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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110421

Dossier : IMM-4840-10

Référence : 2011 CF 487

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 21 avril 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

 

SUSAN PHILBEAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), relative à la décision d’une agente d’immigration désignée du haut-commissariat du Canada au Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord (le R.-U.), datée du 7 juin 2011, par laquelle l’agente avait rejeté une demande de résidence permanente à titre de travailleuse qualifiée déposée par la demanderesse. L’agente n’était pas convaincue que la demanderesse pouvait réussir son établissement économique au Canada, conformément au paragraphe 12(2) de la LIPR et à l’article 76 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-27 (le Règlement).

 

I. Le contexte

[2]               La demanderesse, qui est née le 24 mars 1947, est une citoyenne du R.-U. Elle y avait travaillé à titre d’infirmière autorisée, de 1969 jusqu’à mars 2001, avec une interruption entre 1976 et 1984 pour élever sa famille. En mars 2007, la demanderesse était déménagée au Canada avec son conjoint, Allen Stratton. M. Stratton s’était fait délivrer un permis de travail temporaire pour venir travailler au Canada comme conducteur de grand routier. La demanderesse s’était fait délivrer un permis de visiteuse temporaire, dont les modalités l’empêchaient d’occuper un emploi ou de s’inscrire à des études supérieures ou à des cours de formation pendant son séjour au Canada. Le couple était retourné au R.-U., à l’expiration de leurs permis respectifs, en mars 2009.

 

[3]               En avril 2009, la demanderesse avait présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), fondée sur ses qualifications et son expérience de travail en tant qu’infirmière autorisée. La demande avait été recommandée pour un traitement approfondi et, par conséquent, en juin 2009, une demande complète avait été déposée au haut‑commissariat du Canada au R.-U. Par lettre datée du 4 novembre 2009, l’agente d’immigration désignée, dont la décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire, avait écrit à la demanderesse pour lui faire part de ses doutes qu’elle joigne le marché du travail, si elle devait venir au Canada.

 

[4]               En réponse à cela, la demanderesse avait soumis, entre autres choses, un affidavit. Elle expliquait dans celui-ci que, bien qu’elle soit [traduction] « heureuse de faire une pause dans sa carrière », elle avait néanmoins [traduction] « plusieurs années de travail à temps plein devant [elle] ». Malgré le fait qu’elle ne pouvait travailler lors de son séjour antérieur au Canada, la demanderesse avait indiqué qu’elle avait visité, [traduction] « à plusieurs reprises », un centre local de soins palliatifs à Grimsby, en Ontario, afin de [traduction] « comprendre les exigences de l’emploi, les normes et les procédures liées au travail d’infirmière autorisée, d’infirmière auxiliaire autorisée et d’aide infirmière dans un centre de soins palliatifs ».

 

[5]               Par une lettre datée du 7 juin 2010, on a informé la demanderesse que sa demande de résidence permanente avait été rejetée. L’agente mentionnait que, bien que l’on eût évalué que la demanderesse avait obtenu plus de points que le nombre minimal requis, sa demande était tout de même rejetée au titre du paragraphe 76(3) du Règlement, car l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse pouvait réussir son établissement économique au Canada.

 

[6]               Une note consignée au STIDI le 7 juin 2010 révèle que, avant que la lettre soit envoyée à la demanderesse, un autre agent avait confirmé cette décision, conformément à ce qu’exige le Règlement.

 

III. Les questions en litige

[8]        La présente demande soulève les questions suivantes :

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

b)      L’agente a-t-elle commis une erreur en substituant, en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement, une appréciation défavorable aux critères prévus?

 

IV. Analyse

 

A.     Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

[7]               Répondre à la question de savoir si un demandeur a démontré qu’il pouvait réussir son établissement économique, conformément aux exigences de la LIPR et du Règlement, est un exercice essentiellement factuel. Il s’agit d’un domaine dans lequel les agents d’immigration ont une grande expérience, voire une expertise. Par conséquent, la norme de contrôle appropriée est la raisonnabilité (Debnath c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 904, au paragraphe 8; Roohi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1408, au paragraphe 26 (Roohi). La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, affirmait, au sujet de la norme de la raisonnabilité, qu’elle « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

B.     L’agente a-t-elle commis une erreur en substituant, en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement, une décision défavorable aux critères prévus?

