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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110407

Dossier : IMM-3680-10

Référence : 2011 CF 431

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

XIAO LING LIN

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 10 juin 2010 rejetant une demande du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) visant à faire annuler la demande d’asile du défendeur.

 

[2]               Selon les motifs suivants, la demande sera rejetée.

 

I.          Le contexte

 

A.        Le contexte factuel

 

[3]               Le défendeur, Xiao Ling Lin, est un citoyen chinois. Il est arrivé au Canada et a présenté une demande d’asile le 7 février 2007. Il a allégué craindre avec raison d'être persécuté, car il a vendu des livres et des CD sur le Falun Gong dans sa librairie de Changle, ville située dans la province chinoise de Fujian. Son magasin a été fouillé par la police en novembre 2006. Bien qu’il ait conservé les documents interdits cachés, la police a trouvé les documents sur le Falun Gong. Le défendeur a prétendu s’être échappé pendant que la fouille avait lieu et s’être plus tard enfui au Canada.

 

[4]               Quatorze (14) jours avant son audience à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, le défendeur a déposé des copies de son permis d’exploitation de libraire, de prétendus mandats de perquisition du Bureau de la sécurité publique (BSP), un préavis de fermeture de sa librairie émis par le bureau de la gestion et de l'administration des affaires et de l'industrie, et trois assignations à comparaître devant les autorités chinoises. Malgré le fait que ce dépôt a eu lieu au‑delà de la période de vingt jours aloués pour communiquer la preuve, le tribunal a accueilli la preuve en vertu de son pouvoir discrétionnaire que lui confère le règlement. Le 14 janvier 2009, le tribunal a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, le défendeur était impliqué dans la vente de documents sur le Falun Gong, une activité qui était parvenue à l’attention des autorités chinoises et se faisant, il était plus que probable que le défendeur soit persécuté à son retour en Chine. Un avis de décision a été émis le jour suivant et les motifs écrits ont été rendus le 19 février 2009.

 

[5]               Avant l’audience, l’agent d’audience a commencé le processus visant à vérifier l’authenticité des documents du défendeur. En décembre 2009, les documents ont été envoyés à l’agent d’intégrité des mouvements migratoires à Guangzhou en Chine. Le 22 janvier 2009, le Consulat général du Canada à Guangzhou a envoyé les documents à la direction consulaire et culturelle du bureau des affaires étrangères du gouvernement provincial du peuple à Fujian. Le 31 mars 2009, le ministre a été informé dans une note diplomatique par le gouvernement chinois que les enquêtes menées par les autorités compétentes n’ont pas réussi à trouver quelconque document concernant le permis d’exploitation produit et que le BSP de Changle n’employait pas de policiers répondant aux noms inscrits sur les assignations produites.

 

[6]               À la suite de ces renseignements, le ministre a présenté le 30 juin 2009 une demande d’annulation du statut de réfugié au sens de la Convention du défendeur. Le ministre a motivé sa demande en invoquant le fait que la décision avait résulté, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait qui, si le tribunal en avait été instruit, aurait pu modifier sa décision.

 

B.         La décision contestée

 

[7]               La Commission a tenu l’audience d’annulation le 15 janvier 2010. Le ministre a adopté la position selon laquelle les autorités chinoises avaient conclu que les documents du défendeur étaient frauduleux et qu’il n’y avait donc pas de fondement sur lequel le tribunal aurait pu déterminer que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention. Le ministre soutient que la demande du défendeur était fausse et que ce dernier avait présenté des faits erronés quant à un objet pertinent.

 

[8]               Dans ses motifs datés du 10 juin 2010, la Commission a rejeté la demande du ministre.

 

[9]               La Commission a tiré deux conclusions. Premièrement, la Commission a conclu que le ministre avait sollicité l’opinion du présumé agent de persécution concernant le bien-fondé de la demande et de la qualité de réfugié au sens de la Convention du défendeur. La Commission a conclu que la preuve des autorités chinoises pouvait être véridique ou fausse et que le tribunal qui serait saisi de la demande d’asile serait le mieux placé pour apprécier la preuve et se prononcer sur celle‑ci.

