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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110503

Dossier : IMM-3355-10

Référence : 2011 CF 510

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

THOMAS TEKLE BERHANE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                   Introduction

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par Thomas Tekle Berhane (le demandeur) en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch.27 (la Loi), concernant une décision qu’a rendue la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu qu’elle ne pouvait pas établir l’identité du demandeur et que, de ce fait,  celui-ci n’avait ni la qualité d’un réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

II.                Les faits

 

[2]               Le demandeur est, semble-t-il, citoyen de l’Érythrée; il est originaire de la ville d’Asmara, né le 22 juillet 1977 et de confession pentecôtiste.

 

[3]               Le père du demandeur, qui travaillait autrefois comme enseignant, a censément été incarcéré de 1991 à 1995 pour avoir collaboré avec l’ancien gouvernement de l’Érythrée.

 

[4]               Le demandeur allègue qu’en 1995, quand on lui a demandé pour la première fois d’accomplir le service militaire obligatoire, sa mère a obtenu pour lui une dispense parce qu’il était enfant unique. Il a continué d’éviter le service militaire du fait de sa religion, et il soutient que son patron et sa famille l’ont aidé à se cacher.

 

[5]               En février 2005, il aurait été emmené au 6e Poste de police, à Asmara, et gardé en détention durant 65 jours pour s’être soustrait au service militaire obligatoire. Il dit avoir été relâché et avoir reçu l’ordre de se présenter au poste de police le mois suivant pour s'enrôler. C’est à ce moment qu’il se serait caché.

 

[6]               Le demandeur allègue que le 10 février 2007, pendant qu’il participait à une réunion de prière privée, la police a fait irruption et toutes les personnes présentes ont été emmenées au 5e Poste de police, à Asmara. Il aurait été gardé en détention durant un mois, période pendant laquelle il aurait été victime de sévices et battu. Lors de son transfèrement à une prison située à Sawa, il aurait réussi à prendre la fuite. Après avoir passé une nuit chez ses parents, il serait ensuite resté caché en Érythrée pendant deux mois et demi avant de quitter le pays.

 

[7]               Le demandeur est arrivé à Kessela (Soudan) le 21 avril 2007 et, de là, il est parti pour Nairobi (Kenya) le 1er mai 2007. Il est arrivé au Canada le 14 mai 2007 et a demandé l’asile le 18 mai suivant. Il dit ne pas avoir eu de nouvelles de ses parents depuis son arrivée au Canada.

 

[8]               Le demandeur est arrivé au Canada muni d’une traduction anglaise de son certificat de naissance. Il soutient avoir demandé à des Érythréens de Toronto, qui s’en retournaient dans leur pays d’origine, d’obtenir la copie tigréenne originale de son certificat de naissance par l’entremise de sa tante, qui vivait à Asmara, et qui a obtenu ce document au domicile de ses parents.

 

[9]               Le 2 septembre 2009, le demandeur a passé une entrevue selon le processus accéléré devant un agent de protection des réfugiés (APR), qui a décidé de lui faire subir une audition complète devant la Commission. L’audience a eu lieu le 21 avril 2010; la décision a été rendue le 21 mai 2010 et le demandeur l’a reçue le 28 mai suivant.

 

III.             La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[10]           Dans une longue décision, la Commission a conclu qu’il lui était impossible de conclure que le demandeur était un ressortissant de l’Érythrée et donc de savoir s’il avait la qualité d’un réfugié au sens de la Convention ou celle d’une personne à protéger.

 

[11]           La Commission a fait remarquer que le demandeur s’était censément servi d’un passeport non authentique, sous le nom d’Elias Solomon, pour voyager du Kenya jusqu’au Canada, mais qu’il avait remis les faux documents au passeur qui l’avait accompagné jusqu’à Toronto. Selon les notes prises au point d’entrée,  le demandeur avait en main, à son arrivée, une copie traduite en anglais de son certificat de naissance et, à l’audience, il a produit une copie du certificat de naissance original en tigréen. La Commission a fait état de la règle découlant de la décision Rasheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587, au paragraphe 19 (Rasheed), à savoir qu’il convient d’accepter comme preuve de leur contenu les documents étrangers apparemment délivrés par un fonctionnaire étranger compétent, à moins qu’il y ait une bonne raison de douter de leur authenticité. Pour évaluer l’authenticité des certificats de naissance, la Commission a été guidée par la décision Sertkaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 734 (Sertkaya), où il a été conclu qu’il est loisible à la Commission de prendre en considération l’authenticité des preuves documentaires ainsi que la capacité du demandeur d’obtenir et d’utiliser de faux documents.

