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Date : 20110427

Dossier : IMM‑2077‑10

Référence : 2011 CF 496

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE:

 

PHILIP MOONEY, RHONDA Williams

et

GERD DAMITZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

SOCIÉTÉ CANADIENNE DE CONSULTANTS EN IMMIGRATION

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de trois décisions (les décisions) prises par la Société canadienne de consultants en immigration (la SCCI / la Société) en réponse à une plainte portée contre les demandeurs.

 

CONTEXTE

 

[2]               Les demandeurs sont d’anciens et d’actuels membres du conseil d’administration de l’Association canadienne des conseillers professionnels en immigration (l’ACCPI), un organisme sans but lucratif qui offre de la formation, de l’information et de la reconnaissance aux conseillers en immigration et qui exerce des pressions politiques en leur nom. L’organisme chargé de réglementer la profession de consultant en immigration au Canada est la Société canadienne de consultants en immigration (la SCCI). La Cour d’appel fédérale a, dans l’arrêt Barreau du Haut‑Canada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 243 [Barreau du Haut‑Canada], confirmé, au paragraphe 73, que le gouverneur en conseil a subdélégué à la SCCI le pouvoir législatif de préciser les règles, les normes et les conditions à remplir pour pouvoir devenir membre de la Société. La SCCI a par conséquent établi un Code de déontologie et une Politique relative aux plaintes et à la discipline. Suivant le règlement pris en application de l’article 91 de la Loi, les demandeurs sont tous les trois des membres de la SCCI.

 

[3]               En juin 2008, le Comité permanent de la citoyenneté et l’immigration a publié un rapport intitulé Réglementation des consultants en immigration (le Rapport), qui portait sur certaines « pratiques inacceptables de la part de consultants en immigration ». Dans son rapport final, le Comité permanent recommandait que la SCCI, telle qu’elle existe présentement, soit liquidée et qu’elle soit constituée de nouveau sous le régime d’une loi fédérale. M. John Ryan, président et président‑directeur général par intérim de la SCCI, s’est dit d’avis que cette recommandation, en particulier, était « inacceptable ».

 

[4]               Le 24 juin 2008, M. Mooney a rédigé et publié sur le site Web de l’ACCPI une lettre ouverte (la lettre) dans laquelle il appuyait les recommandations du Rapport du Comité permanent. La lettre critiquait les commentaires de M. Ryan et signalait que l’ACCPI avait exhorté la SCCI à [traduction] « penser à l’intérêt supérieur de la profession et à accepter les changements [proposés] ». On y trouve les déclarations pertinentes suivantes :

[traduction]

 

Malheureusement, l’organisme chargé de nous réglementer semble avoir décidé de tout faire pour protéger son statut actuel. […] Ce que le comité nous offre, c’est de renforcer les succès déjà réalisés en nous conférant des pouvoirs nous permettant véritablement de mieux protéger les consommateurs contre les entités qui ne sont pas assujetties à une réglementation […] Dans sa réponse, la SCCI ne prend pas acte de cette recommandation, qui se traduirait par une réorganisation de fond en comble de la Société et, à tout le moins, par une nouvelle structure de gouvernance. C’est ce qu’ils trouvent « inacceptable ».

 

Nous croyons que ce qui est « inacceptable », c’est le fait que le conseil d’administration de l’organisme de réglementation agisse comme s’il était le seul à savoir ce qui favorise le mieux la protection du consommateur et ce qui est le meilleur pour la profession. Le Comité permanent a entendu divers intervenants avant de publier son rapport, notamment les consultants eux‑mêmes, qu’il a longuement écoutés et qui ont exprimé clairement leur frustration à l’égard du mode de fonctionnement actuel de l’organisme de réglementation […]

 

Nous croyons aussi que ce qui est « inacceptable », c’est que le processus des plaintes et de la discipline ne s’applique pas aux consultants qui ne sont assujettis à aucune réglementation et qu’on ne peut recourir à la loi pour assurer l’exécution des décisions rendues dans le cadre de ce processus, et ce, même dans le cas des membres de la Société, parce que celle‑ci ne bénéficie pas de l’appui d’une loi. Il est également inacceptable que ses décisions échappent à tout contrôle judiciaire, de sorte que des membres pourraient perdre leur droit d’exercer leur profession même si une erreur est commise au cours du processus.