 

[10]           Deuxièment, la Commission a conclu que le ministre a communiqué avec les autorités chinoises sans égard au statut protégé du défendeur à titre de réfugié au sens de la Convention et qu’il a négligé de suivre les étapes appropriées visant à protéger le défendeur. Selon la Commission, cela a porté un coup fatal à la demande du ministre.

 

II.         Les questions en litige

 

[11]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

(a)        Est-ce que la Commission a erré dans son analyse aux termes du paragraphe 109(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la LIPR] en ne considérant pas adéquatement la nouvelle preuve du ministre?

(b)        Est-ce que la Commission a erré en ne réalisant pas une analyse, au sens du paragraphe 109(2) de la LIPR, du reste de la preuve qui appuierait le statut de réfugié du défendeur?

 

[12]           Le défendeur a soulevé les questions suivantes :

(a)        Est-ce que la Commission a erré en concluant que la preuve du ministre était insuffisante pour l’acquitter du fardeau de la preuve et pour lui permettre d’établir les faits selon la prépondérance de la preuve que la présentation était erronée?

(b)        Est-ce que la communication des renseignements en l’espèce constituait une atteinte au droit du défendeur au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

(c)        Est-ce que la Commission a agi correctement en rejetant la demande après qu’elle a conclu qu’il y avait eu un abus de procédure?

 

[13]           Selon moi, les questions se résument mieux ainsi :

(a)        Est-ce que la Commission a erré en concluant que la preuve du ministre était insuffisante pour établir qu’il y avait une présentation erronée?

(b)        Est-ce que la Commission a erré en rejetant la demande après avoir conclu qu’il y avait abus de procédure?

 

III.       Le régime législatif

 

[14]           L’article 109 de la LIPR permet au ministre de demander l’annulation d’une demande d’asile si la décision a été obtenue à la suite d’une présentation erronée :

Demande d’annulation

 

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

Rejet de la demande

 

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

 

 

Effet de la décision

 

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

Vacation of refugee protection

 

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

 

Rejection of application

 

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

 

Allowance of application

 

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

 

 

IV.       La norme de contrôle

 

[15]           Les décisions rendues en vertu de l’article 109 de la LIPR sont des décisions mixtes de faits et de droit, et à ce titre, elles méritent la déférence de la Cour. La norme de contrôle appropriée est celle de la raisonnabilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigratio) c. Chery, 2008 CF 1001, 334 FTR 148, au paragraphe 19). La Cour ne modifiera pas la décision de la Commission pourvu que de la décision appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Arguments et Analyse

 

A.        Est-ce que la Commission a erré dans son analyse prévue à l’article 109?

 

[16]           Le ministre prétend que la Commission n’a pas réalisé une analyse adéquate de la preuve du ministre en conformité avec le paragraphe 109(1) ou le paragraphe 109(2). Le ministre soutient qu’au lieu d’effectuer l’analyse prévue par la loi, la Commission a axé son analyse sur une considération complètement extrinsèque ou non pertinente, soit la façon dont le ministre a obtenu la preuve. Le ministre prétend qu’en se préoccupant du droit à la vie privée du défendeur, la Commission a étudié une question dont elle n’était pas saisie et qui ne relevait pas de son mandat à l’audience d’annulation. La position du ministre semble être que la Commission n’a pas réellement considéré la crédibilité ou la nouvelle preuve suffisamment et qu’une telle omission constitue une erreur de droit.

 

[17]           Le défendeur soutient que, par ses motifs, la Commission démontre qu’elle a en effet considéré la preuve et a déterminé, selon la prépondérence de la preuve, que le ministre ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir que le défendeur avait présenté un fait erroné.

