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Cour fédérale

 

Federal Court



Date : 20110429

Dossier : T-554-10

Référence : 2011 CF 501

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2011

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

 

TRENT CHAYTOR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

premier défendeur

 

et

 

 

 

TRIBUNAL DES ANCIENS COMBATTANTS (RÉVISION ET APPEL)

 

 

 

deuxième défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Trent Chaytor (le demandeur) dépose une demande de contrôle judiciaire concernant une décision rendue par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal), agissant en qualité de comité d’appel, en vertu de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la Loi). Dans cette décision, datée du 12 mars 2010, le Tribunal a rejeté l’appel du demandeur de la décision du comité d’appel, datée du 3 janvier 2005.

 

Le contexte

[2]               Le demandeur s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en 1984 en tant que technicien de la marine. Parce qu’il souffrait du mal de mer, le demandeur est devenu technicien de véhicules à la base des Forces canadiennes de Gagetown. Il a commencé sa formation en cours d’emploi en mai 1992. Il a servi à ce titre, soit technicien de véhicules, jusqu’en 1996 à la BFC Gagetown.

 

[3]               En juillet 1996, le demandeur a été muté à la SFC St. John’s, travaillant encore à titre de technicien de véhicule, principalement au Bâtiment 202. En février 1998, il s’est effondré souffrant de douleur à la poitrine, ce qui a nécessité une aide d’urgence et une période d’hospitalisation de quatre jours. Selon le demandeur, les crises ont continué depuis de façon intermittente.

 

[4]               Le demandeur s’est vu imposer des restrictions médicales en juillet 1998. Au début, on l’a diagnostiqué comme souffrant de crises atypiques. En 2001, une tomodensitométrie a révélé chez le demandeur une calcification bilatérale des ganglions de la base.

 

[5]               En février 2002, le neurologiste traitant le demandeur, le Dr Mark Stefanelli, a émis l’opinion selon laquelle les crises pourraient être reliées à une exposition au monoxyde de carbone. Le demandeur a reçu un traitement aux antiépileptiques, mais un électroencéphalogramme réalisé en 2002 n’a démontré aucune preuve suggérant des anomalies épileptiques. Le demandeur a demandé une prolongation de ses restrictions médicales en juillet 2002, lesquelles avaient débuté en juillet 1998.

 

[6]               Le demandeur a aussi consulté la Dre Anne Williams, une cardiologue, qui lui a été recommandée en avril 2001, mais il était principalement suivi par le Dr Stefanelli. Ce dernier a fourni nombre de lettres et de rapports aux Anciens Combattants Canada (ACC) et au Tribunal. L’échange le plus récent avec le Tribunal est une lettre datée du 8 mai 2009 envoyée par le Dr Stefanelli. Bien qu’il ait déclaré qu’il ne pouvait rendre une conclusion définitive, le Dr Stefanelli, ayant écarté les autres possibilités, a émis l’opinion selon laquelle la calcification des ganglions de la base serait probablement reliée à une exposition prolongée au monoxyde de carbone.

 

[7]               Dans son affidavit, le demandeur affirme qu’il a été exposé à des gaz nocifs, notamment le monoxyde de carbone, au cours de son emploi. La partie [traduction] « environnement » de sa description de poste comprend l’exposition à des odeurs nocives et à des gaz toxiques. Durant sa formation à la BFC Gagetown, le demandeur avait cinq tâches courantes qui l’exposaient au monoxyde de carbone.

 

[8]               À la SFC St. John’s, le demandeur était principalement exposé au monoxyde de carbone dans le Bâtiment 202.

 

[9]               En avril 1993, trois ans avant que le demandeur arrive à la SFC St. John’s, un rapport d’inspection en médecine préventive y avait été réalisé. Dans la section intitulée [traduction] « inventaire du bruit et des émissions dans l’atelier des véhicules du Bâtiment 202 », on a fait état de préoccupations concernant l’exposition des employés aux fumées. Ce rapport a émis des recommandations afin de réduire l’exposition au monoxyde de carbone ainsi qu’au dioxyde d’azote. Le rapport a souligné qu’un travailleur s’était plaint de symptômes correspondant à une exposition prolongée au monoxyde de carbone.

