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Date : 20110420

Dossier : IMM‑4712‑10

Référence : 2011 CF 474

TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

GODDY HODANU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) relativement à une décision en date du 25 août 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté la demande d’asile du demandeur. Les questions déterminantes dans cette affaire étaient celles de l’identité du demandeur et de sa crédibilité comme témoin.

 

Les faits

[2]               Le demandeur a expliqué qu’en janvier 1992, alors qu’il était étudiant à l’Université de Yaoundé, dans la partie francophone du Cameroun, il s’est joint au Front social démocrate (le Front), une organisation dont l’objectif était de sensibiliser l’opinion au problème de la marginalisation des Camerounais anglophones. Il est demeuré actif au sein de cette organisation jusqu’en 1995. Un mois après avoir adhéré au Front, il est devenu membre du Conseil national du Sud Cameroun (le SCNC) dont il est demeuré membre jusqu’à son départ du Cameroun en septembre 2008. Le demandeur est devenu un pasteur luthérien à Kumba en 1999.

 

[3]               Il a été arrêté à trois reprises au Cameroun pour ses activités politiques, soit le 26 mai 1993, le 22 juin 2003 et le 10 février 2005. Chacune de ces arrestations faisait suite à sa participation à des rassemblements politiques. Le 10 mai 2008, le demandeur a invité un avocat constitutionaliste à prendre la parole devant l’assemblée des fidèles au sujet des modifications récentes apportées à la Constitution par le président du Cameroun en vue de devenir « président à vie ». Après cet exposé, les forces de sécurité se sont présentées chez lui et l’ont arrêté.

 

[4]               Deux semaines après avoir recouvert sa liberté, le demandeur a appris par des amis qu’un mandat avait été lancé contre lui. Il s’est alors caché jusqu’au moment où il a pu se procurer les titres de voyage nécessaires pour se rendre au Canada.

 

[5]               Le demandeur est arrivé au Canada le 13 septembre 2008 et il a présenté une demande d’asile le 15 septembre 2008.

 

La décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire

 

            Identité

 

[6]               La Commission a accepté le fait que le demandeur avait vécu au Cameroun; elle a toutefois conclu qu’il n’avait pas établi son identité personnelle ou son identité à titre de citoyen de ce pays. Le demandeur avait produit deux pièces d’identité à la Commission : un certificat de naissance et un permis de conduire. 

 

[7]               La Commission a constaté que le permis de conduire visait un véhicule de grande taille. Pourtant, le demandeur avait déclaré n’avoir jamais été qualifié pour conduire autre chose qu’un véhicule d’au plus neuf passagers. Étant donné que, selon la preuve documentaire, il y avait beaucoup de faux permis de conduire en circulation au Cameroun, la Commission a accordé peu d’importance au permis de conduire.

 

[8]               La seconde pièce d’identité était un certificat de naissance délivré en 1990. La Commission s’est dite troublée par le fait que ce document ne correspondait à aucune inscription existante dans un registre et ce, même si le demandeur insistait sur le fait qu’il était titulaire d’un certificat de naissance avant 1990. La Commission a par conséquent accordé peu d’importance à ce document.

 

[9]               La Commission a également mis en doute l’affirmation du demandeur suivant laquelle il avait été pasteur d’une église située à Kumba de 1999 à 2008. Le demandeur n’avait en effet produit aucune lettre de la congrégation attestant son emploi. La Commission en a conclu que cette omission minait les dires du demandeur au sujet de son identité.

 

Crédibilité

[10]           Selon l’article 106 de la LIPR, la Commission doit procéder à une évaluation de la crédibilité du demandeur lorsque celui‑ci ne lui a pas soumis des papiers d’identité acceptables. En l’espèce, la Commission a évalué négativement la crédibilité du demandeur en tant que témoin.

 

[11]           Cette évaluation était fondée sur les documents fournis par le demandeur, sur son témoignage, les contradictions relevées au sujet du détail de ses arrestations et sur son défaut de fournir des preuves au sujet de son travail comme pasteur au Cameroun.

 

[12]           Plus précisément, pour démontrer son engagement politique, le demandeur a produit une lettre attestant son appui au SCNC. La Commission a également exprimé des doutes au sujet de l’authenticité de cette lettre. La devise de l’organisme ne figurait qu’à moitié dans l’en‑tête. Selon la lettre, le demandeur était membre du SCNC depuis 1992, alors que la preuve documentaire, tant le World Book Index que la Réponse à la demande d’information (la RDI), indiquaient que cet organisme avait été fondé en 1995. Par conséquent, la Commission n’a accordé aucune importance à cette lettre.