 

[12]           Pour ce qui est de la crédibilité, la Commission a conclu que l’effet cumulatif du témoignage du demandeur laissait au tribunal une preuve qui n’était pas suffisamment crédible et digne de foi.

 

[13]           La Commission a mis en doute le certificat de naissance – la seule pièce d’identité – et a conclu que l’explication du demandeur quant à la production d’une traduction anglaise de ce document était déraisonnable. Elle a fait remarquer que, selon son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur avait séjourné en Érythrée deux mois et demi de plus après avoir passé la nuit chez ses parents, moment au cours duquel son père avait mis dans un sac ses effets et ses documents; la Commission a jugé peu vraisemblable que le demandeur n’ait jamais vérifié le contenu du sac et les documents. Elle a ajouté que le père du demandeur était un homme instruit et qu’il aurait probablement su quels documents seraient utiles. Le demandeur avait également prétendu qu’il avait l’habitude d’avoir sur lui son certificat de naissance tigréen comme pièce d’identité, à défaut d’une carte d’identité nationale, mais qu’il n’avait pas pu expliquer pourquoi il ne l’avait pas sur lui au moment de son départ.

 

[14]           La Commission a relevé plusieurs problèmes au sujet du témoignage du demandeur, relativement à sa détention, au temps durant lequel il avait vécu caché, à la copie d’un diplôme délivré à la fin d’un cours d’informatique et à la façon dont ce document avait été obtenu, de même qu’à la participation de sa tante en rapport avec l’obtention de son certificat de naissance original.

 

[15]           La Commission a trouvé une preuve objective qu’il peut être facile d’acheter à Khartoum de faux documents érythréens. Elle a cité la décision Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 451 (Uddin), à l’appui de la thèse selon laquelle le manque de crédibilité du demandeur, de pair avec la connaissance qu’a la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) du fait qu’il est facile de produire de faux documents, peut amener cette dernière à n’accorder aucune valeur probante aux documents que produit le demandeur.

 

[16]           La Commission n’a pas ajouté foi au récit du demandeur selon lequel il avait été arrêté lors d’une réunion de prière, et elle a jugé peu probable que ce dernier ait ensuite pu échapper à des militaires armés de Kalashnikovs, notant que les prisonniers religieux sont traités très durement et que le gouvernement érythréen est l’un des pires agents de persécution des chrétiens au monde. Elle a cité les remarques incidentes qui suivent, extraites de l’arrêt Faryna c. Chorny, [1952] 2 DLR 354 (C.A.C.-B.), à la page 357 :

 

[traduction] En résumé, le véritable critère de la véracité du récit d’un témoin [...] doit être sa compatibilité avec la prépondérance des probabilités qu’une personne raisonnable et informée reconnaîtrait d’emblée comme étant raisonnable à cet endroit et dans ces conditions.

 

 

[17]           La Commission a aussi pris en mauvaise part le manque d’explications du demandeur quant au fait que ses parents n’avaient subi aucune répercussion, même s’il avait évité de faire son service militaire.

 

[18]           La Commission n’a pas ajouté foi au demandeur quand il a dit que son père avait économisé la somme de 4 000 $ et l’avait mise à sa disposition pour pouvoir se rendre au Canada, notant que le père avait censément été incarcéré de 1991 à 1995 et que, par la suite, étant malade, il n’avait pu travailler que comme tuteur privé. Elle a conclu que le demandeur n’avait aucune explication raisonnable au sujet de cet argent.

