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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110330

Dossier : IMM-379-10

Référence : 2011 CF 391

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2011

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

 

GABRIELA PEREZ VARGAS

ALEX ERNESTO AGUILAR PEREZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 30 décembre 2009, que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. La Commission en a conclu ainsi parce qu’elle a déterminé que les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État.

 

[2]               Les demandeurs réclament l’annulation de la décision de la Commission et le renvoi de l’affaire à un autre commissaire pour qu’il statue de nouveau sur leur demande en suivant les directives que la Cour considère appropriées.

 

Le contexte

 

[3]               Gabriela Perez Vargas est la demanderesse principale dans la présente affaire, qui concerne en plus son fils, Alex Ernesto Aguilar Perez. La demanderesse principale est née le 4 juin 1981 et est citoyenne du Mexique.

 

[4]               La demanderesse principale a été agressée sexuellement par son beau-frère et parrain quand elle était enfant. Elle s’en est rendu compte seulement après avoir reçu du counseling à l’âge adulte.

 

[5]               En février 2003, la demanderesse principale et son conjoint de fait ont déménagé de Mexico à l’État d’Oaxaca, où elle a donné naissance à leur enfant. Le conjoint de la demanderesse principale a acheté un restaurant, où elle travaillait avec lui. À ce restaurant, des policiers locaux et des militaires en uniforme refusaient souvent de payer en prétendant qu’ils connaissaient l’ancien propriétaire. Lors d’un incident, plusieurs de ces hommes, qui portaient des armes à feu, se sont mis en colère après qu’on eut refusé de les servir. Une autre fois, un homme faisant partie d’un groupe de cinq a menacé la demanderesse principale de son arme à feu en lui disant que, si elle ne le servait pas gratuitement, elle allait [traduction] « le regretter ».

 

[6]                À cette époque, la demanderesse principale a fait la navette à quelques reprises entre Mexico et Oaxaca parce que sa relation amoureuse se détériorait en raison des doutes qu’elle avait sur l’orientation sexuelle de son conjoint de fait. En septembre 2004, la demanderesse principale a mis fin à cette relation.

 

[7]               L’ex-conjoint de la demanderesse principale a quitté le Mexique en février 2006 après que des militaires à Tlaxcala l’eurent menacé de mort et battu.

 

[8]               La demanderesse principale a raconté qu’en janvier 2007 elle avait dû monter de force dans une voiture de police et qu’on l’avait maintenue sur le plancher pour l’emmener. Ses agresseurs lui ont demandé où se trouvait son ex-conjoint. Les cinq hommes l’ont violée avant de lui prendre son sac à main et de l’abandonner. Elle a reconnu un des violeurs : il s’agissait de l’un des hommes qui l’avaient menacée d’une arme à feu au restaurant.

 

[9]               La demanderesse principale a consulté un médecin après l’incident, mais n’a pas obtenu de rapport médical et n’a pas non plus signalé l’agression à la police. Elle est demeurée chez sa tante après l’agression pendant qu’elle prenait ses dispositions pour venir au Canada, où elle a revendiqué le statut de réfugié.

 

La décision de la Commission

 

[10]           La Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’elle ne craignait pas avec raison d’être persécutée et qu’elle ne serait pas personnellement, au Mexique, exposée à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements ou peines cruels ou inusités ni au risque d’être soumise à la torture.

 

[11]           La Commission a souligné qu’il existe une présomption de protection de l’État que la demanderesse principale pouvait réfuter en présentant une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État de protéger ses citoyens. La Commission a conclu qu’il incombait à la demanderesse principale de solliciter la protection de l’État s’il était raisonnable de croire que cette aide serait accordée. Ce fardeau est proportionnel au degré de démocratie existant dans cet État. Les démarches qu’aurait été tenue de faire la demanderesse principale dépendent de la situation dans le pays d’origine ainsi que des interactions de la demanderesse principale avec les autorités. La Commission a estimé que la demanderesse principale n’avait pas présenté d’éléments de preuve clairs et convaincants établissant le caractère inadéquat de la protection de l’État au Mexique.

 

[12]           La Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait signalé aucune des agressions sexuelles à la police. La demanderesse principale a expliqué qu’elle n’avait pas demandé l’aide des policiers à la suite de l’agression la plus récente parce que les militaires et les policiers travaillaient ensemble et que, si elle les dénonçait, ils l’abattraient, elle et sa famille. La Commission a estimé que cette raison était hypothétique. Elle a conclu qu’un demandeur ne peut réfuter la présomption de protection de l’État en montrant simplement qu’il éprouve une crainte subjective. La Commission a mentionné que cette présomption s’applique même quand les agents de l’État sont la source de la persécution, mais qu’elle peut être réfutée sans qu’il soit nécessaire pour le demandeur d’avoir épuisé tous ses autres recours au pays.