 

[18]           À la lecture de ces motifs, il est clair que la Commission a considéré la preuve du ministre. La Commission était consciente que le ministre s’était fondé sur l’information communiquée par les autorités chinoises pour établir l’indubitable conclusion que le défendeur avait consciemment présenté des faits importants erronés quant à des objets pertinents, notamment l’existence de la librairie, la fouille des lieux, la saisie des documents et les assignations à comparaître dont le défendeur faisait l’objet. Cependant, la Commission n’était pas du même avis. La Commission a déclaré aux paragraphes 27 et 28 :

Pour ce qui est de statuer sur la demande d’asile elle‑même, le tribunal qui statue sur l’affaire serait en position d’évaluer ces éléments de preuve à la lumière de l’ensemble de la preuve et de les analyser d’une façon qui est non seulement appropriée, mais qui tienne également compte des questions de crédibilité et d’honnêteté qui se posent de façon générale. La preuve liée à la question de l’inclusion devrait être examinée, dans la mesure du possible, dans le cadre du processus visant à statuer sur la demande d’asile, plutôt que dans le cadre d’une demande d’annulation postérieure à l’audience. C’est au moment de statuer sur la demande d’asile que les forces et les faiblesses de la preuve en ce qui a trait à l’inclusion sont le mieux évaluées.

 

Par exemple, il est clair que ce que dit l’intimé au sujet du traitement que lui réservent les autorités chinoises, en particulier le PSB, est soit vrai, soit faux. De la même façon, les renseignements qu’ont transmis les autorités chinoises aux autorités canadiennes dans leurs communications sont soit vrais, soit faux. Toutefois, si les propos qu’a tenus l’intimé au sujet des autorités chinoises sont vrais, alors il peut s’agir d’une raison de juger que les renseignements fournis par les autorités chinoises à propos de l’intimé sont faux. C’est donc dire que ces questions sont inextricablement liées. C’est le tribunal saisi de la demande d’asile qui est le mieux placé pour comprendre l’ensemble de la preuve et pour prendre la décision appropriée.

 

[19]           Il n’est peut-être pas aussi clair que le ministre le voudrait, mais il est évident que la Commission a conclu que la preuve du ministre était insuffisante pour répondre à l’exigence de l’article 109. Selon la Commission, la preuve n’était pas irréfutable. La Commission ne s’est pas retrouvée dans une position qui lui permettait de préférer la preuve du ministre à celle du défendeur. Bien que la Commission ne l’ait pas précisé aussi clairement que le défendeur dans ses prétentions, elle n’a pas conclu, selon la prépondérance de la preuve, que la preuve du ministre établissait que le défendeur avait présenté des faits pertinents erronés au tribunal.

 

[20]           La Cour suprême a récemment réitéré que le ministre a le fardeau de fournir une preuve suffisante pour annuler un statut de réfugié précédemment reconnu, citant la décision Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, 91 Imm LR (3d) 165, au paragraphe 109 : « Aux termes de la Convention relative aux réfugiés, donc, les personnes qui ont établi qu’elles satisfont à la définition de réfugié ne devraient pas avoir à prouver qu’elles y satisfont toujours ». Particulièrement, au paragraphe 110, « la LIPR indique clairement qu’il appartient au MCI de demander le constat que la protection d’un réfugié n’est plus applicable et d’indiquer les raisons fondant sa demande ». En l’espèce, la Commission a exprimé son insatisfaction à l’égard des raisons données par le ministre pour étayer sa demande.

