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Date : 20061025

Dossier : IMM-6995-05

Référence :  2006 CF 1265

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2006

En présence de monsieur le juge Lemieux 

 

ENTRE :

JESUS MANUEL RINCON ARELLANO

CLAUDIA LORENA SANCHEZ RODRIGUEZ

JESUS DANIEL RINCON SANCHEZ

 

Partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section de la protection des réfugiés (le tribunal), le 27 octobre 2005, a refusé la demande d’asile de la famille Arellano, formée du père, Jesus Manuel, de la mère, Claudia Sanchez Rodriguez, et de leur enfant mineur, Jesus Daniel Sanchez, tous citoyens du Mexique. Cette décision se fonde sur l’unique motif qu’ils n’ont pas demandé la protection du Mexique avant de s’adresser à la communauté internationale, en l’occurrence, le Canada.

 

[2]   Pour trancher ce litige, la Cour doit se demander s’il était objectivement déraisonnable que les demandeurs n’aient pas sollicité du Mexique une protection qui aurait pu raisonnablement être accordée.

 

[3]  La crédibilité du récit du revendicateur principal, M. Arellano, n’est aucunement mise en doute par le tribunal.

 

Faits

[4]    M. Arellano travaillait à titre d’ingénieur mécanique pour une compagnie mexicaine.

 

[5]    Il a découvert le 1er juin 2005 des sacs de cocaïne dans des tubes qui, normalement, étaient vérifiés par son chef. À ce moment, son chef l’a accosté pour lui dire de ne rien dire à personne et qu’il lui expliquerait tout plus tard.

 

[6]     Il est malgré tout allé cette journée même, vers midi, au Ministère public de l’État de Colima le plus proche de l’entreprise, dénoncer son chef.

 

[7]    Une fois la dénonciation faite, il est rentré à la maison. Son épouse, enceinte, était très inquiète et lui dit que son chef avait appelé plusieurs fois durant la journée, qu’il devait communiquer avec lui toute de suite à son retour et ne devait commettre aucune stupidité.

 

[8]    Vers la fin de l’après midi le 1er juin, le demandeur a appelé son chef et lui a tout racontéraconté. Quand son chef a appris qu’il avait déposé une plainte, celui-ci lui a conseillé de partir du pays. Ce dernier, après avoir confessé qu’il travaillait pour un certain Vincente Carrillo, un grand narcotrafiquant, lui a dit : « ils vont te tuer ».

 

[9]    Après avoir raccroché le téléphone, M. Arellano a tout raconté à son épouse. Cette dernière est alors devenue très énervée et son état s’est aggravé.  Après consultation d’un médecin et accompagnée de son mari, elle passe la nuit du 1er juin à l’hôpital.

 

[10]    Au retour, ils constatent que leur maison a été vandalisée et les murs peints de menaces de mort contre lui pour avoir parlé.  Ils décident de fuir le Mexique.

 

[11]    Alors qu’ils se préparaient à quitter la maison pour obtenir leurs passeports et acheter des billets d’avion, des policiers sont arrivés : ils voulaient savoir ce qui s’était passé la nuit d’avant ayant reçu un appel du propriétaire de la maison les informant que des étrangers y étaient pénétrés.

 

[12]    Monsieur Arellano a mentionné aux policiers le nom de Vincente Carrillo. Un des policiers lui dit alors, très effrayé : « Vincente Carrillo, tu t’es mis dans un problème très grave, tu dois aller déclarer au bureau du PGR [Bureau du Procureur Général de la République] ».

 

[13]  Les policiers ont offert de l’accompagner au PGR mais il a refusé, car il n’avait confiance en personne, ne voulait pas laisser sa famille seule, avait déjà dénoncé son chef et pensait l’État incapable de protéger un délateur.

 

[14]    Monsieur Arellano a acheté des billets d’avion le même jour, c’est-à-dire le 2 juin 2005, mais malheureusement le départ le plus rapproché était le 19 juin 2005.  La famille a aussi obtenu ses passeports le 2 juin 2005.  Pendant les 17 jours d’attente, la famille est restée cachée.

 

La décision du tribunal

[15]    Le raisonnement du tribunal sur la protection de l’Etat au Mexique est le suivant :

 

il existe un principe de jurisprudence selon lequel un demandeur d’asile se doit d’avoir demandé l’aide de son pays avant de s’adresser à la protection internationale, en l’occurrence, le Canada.

 

Sauf en cas d’effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’un état est capable de protéger ses citoyens. Cette présomption ne peut être renversée qu’au moyen d’une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État d’assurer la protection.