 

[8]               Le paragraphe 12(2) de la LIPR mentionne que, aux fins de la résidence permanente, la sélection d’une personne de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de sa capacité à réussir son établissement économique au Canada. Le paragraphe 76(1) du Règlement prévoit que, pour répondre à la question de savoir si un travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada, celui-ci doit satisfaire à deux critères : a) le demandeur doit accumuler le nombre minimum de points au titre des études, de la langue, de l’expérience, de l’âge, de l’exercice d’un emploi réservé et de la capacité d’adaptation; b) le demandeur doit soit (i) avoir un certain montant d’argent disponible pour s’établir au Canada, soit (ii) s’être vu attribuer un certain nombre de points pour déjà avoir un emploi réservé au Canada. Le paragraphe 76(1) se lit ainsi :

Critères de sélection

 

76. (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

 

 

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

(i) les études, aux termes de l’article 78,

(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,

(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,

(iv) l’âge, aux termes de l’article 81,

(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;

 

 

b) le travailleur qualifié :

(i) soit dispose de fonds transférables — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille,

(ii) soit s’est vu attribuer le nombre de points prévu au paragraphe 82(2) pour un emploi réservé au Canada au sens du paragraphe 82(1).

Selection criteria

 

76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,

(i) education, in accordance with section 78,

(ii) proficiency in the official languages of Canada, in accordance with section 79,

(iii) experience, in accordance with section 80,

(iv) age, in accordance with section 81,

(v) arranged employment, in accordance with section 82, and

(vi) adaptability, in accordance with section 83; and

 

 

(b) the skilled worker must

(i) have in the form of transferable and available funds, unencumbered by debts or other obligations, an amount equal to half the minimum necessary income applicable in respect of the group of persons consisting of the skilled worker and their family members, or

(ii) be awarded the number of points referred to in subsection 82(2) for arranged employment in Canada within the meaning of subsection 82(1).

 

[9]               La demanderesse satisfaisait aux deux exigences prévues au paragraphe 76(1) : a) elle avait accumulé 69 points, deux de plus que le minimum requis de 67 points; b) les fonds dont elle disposait pour s’établir étaient suffisants pour répondre aux exigences minimales prévues au sous‑alinéa 76(1)b)(i).

 

[10]           Le paragraphe 76(3) du Règlement avait cependant été appliqué en l’espèce. Cette disposition permet à un agent d’immigration de substituer sa propre appréciation à l’évaluation chiffrée prévue au paragraphe 76(1)a) quant à la question de savoir si un demandeur pourrait réussir son établissement économique, dans les circonstances où l’agent conclut que le nombre de points obtenu n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude réelle du demandeur à réussir son établissement économique. Le juge Leonard Mandamin, dans Roohi, précitée, expliquait que le paragraphe 76(3) permettait, entre autres, « le rejet de demandeurs qui ont passé l’appréciation initiale, mais qui ne devraient pas être acceptés pour des motifs valables ». La disposition se lit ainsi :

 

Substitution de l’appréciation de l’agent à la grille

 

76. (3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

 

Circumstances for officer's substituted evaluation

 

76. (3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

[11]           La demanderesse conteste la décision de l’agente pour un bon nombre de raisons.

 

[12]           Premièrement, elle prétend qu’il était déraisonnable pour l’agente de conclure que la demanderesse, dont la carrière s’est étendue sur une période de trente-quatre ans, a perdu ses aptitudes après un congé sabbatique de moins de trois ans. Cet argument de la demanderesse est sans fondement. L’agente n’a mentionné nulle part qu’elle croyait que la demanderesse avait perdu de quelque aptitude que ce soit. L’agente était préoccupée du fait que les chances de la demanderesse de se trouver un emploi seraient limitées, puisqu’elle n’avait pas travaillé pendant trois ans et qu’elle était âgée de 63 ans.

 

[13]           Deuxièmement, la demanderesse soutient que l’agente n’a pas suffisamment tenu compte de la preuve par affidavit, qui démontrait que la demanderesse s’était informée de la réglementation professionnelle ontarienne concernant les infirmières et qu’elle était prête à [traduction] « se soumettre » à ce processus. Je conviens avec le défendeur que cet argument concerne essentiellement l’appréciation de la preuve. La preuve de la demanderesse à cet égard n’était pas suffisante pour répondre aux préoccupations de l’agente. Bien que la demanderesse ait souhaité que l’agente accorde davantage de poids à cet élément de preuve, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dans un contrôle judiciaire.