 

[21]           De plus, contrairement aux prétentions du ministre, la Commission a clairement indiqué qu’elle se préoccupait de la crédibilité de la preuve du ministre, étant donné sa provenance. La Commission a noté au paragraphe 26 que « [t]outefois, les autorités canadiennes ont bel et bien fait participer le prétendu persécuteur à l’évaluation de la preuve liée à la demande d’asile présentée par le demandeur d’asile, ou intimé ». La Commission a très clairement exprimé son appréhension concernant la source et la méthode par laquelle le ministre a obtenu la preuve. Bien que le ministre soutienne que cette question n’est pas pertinente, je ne suis pas de cet avis. Cette question influence la valeur probante qui peut être attribuée à la preuve. Il est bien établi en droit que la Commission occupe la meilleure position pour apprécier et pour évaluer la preuve déposée. Plus particulièrement, les décisions d’une audience d’annulation méritent la plus grande déférence, parce qu’elles sont fondées sur une évaluation de la crédibilité du demandeur et sur l’appréciation de la preuve déposée par les deux parties (Mansoor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 420, 61 Imm LR (3d) 227, au paragraphe 24).

 

[22]           Le défendeur soutient que la Commission a rendu une décision raisonnable fondée sur l’ensemble de la preuve. La Commission a considéré les décisions du tribunal précédent, la nouvelle preuve et les procédures suivies pour obtenir des renseignements auprès des autorités chinoises, et a conclu que le ministre n’avait pas présenté une preuve suffisante pour justifier l’annulation du statut de réfugié du défendeur. Je suis d’accord avec le défendeur. L’issue appartient aux issues acceptables et justifiables.

 

[23]           Le ministre soutient également que la Commission a erré en ne procédant pas à un examen des éléments non viciés de la preuve afin de déterminer s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention, comme l’exige le paragraphe 109(2).

 

[24]           Cet argument n’a aucun fondement. Il est logiquement indéfendable de prétendre que la Commission doit néanmoins, en se fondant sur le reste de la preuve non viciée, analyser la question de savoir si le défendeur serait capable de conserver sa prétention au statut de réfugié au sens de la Convention même après avoir conclu que la Commission n’est pas en position de préférer la preuve du ministre à celle du défendeur. La Commission n’est jamais parvenue à la conclusion que la preuve du défendeur était «viciée» en premier lieu, ainsi il n’y avait pas de raison d’analyser une demande en fonction du reste de la preuve. Le critère d’annulation est clair. Comme le note le juge Yves de Montigny dans la décision Mansoor, précitée, au paragraphe 23 :

[23]      Les parties ne contestent pas la façon appropriée de traiter une demande d’annulation d’une décision accordant l’asile. Le tribunal doit d’abord conclure que la recevabilité de la décision en question résulte, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. Étant arrivé à cette conclusion, le tribunal peut néanmoins rejeter la demande s’il subsiste suffisamment d’éléments de preuve pris en considération lors de l’examen de la demande d’asile pour justifier l’asile : voir, par exemple, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Pearce, 2006 CF 492; Naqvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1941, 2004 CF 1605.

[Non souligné dans l’original.]   

 

[25]           Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la Commission de l’article 109.

 

B.         Est-ce que la Commission a erré en considérant la façon dont le ministre a obtenu la preuve?

 

[26]           La Commission a critiqué la façon dont le ministre s’est procuré la preuve étant donné le statut protégé du défendeur, en notant au paragraphe 37 :

La protection des personnes est au cœur du système de protection des réfugiés. La reconnaissance des personnes qui ont réellement besoin d’une protection est essentielle à l’intégrité du système en question. Lors de l’évaluation du bien‑fondé, de l’authenticité ou de la véracité des demandes présentées à la Section, le ministre doit évaluer, et être perçu comme ayant évalué, le besoin de protection des personnes – notamment de celles à qui il a été accordé la qualité de réfugié au sens de la Convention – par rapport au besoin, dans l’intérêt du public, de déceler et de prévenir la fraude. En l’espèce, rien n’indique que des mesures aient été prises aux fins de la protection du réfugié au sens de la Convention, qui est une personne protégée. Cet élément porte un coup fatal à la demande du ministre.

 

[27]           Le ministre allègue que la question de la façon par laquelle il s’est procuré la preuve est non pertinente et hors de propos. Le ministre soutient que le protocole qu’il a suivi pour obtenir la preuve était compatible avec la jurisprudence et ne portait pas atteinte au droit à la vie privée du défendeur. Le ministre prétend que la Commission a lu de manière erronée et à la loupe la jurisprudence, et s’est méprise sur ce que le ministre cherchait à obtenir en vérifiant les documents.