 

[…] M. Ryan affirme que la SCCI a un plan stratégique. C’est la première fois que la plupart d’entre nous en entendent parler, et nous n’avons jamais vu de tel plan. […] C’est peut‑être la raison pour laquelle tant de personnes estiment qu’au lieu d’écouter, la SCCI s’affaire à intervenir auprès de nous. M. Ryan affirme également que la SCCI présente des états financiers vérifiés à ses membres. Là encore, rien de tout cela n’est mentionné sur le site Web de la Société, et autant que nous le sachions, on n’en a pas vu depuis deux ans. Par le passé, les états vérifiés que nous avons pu consulter n’étaient pas d’une qualité suffisante pour permettre aux membres de voir si leurs frais d’adhésion étaient dépensés de façon utile […]

 

 

[5]               Wenda Woodman, la directrice des Plaintes et de la Discipline à la SCCI, estimait que la publication de cette lettre pouvait constituer une violation du Code de déontologie de la Société. Elle a donc déposé une plainte contre tous les membres du conseil d’administration de l’ACCPI. Le 3 juillet 2008, Pierre Briand, de la SCCI, a ouvert une enquête au sujet de la présumée violation.

 

[6]               Les articles 16.5 et 16.6 du Code de déontologie de la SCCI sont ainsi libellés :

Un consultant en immigration doit se comporter envers la Société avec respect et dignité.

 

Un consultant en immigration ne doit pas jeter le discrédit sur la Société en agissant de manière à saper ou à menacer de saper le mandat et/ou les principes directeurs de la Société.

 

[7]               Entre septembre 2009 et avril 2010, la SCCI a enquêté sur la plainte visant tous les membres du conseil d’administration de l’ACCPI à l’exception des demandeurs. La plainte alléguait que les demandeurs avaient jeté le discrédit sur la Société et qu’ils avaient fait des déclarations inexactes dans la lettre. Au cours d’une enquête qui a duré 17 mois, M. Briand a interrogé les demandeurs et d’autres membres du conseil d’administration de l’ACCPI et a réclamé certains documents. Se fondant sur les conclusions de M. Briand, la directrice des Plaintes et de la Discipline a conclu que des mesures disciplinaires devaient être prises contre les demandeurs et elle a précisé la nature de ces mesures.

 

[8]               La SCCI a infligé une sanction disciplinaire administrative à M. Mooney et l’a condamné à une amende de 1 000 $ pour avoir « sapé » les principes directeurs de la SCCI et pour avoir « jeté le discrédit » sur celle‑ci. La SCCI a adressé une mise en garde par écrit à Mme Williams et à M. Damitz en leur adressant une lettre dans laquelle elle leur reprochait [traduction] « d’avoir retenu ou dissimulé des renseignements » au cours de l’enquête.

 

DÉCISIONS CONTRÔLÉES

 

[9]               Les décisions en cause sont constituées des documents suivants : dans le cas de M. Mooney, une décision en date du 18 mars 2010 par laquelle Mme Woodman lui infligeait une sanction disciplinaire administrative, en se fondant sur une note de fin d’enquête rédigée le 12 décembre 2009 par M. Briand; dans le cas Mme Williams, une lettre de mise en garde rédigée le 31 mars 2010 par Mme Woodman, sur le fondement d’une note de fin d’enquête rédigée le 14 décembre 2009 par M. Briand; et, dans le cas de M. Damitz, une lettre de mise en garde du 1er avril 2010 rédigée par Mme Woodman, d’après la note de fin d’enquête rédigée le 14 décembre 2009 par M. Briand.

