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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20110331

Dossier : IMM-4412-10

Référence : 2011 CF 399

Montréal (Québec), le 31 mars 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

 

SALIM YOUSSEF

 

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, M. Salim Youssef, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision d’un agent des visas rejetant sa demande de permis de travail.

 

I. Contexte

[2]               Le demandeur est un homme d’affaires, originaire et citoyen de la Syrie. Il a reçu une offre afin de travailler en tant que directeur des achats pour la région du Moyen-Orient pour la compagnie canadienne Basse Alimentation inc., une compagnie productrice et exportatrice de noix et de fruits séchés. Le demandeur est entré au Canada le 30 septembre 2009 afin de rencontrer le président de la compagnie et de discuter de cette offre d’emploi. Après que le demandeur et le président de la compagnie se soient entendus sur le contrat de travail, le président de la compagnie mandate une avocate vers le mois d’octobre 2009 afin de préparer la demande de permis de travail du demandeur. Le demandeur reçoit la confirmation d’emploi par Service Canada le 22 janvier 2010 et son certificat d’acceptation du Québec le 1er février 2010.

 

[3]               La demande de permis de travail est envoyée par l’avocate au consulat du Canada à New York vers le 17 mars 2010. Cette demande est accompagnée d’une demande de prorogation de séjour avec entrées multiples. Le dossier lui est retourné quelques semaines plus tard pour erreur quant aux frais.

 

[4]               Le demandeur se trouvait entre-temps toujours au Canada. Il allègue qu’il voulait alors retourner en Syrie, mais que son avocate lui a alors conseillé de rester sur place parce que l’original de son passeport était nécessaire pour resoumettre la demande de visa. Écoutant les conseils de son avocate, le demandeur est donc resté au pays après l’expiration de son permis de séjour.

 

[5]               Le 24 mai 2010, l’avocate s’est rendue en personne au consulat du Canada à New York afin de déposer de nouveau la demande de permis de travail du demandeur, incluant cette fois-ci les frais exacts et une demande de prorogation de séjour. Elle y retourne le 3 juin 2010 afin d’obtenir la réponse à la demande.

 

[6]               L’agent des visas refuse d’émettre le permis de travail. Il invoque les motifs suivants à l’appui de sa décision :

I am not satisfied that you would leave Canada by the end of the authorized period of your stay. To reach this conclusion, I have considered the fact that you have remained in Canada beyond the period authorized by your temporary resident visa (you entered Canada on 30 September, 2010 …). I also considered the fact that you provided little evidence with your application that you have strong and significant ties to your home country.  I also considered the fact that according to our record, you had originally told the immigration officer in our Embassy in Damascus who gave you a temporary resident visa, that you only stay for one month in Canada.

 

II. Questions en litige

[7]               Le présent contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

1)      L’agent des visas a-t-il erré en omettant de demander des explications additionnelles ou de convoquer le demandeur à une entrevue?

2)      Les motifs de la décision de l’agent des visas comportent-ils des erreurs qui nécessitent l’intervention de cette Cour?

 

III. Normes de contrôle applicables

[8]               La première question soulève des préoccupations d’équité procédurale et de justice naturelle, c’est-à-dire celles relatives au droit du demandeur d’être entendu ou de répondre aux préoccupations de l’agent des visas. C’est en l’occurrence la norme de la décision correcte qui s’applique à l’examen du processus suivi par l’agent des visas pour en arriver à la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au para 53; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284, au para 17; Gu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 522, au para 15).

 

[9]               La norme de contrôle qui doit généralement s’appliquer à l’examen de la décision d’un agent des visas est la norme de la décision raisonnable.

 

L’agent des visas a-t-il manqué aux principes de justice naturelle en omettant de demander des explications additionnelles ou de convoquer le demandeur à une entrevue?

 

[10]           Le demandeur soutient que l’agent des visas a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de fournir des renseignements additionnels ou en ne le convoquant pas en entrevue avant de refuser sa demande de permis de travail. Ce faisant, celui-ci a rendu sa décision en ignorant la preuve au dossier qui démontrait qu’il avait à deux reprises présenté une demande de prolongation de son visa de séjour temporaire.

 

[11]           Le défendeur prétend pour sa part que l’équité procédurale n’exigeait pas que l’agent des visas donne au demandeur la possibilité de passer une entrevue ou de dissiper ses doutes puisque l’obligation de demander des renseignements additionnels existe par exemple lorsque l’agent des visas se base sur de la preuve extrinsèque, ce qui ne correspond pas à la présente situation. Il a évalué les documents de la demande et a exercé son pouvoir discrétionnaire comme la Loi l’y obligeait.