 

[28]           Le défendeur allègue que la Commission n’a pas erré en concluant qu’on avait porté atteinte au droit à la vie privée du défendeur au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels L.R.C. 1985, ch. P-21, lorsque le ministre a communiqué des renseignements personnels aux agents de persécution, car en l’espèce, la communication de renseignements n’était pas compatible avec l’objectif de trancher une demande d’asile. Le défendeur soutient en outre que la demande d’annulation du ministre constitue un abus de procédure, car il n’a pas demandé un ajournement, et que la contestation de la preuve qui a suivi a privé le défendeur d’une occasion de pouvoir intégrer cette preuve à sa demande.

 

[29]           Le ministre se fonde sur deux affaires pour illustrer que la Cour a conclu qu’il était acceptable de vérifier des documents auprès de gouvernements étrangers, même si ceux-ci sont les présumés agents de persécution du demandeur. La Commission a étudié ces deux affaires et a extrait une partie de la décision Moin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 473, 157 ACWS (3d) 603. Dans cette décision, la Cour fédérale a conclu, en se fondant sur la décision de la Cour dans l’affaire Igbinosun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 87 FTR 131, 51 ACWS (3d) 918, que la communication aux autorités de l’État, les présumés agents de persécution, était essentielle afin de déterminer si le défendeur était visé par les dispositions de l’article 1F de l’annexe de la LIPR (crimes de guerre, crimes graves de droit commun) :

[35]      Selon le paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, l’individu qui communique des renseignements personnels au gouvernement doit donner son consentement pour que le gouvernement puisse ensuite communiquer les renseignements en question. Le paragraphe 8(2) énumère ensuite des exceptions à ce principe général. Parmi ces exceptions, mentionnons celle prévue à l’alinéa 8(2)a), qui autorise la communication de renseignements personnels relevant d’une institution fédérale dès lors que cette communication vise les mêmes fins que celles auxquelles ces renseignements ont été recueillis, ou des fins compatibles.

 

[36]      Dans le cas qui nous occupe, les fins auxquelles les renseignements de M. Moin ont été recueillis peuvent être rattachées à l’objet général de la Loi sur l’immigration ou, plus précisément, aux fins que visent les décisions portant sur l’admissibilité ou le droit d’asile. Suivant l’une ou l’autre de ces interprétations, il est possible d’affirmer que le fait de se servir de ces renseignements pour déterminer s’il y avait lieu de refuser l’asile à M. Moin est une fin identique, ou subsidiairement, qu’il s’agit d’un usage compatible avec celui ayant justifié à l’origine la cueillette de ces renseignements (Rahman c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 2041 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[37]      M. Moin a expliqué, lors de son entrevue de premier contact, qu’il était accusé de corruption et d’abus de pouvoir, s’exposant ainsi à la possibilité de se voir refuser l’asile par application de l’alinéa 1(F)b) de la Convention. Les vérifications nécessaires ont été faites pour déterminer si M. Moin était exclu de la définition de réfugié. Il n’y a aucun élément de preuve permettant de penser que les autorités pakistanaises ont été informées que M. Moin avait présenté une demande d’asile. En tout état de cause, la divulgation était essentielle pour déterminer s’il tombait sous le coup de l’article 1(F). J’estime que le paragraphe suivant tiré de la décision rendue par la juge Donna McGillis dans l’affaire Igbinosun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1705 (C.F. 1re inst.) (QL), constitue une réponse complète à l’argument de M. Moin :

 