 

M. Mooney

 

[10]           La note de fin d’enquête relative à M. Mooney précisait que M. Mooney avait publié la lettre en question, qui était [traduction] « rédigée dans un esprit de confrontation », et qui était [traduction] « défavorable à la SCCI, qu’elle présente sous un jour négatif » et dont le ton [traduction] « est loin d’assurer “la promotion” de la SCCI ». Ces « renseignements inexacts » ont été diffusés à grande échelle dans le public pendant plusieurs mois, ce qui a [traduction] « terni » la réputation de la SCCI. De plus, le défaut de M. Mooney d’observer la procédure même de l’ACCPI en négligeant de proposer la lettre à la discussion lors d’une assemblée du conseil d’administration et de la faire circuler en vue de recueillir des commentaires. Enfin, M. Briand a demandé à M. Mooney de lui fournir une liste exacte des administrateurs qui faisaient partie du conseil d’administration de l’ACCPI à l’époque où la lettre a été publiée, ainsi que les courriels et les procès‑verbaux connexes. Il a fallu des mois à M. Mooney pour donner suite à ces demandes.

 

[11]           L’ordonnance administrative disciplinaire précise que les déclarations faites par M. Mooney dans la lettre au sujet de la SCCI étaient inexactes et qu’il n’avait jamais cherché à obtenir le point de vue de la SCCI avant de publier la lettre. En tant que membre de la SCCI, M. Mooney avait le devoir envers sa profession et envers la Société de se conformer au Code de déontologie et d’en respecter l’esprit en tout temps. Il a été conclu que M. Mooney avait violé les articles 16.5 et 16.6 du Code et il a par conséquent été condamné à une amende de 1 000 $ conformément à la Politique relative aux plaintes et à la discipline de la Société.

 

Mme Williams

 

[12]           La note de fin d’enquête relative à Mme Williams précise que M. Briand lui a demandé de nommer le nom de membres du conseil d’administration de l’ACCPI qui étaient en poste au moment où la lettre avait été publiée et de lui indiquer lesquels d’entre eux étaient également membres de la SCCI. Elle a répondu qu’elle n’en souvenait pas. M. Briand lui a ensuite demandé de vérifier une liste de membres du conseil d’administration de l’ACCPI pour s’assurer qu’il n’y manquait aucun nom. Elle a examiné la liste et a répondu qu’elle croyait qu’elle était exacte. En tant que secrétaire du conseil d’administration de l’ACCPI, Mme Williams avait la garde des dossiers et des procès‑verbaux. Elle aurait pu facilement vérifier la liste et donner une réponse certaine, mais elle ne l’a pas fait. Cette façon de se comporter n’est pas professionnelle.

 

[13]           La lettre de mise en garde reproche à Mme Williams d’avoir violé le Code de déontologie et d’avoir [traduction] « retenu ou dissimulé des renseignements raisonnablement requis aux fins d’une enquête ». Son devoir de collaborer avec l’enquêteur l’obligeait notamment à se rafraîchir la mémoire avant son entrevue avec M. Briand et d’examiner les documents pertinents, notamment la liste des membres du conseil d’administration de l’ACCPI. On induit en erreur lorsqu’on se contente de dire [traduction] « je ne crois pas »; pareille réponse revient à retenir et à dissimuler des renseignements. La lettre de mise en garde a été versée au dossier de membre de MmeWilliam.

 

M. Damitz

 

[14]           La note de fin d’enquête relative à M. Damitz lui attribuait la paternité de la lettre avec M. Mooney. Au cours de l’entrevue que lui a fait subir M. Briand, M. Damitz a fréquemment remis en question la pertinence des questions que lui posait l’enquêteur et était « hésitant » en ce qui concerne la composition du conseil d’administration de l’ACCPI au moment où la lettre a été publiée. En tant que membre actif du conseil d’administration, il aurait pu demander de consulter les procès‑verbaux pour se rafraîchir la mémoire avant ou après l’entrevue, mais il ne l’a pas fait. M. Damitz a ainsi fait défaut de collaborer pleinement et il a fait preuve de « mépris » envers le processus d’enquête.

 

[15]           La lettre de mise en garde reproche à M. Damitz d’avoir violé la Politique relative aux plaintes et à la discipline de la Société et d’avoir [traduction] « retenu ou dissimulé des renseignements raisonnablement requis aux fins d’une enquête ». Son devoir de collaborer avec l’enquêteur l’obligeait notamment à se rafraîchir la mémoire avant son entrevue avec M. Briand et d’examiner la liste des membres du conseil d’administration de l’ACCPI. La lettre de mise en garde a été versée au dossier de membre de M. Damitz.

