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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110407

Dossier : IMM-2253-10

Référence : 2011 CF 428

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2011

EN PRESENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

 

SIH MEHMET PUSAT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Un agent d’immigration de l’ambassade du Canada à Ankara, en Turquie, a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Sih Mehmet Pusat était membre du Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK), une organisation qui figure sur la liste des entités terroristes établie par le gouvernement du Canada. Par conséquent, la demande de résidence permanente présentée par M. Pusat au titre de la catégorie du regroupement familial a été rejetée pour la deuxième fois. La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie au motif que M. Pusat a été privé de son droit à l’équité procédurale.

 

CONTEXTE

 

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[3]               Le demandeur est citoyen de la Turquie et Kurde alevi. Son épouse est une citoyenne de la Turquie qui est venue au Canada en 2003 et qui a obtenu le statut de réfugiée. Elle est devenue résidente permanente du Canada le 16 mai 2006. Le demandeur et sa famille avaient auparavant demandé le statut de réfugié en Allemagne, mais le demandeur a été renvoyé en Turquie en juin 1999 après que sa demande eut été rejetée.

 

[4]               Le demandeur, parrainé par son épouse, a présenté une demande de résidence permanente au Canada. En septembre 2007, le demandeur s’est présenté à une entrevue à l’ambassade du Canada à Ankara pour discuter de sa demande. L’entrevue portait surtout sur l’admissibilité du demandeur au titre de la catégorie du regroupement familial, mais la question de l’admissibilité au Canada a aussi été discutée brièvement. Le demandeur a expliqué que, même s’il souscrivait à certains objectifs du PKK, il n’appuyait pas le PKK parce qu’il était contre la violence.

 

[5]               Le 3 septembre 2009, la demande de résidence permanente a été rejetée au motif que le demandeur était interdit de territoire parce qu’il était membre du PKK (le premier refus). M. Pusat a demandé le contrôle judiciaire de cette décision, affirmant que les raisons pour lesquelles il était soupçonné de faire partie du PKK ne lui avaient pas été divulguées. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a accepté que le dossier soit rouvert pour nouvel examen par un autre agent, à condition que le demandeur abandonne sa demande de contrôle judiciaire.

 

[6]               La demande a été renvoyée à l’ambassade du Canada à Ankara pour nouvel examen, et une autre entrevue a été fixée au 14 avril 2010. Avant cette deuxième entrevue, l’avocat du demandeur a communiqué avec le défendeur pour obtenir la divulgation de toute la preuve de l’affiliation au PKK du demandeur. Le défendeur n’a répondu à aucune des trois lettres de l’avocat du demandeur. Selon les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) figurant dans le dossier certifié du tribunal, le demandeur a été appelé la veille de l’entrevue. Il a alors été informé qu’il n’avait pas besoin d’apporter des documents pour corroborer l’authenticité de son mariage, et que le but de l’entrevue était de déterminer son admissibilité au Canada, et non son admissibilité au titre de la catégorie du regroupement familial. Cette partie des notes du STIDI figure en pièce jointe à l’affidavit d’un assistant qui travaille au bureau de l’avocat du défendeur.

 

[7]               À l’entrevue, le demandeur a encore été questionné sur sa participation au PKK. Il a admis qu’il avait déjà assisté à une réunion du PKK en Suisse, donné de l’argent au parti, vendu des magazines et des billets pour les manifestations spéciales du parti, et participé à des activités organisées par le PKK. Il a réitéré son aversion pour la violence et déclaré qu’il n’était pas membre du PKK, mais qu’en raison des pressions sociales, les membres de la communauté kurde se sentent contraints de participer aux activités du PKK et de donner de l’argent au parti. Le demandeur a affirmé que sa participation aux activités du PKK était attribuable à la coercition et aux pressions sociales qu’il avait subies. Il a aussi admis avoir vécu en Suisse, même s’il n’en avait pas fait mention dans sa demande. Le demandeur affirme que, depuis son retour en Turquie, il n’a ni participé aux activités du PKK ni assisté à ses manifestations.

 

[8]               L’avocat du demandeur n’a pas eu la possibilité de présenter des observations après l’entrevue. La décision a été rendue le jour suivant et transmise au demandeur le 19 avril 2011.