6.  En l’espèce, la preuve établit que l’identité du requérant a été communiquée aux autorités policières nigérianes pour déterminer s’il avait été accusé de meurtre. Rien n’indique que des renseignements confidentiels donnés par le requérant dans son formulaire de renseignements personnels ont été communiqués. L’objection à l’admissibilité du télex pour le motif que la Loi sur la protection des renseignements personnels a été violée a été soulevée sans être étayée sur la preuve qui s’impose et, par conséquent, doit être rejetée. Subsidiairement, même si les autorités canadiennes ont communiqué à la police nigériane des renseignements confidentiels concernant le requérant, la divulgation a été faite dans le but de permettre au ministre de décider si la revendication du requérant soulevait une question relevant des causes d’exclusion visées au paragraphe F(b) de l’article premier de la Convention. [Voir le sous-alinéa 69.1(5)a)(ii) de la Loi sur l’immigration.] Le requérant ayant fourni les renseignements pour les fins de la procédure d’immigration, leur utilisation, le cas échéant, par le ministre ou ses représentants visait manifestement « les usages qui sont compatibles avec ces fins » au sens de l’alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[38]      Vu ce qui précède, je suis d’accord avec le ministre pour dire que la Commission n’était pas tenue d’examiner les arguments de M. Moin au sujet de sa qualité de réfugié sur place. Le tribunal n’est pas obligé d’examiner un tel argument lorsqu’il estime que le demandeur d’asile n’a présenté aucun élément crédible pouvant justifier sa demande d’asile (Barry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 203; Ghribi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1191; Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 179).

 

[30]           La Commission a établi deux distinctions entre ces deux affaires et le présent litige. Premièrement, dans les décisions Moin et Igbinosun, précitées, les renseignements recherchés avaient pour but de déterminer si les demandeurs étaient exclus de la protection, en application de l'article 1F. La Commission a conclu qu’une enquête menée sur une possible exclusion était essentiellement différente d’une enquête menée auprès du présumé agent de persécution concernant des questions internes à la demande d’asile, telle qu’une évaluation de la preuve. Deuxièmement, les enquêtes menées dans les affaires Moin et Igbinosun, précitées, ont été réalisées avant les examens des demandes et les résultats ont été dévoilés avant l’audience dans chaque affaire.

 

[31]           Le ministre soutient que la Commission a distingué ces deux affaires de manière grossière. Le ministre allègue que la Commission a lu ces affaires à la loupe pour soutenir que le ministre ne peut mener des enquêtes que dans des cas d’exclusion. Le ministre souligne qu’il lui est loisible de soumettre une demande d’annulation de statut de réfugié au sens de la Convention en tout temps, donc le fait que les enquêtes en l’espèce ont été réalisées après l’audience n’a pas d’influence significative.

 

[32]           Je n’interprète pas les motifs de la Commission de la même façon que le fait le ministre. Tout comme le défendeur et la Commission, je suis d’avis qu’en principe, le ministre avait le droit d’envoyer des documents aux gouvernements étrangers aux fins de vérification. Cependant, la question en jeu dans la présente affaire est la façon dont les documents ont été vérifiés. Cette question est légitime et la Commission était justifiée de s’y attarder.

 

[33]           Bien qu’étant consciente du fait que, conformément à la loi, des renseignements personnels peuvent être communiqués dans un but cohérent avec lequel les renseignements ont été obtenus, la Commission à tout de même conclu que le droit du défendeur à la vie privée avait été atteint, car « le fait de demander au prétendu agent de persécution ou agresseur de se prononcer sur la qualité, la provenance ou la crédibilité de la preuve qui a été présentée contre lui, que ce soit une personne, une institution ou un État » était, en l’espèce, un usage non cohérent au but de l’examen d’une demande de réfugié. La Commission n’a pas conclu que les enquêtes ne pouvaient être menées qu’en matière d’exclusion, mais bien que, conformément à la jurisprudence, la communication de renseignements personnels doit être cohérente au but de l’examen d’une demande de réfugié.