 

[16]           Ces documents constituent les décisions contrôlées.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[17]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

a)         Les décisions visaient‑elles une fin non autorisée?

 

b)         Les décisions sont‑elles discriminatoires à l’égard des demandeurs?

 

c)         L’ordonnance administrative disciplinaire viole‑t‑elle l’alinéa 2b) de la Charte?

 

d)         La SCCI a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale envers les demandeurs en ce qui concerne :

 

i.                     la divulgation de détails,

ii.                   la possibilité de répondre,

iii.                  des demandes d’éléments de preuve qui débordaient le cadre de son enquête,

iv.                 la suffisance des motifs.

 

e)         Les décisions soulèvent-elles une crainte raisonnable de partialité?

 

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[18]           Les dispositions suivantes de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte), sont pertinentes en l’espèce :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

 

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

 

[…]

 

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; ….

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

 

 

 

2. Everyone has the following fundamental freedoms:

 

[…]

 

(b) freedom of thought, belief, opinion and expression, including freedom of the press and other media of communication; ….

 

 

[19]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) s’appliquent à la présente instance :

Règlement

91. Les règlements peuvent prévoir qui peut ou ne peut représenter une personne, dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou faire office de conseil.

 

Regulations

91. The regulations may govern who may or may not represent, advise or consult with a person who is the subject of a proceeding or application before the Minister, an officer or the Board.

 

 

[20]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) s’appliquent à la présente instance :

 

Définitions

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

[…]

 

« représentant autorisé » Membre en règle du barreau d’une province, de la Chambre des notaires du Québec ou de la Société canadienne de consultants en immigration constituée aux termes de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes le 8 octobre 2003.

 

[…]

 

Représentation contre rémunération

 

13.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), il est interdit à quiconque n’est pas un représentant autorisé de représenter une personne dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou de faire office de conseil, contre rémunération.

 

 […]

 

Stagiaires en droit

 

(3) Pour l’application du paragraphe (1), un stagiaire en droit n’est pas considéré comme représentant une personne ou faisant office de conseil contre rémunération s’il agit sous la supervision d’un membre en règle du barreau d’une province ou de la Chambre des notaires du Québec qui représente cette personne dans toute affaire ou qui fait office de conseil.

 

Interpretation

 

2. The definitions in this section apply in these Regulations.

 

[…]

 

“authorized representative” means a member in good standing of a bar of a province, the Chambre des notaires du Québec or the Canadian Society of Immigration Consultants incorporated under Part II of the Canada Corporations Act on October 8, 2003.

 

[…]

 

Representation for a fee

 

 

13.1 (1) Subject to subsection (2), no person who is not an authorized representative may, for a fee, represent, advise or consult with a person who is the subject of a proceeding or application before the Minister, an officer or the Board.

 

[…]

 

Students‑at‑law

 

(3) A student‑at‑law shall not be deemed under subsection (1) to be representing, advising or consulting for a fee if the student‑at‑law is acting under the supervision of a member in good standing of a bar of a province or the Chambre des notaires du Québec who represents, advises or consults with the person who is the subject of the proceeding or application.

 

 

[21]           Les dispositions suivantes du Code de déontologie (le Code) de la Société canadienne de consultants en immigration s’appliquent en l’espèce :

 

PARTIE 16
RESPONSABILITÉ ENVERS
LA SOCIÉTÉ ET LES AUTRES

 

[…]

 

16.5        Un consultant en immigration doit se comporter envers la Société avec respect et dignité.

 

16.6        Un consultant en immigration ne doit pas jeter le discrédit sur la Société en agissant de manière à saper ou à menacer de saper le mandat et/ou les principes directeurs de la Société.

 

PART 16: Responsibility to the Society and Others

 

 

[…]

 

 

16.5     An Immigration Consultant shall act toward the Society with respect and dignity.

 

 

16.6     An Immigration Consultant shall not bring discredit upon the Society by acting in such a way as to undermine or threaten to undermine the Society’s mandate and/or governing principles.