 

[10]           En 1999, le lieutenant Steve Taylor a relaté que la qualité de l’air dans le Bâtiment 202 était très mauvaise. Il a produit une déclaration à ce sujet en mai 2003.

 

[11]           En mars 2002, Santé Canada a mené une enquête sur les lieux de travail et a conclu que le Bâtiment 202 contenait des niveaux acceptables de monoxyde de carbone lorsque les appareils de ventilation étaient utilisés. Le demandeur soutient que les tests réalisés ce jour-là n’étaient pas représentatifs des conditions d’opération ordinaires du bâtiment.

 

[12]           Le 9 septembre 2002, le demandeur a déposé une demande de pension d’invalidité aux termes de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, S.R.C. 1985, ch. P-6. Il a déposé cette demande, car il croyait que le Comité de révision des carrières (raisons médicales) déciderait probablement qu’il devrait être libéré. Le demandeur n’a pas été libéré des Forces armées avant mai 2004. Le 27 novembre 2003, ACC a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuves suffisantes concernant l’exposition et a rejeté sa demande de pension. Cette décision a été corroborée par une révision ministérielle le 3 mars 2004.

 

[13]           Le demandeur a fait appel de cette décision défavorable auprès d’un comité de révision du Tribunal. Le 13 janvier 2005, ce comité a confirmé la décision du ministère et a maintenu qu’il n’y avait pas de preuve médicale pouvant relier les crises du demandeur ou la calcification des ganglions de la base à une exposition au monoxyde de carbone.

 

[14]           Le demandeur a interjeté appel de cette décision auprès du Tribunal. Le 12 mars 2010, le Tribunal a rejeté l’appel du demandeur. La majorité des membres du Tribunal a maintenu que la seule preuve scientifique à l’exposition du monoxyde de carbone provenait de l’enquête sur les lieux de travail effectuée par Santé Canada. La majorité des membres du Tribunal n’était pas convaincue qu’une exposition prolongée à de faibles niveaux de monoxyde de carbone puisse entraîner le présumé état de santé du demandeur. La majorité des membres a jugé que les conclusions du Dr Stefanelli ne constituaient qu’une hypothèse et qu’elles n’étaient pas appuyées par la documentation médicale.

 

[15]           Le membre dissident du Tribunal a jugé qu’il était raisonnable de penser que l’enquête sur les lieux de travail réalisée par Santé Canada ne reflétait pas les conditions habituelles de fonctionnement. Eu égard à tous les rapports du Dr Stefanelli, le membre minoritaire a conclu que la preuve du demandeur démontrait que ses symptômes étaient provoqués par une calcification des ganglions de la base, laquelle était causée par l’exposition du demandeur au monoxyde de carbone au cours de ses années de service dans les Forces.

 

Les questions en litige

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

(i)      Quelle est la norme de contrôle appropriée?

(ii)    Est-ce que le Tribunal a omis de respecter un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale concernant la conclusion orale du comité d’appel voulant qu’il y ait un lien factuel entre les années de service du demandeur et une exposition à des gaz nocifs?

(iii)    Est-ce que le Tribunal a erré en limitant son évaluation de l’exposition du demandeur à des gaz nocifs seulement à la période où il occupait le poste de technicien de véhicule au Bâtiment 202, à la SFC St. John’s?

(iv)  Est-ce que le Tribunal tiré une conclusion de faits erronée en ne donnant pas assez de valeur à la preuve de l’exposition au monoxyde de carbone?

(v)    Est-ce que le Tribunal a commis une erreur en n’accordant pas assez d’importance à l’opinion médicale complète et non contredite du Dr Stefanelli?