 

La jurisprudence exige que plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le demandeur doit avoir cherché à épuiser tous les recours qui s’offrent à lui.

 

Le demandeur a clairement témoigné qu’il s’est contenté de porter plainte au Bureau de justice quand il a découvert la cocaïne mais après les coups de téléphone et le vandalisme à son domicile, il n’a pas voulu se rendre au Bureau du Procureur Général comme le suggérait la police :

 

« Ils se sont offerts pour nous amener, mais je n’ai pas accepté. À ce moment là, je n’avais pas confiance en personne et je ne pensais pas laisser ma famille seule. »

 

Il a expliqué qu’il n’a pas voulu le faire parce qu’il voulait protéger la vie de sa famille et la sienne. [je souligne]

 

[16]    Le tribunal rejette l’explication de M. Arellano en écrivant :

Le tribunal considère que cette explication n’est pas satisfaisante car il était plus dangereux pour le demandeur et sa famille de rester dans son pays sans protection que de suivre les policiers au bureau du Procureur Général; d’autant plus, qu’il dit s’être rendu sans aucun problème avec son épouse et son fils au bureau des passeports et ensuite à l’agence de voyage pour se préparer à quitter son pays. De plus, le demandeur ne s’est même pas informé du développement de sa première plainte au Bureau de Justice. [Je souligne]

 

 

[17]  Le tribunal ajoute :

Compte tenu de la preuve documentaire et de la jurisprudence, les explications fournies par le demandeur ne sont pas, à notre avis, suffisantes pour justifier son défaut d’effectuer une démarche d’aide et de protection auprès des autorités mexicaines du Bureau du Procureur général de la République (PGR), malgré que les policiers offraient leur aide. Ainsi le demandeur ne nous a pas démontré qu’il avait agi de manière raisonnable en refusant l’aide de la police pour se rendre au bureau du PGR. [Je souligne]

 

 

[18]    Le tribunal est d’avis que le Mexique, bien qu’ayant certains problèmes de corruption, ne peut être décrit comme un pays où il y a effondrement complet de l’appareil étatique. Selon le tribunal, « Il existe des endroits où l’on peut se plaindre ».

 

[19]    S’inspirant de l’arrêt Canada (M.E.I.) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), le tribunal poursuit son analyse :

… il nous semble raisonnable d’en venir à la conclusion que, lorsqu’un État comme le Mexique a le contrôle de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens victimes de menaces, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes ou les gens menacés d’actes criminels ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

 

Il incombait au demandeur de renverser la présomption que les autorités mexicaines étaient en mesure de le protéger. Même si la situation n’est pas parfaite au Mexique, le présent tribunal ne peut pas conclure pour autant qu’il existe une preuve claire et convaincante que l’État mexicain ne tenterait pas d’assurer la protection du demandeur s’il devait retourner dans son pays et surtout, dans son cas, le demandeur n’a non seulement pas épuisé tous les recours à sa disposition pour obtenir aide et protection mais il n’a fait aucune demande en ce sens.[Je souligne]

 

 

Analyse

(a)  Le texte legislatif

[20]     L’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (« LIPR ») vise la

qualité de réfugié au sens de la Convention, alors que l’article 97 énumère les conditions qu’une personne doit satisfaire pour avoir la qualité de personne à protéger. Je reproduis ces deux dispositions :

PARTIE 2

PROTECTION DES RÉFUGIÉS

SECTION 1

NOTIONS D’ASILE, DE RÉFUGIÉ ET DE PERSONNE À PROTÉGER

Définition de « réfugié »

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.  [Je souligne]

PART 2

REFUGEE PROTECTION

DIVISION 1

REFUGEE PROTECTION, CONVENTION REFUGEES AND PERSONS IN NEED OF PROTECTION

Convention refugee

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

(b)  La norme de contrôle

[21]     Je souscris à l’analyse qu’a faite ma collègue la juge Tremblay-Lamer dans l’arrêt Chaves c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 193, quant à la norme de contrôle applicable aux questions touchant la protection de l’État. Selon ma collègue, l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits constitue une question mixte de droit et de fait; et la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. D’autre part, si la question prédominante devant la Cour est de savoir si le tribunal a bien interprété la loi et a bien cerné la jurisprudence, le bien fondé de cette question doit être examiné en fonction de la norme de la décision correcte (voir Chaves, précité aux paragraphes 9, 10 et 11; Avila c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 359, au paragraphe 23, et John Joseph Goodman c. Ministre de la citoyenneté et de l’immigration, IMM-1977-98, 29 février 2000).