 

[13]           La Commission a mentionné que le rapport de la psychologue de la demanderesse principale décrivait les agresseurs comme un [traduction] « gang » et non pas comme des militaires. Vu que la psychologue avait décrit sans erreur les autres agressions sexuelles subies par la demanderesse principale, la Commission a estimé qu’il était peu plausible qu’elle se soit trompée en parlant de cette agression-là. Par conséquent, la Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait pas dit à sa psychologue qu’elle avait été attaquée par des militaires. En outre, il n’y avait aucune preuve appuyant les dires de la demanderesse principale quant au fait qu’elle ait été agressée sexuellement, hormis une ordonnance médicale. La Commission a rejeté l’allégation de la demanderesse principale et conclu que celle-ci n’avait pas été violée en janvier 2007.

 

[14]           La Commission a reconnu que la demanderesse principale a pu être agressée sexuellement étant enfant, mais aucune preuve ne l’a persuadée que les autorités mexicaines n’auraient pas aidé la demanderesse principale au Mexique contre les auteurs de ces agressions. La Commission a précisé que des lois ont été adoptées récemment au Mexique afin de lutter contre la violence faite aux femmes et que le gouvernement mexicain déploie des efforts sérieux pour mettre un terme aux pots-de-vin et à la corruption au sein des forces de sécurité et de la fonction publique.

 

Les questions en litige

 

[15]           Les demandeurs ont soumis les questions suivantes à l’examen de la Cour :

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve pertinents qui lui avaient été présentés?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité en tirant des conclusions abusives et arbitraires et en tirant des conclusions défavorables de l’absence de documents corroborants, au mépris des explications données par la demanderesse principale?

            3.         La Commission a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents et commis une erreur dans ses conclusions au sujet de la protection offerte par l’État à la demanderesse principale au Mexique?

 

[16]           Je reformulerais les questions à trancher comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, suivant laquelle la demanderesse principale n’avait pas été agressée sexuellement en janvier 2007, qu’elle aurait tirée de manière abusive et sans égard à la preuve qui lui avait été présentée?

 

Les observations écrites des demandeurs

 

[17]           Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur quand elle a conclu que la demanderesse principale n’avait pas été agressée sexuellement par des militaires. La Commission a reçu une lettre de la psychologue de la demanderesse principale qui clarifiait le terme [traduction] « gang » employé dans son rapport et qui confirmait que la demanderesse principale lui avait raconté avoir été attaquée par des militaires. Les demandeurs allèguent que la Commission n’a pas tenu compte de cet élément de preuve.

 

[18]           Les demandeurs sont d’avis que la Commission a commis une erreur quand elle a tiré une conclusion défavorable du fait qu’il n’y avait aucune preuve corroborant l’agression. La demanderesse principale a donné une explication raisonnable de l’absence de rapport médical; elle avait dit au médecin qu’elle avait peur de porter plainte à la police. Les demandeurs allèguent qu’il était abusif et arbitraire pour la Commission de conclure que la demanderesse n’avait pas été violée en janvier 2007.

 

[19]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur quand elle a estimé que l’État pouvait offrir sa protection à la demanderesse principale. Les conclusions de la Commission relativement à la protection de l’État se fondaient partiellement sur l’erreur qu’elle a commise en concluant que la demanderesse principale n’avait pas été violée par des agents de l’État. En outre, la Commission a omis d’analyser la preuve documentaire qui corroborait la position des demandeurs, à savoir que le Mexique ne parvenait pas de façon générale à protéger les femmes victimes de violence. Bien que le pays fasse des efforts pour lutter contre ce problème, les demandeurs estiment que ces efforts ne constituent pas une protection adéquate de la part de l’État. La Commission n’a pas tenu compte non plus de l’identité des auteurs de la persécution dirigée contre la demanderesse principale. Les conclusions de la Commission concernant la protection de l’État devraient être annulées.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[20]           Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État. Le Mexique est une démocratie fonctionnelle, et les demandeurs étaient tenus de faire toutes les démarches raisonnables pour obtenir la protection de l’État au Mexique. Il était loisible à la Commission de conclure qu’il était déraisonnable pour les demandeurs de ne pas se réclamer de la protection de l’État. La Commission a aussi effectué une évaluation raisonnable de la situation au pays pour conclure que l’État était en mesure d’offrir sa protection.