 

Analyse et décision

[17]           La première question à trancher est la norme de contrôle appropriée. Selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, de la Cour suprême, les décisions rendues par des décideurs administratifs sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable.

 

[18]           Selon l’arrêt rendu par la Cour suprême Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43, la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale. La norme de raisonnabilité s’applique aux questions de faits et aux questions mixtes de faits et de droit; voir Dunsmuir, au paragraphe 53.

 

[19]           Pour les affaires où la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle appropriée, on peut appliquer cette norme; voir Dunsmuir, au paragraphe 57. Conséquemment à la parution de l’arrêt Dunsmuir, la Cour fédérale a maintenu que les décisions rendues par le Tribunal, touchant aux questions de faits et à l’évaluation de la preuve, devraient être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité; voir Goldsworthy c. Canada (Procureur général), 2008 CF 380 et Dugré c. Canada (Procureur général), 2008 CF 682.

 

[20]           La deuxième question, précitée, concerne l’équité procédurale et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Les points qu’il reste à traiter sont des questions de faits et des questions mixtes de faits et de droit, et sont susceptibles de contrôle en fonction de la norme de la raisonnabilité. L’application de la norme de la raisonnabilité doit prendre en considération le contexte légal particulier de l’affaire, c’est-à-dire à la Loi sur les pensions et à la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).

 

[21]           La demande de pension d’invalidité du demandeur est régie par la Loi sur les pensions et la Loi. L’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions est pertinent et prévoit ce qui suit :

2) En ce qui concerne le service

militaire accompli dans la

milice active non permanente

ou dans l’armée de réserve

pendant la Seconde Guerre

mondiale ou le service militaire

en temps de paix :

 

a) des pensions sont, sur

demande, accordées aux

membres des forces ou à leur

égard, conformément aux taux

prévus à l’annexe I pour les

pensions de base ou

supplémentaires, en cas

d’invalidité causée par une

blessure ou maladie — ou son

aggravation — consécutive ou

rattachée directement au service

militaire;

(2) In respect of military service

rendered in the non-permanent

active militia or in the reserve

army during World War II and

in respect of military service in

peace time,

 

 

(a) where a member of the

forces suffers disability

resulting from an injury or

disease or an aggravation

thereof that arose out of or was

directly connected with such

military service, a pension shall,

on application, be awarded to or  in respect of the member in

accordance with the rates for

basic and additional pension set

out in Schedule I;

 

 

[22]           L’article 31 prévoit que les décisions du Tribunal sont définitives et exécutoires.

 

[23]           L’objet de la Loi vise à instaurer le Tribunal en tant qu’organisme indépendant chargé de réviser les décisions du ministre ou de ses délégués concernant les demandes de pension en application de la Loi sur les pensions. Le droit de faire appel auprès du Tribunal est conféré par l’article 25 de la Loi.

 

[24]           Le Tribunal doit déterminer si un demandeur répond aux conditions ouvrant droit à une pension ou à d'autres avantages prévus dans les lois pertinentes.

 

[25]           La demande d’obtention d’avantages liés à la pension du demandeur est fondée sur le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions. L’article 2 de la Loi sur les pensions qui énonce le principe directeur permettant l’interprétation et l’application de la loi se lit comme suit :

2. Les dispositions de la

présente loi s’interprètent d’une

façon libérale afin de donner

effet à l’obligation reconnue du

peuple canadien et du

gouvernement du Canada

d’indemniser les membres des

forces qui sont devenus

invalides ou sont décédés par

suite de leur service militaire,

ainsi que les personnes à leur

charge.

2. The provisions of this Act

shall be liberally construed and

interpreted to the end that the

recognized obligation of the

people and Government of

Canada to provide

compensation to those members

of the forces who have been

disabled or have died as a result

of military service, and to their

dependants, may be fulfilled.