 

[9]               Le dossier certifié du tribunal déposé à la Cour conformément à l’article 17 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, contient certains renseignements biffés des documents versés au dossier de la section de l’Immigration à l’ambassade d’Ankara. Le défendeur a présenté une requête en vertu de l’article 87 de la LIPR pour interdire la divulgation de ces renseignements au demandeur et dans le dossier public. Avisé que le défendeur n’entendait pas se fonder sur les renseignements expurgés, le demandeur a fait savoir à la Cour qu’il ne s’opposait pas à la requête. Le juge en chef a examiné les renseignements expurgés et, convaincu qu’ils ne revêtaient pas une importance déterminante pour l’issue de l’instance, il a ajourné sine die l’audition de la requête par une ordonnance datée du 19 novembre 2010. Aucune des parties n’a demandé que la requête reprenne son cours pour être tranchée. Les renseignements expurgés n’ont pas été pris en considération dans la présente décision.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[10]           Le 15 avril 2010, l’agent a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre d’une organisation qui était, avait été ou serait l’auteur d’actes d’espionnage, de subversion ou de terrorisme, et qu’il était par conséquent interdit de territoire conformément à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Plus précisément, l’agent avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre du PKK. Cette conclusion était fondée sur les contributions financières du demandeur au PKK, sur sa présence à des réunions du PKK et sur sa participation à des manifestations et à des activités de distribution de documents et de collecte de fonds du PKK.

 

[11]           Dans l’analyse qui se trouve dans ses motifs de décision, l’agent mentionne que le demandeur affirme avoir été contraint à participer aux activités de PKK ou pressé d’y prendre part. L’agent a estimé que le demandeur avait changé sa version des faits concernant son affiliation au PKK quand il a vu qu’elle pourrait entraîner l’interdiction de territoire. Le demandeur avait aussi omis de mentionner sa période de résidence en Suisse et n’avait pas dit la vérité à propos de peines d’emprisonnement. Du coup, l’agent a remis la crédibilité du demandeur en question. Il a conclu que le demandeur avait participé à de multiples activités pour le compte du PKK, que ces activités s’étaient poursuivies au fil du temps et qu’elles auraient contribué à accroître la capacité de PKK de mener ses opérations militantes.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[12]           Les questions soulevées en l’espèce portent sur l’équité procédurale, le caractère raisonnable de la conclusion selon laquelle il y a des motifs de croire que le demandeur est membre du PKK et le caractère adéquat des motifs expliquant comment l’agent est arrivé à cette conclusion. Comme j’ai conclu que le demandeur avait été privé de son droit à l’équité procédurale et que j’accueillerai la demande pour ce motif, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[13]           L’alinéa 34(1)f) de la LIPR est ainsi rédigé :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 (f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

Analyse

            La norme de contrôle

[14]           Lorsque l’équité procédurale est en cause, comme en l’espèce, il convient de se demander si les principes de la justice naturelle ont été respectés dans les circonstances particulières de l’affaire. La question est de savoir non pas si la décision était « correcte », mais plutôt si la procédure utilisée était équitable. Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse de la norme applicable : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, aux paragraphes 52 et 53. La retenue judiciaire envers le décideur n’est pas contestée. Voir Ontario (Commissioner Provincial Police) c. MacDonald, 2009 ONCA 805, 3 Admin L.R. (5th) 278, au paragraphe 37, et Bowater Mersey Paper Co. c. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 141, 2010 NSCA 19, 3 Admin L.R. (5th) 261, aux paragraphes 30 à 32.

           

            Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

 

[15]           Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne divulguant pas pour quels motifs il soupçonnait le demandeur d’être membre du PKK. L’avocat du demandeur a communiqué à maintes reprises avec le défendeur avant la deuxième entrevue pour connaître les motifs de ce soupçon s’il était toujours réel, mais n’a reçu aucune réponse. Le demandeur affirme que le manquement est particulièrement flagrant compte tenu du fait que la première décision avait été annulée pour la même raison.

 

[16]           Le demandeur affirme en outre que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de présenter des observations sur son admissibilité après l’entrevue. Le demandeur soutient que cette omission contrevient à la politique ministérielle selon laquelle les motifs d’interdiction de territoire doivent être communiqués aux demandeurs, qui doivent alors avoir la possibilité de répondre avant que la décision ne soit rendue. Il se fonde à cet égard sur l’arrêt Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 312, 278 N.R. 172. Le demandeur soutient que, selon les règles de l’équité procédurale, le demandeur doit recevoir une « lettre d’équité » et avoir la possibilité de répondre.