 

[14]           Troisièmement, à l’égard de la préoccupation de l’agente concernant le fait que la demanderesse n’avait pas entrepris de démarches visant à obtenir l’attestation professionnelle au Canada, la demanderesse soutient que toute mise à jour de ses compétences ou toute évaluation aurait probablement lieu au moment de sa qualification pour son permis de pratique de la profession d’infirmière en Ontario, et non avant. Ce n’est pas nécessairement le cas. Bien qu’aux termes de son permis de visiteuse au Canada, la demanderesse ne pouvait suivre des cours de formation professionnelle, rien ne donne à penser qu’elle ne pouvait prendre des mesures pour faire en sorte que ses titres britanniques soient reconnus. Après son retour au R.-U. en mars 2009, la demanderesse aurait pu aussi entreprendre des démarches afin de mettre à jour ses compétences pour se préparer à entrer sur le marché du travail au Canada. L’agente a conclu qu’en n’effectuant pas ces démarches, la demanderesse n’avait pas fait preuve d’initiative. On ne peut affirmer que cette conclusion était déraisonnable.

 

[15]           Quatrièmement, la demanderesse prétend que les préoccupations de l’agente concernant le fait qu’elle n’a pas posé sa candidature pour un emploi alors qu’elle vivait au Canada étaient injustifiées, car la LIPR ne contient aucune exigence en ce sens. Toutefois, l’agente a expressément reconnu que cela n’était pas une exigence de la LIPR. Elle a plutôt mentionné que, compte tenu des circonstances de la présente affaire, et particulièrement du fait que la demanderesse avait vécu au Canada pendant deux ans, elle était préoccupée par le fait que la demanderesse n’avait fait aucun effort pour trouver du travail. Je ne peux affirmer que cette conclusion était déraisonnable.

 

[16]           Cinquièmement, la demanderesse soutient que l’agente n’a pas suffisamment tenu compte du fait qu’elle était qualifiée pour occuper un poste au sein d’au moins trois professions décrites dans la Classification nationale des professions (CNP). Cet argument est, lui aussi, sans fondement. Comme il a déjà été mentionné, l’agente n’a, en aucun cas, remis en question les qualifications de la demanderesse.

 

[17]           Finalement, la demanderesse soutient que l’agente n’a pas suffisamment tenu compte du fait que son conjoint pouvait se faire engager dès son retour au Canada et qu’ils étaient un couple stable financièrement. Je conviens avec le défendeur que l’agente d’immigration n’avait pas l’obligation d’apprécier la situation et les capacités financières du conjoint de la demanderesse, mais devait plutôt examiner la situation personnelle de la demanderesse. Quoi qu’il en soit, les notes du STIDI nous apprennent que l’agente avait bel et bien tenu compte du fait que le conjoint de la demanderesse avait une offre d’emploi officieuse pour un poste de camionneur au Canada. Elle a conclu que cette offre, conjuguée au fait que l’avis sur le marché du travail concernant le domaine de travail non spécialisé du conjoint n’avait pas été délivré pour un deuxième séjour, soulevait des doutes quant à la question de savoir si la demanderesse avait réellement l’intention de chercher un emploi en tant que travailleuse qualifiée au Canada.

 

[18]           Quant à la question de savoir si l’agente devait tenir compte des fonds dont le couple disposait pour s’établir au titre de l’article 76(3), il convient de souligner que le juge Russel Zinn, dans la décision Xu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 418, 366 F.T.R. 230, au paragraphe 32, a mentionné que le paragraphe 76(3) ne requiert pas une telle prise en compte.

 

[19]           L’agente était non seulement préoccupée quant à la capacité de la demanderesse de trouver un emploi au Canda, mais aussi quant à sa volonté à cet égard. Ces préoccupations n’étaient pas juste fondées sur l’âge de la demanderesse. L’agente a plutôt tenu compte de l’âge de la demanderesse en combinaison avec d’autres circonstances, y compris : que la demanderesse avait effectivement déjà pris sa retraite au R.-U.; qu’elle n’avait pas entrepris de démarches concrètes visant à obtenir la certification ou trouver un futur emploi au pays, en dépit du fait qu’elle avait vécu au Canada pendant deux ans, et que l’époux de la demanderesse s’était fait offrir du travail au Canada, mais qu’un [traduction] « AMT pour son domaine de travail non spécialisé n’[avait] pas été délivré pour un deuxième séjour ».

 

[20]           Au bout du compte, le rôle de la Cour n’est pas de substituer son opinion à celle de l’agente d’immigration. Je ne peux conclure que la décision de l’agente d’immigration de substituer une appréciation négative, en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement, aux critères prévus manquait de justification, de transparence ou d’intelligibilité, ou qu’elle n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.  

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4840-10

 

INTITULÉ :                                       SUSAN PHILBEAN  c. 

                                                            MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 avril 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vonnie E. Rochester

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Evan Liosis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vonnie E. Rochester

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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