 

[26]           Une disposition similaire se trouve à l’article 3 de la Loi et prévoit que :

3. Les dispositions de la

présente loi et de toute autre loi

fédérale, ainsi que de leurs

règlements, qui établissent la

compétence du Tribunal ou lui

confèrent des pouvoirs et

fonctions doivent s’interpréter

de façon large, compte tenu des

obligations que le peuple et le

gouvernement du Canada

reconnaissent avoir à l’égard de

ceux qui ont si bien servi leur

pays et des personnes à leur

charge.

3. The provisions of this Act

and of any other Act of

Parliament or of any regulations

made under this or any other

Act of Parliament conferring or

imposing jurisdiction, powers,

duties or functions on the Board

shall be liberally construed and

interpreted to the end that the

recognized obligation of the

people and Government of

Canada to those who have

served their country so well and

to their dependants may be

fulfilled.

 

[27]           Selon la décision MacKay c. Canada (Procureur général) (1997), 129 F.T.R. 286, les articles 3 et 39 de la Loi éclairent le Tribunal dans son évaluation des preuves qui lui sont soumises. L’article 39 prévoit ce qui suit :

39. Le Tribunal applique, à

l’égard du demandeur ou de

l’appelant, les règles suivantes

en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des

éléments de preuve qui lui sont

présentés les conclusions les

plus favorables possible à celui‑ci;

 

 

b) il accepte tout élément de

preuve non contredit que lui

présente celui-ci et qui lui

semble vraisemblable en

l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute

incertitude quant au bien-fondé

de la demande.

39. In all proceedings under this

Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the

circumstances of the case and

all the evidence presented to it

every reasonable inference in

favour of the applicant or

appellant;

 

(b) accept any uncontradicted

evidence presented to it by the

applicant or appellant that it

considers to be credible in the

circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the

applicant or appellant any

doubt, in the weighing of

evidence, as to whether the

applicant or appellant has

established a case.

 

[28]           Les articles 3 et 39 de la Loi ont été interprétés de façon à ce que le demandeur doive déposer suffisamment de preuves crédibles pour démontrer un lien causal entre sa blessure ou sa maladie et ses années de service militaire. À cet égard, je me réfère aux décisions Hall c. Canada (Procureur général) (1998), 152 F.T.R. 58, conf. par (1999), 250 N.R. 93 (C.A.F.) et Tonner c. Canada (Ministre des Anciens combattants) (1995), 94 F.T.R. 146, conf. par [1996] A.C.F. no 825 (C.A.F.).

 

[29]           La décision du Tribunal doit être contrôlée en fonction de la norme de raisonnabilité. L’article 39 de la Loi enjoint le Tribunal à tirer les conclusions les plus favorables possibles des preuves non contredites déposées par la personne demandant une pension.

 

[30]           Le demandeur soutient que le Tribunal a omis de respecter un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale concernant la conclusion orale du comité d’appel selon laquelle il y avait un lien factuel entre ses années de service et une exposition à des gaz nocifs. Le demandeur allègue que le comité d’appel a accueilli sa preuve concernant le lien entre ses années de services et l’exposition au monoxyde de carbone, et que le comité de révision a enfreint ses droits en matière d’équité procédurale en ignorant la conclusion précédente et en réévaluant la question.

 

[31]           Le dossier déposé devant le Tribunal ne contenait pas de transcription de l’audience du comité d’appel. En l’absence d’une transcription, il ne m’est pas possible de conclure que le comité d’appel a tiré la conclusion de faits sur laquelle s’appuie maintenant le demandeur. Dans ses motifs, le comité d’appel ne mentionne pas de façon détaillée le lien entre les années de service et l’exposition au monoxyde de carbone et conclue que :

[traduction]

Le comité conclut, selon le résumé des éléments de la preuve susmentionné, qu’il n’y a pas de preuve médicale liant les crises ou la calcification des ganglions de la base à une exposition au monoxyde de carbone.