 

[17]           Le défendeur déclare que, selon les notes du STIDI, le demandeur avait été avisé au préalable que sa deuxième entrevue porterait sur son admissibilité au Canada. Le défendeur soutient que l’agent n’est pas tenu, pour respecter l’équité procédurale, de faire part au demandeur de ses préoccupations concernant l’interdiction de territoire quand elles ont trait à l’affiliation à une organisation terroriste : Suleyman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 780, aux paragraphes 40 et 41. L’obligation de divulgation ne s’applique qu’aux éléments de preuve extrinsèques et non aux déclarations antérieures faites par le demandeur lui‑même : Kunkel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 347, 88 Imm. L.R. (3d) 1.

 

[18]           Le défendeur signale que le demandeur avait déjà été déclaré interdit de territoire en raison de son affiliation au PKK, et que l’agent avait fondé sa décision sur les déclarations antérieures du demandeur et sur les documents présentés, ainsi que sur les déclarations faites par le demandeur pendant la deuxième entrevue. Le défendeur soutient que le demandeur connaissait donc les motifs pour lesquels l’agent soupçonnait qu’il était membre du PKK et que l’agent n’a pas fondé sa décision sur des renseignements inconnus du demandeur.

 

[19]           Le dossier montre clairement que le défendeur n’a pas répondu aux communications de l’avocat ni divulgué de renseignements utiles avant l’entrevue, même si la demande avait été renvoyée par consentement en vue d’un nouvel examen pour cette raison. Le défendeur tente à tort de se fonder sur les notes du STIDI pour établir que le demandeur avait été informé, deux jours avant, de l’objet de l’entrevue par un appel téléphonique, vraisemblablement fait par un assistant administratif à l’ambassade. L’assistant n’a pas soumis d’affidavit pour corroborer les faits consignés dans les notes du STIDI.

 

[20]           Les notes du STIDI sont couramment admises à titre de motifs de la décision qui fait l’objet du contrôle. Cependant, les faits qui sous-tendent l’affaire sur lesquels les notes sont fondées doivent être établis de façon indépendante. En l’absence d’affidavit attestant la véracité des notes rédigées au sujet de ce qui s’est produit, les notes n’ont pas de statut en tant que preuve : Chou c. Canada (2000), 3 Imm. L.R. (3d) 212, 190 F.T.R. 78 au paragraphe 13, confirmée par 2001 CAF 299, 17 Imm. L.R. (3d) 234. Joindre les notes, à titre de pièce, à l’affidavit d’un assistant qui travaille au bureau de l’avocat du défendeur, comme c’est le cas en l’espèce, ne suffit pas. Par conséquent, rien ne montre que le demandeur ait bel et bien reçu l’appel ni qu’il ait été informé de l’objet de l’entrevue.

 

[21]           Même si l’appel a été fait comme les notes du STIDI l’indiquent, l’assistant à Ankara avait pour instruction de simplement dire au demandeur qu’il n’avait pas besoin d’apporter des documents démontrant l’authenticité de son mariage et que son admissibilité demeurait indéterminée.

 

[22]           Dans une lettre envoyée par télécopieur le 12 avril 2010, à peine deux jours avant l’entrevue, l’avocat du demandeur a rappelé au gestionnaire du programme d’immigration de l’ambassade que le refus antérieur avait été annulé parce que les motifs pour lesquels le demandeur était soupçonné d’être membre du PKK ne lui avaient pas été divulgués. Dans une lettre datée du 30 mars 2010, l’avocat a souligné que le demandeur avait été prié de fournir des documents établissant l’authenticité de son mariage, mais qu’aucune question ne lui avait été posée à propos de son admissibilité. Dans sa lettre du 12 avril 2010, l’avocat a demandé que les renseignements concernant la possible interdiction de territoire soient divulgués si cette question était encore en litige, et, le cas échéant, que l’entrevue soit reportée et que les renseignements soient communiqués avant la nouvelle date fixée pour l’entrevue.