 

[12]           Dans l’arrêt Hara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 263, au para 23, le juge Russell a déterminé que bien qu’il n’existe aucune obligation législative d’accorder une entrevue, l’équité procédurale requiert néanmoins que l’agent permette au demandeur de dissiper ses doutes dans certaines circonstances : 

La Loi ne prévoit pas de droit à l'entrevue, mais l'équité procédurale exige qu'un demandeur se voit donner l'occasion de dissiper les doutes d'un agent en certaines circonstances (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 1284, au paragraphe 35). Cette obligation peut exister, par exemple, si un agent s'appuie sur une preuve extrinsèque pour se forger une opinion, ou s'il arrive par ailleurs à une conclusion subjective, alors que le demandeur n'avait aucun moyen de savoir qu'elle serait utilisée contre lui : Li, au paragraphe 36.

 

[13]           Dans l’arrêt Gu, précité, au para 25, la Cour a déterminé qu’un agent des visas qui entretenait des doutes à propos de demandes antérieures de permis temporaires d’une demanderesse aurait dû obtenir de l’information auprès d’elle afin de dissiper ses doutes :

Il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où l'agent avait des doutes quant à la demande dont il avait été saisi. L'agent entretenait des doutes quant à des demandes et des permis antérieurs. Compte tenu de ces circonstances, la demanderesse avait le droit de se voir offrir l'occasion de dissiper ces doutes dont elle n'aurait pas pu raisonnablement prévoir l'intérêt pour l'agent. Étant donné que la demande sera renvoyée à un autre agent des non-immigrants pour nouvel examen, la demanderesse sait maintenant parfaitement qu'elle doit dissiper ces doutes auprès du nouvel agent.

 

[14]           Dans l’arrêt Bonilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 20, la Cour a déterminé qu’un agent qui était arrivé à la conclusion subjective que la demanderesse ne retournerait pas dans son pays d’origine à la fin de ses études aurait dû lui donner la possibilité de répondre à ses préoccupations.

 

[15]           Dans le cas en l’espèce, à l’appui de son refus, l’agent des visas a indiqué qu’il n’était pas convaincu que le demandeur allait quitter le Canada à la fin de sa période de séjour. Il s’est basé principalement sur le fait que le demandeur n’avait pas respecté la validité de son visa de visiteur : 

Given that subj has remained beyond the validity period of his initial visitor status, given that he originally declares he wanted to stay one month only in Canada to visit his cousin and that he has been in Cda over 8 months, given that I have very little evidence on file of his ties to his home country, given his previous travel history which is very limited, I am not satisfied subject would depart at the end of the authorized stay. (Notes STIDI)

 

[16]           Or, il appert de la preuve au dossier que ce reproche n’était pas fondé puisque le demandeur a toujours eu l’intention de respecter les conditions de son visa de visiteur. La demande de permis de travail a été envoyée au consulat de New York une première fois le 17 mars 2010 alors que le demandeur était encore dans les règles et avait un statut valide au Canada. Ce premier envoi était accompagné du formulaire « Demande de visa de résident temporaire présentée à l’extérieur du Canada » servant au renouvellement de son visa de visiteur et sur lequel il était clairement indiqué : « M. Youssef must travel abroad for work and therefore needs to renew his visitor visa with multiple entry ». Plutôt que d’être traitée immédiatement, cette demande de renouvellement a été renvoyée au demandeur avec l’ensemble du dossier pour rectification des frais.

 

[17]           Le demandeur a également resoumis une demande de permis de travail accompagnée des frais exacts le 24 mai 2010. Dans la liste des documents soumis (le « Document-Checklist-Worker ») aussi déposée en preuve, le formulaire « Application to Change Conditions, Extend My Stay or Remain in Canada » a été coché comme faisant partie de la demande.

 

[18]           Cette information s’avère primordiale puisqu’elle démontre que le demandeur n’a jamais eu l’intention d’outrepasser la période de validité de son permis de séjour temporaire. La présence de ces documents aurait tout au moins dû soulever un doute dans l’esprit de l’agent des visas que le demandeur n’avait jamais eu l’intention d’outrepasser la période de validité de son visa de visiteur et donc, qu’il n’avait pas non plus nécessairement l’intention d’outrepasser la période de validité de son permis de travail.

 

[19]           Ainsi, l’agent des visas aurait au moins dû fournir au demandeur l’opportunité de donner des explications quant à son intention de rester au Canada après la fin de son séjour, ce qui aurait pu lui permettre de dissiper ses doutes. Le demandeur ne doit pas être pénalisé alors qu’il a toujours eu l’intention d’agir dans le respect des lois du Canada en matière d'immigration. Compte tenu des faits en l’espèce, cette omission constituait un manquement aux principes de justice naturelle.

 

[20]           Dans un tel cas, il n’est donc pas nécessaire de déterminer si la décision de l’agent des visas était raisonnable.

 

[21]           Pour ces motifs,  la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est renvoyé devant un autre agent des visas pour un nouvel examen.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que le dossier soit renvoyé devant un autre agent des visas pour un nouvel examen.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4412-10

 

INTITULÉ :                                       SALIM YOUSSEF  c  MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 29 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 31 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julius Grey

Simon Gruda

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Caroline Doyon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Grey Casgrain

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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