 

[21]           La conclusion tirée par la Commission quand elle affirme que la demanderesse principale n’a pas été agressée sexuellement ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle parce que, même si la Commission avait conclu que cette agression avait bel et bien eu lieu, il y avait une preuve suffisante établissant que les demandeurs n’étaient pas parvenus à réfuter la présomption relative à la protection de l’État.

 

Analyse et décision

 

[22]           Question en litige n1

      Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Si la jurisprudence a déjà cerné la norme de contrôle applicable à une question sur laquelle le tribunal de révision doit statuer, celui-ci peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 57).

 

[23]           Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable aux affaires portant sur la crédibilité est la décision raisonnable (voir Dunsmuir, précitée; Gaymes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 801, paragraphe 8). L’évaluation de la crédibilité constitue essentiellement une conclusion de fait, et il est clair que le législateur voulait que ce genre de conclusion tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence (voir Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, paragraphe 46).

 

[24]           De même, le caractère adéquat de la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Hinzman, 2007 CAF 171, paragraphe 38).

 

[25]           Quand elle examine la décision de la Commission à la lumière de la norme de la décision raisonnabilité, la Cour ne devrait pas intervenir dans le cadre du contrôle judiciaire sauf si la Commission a tiré une conclusion qui n’est pas justifiable, transparente et intelligible et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables compte tenu des éléments de preuve présentés (voir Dunsmuir, précitée, paragraphe 47).

 

[26]           Question en litige n2

La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, suivant laquelle la demanderesse principale n’avait pas été agressée sexuellement en janvier 2007, qu’elle aurait tirée de manière abusive et sans égard à la preuve qui lui avait été présentée?

            La Commission a rejeté le témoignage de la demanderesse principale au sujet de l’agression physique et sexuelle dont elle aurait été victime en janvier 2007. Elle s’est exprimée comme suit :

Le tribunal ne croit donc pas que la demandeure d’asile a été violée le 29 janvier 2007 et il rejette l’allégation voulant qu’elle l’ait été. Il croit que la demandeure d’asile a allégué avoir été violée par des militaires pour renforcer sa demande d’asile au moyen d’exagérations.

 

 

[27]           La Commission a rejeté cette allégation pour deux raisons. Tout d’abord, elle a constaté que, « dans le rapport psychologique, [la psychologue] a indiqué que [les] agresseurs étaient des membres de “gang”, et non pas des militaires ». Puisque la psychologue avait décrit correctement les auteurs des agressions antérieures subies par la demanderesse principale, la Commission a estimé qu’il n’y avait aucune raison de croire qu’elle avait fait une erreur quand elle a identifié ceux qui avaient supposément commis cette agression.

 

[28]           Cependant, la psychologue décrit les agresseurs comme étant membres d’un [traduction] « gang ». La demanderesse principale a fait valoir, et je suis d’accord, que les termes « gang » et « groupe militaires » ne sont pas mutuellement exclusifs.

 

[29]            En outre, la psychologue a donné des précisions sur ce point dans une lettre présentée à la Commission après l’audience. Durant l’audience, la Commission avait prié la demanderesse principale de demander à la psychologue qu’elle clarifie ses propos :

[traduction]

AGENT DE LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS : [...] Le président de l’audience pourrait demander à la demanderesse si elle peut obtenir de sa médecin une explication confirmant qu’elle lui aurait dit que les hommes étaient des militaires (inaudible). Alors qu’est-ce qu’elle aurait réellement dit à la médecin?

 

CONSEIL DES DEMANDEURS : C’est possible, mais nous n’avons simplement pas cette information.

 

AGENT DE LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS : C’est bien vrai, nous n’avons pas l’information. Pour que la demanderesse – quand le conseil enverra ses observations, le président de l’audience peut aussi être disposé à accepter de l’information à jour de la psychologue.

 

CONSEIL DES DEMANDEURS : Je crois que c’est possible pour moi, si vous le voulez.

 

[...]

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Eh bien, votre observation peut être aussi détaillée que vous le pouvez, et je déciderai alors du poids à accorder à ce nouvel élément de preuve.

 

[30]           La demanderesse principale a effectivement présenté une autre lettre de sa psychologue à la Commission. Dans cette lettre, datée du 28 octobre 2009, la psychologue déclare ce qui suit :

[traduction]

Dans le but de clarifier l’évaluation psychologique ayant fait l’objet d’un rapport antérieur, je voudrais ajouter les renseignements suivants :

 

1.         Le gang mentionné précédemment était effectivement constitué de militaires;

 

2.         Je faisais référence, d’un point de vue clinique, à un groupe d’agresseurs;

 

3.         Ma patiente, Gabriela Perez Vargas, a effectivement précisé que ces personnes étaient des militaires.

 

Ces affirmations soulèvent de graves doutes quant au caractère raisonnable des motifs qui ont amené la Commission à conclure que la demanderesse principale n’avait pas été agressée par des militaires.

