, il est également déraisonnable de se fonder sur elles pour juger le demandeur non crédible au sujet de cet incident.

 

[56]           La SPR semble avoir écarté la totalité de l’explication donnée par le demandeur concernant le temps qu’il a mis à venir au Canada faire une demande d’asile. En dehors de la crainte qu’il a dit éprouver pour sa famille, le demandeur a témoigné que, même s’il était parti du Liban en avril 2006, ce n’est qu’à la mi‑décembre 2006, après avoir pris conscience que la promesse des États‑Unis de désarmer le Hezbollah ne se réaliserait pas, qu’il a décidé de demander asile. Jusqu’à ce moment, le demandeur comptait retourner au Liban le plus tôt possible. La SPR n’a pas tenu compte de la totalité de la preuve sur ce point.

 

[57]           Il est de droit constant que l’appréciation de la crédibilité et de la preuve est au coeur du domaine de spécialité de la SPR et que ce processus appelle la plus grande déférence et ne donnera lieu à une intervention que dans de très rares.

 

[58]           En l’espèce, en examinant le dossier dans sa totalité, il est clair qu’à l’égard des explications données par le demandeur la SPR s’est montrée sélective au point de tomber dans l’inexactitude. En outre, elle a fait abstraction d’importants éléments de preuve corroborante qui contredisaient ses conclusions et elle n’a pas tenu compte de la totalité de la preuve. Voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] A.C.F. no 1425, paragraphe 17.

 

[59]           Il s’agit en l’espèce de l’un des rares cas où les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité ne peuvent être jugées raisonnables parce qu’elles ne satisfont pas à la norme définie dans Dunsmuir.

 

[60]           Le demandeur conteste également l’omission de la SPR de procéder à un examen des risques en fonction de l’article 97 et il se dit victime d’un manquement à l’équité procédurale. Puisque je suis d’avis que les conclusions de la SPR sur la question déterminante de la crédibilité rendent sa décision déraisonnable et en exigent le renvoi pour réexamen, il n’est pas nécessaire d’aborder ces questions.

 


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la SPR pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                    IMM-5197-10

 

INTITULÉ :                                                   ABDALLAH ALI HAMDAR et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 17 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT                           LE JUGE RUSSELL

ET JUGEMENT :

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 29 mars 2011

 

 

Comparutions :

 

Ram Sankaram

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ram Sankaram

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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