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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110412

Dossier : IMM-4898-10

Référence : 2011 CF 451

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2011

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

 

ZULQUANAIN HUSAIN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Zulquanain Husain (le demandeur) sollicite un contrôle judiciaire concernant la décision de l’agente des visas Kristin L. Erickson (l’agente) du haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde. Dans sa décision, l’agente a rejeté la demande du demandeur concernant la résidence permanente au Canada à titre de membre de fait dans la catégorie du regroupement familial, en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Le demandeur a sollicité l’exercice du pouvoir discrétionnaire de prise en compte des considérations d’ordre humanitaire, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, qui prévoit ce qui suit : 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de l’Inde. Elle est la sœur de Riyaz Husain. En novembre 1999, Arjumand, la femme de Riyaz Husain, a donné naissance à trois enfants, toutes des filles. La demanderesse est allée à Dubaï, aux Émirats arabes unis, afin d’aider sa belle-sœur à élever les trois enfants et elle est restée dans sa famille élargie pendant quelques mois. Au fil du temps, elle s’est attachée à l’une des filles, Husaina, et, lors de son retour en Inde, son frère et sa belle-sœur lui ont permis d’emmener l’enfant. La demanderesse était alors mariée, mais aucun enfant n’était né de l’union.

 

[3]               La demanderesse et son mari ont élevé et considéré leur nièce comme si elle était leur propre enfant.

 

[4]               En 2001, le frère et la belle-sœur de la demanderesse ont déposé une demande de résidence permanente au Canada. L’enfant Husaina était incluse dans cette demande.

 

[5]               Le 6 février 2002, le frère et la belle-sœur de la demanderesse ont déposé un affidavit déclarant que la demanderesse était la gardienne de l’enfant Husaina.

 

[6]               Le 6 mai 2005, le statut de résident permanent du Canada fut accordé au frère de la demanderesse ainsi qu’à sa femme et à tous leurs enfants. Ils ont immigré au Canada peu de temps après et ont laissé leur fille Husaina sous la garde de la demanderesse.

 

[7]               En juillet 2008, le mari de la demanderesse est décédé. Celle-ci comptait sur les parents de Husaina pour lui apporter un soutien financier, car elle était accablée de dettes à la suite du décès de son mari.

 

[8]               Le 1er septembre 2009, le frère et la belle-sœur de la demanderesse ont fait une demande de parrainage concernant la demanderesse. Le 20 avril 2009, le Dr V. Raut, un psychiatre, a écrit une lettre, déclarant qu’il serait dans l’intérêt supérieur d’Husaina qu’elle immigre au Canada en compagnie de la demanderesse.

 

[9]               Les documents que la demanderesse a présentés en appui à sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) incluaient des observations concernant l’intérêt supérieur de l’enfant Husaina.

 

[10]           L’agente a rejeté la demande de la demanderesse pour les raisons consignées dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI). Elle a conclu que les parents de l’enfant devaient subir les [traduction] « conséquences inévitables » de leur décision de [traduction] « donner » leur enfant à la demanderesse et qu’il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant de la laisser sous la garde de la demanderesse en Inde. L’agente a refusé d’exercer en faveur de la demanderesse le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 25(1) de la Loi .

 

Analyse et décision

[11]           À la lumière des décisions de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, la décision de l’agente est sujette à un contrôle selon l’une des deux normes suivantes : la raisonnabilité ou la décision correcte. La présente décision en litige concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire au regard des objectifs de la Loi.

 

[12]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a également fait remarquer que là où la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle qui devrait être appliquée dans un cas particulier, cette norme peut être appliquée. Je me réfère ici au paragraphe 57.

 

[13]           Dans Paz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 412, la Cour a conclu que la norme de contrôle applicable aux demandes CH était la décision raisonnable. Cette norme sera appliquée dans la présente affaire.

 

[14]           L’agente a saisi l’information suivante dans les notes du STIDI :

LES PARRAINS NE SONT PAS FORCÉS DE RETIRER HUSAINA DE L’INDE OU DE LA GARDE DE LA DEMANDERESSE; SI LES PARRAINS DÉCIDENT DE SUIVRE CETTE LIGNE DE CONDUITE, ILS EN VIENNENT DONC AU RÉSULTAT INÉVITABLE DE LEUR DÉCISION D’AVOIR PLACÉ HUSAINA SOUS LA GARDE DE LA DEMANDERESSE ALORS QUE L’ENFANT N’ÉTAIT QU’UN BÉBÉ. ILS ONT CHOISI DE DONNER HUSAINA À SA TANTE EN TANT QU’ENFANT DE FAIT, MAIS ILS DÉSIRENT MAINTENANT REVENIR SUR CETTE DÉCISION. POUR CE, ILS SE TOURNENT VERS NOUS AFIN D’ÉVITER LES CONSÉQUENCES INÉVITABLES DE LEUR DÉCISION. IL N’Y A AUCUNE CONTRAINTE OU OBLIGATION DE RETIRER L’ENFANT HUSAINA DE LA GARDE DE LA DEMANDERESSE. SI LES CHOSES RESTENT CE QU’ELLES SONT ACTUELLEMENT, IL N’Y A PAS DE CAUSE CONCERNANT UNE DEMANDE CH. SI LES PARRAINS DÉCIDENT DE REPRENDRE LA GARDE D’HUSAINA, LA RESPONSABILITÉ DES EFFETS PRODUITS SUR HUSAINA ET SUR LA DEMANDERESSE LEUR REVIENT DONC.