 

[19]           La Commission a accepté la lettre de l’Église évangéliste Rehoboth de Toronto, selon laquelle le demandeur fréquentait cet endroit depuis 2007, et elle a fait remarquer que le demandeur avait répondu correctement à quelques questions sur la foi pentecôtiste.

 

[20]           La Commission a conclu que l’effet cumulatif des problèmes de crédibilité signifiait qu’il n’existait pas assez de preuves crédibles et dignes de foi pour conclure que le demandeur avait la qualité de réfugié au sens de la Commission. Elle a cité à cet égard l’arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CAF), à la page 244 :

 

[...] même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d’audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication [...].

 

[...] En d’autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.

 

La Commission a conclu en l’espèce que le demandeur manquait à ce point de crédibilité en rapport avec les questions cruciales que tout son témoignage pertinent manquait de façon générale de crédibilité, surtout quant à la manière dont il avait obtenu le certificat de naissance original, un point sur lequel il avait été évasif et s’était contredit.

 

[21]           La Commission a ensuite rappelé qu’il incombait au demandeur de prouver son identité. En l’espèce, la preuve crédible nécessaire pour tirer une conclusion positive au sujet de la prétention du demandeur selon laquelle il était citoyen de l’Érythrée n’a pas été fournie. Elle a cité la décision Ipala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 472, à l’appui de la thèse selon laquelle, sans une identité prouvée, la Commission ne peut conclure à une possibilité sérieuse de persécution ou de risque pour la personne.

 

IV.             Les dispositions légales applicables

 

Les passages applicables de la Loi sont les suivants :

Définition de « réfugié »

 

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques  

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

Crédibilité

 

Credibility

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

 

V.                Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

 

[22]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

1.      La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de l’identité du demandeur?

2.      Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité étaient-elles non étayées par la preuve?

 

[23]           La norme qui s’applique au contrôle de l’appréciation que fait la Commission des documents d’identité, parce que cette dernière a un accès de première main aux documents en question ainsi qu’au témoignage du demandeur, est la raisonnabilité, ainsi que l’a conclu la juge Tremblay-Lamer dans la décision Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 877.

 

[24]           Dans la décision Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1120, au paragraphe 9, le juge Lemieux a fait remarquer que la norme de contrôle qui s’applique à un juge des faits dans le cas de conclusions relatives à la crédibilité est la norme de la raisonnabilité, car il s’agit de questions de fait.

 

VI.             Analyse

 

a)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de l’identité du demandeur?

 

[25]           L’argument clé du demandeur est que la Commission a mal interprété la décision Sertkaya en décrétant que celle-ci pouvait atténuer la décision rendue dans Rasheed, à savoir que les documents que délivre un gouvernement étranger sont réputés valides à moins qu’il y ait de bonnes raisons de douter de leur validité. Le demandeur signale que, dans Sertkaya, le document en question était une lettre [traduction] « censément écrite par l’employeur turc du demandeur, qui confirmait un cas de brutalité policière »; il s’agissait donc d’une lettre d’un employeur et non d’un document d’identité étranger délivré par un gouvernement. Il soutient que la Commission s’est essentiellement fondée sur la décision Sertkaya pour infirmer la décision Rasheed. Il cite plusieurs décisions dans lesquelles il a été conclu que le fait de contester des documents officiels étrangers sans preuve aucune à l’égard de l’aspect ou du contenu que ces derniers devraient avoir est une erreur susceptible de contrôle (Tsymbayuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1306, aux paragraphes 26 à 28; Nika c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 656, aux paragraphes 12 et 13; Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 10, au paragraphe 6; Halili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 999, au paragraphe 5; et Cheema c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224, aux paragraphes 8 et 9). Le demandeur ajoute que si la Commission ne croyait pas en l’authenticité du certificat de naissance, elle aurait dû faire état d’une preuve quelconque de l’aspect que devrait avoir un certificat de naissance érythréen, ou mentionner quels éléments du certificat l’amenaient à douter de son authenticité.