 

[31]           Ensuite, la Commission n’a pas été convaincue que la demanderesse principale ait même été agressée sexuellement en janvier 2007 parce qu’elle n’avait pas présenté de documents corroborant cette agression. Elle s’est fondée sur le jugement Sinnathamby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 473, pour dire qu’un commissaire, quand il fait connaître ses doutes au sujet de la crédibilité à un demandeur, peut exiger que celui-ci lui présente des éléments de preuve corroborants afin d’étayer son témoignage (voir le paragraphe 24). Cependant, les doutes de la Commission relativement à la crédibilité découlaient directement de son évaluation fautive du rapport de la psychologue.

 

[32]           En outre, dans l’affaire Isakova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 149, 322 FTR 276, paragraphe 23, le juge Douglas Campbell a conclu que les Directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives concernant la persécution fondée sur le sexe) nécessitent « une approche contextuelle qui tient compte de l’expérience traumatisante de l’agression sexuelle ». La demanderesse principale a expliqué l’absence de rapport médical : elle avait dit au médecin qu’elle craignait de porter plainte à la police. Le rejet de cette explication par la Commission et le fait d’obliger la demanderesse principale à présenter un rapport médical comme preuve corroborante ne tiennent pas compte de l’effet de la peur qu’éprouvait la demanderesse principale en raison du traumatisme causé par l’agression sexuelle. Par conséquent, ils ne sont pas compatibles avec les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

 

[33]           C’est donc de façon abusive et sans égard aux documents dont celle-ci disposait que la Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait pas été agressée sexuellement en janvier 2007.

 

[34]            Le défendeur fait valoir que la décision de la Commission reste malgré tout valable parce que, même si celle-ci avait reconnu que la demanderesse principale avait été violée par des militaires, la demanderesse principale n’avait pas présenté une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État de la protéger. Ce ne peut être le cas, car l’analyse de la protection offerte par l’État diffère quand ce dernier est l’agent de la persécution. Dans la décision Silva c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 82 FTR 100 (C.F. 1re inst.), le juge Pierre Denault a conclu au paragraphe 4 que, si c’est l’État même qui est l’agent de persécution, l’analyse ne porte non plus sur la volonté de l’État d’offrir sa protection, mais bien sûr la volonté du demandeur de se réclamer de cette protection. Cette interprétation a été réitérée par le juge en chef Lutfy dans Yokota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1226. Au paragraphe 5, le juge en chef a souscrit à la décision Silva, précitée, en ajoutant ce qui suit :

Si les agents de persécution étaient effectivement des agents de l’État, le tribunal aurait dû se demander si la raison pour laquelle les demandeurs ne voulaient pas se réclamer de la protection de l’État s’expliquait par une crainte justifiée d’être persécutés, plutôt que de se demander si l’État était disposé ou capable de protéger les demandeurs.

 

[35]            De même, dans Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, 45 Imm LR (3d), la juge Danièle Tremblay-Lamer s’exprime en ces termes au paragraphe 15 :

[...] Lorsque les représentants de l’État sont eux-mêmes à l’origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n’est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l’État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. Le fait même que les représentants de l’État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l’État, ce qui diminue d’autant le fardeau de la preuve.

 

 

[36]            La conclusion à laquelle est parvenue la Commission quand elle affirme que la demanderesse principale n’a pas été agressée sexuellement par des militaires était abusive et tirée sans égard à la preuve qui lui avait été présentée. Cette conclusion a directement influé sur l’analyse faite par la Commission au sujet de la protection de l’État. Notamment, la Commission ne s’est pas demandé si l’omission de la demanderesse principale de porter plainte à la police était raisonnable compte tenu de ses interactions avec les autorités.

 

[37]           Puisque la protection offerte par l’État constituait le seul point soulevé par la Commission pour rejeter la demande d’asile des demandeurs, j’estime que la présente affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que ce dernier statue de nouveau sur l’affaire en tenant compte de la lettre de la psychologue révélant que la demanderesse principale lui avait effectivement précisé qu’elle avait été violée et agressée physiquement par des militaires.

 

[38]           Ni l’une ni l’autre partie n’a souhaité proposer de question grave de portée générale pour que je l’examine afin de la certifier.

JUGEMENT

 

[39]                       LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l=affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue de nouveau sur elle.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-379-10

 

INTITULÉ :                                       GABRIELA PEREZ VARGAS

                                                            ALEX ERNESTO AGUILAR PEREZ

 

                                                            c.

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard M. Addinall

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard M. Addinall

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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