[22]     Le juge Iacobucci explique la norme de la décision raisonnable simpliciter

dans l’arrêt Barreau du Nouveau Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 dans les termes suivants :

[46]  Le niveau de déférence requis dans le contrôle judiciaire d'une mesure administrative selon la norme de la décision raisonnable fait appel à l'autodiscipline. Une cour sera souvent obligée d'accepter qu'une décision est raisonnable même s'il est peu probable qu'elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal (voir Southam, précité, par. 78-80)…

 

 

[48]  Lorsque l'analyse pragmatique et fonctionnelle mène à la conclusion que la norme appropriée est la décision raisonnable simpliciter, la cour ne doit pas intervenir à moins que la partie qui demande le contrôle ait démontré que la décision est déraisonnable (voir Southam, précité, par. 61). Dans Southam, par. 56, la Cour décrit de la manière suivante la norme de la décision raisonnable simpliciter :

Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de régister à un examen asses poussé.  En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion.  [Je souligne]

 

[49]  Cela indique que la norme de la décision raisonnable exige que la cour siégeant en contrôle judiciaire reste près des motifs donnés par le tribunal et "se demande" si l'un ou l'autre de ces motifs étaye convenablement la décision…

 

[54]  Comment la cour siégeant en contrôle judiciaire sait-elle si une décision est raisonnable alors qu'elle ne peut d'abord vérifier si elle est correcte? La réponse est que la cour doit examiner les motifs donnés par le tribunal.

 

[55]  La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour  de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79)… [Je souligne]

[56]  Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n'exige pas un résultat unique précis. De plus, la cour ne devrait pas s'arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n'affectent pas la décision dans son ensemble. [Je souligne]    

 

(c)  Les principes juridiques sur la question

[23]     La jurisprudence sur la notion de la protection de l’État dans le contexte d’une demande d’asile est nuancée; le cadre factuel revêt toujours une très grande importance.  Chaque cas est un cas d’espèce.

 

[24]     En l’espèce, les agents de l’État ne sont pas les agents persécuteurs. Il ne s’agit pas non plus du cas d’un individu qui a demandé la protection de l’État parce qu’il était persécuté et à qui cette protection a été refusée.

 

[25]     Dans le cas qui nous concerne, M. Arellano lui-même ne s’est pas adressé à l’État pour demander sa protection et il a même refusé celle qui lui a été offerte.

 

[26]     Le rôle de la protection de l’État en matière de demande d’asile a été analysé par le juge La Forest, au nom de la Cour Suprême du Canada, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

 

[27]     Le juge La Forest a reconnu que la notion d’une crainte bien fondée de persécution est intimement liée à la capacité de l’État d’assurer la protection. Il explique que la communauté internationale est destinée à servir de tribune de second ressort pour le persécuté, de substitut auquel celui-ci peut s’adresser à défaut d’obtenir une protection locale.  Je cite l’extrait suivant à la page 709:

 Il est utile d’examiner, au départ, la raison d’être du régime international de protection des réfugiés, car cela influe sur l’interprétation des divers termes à l’étude.  Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants.  Il ne devait s’appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement.  La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée.  C’est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [TRADUCTION] « protection auxiliaire ou supplétive » fournie uniquement en l’absence de protection nationale…

 

[28]     Il approuve la proposition que l’on retrouve au paragraphe 100 du Guide du Haut commissariat des Nations Unis pour les réfugiés (« GHCNUR ») dont le texte est le suivant:

Chaque fois qu’il est admis à bénéficier de la protection du pays dont il a nationalité, et qu’il n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale et n’est pas un réfugié.  [Je souligne]

 

 

[29]     À la page 723 du Recueil de la Cour Suprême, le juge La Forest pose la question à savoir si le demandeur doit d’abord solliciter la protection de l’État, lorsque sa revendication est fondée sur le volet « ne veut » dans le cas où l’État est incapable de le protéger et il rapporte avec une certaine approbation ces propos du professeur Hathaway :

qu’on ne saurait dire que l’État ne fournit pas de protection si le gouvernement n’a pas eu l’occasion de réparer une forme de préjudice dans les circonstances où la protection aurait pu raisonnablement être assurée […] toutefois il doit démontrer qu’il a demandé leur protection une fois convaincu, comme c’est le cas en l’espèce, que les autorités officielles – lorsqu’elles étaient accessibles – n’avaient rien à voir – de façon directe ou indirecte, officielle ou non officielle – dans la persécution dont il faisait l’objet.  [Je souligne]

 

[30]     Le juge La Forest les nuance toutefois de la façon suivante :

Ce n'est pas vrai dans tous les cas.  La plupart des États seraient prêts à tenter d'assurer la protection, alors qu'une évaluation objective a établi qu'ils ne peuvent pas le faire efficacement.  En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale.  [Je souligne]

 

 

 

[31]     Il écrit :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit:  l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] «aurait pu raisonnablement être assurée».  En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention», s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.   