 

 

[32]           Même si l’on suppose qu’une telle conclusion orale a été tirée, le demandeur n’a invoqué aucun précédent étayant son argument selon lequel un manquement à l’équité procédurale a eu lieu. Chaque étape du processus concernant la demande de pension d’invalidité du demandeur a exigé une nouvelle décision; voir Nolan c. Canada (Procureur général) (2005), 279 F.T.R. 311 (C.F.). Ce fait donne à penser que chaque décideur a l’obligation de rendre des décisions indépendantes. Ainsi, une réévaluation de toute l’affaire, y compris une évaluation des questions non contestées par le demandeur, n’entraîne pas un manquement à l’équité procédurale. Quoi qu’il en soit, le demandeur a le fardeau de prouver chaque élément de l’espèce, à chaque étape. Si un décideur subséquent rend une décision moins favorable que celle du précédent décideur, cela ne constitue pas nécessairement un manquement à l’équité procédurale.

 

[33]           Je suis convaincue qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale, comme l’a allégué le demandeur.

 

[34]           Est-ce que le Tribunal a erré en limitant son évaluation de l’exposition du demandeur à des gaz nocifs seulement à la période où il occupait le poste de technicien de véhicule au Bâtiment 202, à la SFC St. John’s?

 

[35]           Le demandeur soutient que le Tribunal a limité son évaluation de l’exposition aux gaz nocifs uniquement à un endroit, c’est-à-dire la SFC St. John’s. Il prétend que le Tribunal a omis d’évaluer son emploi précédant à la BFC Gagetown et dans d’autres bâtiments de la SFC St. John’s. Il allègue que ce faisant, le Tribunal a tiré des conclusions allant à l’encontre de l’article 39 de la Loi.

 

[36]           En réponse, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas présenté la preuve d’une exposition prolongée au monoxyde de carbone au cours de ses années de service dans les Forces et que seule une exposition prolongée au monoxyde de carbone aurait pu causer les prétendus symptômes. Le Tribunal s’est penché principalement sur la seule preuve médicale indépendante fournie, soit l’enquête de Santé Canada. Bien qu’il fût possible au demandeur de déposer des preuves qu’une exposition prolongée au monoxyde de carbone s’est produite dans d’autres bâtiments, le défendeur allègue qu’il était raisonnable pour le Tribunal de tirer ses conclusions en se fondant sur la seule preuve scientifique disponible.

 

[37]           Selon moi, les arguments du défendeur concernant cette question sont prématurés. Le demandeur n’a jamais soutenu que sa condition était fondée sur une exposition prolongée. À cette étape de l’analyse, en ce qui a trait au lien entre les années de service et l’exposition, il aurait été déraisonnable pour le Tribunal de se concentrer uniquement sur une exposition prolongée, puisque cela aurait exigé une décision toute faite selon laquelle seule une exposition prolongée peut mener à une calcification des ganglions de la base.

 

[38]           Dans la décision, la majorité des membres du Tribunal a déclaré :

[traduction]

Le demandeur soutient avoir été exposé au monoxyde de carbone lorsqu’il travaillait à l’entretient des véhicules au garage (Bâtiment 202) à St. John’s, laquelle exposition a mené à la calcification de ses ganglions de la base et qu’il souffre d’une invalidité découlant de cette calcification.

 

 

[39]           En étudiant ce qui constitue [traduction] « une exposition possible », la majorité des membres a commencé un examen de l’enquête réalisée par Santé Canada. Le Tribunal ne mentionne pas les années de service antérieures du demandeur à la BFC Gagetown. Selon moi, le demandeur a soumis des preuves qui auraient pu étayer une inférence raisonnable voulant qu’il ait été exposé au monoxyde de carbone, à des niveaux non spécifiés, durant les quatre années qu’il a passé à la BFC Gagetown.

 

[40]           Même si le Tribunal a préféré des données scientifiques en ce qui concerne le Bâtiment 202, il était déraisonnable pour le comité de limiter son étude uniquement au travail que le demandeur y a effectué.