 

[34]           Je conviens avec le défendeur que le fait de qualifier la question d’objectif général d’immigration, tel que le suggère le ministre, est peut-être trop large. La Commission a principalement examiné le fait que les enquêtes avaient été réalisées après que le défendeur ait reçu la protection du statut. En l’espèce, il est difficile de concevoir comment le fait de communiquer des documents concernant le défendeur à un gouvernement reconnu pour être répressif, sans d’abord prendre des mesures pour protéger l’identité du défendeur, est conforme à l’objet de la LIPR, que la Commission a reproduit :

Objet relatif aux réfugiés

 

(2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

a) de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution;

b) de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d’affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller;

c) de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d’une procédure équitable reflétant les idéaux humanitaires du Canada;

d) d’offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités;

e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain; [...]

 

[35]           Le ministre soutient que les documents du défendeur ont été transmis aux autorités chinoises aux fins d’immigration, et le fait, reconnu par la Commission, que le ministre n’a pas communiqué que le défendeur avait déposé une demande d’asile ou qu’il avait reçu le statut de réfugié au sens de la Convention indique que le protocole a été suivi. Cet argument contredit directement la conclusion de la Commission qui maintient qu’« aucune mesure n’a été prise ni aucun critère appliqué aux fins de la protection de la personne protégée ».

 

[36]           Encore là, le ministre ne soulève pas d’erreur susceptible de révision. En ayant justement déterminé que le droit à la vie privée du défendeur était en jeu, le ministre avait l’obligation de s’assurer que la communication de renseignements était dûment limitée et proportionnelle. Comme l’a noté la juge Danièle Tremblay-Lamer dans la décision Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection nationale) c. Kahlon, 2005 CF 1000, 278 FTR 254, au paragraphe 37, « [l]a SPR devrait considérer des solutions de remplacement à la pleine communication et arriver à un équilibre entre la nécessité de la communication et le droit à la protection des renseignements personnels ». Le ministre n’a pris aucune mesure. La prétention du ministre voulant que supprimer le nom du défendeur des documents aurait été contre-productif m’apparait faible. L’identité du défendeur n’a jamais été en question, seule l’authenticité des documents a été mise en doute. Leur authenticité aurait pu être étudiée sans dévoiler le nom du défendeur aux autorités chinoises, lesquelles, un tribunal avait déjà conclu, étaient susceptibles de le persécuter.

 

[37]           Je reconnais, tout comme la Commission et le défendeur, que le ministre avait en principe le devoir de maintenir l’intégrité du processus canadien d’examen des demandes d’asile, et de fait, le droit de vérifier les documents. Cependant, j’accepte la prétention du défendeur selon laquelle la manière avec laquelle une vérification doit être effectuée se doit d’être appropriée afin de s’assurer que le droit à la vie privée d’un demandeur est respecté et que sa vie n’est pas mise en péril par la communication de renseignements.

 

[38]           Je ne partage pas l’avis du ministre selon lequel la Commission a évalué des considérations non pertinentes et étrangères, et ait ainsi commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire. La décision est justifiée et intelligible. Je ne conçois aucun motif pour la Cour d’intervenir.

 

[39]           Le défendeur a soutenu que la demande d’annulation du ministre constituait un abus de procédure. Je ne me vois pas obligé de commenter ces prétentions, sauf pour dire que les demandes d’annulation ne devraient pas être déposées pour générer un délai plus commode permettant de contester la véracité des documents qui sont internes au processus d’évaluation de la demande d’asile d’un demandeur. Le fait qu’une demande d’ajournement importunerait le calendrier du ministre ne constitue pas une réponse valable à cette question.

 

VI.       Conclusion

 

[40]           J’ai reçu les observations des parties au sujet de possibles questions à certifier, mais étant donné mes conclusions sur le présent litige, je suis d’avis qu’il ne convient pas de certifier de question.

 

[41]           Vu les conclusions qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3680-10

 

INTITULÉ :                                       MPSEP c. XIAO LING LIN

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 FÉVRIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 7 AVRIL 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nimanthika Kaneira

 

POUR LE DEMANDEUR

Lorne Waldman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Lorne Waldman

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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