 

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection.  D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward.  Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection.  Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée.  En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.  La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.  En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.  [Je souligne]

 

 

[32]    Il entérine l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration) c. Satiacum (1999), 99 N.R. 171.Dans Satiacum, précité, la Cour d’appel fédérale a statué :

En l'absence d'une preuve de circonstances exceptionnelles faite par le revendicateur, il me semble que lors de l'audition d'une revendication du statut de réfugié, comme dans une requête en extradition, les tribunaux canadiens doivent tenir pour acquis qu'il existe un processus judiciaire équitable et impartial dans le pays étranger. Dans le cas d'un État non démocratique, il peut être facile de faire la preuve contraire, mais en ce qui a trait à un État démocratique comme les États-Unis, il se peut qu'il faille aller jusqu'à démontrer, par exemple, que le processus de sélection du jury est gravement atteint dans la région en question ou que l'indépendance ou le sens de l'équité des juges est en cause. [Je souligne]

 

(d) Conclusions

 

[33]     Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que cette demande de contrôle judicaire doit être rejetée. 

 

[34]     Le procureur des demandeurs à raison de dire que le tribunal a mal interprété la jurisprudence en statuant qu’elle exige qu’un demandeur « doit avoir cherché a épuiser tous les recours qui s’offre a lui »,  et que pour reverser la présomption qu’un État a la capacité de protéger, la preuve doit être claire et convaincante à l’effet que l’État Mexicain « ne tenterait » pas d’assurer la protection des demandeurs s’ils devaient retourner au Mexique. 

 

[35]     En effet, la jurisprudence n’exige pas qu’un demandeur épuise dans tous les cas tous les recours et ne prévoit pas qu’une tentative d’assurer la protection suffisse.  L’arrêt Ward, précité,  dit le contraire (voir les paragraphes 30 et 31 des présents motifs).

 

[36]     Cependant, ces erreurs ne sont pas déterminantes et ne justifient pas que la décision du tribunal soit renversée (vois Ryan, précité, au paragraphe 56).  Le cœur de la décision du tribunal est son constat que les demandeurs ont été objectivement déraisonnables en refusant d’accompagner les policiers au bureau du PGR. Ces motifs sur cette question se fondent sur le fait que le Mexique a le contrôle de son territoire et qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établie, laquelle fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens. Le tribunal ajoute également que le seul fait que l’État ne réussisse pas toujours à protéger ces personnes ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes ne peuvent se réclamer de sa protection. Cette conclusion n’est aucunement déraisonnable dans les circonstances, et ce nonobstant le fait que le persécuteur allégué et l’auteur des menaces de mort est un grand narcotrafiquant recherché sans succès par les autorités.  

 

[37]      En effet, la preuve apportée par les demandeurs n’établit pas que l’État du Mexique était incapable de protéger les délateurs. La Cour ne considère pas en l’espèce qu’une allégation vague et générale, faite par le demandeur lors de son témoignage, à l’effet que d’autres personnes ont dénoncé sans se voir accorder une protection efficace, constitue une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État. Voici les passages pertinents des transcriptions :

            - À la page 220 du dossier du tribunal :

Par le conseiller            (s’adressant au revendicateur)

 

Q.        Comment est-ce que vous savez qu’ils n’ont pas la… ils ne sont pas capables de vous protéger ?

 

R.         Dans mon pays, comme mon cas il y a des milliers.

 

Q.        Il y a ?

 

R.         Des milliers.

 

-           Des milliers, O.K.

 

R.         Comme mon cas. Alors, j’allais pas attendre à être un numéro de plus, un chiffre de plus et tous ceux qui ont eu le courage de dénoncer, ils ont été tués. J’ai le… j’ai l’obligation de prendre soin de ma famille et c’est le plus important que je possède.

 

            - À la page 222 du dossier du tribunal :

Par le revendicateur      (s’adressant au commissaire)

 

-           Monsieur, mais j’ai besoin, je veux comprendre, j’ai besoin que vous m’expliquiez la question.

 

R.         Vous dites, Monsieur, que dans votre pays, il y a des milliers de cas comme le vôtre.

 

-           Oui.