 

[41]           Selon moi, la majorité des membres a tenu pour acquis, de manière déraisonnable, que le demandeur n’avait été exposé aux gaz nocifs que lorsqu’il travaillait dans le Bâtiment 202.

 

[42]           La troisième question, qui est liée à la prochaine, est de savoir si le Tribunal a tiré une conclusion de faits erronée en ne donnant pas assez de valeur à la preuve de l’exposition au monoxyde de carbone.

 

[43]           Quoique le décideur ne soit pas obligé de mentionner chaque élément de preuve, il doit considérer la preuve qui va à l’encontre de sa décision. Dans la décision Cepeda-Gutierrez et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F.), le juge Evans maintient ce qui suit au paragraphe 14 :

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] »  : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.).

 

[44]           La majorité des membres du Tribunal a indiqué que l’enquête de Santé Canada reflétait l’exposition possible à laquelle était soumis le demandeur, vu le manque de preuve contraire crédible. Selon moi, le Tribunal a erré en ne mentionnant pas deux éléments de preuve qui contredisent directement l’enquête sur le milieu de travail réalisée par Santé Canada, soit la lettre du lieutenant Taylor et l’inventaire du bruit et des émissions dressé en 1993. Il semble que la majorité des membres du Tribunal n’ait pas tenu compte de cette preuve.

 

[45]           De plus, en n’ayant pas tiré de conclusions claires concernant la fiabilité de cette preuve, la majorité des membres du Tribunal a erré en ne tirant pas de conclusions favorables au demandeur, en application des articles 3 et 39 de la Loi. La preuve qui a été délaissée par la majorité des membres du Tribunal étaierait raisonnablement l’inférence selon laquelle, nonobstant les conclusions de Santé Canada concernant l’exposition au monoxyde de carbone au cours d’une journée, les niveaux de gaz nocifs étaient parfois supérieurs et, à l’occasion, critiques.

 

[46]           Selon moi, le Tribunal a commis une erreur en n’examinant pas la preuve qui allait à l’encontre des conclusions tirées par Santé Canada.

 

[47]           Finalement, le demandeur soutient que la majorité des membres du Tribunal a commis une erreur en n’accordant pas assez d’importance à l’opinion médicale non contredite du Dr Stefanelli. Compte tenu de mes conclusions sur les questions deux et trois, il n’est pas nécessaire d’examiner cet argument. Seules ou ensemble, les erreurs du Tribunal examinées plutôt tranchent de façon définitive la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[48]           Conséquemment, je suis convaincue que la majorité des membres du Tribunal a commis une erreur dans son évaluation de la preuve déposée par le demandeur, spécifiquement en limitant son évaluation de l’exposition du demandeur à des gaz nocifs uniquement à ses années de service en tant que technicien de véhicules au Bâtiment 202 à la SFC St. John’s, ainsi qu’en ne tenant pas compte de l’autre preuve concernant son exposition au monoxyde de carbone. Le fait que la majorité des membres n’a pas adéquatement traité la preuve en ce qui concerne ces deux questions aurait pu influencer son évaluation de la preuve médicale et, en fin de compte, sa décision au sujet de l’appel.

 

[49]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un Tribunal différemment constitué pour qu'une nouvelle décision soit rendue. Le demandeur aura droit aux dépens taxés.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que l’ordonnance rendue le 12 mars 2010 soit annulée, que l’affaire soit renvoyée à un Tribunal constitué de membres différents et que le demandeur ait ses dépens taxés.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-554-10

 

INTITULÉ :                                       TRENT CHAYTOR c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et TRIBUNAL DES ANCIENS COMBATTANTS (RÉVISION ET APPEL)

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 St. John's (T.-N.-L.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ian Patey

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mark S. Freeman

POUR LE PREMIER DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

O'Dea, Earle

St. John's (T.-N.-L.)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

St. John's (T.-N.-L.)

POUR LE PREMIER DÉFENDEUR

 

 

 

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