 

[26]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable que la Commission n’ajoute pas foi à son récit concernant l’obtention du certificat de naissance en tirant la conclusion qu’il était « impossible que le demandeur d’asile ait en sa possession une enveloppe envoyée par la poste à partir de l’Érythrée contenant l’un ou l’autre des documents puisqu’il [avait] dit , dans son témoignage, que l’un des documents avait été envoyé par télécopieur et que l’autre avait été apporté par quelqu’un ». Il souligne deux endroits dans les notes sténographiques où il dit avoir l’enveloppe à la maison (dossier du demandeur (DD), pages 216 et 217), et il signale aussi avoir déclaré que sa tante a d’abord envoyé par télécopieur son certificat d’études en informatique et qu’elle l’a plus tard expédié par la poste après qu’il lui a dit que c’était important (DD, page 221). Le demandeur soutient que la Commission a non seulement commis une erreur dans son analyse, mais aussi qu’elle a manqué à l’équité procédurale en ne lui demandant pas de produire l’enveloppe, après l’audience, après qu’il eut déclaré qu’il pouvait le faire. Il a joint une copie de l’enveloppe à l’affidavit qu’il a présenté en vue du présent contrôle. À l’audience, la Cour a ordonné que la copie de l’enveloppe soit radiée du dossier car elle ne faisait pas partie de la procédure introduite devant la Commission.

 

[27]           Le demandeur soutient que le fait que le défendeur répète les conclusions de la Commission quant au récit concernant le certificat de naissance ne règle pas les problèmes que soulèvent les observations qu’il a faites, surtout les décisions qu’il a citées pour indiquer que la Commission se doit de relever un élément quelconque du document qui amène à douter de son authenticité.

 

Il note que la Commission avait en main la version originale et la version traduite en anglais du certificat de naissance, et que ni l’une ni l’autre de ces deux versions, est-il allégué, ne contiennent des renseignements erronés ou n’ont été falsifiées de quelque manière. La Commission n’a produit aucune preuve montrant que les deux versions ont pu avoir été obtenues frauduleusement à Khartoum.

 

[28]           Le défendeur fait valoir que la Commission était justifiée de conclure que le récit du demandeur était suffisant pour miner la crédibilité des pièces d’identité, citant à cet égard l’extrait suivant, tiré de la décision Jacques c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 423, au paragraphe 16 [Jacques] :

 

Je dégage de ma lecture de ces affaires le principe tout simple que, lorsqu’elle décide si un document est authentique ou non, la Commission doit fonder sa décision sur des éléments de preuve. Dans certains cas, la preuve proviendra d’autres éléments de preuve documentaire ou d’un témoignage entendu à l’audience. Dans d’autres cas, la preuve nécessaire apparaîtra à la face même du document. Dans tous les cas, la question essentielle sera celle de savoir si la conclusion de la Commission était raisonnable, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait. [...]

 

 

Le défendeur réitère ensuite tous les doutes quant à la crédibilité qu’a suscités auprès de la Commission le récit du demandeur au sujet des certificats de naissance et du diplôme d’études en informatique.

 

[29]           Le défendeur conteste l’explication du demandeur à propos de son témoignage sur l’envoi du diplôme par télécopieur et par la poste, notant que ce dernier n’a fait savoir que son diplôme lui avait été envoyé par télécopieur qu’après qu’on lui eut fait remarquer qu’il semblait s’agir d’un document télécopié.

 

[30]           Le défendeur soutient que la Commission a interprété correctement la décision Sertkaya et que cette dernière étaye la jurisprudence de longue date qui existe au sujet du pouvoir qu’a la Commission d’examiner l’authenticité de documents. Il cite la décision Julien c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 351, au paragraphe 37, à l’appui de la décision selon laquelle il incombe au juge des faits de soupeser la preuve documentaire et testimoniale et de conclure si la preuve suffit pour établir, selon la prépondérance des probabilités, l’identité du demandeur.

 

[31]           Le défendeur soutient qu’il incombait au demandeur d’établir le bien-fondé de ses arguments et que, s’il avait voulu se fonder sur la preuve que constituait l’enveloppe, il aurait dû la fournir à la Commission avant l’audience. La Commission n’était pas obligée de lui permettre de la produire plus tard.