 

[13]           Le demandeur a également produit sa carte de membre du SCNC. La Commission a fait observer que la carte de membre « ne ressemble pas à un document qui a passé 18 ans dans un climat africain humide », ajoutant qu’il n’y avait aucun timbre à l’encre sur la photographie. De plus, l’année de délivrance figurant sur la carte était 1992, là encore avant la mise sur pied du SCNC lui‑même. De plus, selon la preuve documentaire, il y avait de fausses cartes de membre du SCNC en circulation. En conséquence, la Commission n’a accordé aucune valeur à la carte.

 

[14]           La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’avait jamais été membre du SCNC et qu’il avait prétendu en être membre pour renforcer sa demande d’asile.

 

[15]           La Commission s’est également dite préoccupée par les contradictions relevées entre le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur et une lettre d’appui dans laquelle un avocat camerounais affirmait que la dernière arrestation du demandeur remontait au milieu de mai 2008, alors que le demandeur affirmait qu’elle avait eu lieu en juillet 2008. La Commission a déclaré que le demandeur n’avait expliqué cette contradiction que lorsqu’il avait été confronté à ce sujet et elle a estimé que l’explication qu’il avait donnée n’était pas raisonnable.

 

[16]           Après avoir examiné l’ensemble du témoignage du demandeur, la Commission a conclu qu’il n’était pas un témoin crédible ou digne de foi. De plus, comme il n’était pas un témoin crédible, aucune preuve ne démontrait l’existence d’un risque personnel. La Commission ne disposait donc d’aucun éléments de preuve crédible lui permettant de conclure que le demandeur risquait sérieusement d’être persécuté pour un motif prévu dans la Convention et, par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la LIPR.

 

Analyse

[17]           Selon l’article 106 de la LIPR, il incombe au demandeur de présenter des documents acceptables pour établir son identité. S’il n’est pas en mesure de le faire, la Commission doit prendre en compte le fait que le demandeur ne peut raisonnablement justifier l’absence de tels documents et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer (Qiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 259, par. 6, Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 877, par. 14). Si l’identité du demandeur n’a pas été établie, il n’est pas nécessaire d’analyser plus à fond la preuve et la demande (Qiu, par. 14, Zheng, par. 15).

 

[18]           Le demandeur a soumis son permis de conduire et son certificat de naissance comme éléments de preuve d’identité. La Commission a accordé peu de valeur à ces documents en raison des contradictions relevées entre ces documents et le témoignage du demandeur, et des préoccupations de la Commission quant à la facilité avec laquelle on peut se procurer de faux papiers d’identité au Cameroun.   

 

[19]           Lorsque la Commission a des doutes au sujet de l’authenticité d’un document d’identité, il est essentiel qu’elle tienne compte de l’ensemble de la preuve du demandeur, y compris des explications que ce dernier peut lui fournir (Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1292, par. 7). Cette obligation s’explique, comme le juge Von Finckelstein l’a fait observer dans le jugement Cheema c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224, par le fait que la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de faux.

 

[20]           La Commission aurait donc tort d’accorder peu de poids à des pièces d’identité pour la seule raison qu’il existe des éléments de preuve plus généraux qui démontrent qu’il arrive fréquemment que ces documents soient des faux. La Commission doit pouvoir s’appuyer sur d’autres motifs pour justifier ses conclusions et c’est effectivement ce qu’elle a fait en l’espèce : il existait apparemment des incohérences dans les papiers d’identité fournis, et le témoignage du demandeur comportait des contradictions en ce qui concernait les explications offertes pour répondre à ces contradictions.

 

[21]           Lorsqu’elle tire des conclusions au sujet de l’identité du demandeur, la Commission doit tenir compte de l’ensemble de la preuve dont elle dispose (Zheng, par. 15, Jiang, par. 2). Dans l’affaire qui lui était soumise, la Commission a, de façon raisonnable, jugé inacceptables les explications fournies par le demandeur au sujet de son permis de conduire et des raisons pour lesquelles ce permis de conduire lui permettait de conduire un véhicule de grande taille de plus de neuf passagers alors qu’il affirmait qu’il ne pouvait conduire qu’un petit véhicule. La Commission s’est fondée sur ce fait, combiné aux éléments de preuve de la RDI, suivant lesquels il y a beaucoup de faux permis de conduire en circulation au Cameroun, pour tirer sa conclusion au sujet de l’identité du demandeur, ce qui rendait cette conclusion raisonnable.