 

R.         O.K., puis que par…ce que je comprends bien, c’est qu’il y a des personnes qui ont connaissance de… de transactions de narcotrafiquants, puis qu’ils les ont dénoncés à la police ou au Ministère public et leur vie est devenue en danger.

 

-           Oui.

 

R.         Parce qu’ils ne peuvent pas obtenir la protection dans leur pays. C’est ça que je comprends.

 

-                     Oui, c’est…c’est comme ça.

 

La preuve au dossier semble plutôt à l’effet contraire en ce sens que les policiers ont fait preuve de diligence en répondant à l’appel du propriétaire de la résidence du revendicateur et en offrant d’escorter ce dernier au PGR; et que les autorités font des efforts en recherchant de Vincente Carrillo.

 

[38]      Le revendicateur principal soutient également devant cette Cour que la question de la protection de l’État doit recevoir un traitement différent sous l’article 97 de la Loi. Ainsi, il prétend que l’analyse doit se faire à un niveau plus personnel, c’est-à-dire que la Cour doit se demander si la personne est personnellement exposée par son renvoi à une menace et si, dans un cadre personnel, elle ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de cet État.

 

[39]      La notion de protection de l’État dans le cadre d’une demande de statut de personne à protéger a pour fondement législatif le sous-alinéa 97(1)b)i) de la Loi, précité. Cette disposition utilise essentiellement la même terminologie que l’alinéa 96(1)a) de la Loi. Ces dispositions précisent effectivement que le statut de personne à protéger ou de réfugié sera accordé si le revendicateur « ne peut » ou « ne veut » « se réclamer de la protection » des pays dont ils ont la nationalité.

 

[40]      Il existe un principe bien connu en interprétation des lois appelé le principe d’uniformité d’expression. Ce principe permet de présumer à la lecture d’une loi qu’un terme a la même signification à chaque fois qu’il est utilisé (Voir Paul-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Thémis, 1999, p. 419 et suivantes). Dans cette optique, le juge Cory de la Cour suprême du Canada a statué, dans la décision R. c. Thomson, [1992] 1 R.C.S. 385, 400, qu’ « à moins que le contexte ne s’y oppose clairement, un mot doit recevoir la même interprétation et le même sens tout au long d’un texte législatif. »

 

[41]      Les articles 96 et 97 sont deux dispositions qui se retrouvent dans une même section d’une même loi et qui utilisent la même terminologie. En outre, ni la jurisprudence ni la doctrine ne distinguent le test appliqué pour déterminer la capacité de l’État à protéger ses citoyens selon que la revendication du statut se fasse sous l’article 96 ou sous l’article 97. Par conséquent, cette Cour ne voit aucune raison qui justifierait de s’écarter du principe d’uniformité d’expression pour faire droit à l’argument du revendicateur.  J’ajoute que cet argument n’aurait aucun effet en l’espèce sur l’issue de ce jugement.

 

[42]      Pour terminer, j’aimerais dire quelques mots sur un autre argument soulevé par le revendicateur principal. Ce dernier prétend que le tribunal a erré en confondant les notions de menaces et de persécution avec la protection de l’État et, au soutien de cet argument, il cite le passage suivant de la décision :

En conséquence, le demandeur n’a pas fait la preuve d’une possibilité sérieuse de persécution en cas de retour dans son pays ou qu’il pourrait être personnellement exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

Même si la lecture de ce passage hors de son contexte semble indiquer que le tribunal s’est mépris, il ressort de la lecture du document en son entier que ce n’est pas le cas.  Dans la mesure où le revendicateur est capable de comprendre le raisonnement à la base de la décision et que ce dernier n’est pas erroné, il n’y a pas lieu d’intervenir. J’aimerais finalement rappeler un principe important en matière de révision judiciaire : les motifs d’un jugement ne doivent pas être scrutés à loupe (Boulis v. Canada (Minister of Manpower and Immigration, [1974] S.C.R. 875, 885).
JUGEMENT

1.  Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.  Si une ou l’autre des parties désire soumettre à la Cour une ou des questions à être certifiées la date limite pour le faire est le 31 octobre, 2006 et celle d’une opposition à celle-ci le 7 novembre, 2006.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6995-05

 

INTITULÉ :                                       JESUS MANUEL RINCON ARELLANO, CLAUDIA LORENA SANCHEZ RODRIGUEZ, JEUS DANIEL RINCON SANCHEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 mai 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Lebrun

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Martine Valois

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Michel Lebrun

Montréal, Québec

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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