 

[32]           Je suis d’accord avec le demandeur qu’on ne peut pas considérer que la décision Sertkaya infirme la règle tirée de la décision Rasheed, à savoir que des documents délivrés par un gouvernement étranger sont réputés valides, à défaut d’une preuve contraire. Dans Sertkaya, le document en litige n’avait même pas été mentionné dans le contexte de l’établissement de l’identité du demandeur, mais uniquement dans celui de son appartenance possible à un parti politique, et il s’agissait, comme le demandeur le signale, d’une lettre d’un employeur plutôt que d’un document délivré par le gouvernement. Il serait inexact, selon moi, de dire que la Commission peut laisser la crédibilité du demandeur influencer l’opinion qu’elle a sur l’authenticité des documents, à défaut d’une autre preuve à propos de cette authenticité, comme il est indiqué dans la décision Jacques.

 

[33]           Cependant, une lecture attentive de la décision rendue dans cette affaire m’amène à conclure qu’en fait, la Commission n’a pas tiré de conclusion défavorable sur l’authenticité des documents. Le demandeur a raison de dire que la Commission n’a jamais relevé quoi que ce soit de faux ou d’inexact dans les documents d’identité, comme cela avait été le cas dans les affaires citées dans Jacques. Au paragraphe 12 de la décision, la Commission cite l’affaire Uddin, où il a été conclu que le manque de crédibilité d’un demandeur, de pair avec la connaissance qu’a la Commission de la facilité avec laquelle il est possible d’obtenir de faux documents, peut amener cette dernière à n’accorder aucune valeur probante aux documents de ce demandeur. À mon avis, c’est ce que la Commission a fait en l’espèce. Elle n’a tiré aucune conclusion concrète à propos de l’authenticité des pièces d’identité; elle a plutôt conclu que les problèmes de crédibilité entourant le récit du demandeur sur l’obtention de ces pièces l’ont amenée à ne leur accorder aucun poids. Cela distingue ce fait de celui dont il était question dans la décision Jacques, comme on peut le lire au paragraphe 17 de cette dernière :

 

En l’espèce, bien que j’admette les principes juridiques généraux évoqués par le ministre, je suis d’accord avec M. Jacques pour dire que la conclusion de la Commission était déraisonnable. La Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de M. Jacques. En conséquence, elle a fondé son rejet de la demande de M. Jacques, et de son témoignage de vive voix, uniquement sur les imperfections caractérisant l’apparence de la lettre et sur des réserves quant à sa source. La Commission n’a pas expliqué en quoi ces réserves devraient remettre en question la crédibilité personnelle de M. Jacques.

 

 

[34]           C’est à une conclusion semblable que la Cour est arrivée dans la décision Lawal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, au paragraphe 23, où le juge de Montigny a établi une distinction avec des décisions telles que Cheema et Halili (citées dans Jacques), dans lesquelles l’authenticité des documents était mise en question pour des raisons de crédibilité, par rapport à des décisions telles que celle dont il est question en l’espèce, où on n’a simplement donné aucune valeur probante à ces documents, sans tirer de conclusion explicite quant à leur authenticité.

 

[35]           J’admets que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il était impossible que le certificat d’études en informatique ait pu être à la fois télécopié au demandeur et envoyé par la poste, compte tenu de ce que ce dernier a déclaré à l’audience (DD, page 221), à savoir que sa tante lui avait d’abord télécopié le document et le lui avait ensuite envoyé par la poste quand il lui avait dit que c’était important. La présence de l’enveloppe devant la Commission aurait pu aider cette dernière à tirer une conclusion différente sur ce fait. Cependant, à mon avis, cela ne mine pas les nombreuses autres conclusions que la Commission a tirées quant à la crédibilité des pièces d’identité, et je conclus qu’il était raisonnable qu’elle décide comme elle l’a fait que l’on ne pouvait accorder aucune valeur probante à ces documents.

 

c) Les conclusions de la Commission étaient-elles non étayées par la preuve?