 

[22]           L’article 106 de la LIPR exige que la crédibilité du demandeur soit appréciée en tenant compte de son omission de produire des papiers d’identité acceptables. Pour apprécier la crédibilité du demandeur, la Commission a analysé les éléments de preuve se rapportant à son engagement au sein du SCNC, notamment sa carte de membre, la lettre de la section locale du SCNC et son arrestation de 2008.

 

[23]           La Commission a tiré des conclusions au sujet de la crédibilité relativement à chacune de ces questions. La Commission a conclu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve crédibles pour appuyer les affirmations du demandeur quant à son engagement au sein du SCNC ou quant à la persécution dont il affirmait avoir été victime en raison de son engagement politique et, de façon plus générale, de ses convictions politiques. Se fondant sur ces conclusions relatives à la crédibilité, la Commission a conclu qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention.

 

[24]           La Commission a fondé sa conclusion négative au sujet de la crédibilité en ce qui concerne la lettre du SCNC et la carte de membre sur les doutes que soulevaient à première vue ces documents, comme le fait que la devise de l’organisme ne figurait qu’à moitié sur son papier à en‑tête et qu’il n’y avait aucun timbre à l’encre sur la photographie, ce qui portait à conclure que les documents étaient des faux.

 

[25]           De plus, le demandeur s’était contredit au sujet de la date et du mois où il avait été arrêté en 2008. C’était l’événement qui avait tout déclenché et la différence de deux mois entre la date d’arrestation mentionnée dans son récit et celle indiquée dans son témoignage, combinée aux éléments de preuve problématiques relatives à son appartenance au SCNC, constituaient les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée pour tirer sa conclusion au sujet de la crédibilité.

 

[26]           Le demandeur invoque la trilogie Djama c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1992] A.C.F. no 531 (CAF), Xu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1992] A.C.F. no 810, et Salamat c. Canada (Commission d’appel de l’immigration) [1989] A.C.F. no 213, pour affirmer que la Commission doit tenir compte de tous les aspects de la demande, même si certains de ces aspects ne sont pas crédibles, et qu’elle doit arriver à une conclusion qui n’est pas incompatible avec la prépondérance des éléments de preuve pertinents.

 

[27]           La Commission n’a rien fait de tout cela. Elle a plutôt examiné les éléments de preuve soumis par le demandeur, y compris son témoignage, les documents qu’il avait produits et son affidavit. La Commission a exposé les raisons précises pour lesquelles elle accordait peu de poids aux documents soumis. La Commission avait la possibilité de poser des questions au demandeur et d’observer ses réponses. La Commission avait de bonnes raisons de s’interroger sur la crédibilité du demandeur. Alors qu’il prétendait avoir été reçu bachelier ès arts et lettres d’une université et avoir étudié la littérature anglaise, il a cité Macbeth sans pouvoir relater un seul élément de l’histoire. Il a ensuite affirmé avoir étudié les Contes de Canterbury, mais a affirmé que l’auteur en était Shakespeare.

 

[28]           L’avocat du ministre a admis à juste titre que, dans le cas de bon nombre de ces conclusions, la Commission aurait pu arriver à une conclusion différente. Pour sa part, l’avocat du demandeur a indiqué avec précision comment la Commission aurait pu en toute logique tirer d’autres conclusions. Il n’appartient pas à notre Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle de la Commission; il s’agit plutôt de savoir si la décision entre dans le cadre du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission, ou pour reprendre la formule maintenant devenue classique, si elle appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve dont disposait la Commission. En l’espèce, bien que je sois d’accord avec l’avocat du demandeur pour dire que la Commission aurait pu arriver à des conclusions différentes, force est d’admettre que ce n’est pas là le critère applicable. La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si, prise globalement, la décision résiste à un examen approfondi. Pour les motifs qui ont été exposés, je réponds par l’affirmative à cette question.

 

[29]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[30]           Aucune question à certifiée n’a été proposée et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question à certifier n’a été proposée et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4712‑10

 

INTITULÉ :                                                   GODDY HODANU c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 20 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Solomon Orjiwuru

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bradley Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Solomon Orjiwuru

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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