 

IL SERAIT DANS L’INTÉRÊT SUPÉRIEUR DE L’ENFANT, HUSAINA, DE RESTER DANS SON ENVIRONNEMENT FAMILIAL, AVEC LA MÈRE D’ACCUEIL QU’ELLE A TOUJOURS CONNUE ET CONSIDÉRÉE COMME ÉTANT SA MÈRE DEPUIS L’ENFANCE. RIEN NE PROUVE QU’IL SERAIT DANS SON INTÉRÊT DE LA RETIRER DE SON ENVIRONNEMENT FAMILIAL, DE L’ÉCOLE OÙ ELLE A ÉTUDIÉ, DE LA MAISON QU’ELLE A CONNUE ET DE LA PLACER DANS UNE DYNAMIQUE FAMILIALE COMPLÈTEMENT DIFFÉRENTE, EN TANT QU’UNE ENFANT PARMI TROIS AUTRES PLUTÔT QU’EN TANT QU’ENFANT UNIQUE, EN TANT QU’UNE DE TROIS TRIPLÉES PLUTÔT QUE SEULE, DANS UNE NOUVELLE ÉCOLE, DANS UN ENVIRONNEMENT QUI LUI EST ÉTRANGER ET AVEC DES PARENTS QU’ELLE SAVAIT ÊTRE SES PARENTS BIOLOGIQUES, MAIS QUI N’ÉTAIT PAS SES PARENTS DE FAIT, CHANGEANT AINSI LE STATUT DE LA DEMANDERESSE EN TANT QUE SA TANTE PLUTÔT QUE SA MÈRE, DANS UNE FAMILLE PLUS GRANDE ET RECOMPOSÉE.

 

[15]           Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la décision de l’agente est sujette à un contrôle effectué selon la norme de raisonnabilité. Cette norme s’applique autant pour le processus de prise de décision que pour le résultat. La raisonnabilité du résultat sera évaluée selon les buts et objectifs de la Loi en général et du paragraphe 25(1) en particulier.

 

[16]           Les buts de la Loi sont exposés dans l’article 3.

 

[17]           Le paragraphe 3(1) expose les objectifs de la Loi en ce qui concerne l’immigration. L’alinéa 3(1)d) prévoit ce qui suit en ce qui concerne le regroupement familial :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

d) de veiller à la réunification des familles au Canada;

 

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

(d) to see that families are reunited in Canada;

 

 

[18]           Le paragraphe 12(1) de la Loi prévoit que les immigrants peuvent se voir accorder le droit d’entrer au Canada, sur le fondement de leurs relations familiales, et prévoit ce qui suit :

 

Regroupement familial

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

 

Family reunification

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

 

[19]           Le paragraphe 117(1) du Règlement définit les membres inclus dans la catégorie du regroupement familial. La demanderesse n’est pas un membre de la catégorie du regroupement familial définie dans l’article 117(1) du Règlement. Cet obstacle peut être supprimé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) s’il exerce favorablement le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 25(1) de la Loi lui confère. 

 

[20]           Le pouvoir discrétionnaire exercé par le ministre en vertu du paragraphe 25(1) afin de surmonter une inobservation des exigences légales et réglementaires du régime légal actuel de l’immigration, ne se limite pas à l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, prévoit ce qui suit :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

Every enactment is deemed remedial, and shall be given such fair, large and liberal construction and interpretation as best ensures the attainment of its objects.

 

 

[21]           Selon l’analyse que j’ai effectuée, l’un des objectifs de la Loi est le regroupement familial. 

 

[22]           La décision de l’agente, de même que ses motifs, témoigne d’une indifférence à l’égard des objectifs de la Loi, y compris le regroupement familial au Canada. L’agente a adopté une attitude d’étroitesse d’esprit à l’égard de la demande de la demanderesse. En adoptant cette attitude, l’agente n’a pas examiné la possibilité d’une réunification au Canada des parents de Husaina, de l’enfant et de la demanderesse.

 

[23]           L’agente a, de manière déraisonnable, qualifié le geste des parents de « don » de leur fille à la demanderesse. La demanderesse est la gardienne de l’enfant, et non la « propriétaire ». Il est évident que les parents d’Husaina n’avaient aucune intention de rompre leur lien avec elle et de décliner leurs responsabilités envers elle, puisque Husaina était incluse dans la famille dans la demande de résidence permanente au Canada.

 

[24]           Pour ces motifs, je suis convaincue que la décision ne satisfait pas à la norme de contrôle applicable. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de l’agente sera annulée et l’affaire sera renvoyée pour réexamen à un autre agent. Il n’y a aucune question proposée pour certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR statue comme suit : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agente est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen à un autre agent. Il n’y a aucune question proposée pour certification.

 

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4898-10

 

INTITULÉ :                                       ZULQUANAIN HUSAIN c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 avril 2011          

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kanaka Sabapathy

 

POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Immigration & Refugee Legal Services

Calgary (Alb.)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alb.)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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