 

[36]           Dans la décision Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1120, au paragraphe 9, le juge Lemieux déclare ce qui suit : « il est bien établi en droit que les conclusions tirées par le tribunal relativement à la crédibilité sont des conclusions de fait que la cour de révision ne peut modifier que si elle conclut que le tribunal “a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait”, comme le prévoit l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales ».

 

[37]           Le demandeur conteste à son tour plusieurs conclusions relatives à la crédibilité, et il fait valoir que ces conclusions ont été tirées sans que l’on tienne compte de la preuve, ce qui entache donc la conclusion globale de la Commission, vu que cette dernière a reconnu que c’était la somme des conclusions relatives à la crédibilité qui l’avait amenée à rendre sa décision, plutôt que le poids de chaque conclusion particulière.

 

[38]           Le demandeur conteste la conclusion de la Commission au sujet de la dispense du service militaire obtenue en 1995. Il signale avoir dit que sa mère avait obtenu pour lui une dispense parce qu’il était enfant unique (DD, pages 226 et 227) et il soutient que l’explication qu’il a donnée n’a rien de déraisonnable. Cette explication figure aussi dans l’exposé circonstancié de son FRP. Il prétend qu’il était déraisonnable que la Commission se fonde sur un article de journal paru en 2007 sur les dispenses relatives au service national pour analyser un fait qui était survenu en 1995, une époque où il se pouvait fort bien que les dispenses soient nettement différentes.

 

[39]           Le demandeur conteste la conclusion de la Commission selon laquelle il y avait peu de chances que son patron ait pu le protéger, compte tenu des conséquences auxquelles il s’exposait, et il ajoute que, selon cette logique, aucun pentecôtiste ne serait même venu en aide à un autre membre de sa confession; il s’agit là d’une conclusion qui, d’après le demandeur, est inique et qui révèle un manque de connaissance à propos de la foi, de l’altruisme et de la désobéissance civile.

 

[40]           Quant au fait que la Commission n’a pas cru qu’il avait été gardé 65 jours en détention à cause de son témoignage sur les conditions de détention, le demandeur signale que la preuve documentaire sur laquelle la Commission s’est fondée décrivait les conditions de vie en prison, tandis que le demandeur a été détenu dans un poste de police d’Asmara, et non pas en prison.

 

[41]           Le demandeur conteste la conclusion de la Commission selon laquelle il n’a pas dit la vérité sur la réunion de prière au cours de laquelle il avait été arrêté, car elle a mis en doute le fait qu’il n’y avait à cette occasion-là aucune mesure de sécurité. Il souligne avoir reconnu dans son témoignage qu’en rétrospective cela semblait risqué, mais que les pensées du groupe étaient principalement axées sur la prière (DD, pages 234 et 235).

 

[42]           Le demandeur est d’avis que les conclusions de la Commission selon lesquelles il n’aurait pas pu s’échapper du convoi de détenus comme il l’avait décrit, son père n’aurait pas pu économiser la somme de 4 000 $ en travaillant comme enseignant pendant de nombreuses années, le demandeur n’aurait pas pu économiser la même somme en effectuant des travaux de construction et il était improbable que ses parents n’avaient pas été persécutés, sont tous le fruit d’un examen à la loupe des éléments de preuve pour lesquels le demandeur a donné des explications raisonnables. Il fait également valoir que la Commission ne lui a jamais demandé pendant combien de temps son père avait travaillé avant d’être incarcéré et quelles étaient les économies que celui-ci aurait accumulées après avoir travaillé toute sa vie comme enseignant, ni prouvé de quelque manière pourquoi cette somme était déraisonnable.

 

[43]           Enfin, le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en concluant que la religion pentecôtiste s’est implantée en 1967 en Éthiopie, soutenant que, d’après la preuve documentaire, ce sont des missionnaires qui ont introduit le protestantisme dans le pays au xixe siècle.

 

[44]           Le défendeur répète simplement les conclusions de la Commission à l’égard de ces questions.