 

[23]           L’avocat du défendeur a reconnu à l’audience que le personnel de l’ambassade n’aurait pas dû ignorer cette correspondance. Par contre, il a été soutenu que le fait de ne pas avoir répondu aux lettres de l’avocat ne constituait pas un manquement important à l’équité procédurale.

 

[24]           L’arrêt Kunkel, précité, de la Cour d’appel fédérale qu’invoque le défendeur concernait la divulgation d’éléments de preuve extrinsèques avant une entrevue au sujet d’une demande de résidence permanente. Au paragraphe 11, la Cour d’appel s’est exprimée ainsi :

Bien que les preuves extrinsèques doivent être présentées aux demandeurs pour leur permettre d’y répondre pleinement, l’occasion de répondre variera en fonction du contexte factuel. Ce qui est équitable et raisonnable dans un cas pourrait ne pas l’être dans un autre cas. Il n’y a aucune exigence générale quant à la présentation des preuves extrinsèques aux demandeurs avant l’entrevue ni quant à la possibilité pour ces dernières de clarifier leur situation après l’entrevue. Il est possible qu’il soit suffisant de présenter la preuve à l’entrevue et de donner aux demandeurs l’occasion d’y répondre. Ce qui constitue un avis suffisant dépend des circonstances de chaque affaire.

 

[25]           En l’espèce, le dossier certifié contient des documents qui sont antérieurs au premier refus et qui semblent avoir fortement influé sur la décision de l’agent. J’estime que ces documents, expurgés au besoin, ou, à tout le moins, l’essentiel de l’information qu’ils contenaient, auraient dû être communiqués au demandeur avant la deuxième entrevue, de sorte qu’il aurait pu mieux se préparer à répondre aux questions sur les motifs pour lesquels il était soupçonné d’être membre du PKK.

 

[26]           Les documents contenus dans le dossier certifié comprennent un mémoire de la Section de la lutte contre le terrorisme de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui recommande que le demandeur soit déclaré interdit de territoire parce qu’il est membre du PKK. Dans le mémoire, certains critères devant être évalués au moment de prononcer l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) sont présentés, et des liens sont faits entre plusieurs de ces critères et les renseignements fournis par le demandeur à sa première entrevue. Le mémoire présente d’autres critères qui n’ont rien à voir avec les antécédents ou la conduite du demandeur. L’analyse de l’agent rappelle la partie du mémoire de l’ASFC qui montre le demandeur sous un mauvais jour. Bien que l’agent ait pour rôle d’apprécier tous les facteurs et de déterminer si le demandeur est membre d’une organisation terroriste, l’équité exige que le demandeur ait une occasion raisonnable de s’expliquer avant qu’une décision ne soit rendue.

 

[27]           Les circonstances étaient différentes dans l’affaire Suleyman, précitée, où, en raison de l’importance du rôle que le demandeur avait joué au sein du PKK, son affiliation n’était pas contestée. La vraie question était plutôt celle de savoir s’il y avait suffisamment de motifs pour accorder une dispense ministérielle en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR. En l’espèce, le demandeur n’a pas reconnu qu’il était membre du PKK, et l’agent, après avoir soupesé tous les éléments de preuve, pouvait parvenir à une conclusion différente. L’équité exigeait que l’agent examine non seulement les facteurs qui semblaient corroborer l’affiliation du demandeur au PKK, mais aussi ceux qui l’infirmait, par exemple l’argument selon lequel les membres des communautés kurdes en Turquie et ailleurs dans le monde étaient contraints à participer aux activités du PKK.

 

[28]           Le mémoire de l’ASFC dont l’agent a tenu compte en l’espèce était semblable à celui que la juge Eleanor Dawson, maintenant juge à la Cour d’appel, a traité dans Mekonen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1133, 66 Imm. L.R. (3d) 222. Cette affaire concernait aussi une question de divulgation dans le contexte d’une décision fondée sur l’alinéa 34(1)f). Citant les facteurs appliqués par la Cour d’appel fédérale dans Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.) (QL), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bhagwandass, 2001 CAF 49, la juge Dawson était d’avis que les circonstances de l’affaire exigeaient que l’agent fournisse à M. Mekonen le mémoire de l’ASFC ainsi que les documents de source ouverte et qu’il lui permette de déposer des observations en réponse à ces documents. De telles actions étaient nécessaires, déclare la juge au paragraphe 26 de ses motifs, pour donner à M. Mekonen une véritable possibilité de présenter à l’agent des preuves et observations pertinentes à des fins d’examen complet et équitable.