 

[45]           Je suis conscient du fait qu’il n’appartient pas à la Cour de trancher à nouveau chacune des questions lorsque la Commission a eu l’avantage de voir et d’entendre le témoignage du demandeur. Comme l’a décrété la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994) 169 NR 107, au paragraphe 3 :

Étant donné que le tribunal a eu l'avantage de voir et d'entendre les témoins lors d'une audition de vive voix, les conclusions tirées par ce tribunal relativement à la crédibilité ne devraient pas être mises en doute à la légère par une Cour d'appel.

 

 

Il existe plusieurs conclusions relatives à la crédibilité qu’il est impossible de maintenir au vu de la preuve; cependant, à mon avis, ces conclusions ne minent pas les autres conclusions relatives à la crédibilité au point d’invalider la décision tout entière.

 

[46]           Je conviens avec le demandeur que la conclusion de la Commission sur la dispense du service militaire en 1995 était déraisonnable. Le demandeur a mentionné, tant dans son témoignage que dans l’exposé circonstancié contenu dans son FRP, que sa mère avait obtenu une dispense parce qu’il était enfant unique et qu’il aidait à subvenir aux besoins de la famille. La Commission elle-même a fait état d’une preuve documentaire selon laquelle, lorsque d’autres enfants sont dans l’armée, on accorde actuellement une dispense à un enfant pour qu’il reste à la maison et subvienne aux besoins de la famille. Il ne s’ensuit pas forcément que l’on accorde une dispense aux enfants uniques, mais je conviens avec le demandeur qu’il était déraisonnable que la Commission rejette cette explication d’un fait survenu en 1995 en prenant pour base une liste de dispenses publiée en 2007. Rien n’indique que ces mêmes dispenses étaient en vigueur en 1995. La Commission a elle-même signalé que la conscription s’est intensifiée après l’année 2000.

 

[47]           Je conviens aussi avec le demandeur que la Commission s’est fondée de manière inexacte sur des preuves exposant en détail les conditions qui régnaient dans les prisons érythréennes pour rejeter le témoignage du demandeur au sujet du temps qu’il avait passé en détention, alors que celui-ci avait clairement allégué qu’il avait été détenu dans un poste de police, et non pas dans une prison. Rien ne prouve que, dans ces deux institutions, les conditions auraient été les mêmes.

 

[48]           Telles sont les questions à l’égard desquelles je conclus que la Commission a commis une erreur et a tiré des conclusions sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait. Je signale qu’en ce qui concerne la date d’implantation de la foi pentecôtiste en Érythrée, le demandeur indique qu’il n’existe aucune preuve documentaire à l’appui de cette opinion et il cite les pages 297 et 298 du DD pour confirmer que la Commission s’est trompée. Il ressort d’une lecture attentive que la mission mennonite est arrivée après la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre d’une mission de secours, mais qu’elle a commencé à évangéliser peu de temps après. La conclusion de la Commission selon laquelle le père du demandeur, né en 1945, et sa mère, née en 1951, n’auraient pas pu être nés dans cette religion, est vraisemblable. Quant aux autres conclusions relatives à la crédibilité que conteste le demandeur, même si la Cour ne serait peut‑être pas arrivée aux mêmes que celles de la Commission (notamment en ce qui concerne l’opinion selon laquelle le patron du demandeur ne l’aurait pas aidé), il ne semble pas que ces conclusions soient en fait déraisonnables, ni qu’elles n’appartiennent pas aux « issues possibles acceptables », ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [2008] 1 R.C.S. 190.

 

[49]           La Cour signale également que la Commission a tiré d’autres conclusions en matière de crédibilité que le demandeur n’a pas mentionnées, et qu’elle a explicitement déclaré que la crédibilité du demandeur a été appréciée d’une manière plus holistique, sans se fonder sur une conclusion particulière. Je conclus donc qu’il était raisonnable que la Commission conclue, comme elle l’a fait, que le récit du demandeur était à ce point dénué de crédibilité qu’aucune conclusion ne pouvait être tirée au sujet de la véracité de l’un quelconque de ses éléments.

 

[50]           Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et aucune ne ressort de la présente affaire.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3355-10

 

INTITULÉ :                                       THOMAS TEKLE BERHANE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 MARS 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 MAI 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carole Simone Dahan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Carole Simone Dahan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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