 

[29]           Au paragraphe 19, la juge Dawson conclut que le mémoire de l’ASFC en question :

a servi d’outil d’assistance judiciaire destiné, selon les termes de la Cour d’appel fédérale dans Bhagwandass [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bhagwandass], « à avoir une influence telle sur le décideur que la communication à l’avance est requise pour équilibrer les chances ».

 

 

[30]           En l’espèce, le mémoire de l’ASFC contient une recommandation presque identique à celle dont il est question dans Mekonen et indique que l’information transmise à l’agent [traduction] « fournit suffisamment d’éléments de preuve concluants pour justifier l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR ». Comme dans Bhagwandass et Mekonen, la divulgation était nécessaire pour égaliser les chances. Voir aussi la décision Rana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 696, où le juge Sean Harrington a conclu que le demandeur avait été privé de son droit à l’équité procédurale en raison de la non-divulgation d’un rapport dans des circonstances semblables.

 

[31]           Le mémoire de l’ASFC dont il est question ici renvoie à un deuxième document, daté du 11 juin 2009 et figurant à la page 100 du dossier certifié, qui contient des renseignements sur le demandeur dont disposait le Service canadien du renseignement de sécurité. La plupart des renseignements contenus dans ce rapport avaient été obtenus du demandeur ou lui avaient été communiqués, comme l’information sur les contradictions entre sa demande et la demande d’asile de sa femme. Même si l’obligation d’équité n’exigeait pas nécessairement que de plus amples renseignements soient communiqués, tout élément de contenu ayant trait à l’affiliation du demandeur au PKK aurait dû être divulgué, quitte à protéger les sources et les autres renseignements de nature délicate.

 

[32]           Le demandeur soutient qu’il avait droit à une « lettre d’équité » semblable à celles qui sont fournies en cas d’interdiction de territoire pour raisons médicales comme dans Jang, précité, et à la possibilité de présenter des observations après l’entrevue pour répondre aux préoccupations de l’agent. Comme la Cour d’appel fédérale l’a énoncé dans l’extrait de l’arrêt Kunkel, précité, ce qui est équitable varie selon les circonstances. Étant donné que les renseignements n’avaient pas été communiqués à l’avance, le défendeur aurait joué de prudence en permettant au demandeur de répondre aux préoccupations concernant son affiliation au PKK après l’entrevue et avant que la décision ne soit rendue.

 

[33]           Dans l’éventualité où la Cour conclurait qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale, le défendeur avait pressé la Cour d’appliquer la doctrine de l’absence d’utilité et de refuser d’accorder un redressement, citant Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 111 D.L.R (4th) 1, aux paragraphes 51 à 54, et Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 172 N.R. 308, 27 Imm. L.R. (2d) 135 (CAF) aux paragraphes 9 à 11.

 

[34]           Dans Mobil Oil, la détermination d’une question de droit par la Cour suprême signifiait qu’une autre audience n’avait qu’une seule issue possible. En l’espèce, l’admissibilité du demandeur n’est pas encore établie, et je ne suis pas convaincu qu’il serait incapable de fournir, relativement aux facteurs présentés dans le mémoire de l’ASFC, une explication qui pourrait amener à conclure qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de croire qu’il est membre du PKK. L’arrêt Yassine portait sur une renonciation implicite à contester un manquement à l’équité procédurale. Le demandeur n’avait pas présenté d’observations sur des éléments de preuve additionnels quand il en avait eu l’occasion. En l’espèce, il n’y a pas eu de renonciation implicite. Les documents ont été fournis seulement dans le dossier certifié du tribunal produit à la suite de la demande de contrôle judiciaire. Le demandeur en dispose maintenant et peut présenter des observations éclairées au prochain agent d’immigration qui examinera l’affaire.

 

[35]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                                          La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision rendue le 15 avril 2010 par l’agent d’immigration est annulée.

2.                                          L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                         IMM-2253-10

 

 

INTITULÉ :                                       SIH MEHMET PUSAT

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                Le 24 janvier 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mosley

 

Date des motifs :                      Le 7 avril 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LORNE WALDMAN

Lorne Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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