 

 

[22]           Les dispositions suivantes de la Politique relative aux plaintes et à la discipline de la Société canadienne de consultants en immigration (la Politique) s’appliquent en l’espèce :

2.6  Aucun membre ne peut retenir, détruire ou dissimuler des renseignements, des documents ou des éléments qui sont raisonnablement requis aux fins d’une enquête effectuée par un enquêteur.

 

[…]

 

3.3  Après avoir examiné une question qui a été soumise au processus de plaintes et de conformité et la réponse écrite du membre, le directeur peut prendre l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

 

(a) ne prendre aucune mesure;

 

(b) exiger que le membre suive et termine avec succès les programmes d’éducation ou de perfectionnement qu’il prescrira, aux frais du membre;

 

 

(c) conseiller, avertir ou mettre en garde le membre par écrit;

 

(d) exiger que le membre comparaisse devant lui ou devant une personne qu’il aura désignée, au moment et à l’endroit stipulés par l’un d’entre eux, afin d’être averti en personne;

 

(e) soumettre la question à un autre organisme qui pourrait traiter la question de façon plus appropriée;

 

(f) soumettre la question au conseil de discipline aux fins de la tenue d’une audition;

 

(g) exiger que le membre prenne d’autres mesures qu’il jugera appropriées et qui ne sont pas incompatibles avec les règlements de la Société.

 

(h) suspendre le membre ;

 

(i) imposer une pénalité financière au membre.

2.6  No Member shall withhold, destroy or conceal any information, documents or thing reasonably required for the purpose of an investigation by an Investigator.

 

 

[…]

 

3.3  After considering a matter that has entered the complaints and compliance process and any response in writing from the Member, the Manager may do one or more of the following:

 

(a) take no action;

 

(b) require the Member to successfully complete educational or upgrading measures specified by the Manager at the Member’s expense;

 

(c) advise, caution or warn the Member in writing;

 

(d) require the Member to appear before the Manager or a person designated by the Manager, at a time and place specified by one of them, to be cautioned in person;

 

 

(e) refer the matter to another body that could more appropriately deal with the matter;

 

(f) refer the matter to the Discipline Council for a Hearing;

 

(g) require the Member to take such other action that the Manager considers appropriate that is not inconsistent with the By‑Laws of the Corporation.

 

(h) suspend a Member;

 

(i) impose a financial penalty upon the Member.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

[23]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas nécessaire dans tous les cas de procéder à une analyse de la norme de contrôle applicable. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette quête de la norme de contrôle se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs formant l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[24]           Lorsqu’on se demande si une décision visait une fin non autorisée, on se demande en fait si son auteur a outrepassé sa compétence. Les questions soulevées par les demandeurs — compétence, discrimination et violation de la Charte, équité procédurale et crainte raisonnable de partialité — sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (voir l’arrêt Dunsmuir, précité). La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur. Elle entreprend plutôt sa propre analyse.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

            Les demandeurs

                        Les décisions visaient une fin non autorisée

 

[25]           Les demandeurs affirment qu’en tant que titulaire de pouvoirs délégués par la loi, la SCCI s’est servie des pouvoirs qui lui avaient été délégués à une fin non autorisée, en l’occurrence pour faire taire les critiques des demandeurs et pour empêcher certains membres de poser leur candidature à des postes au sein du conseil d’administration de la SCCI.

 

[26]           Dans l’arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, aux pages 15 et 16, le juge Rand déclare :

[traduction] La « discrétion » implique nécessairement la bonne foi dans l’exercice d’un devoir public. Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption […]

 

La « bonne foi » consistait, dans de telles circonstances, [...] à appliquer la loi d’une manière conforme à son intention et dans le but auquel elle tend; cela signifie qu’ils devaient agir de bonne foi dans une appréciation raisonnable de cette intention et de ce but, et non dans une intention hors de propos et pour un but étranger; cela ne signifie pas qu’ils devaient agir dans le but de punir une personne qui avait exercé un droit incontestable; cela ne signifie pas non plus qu’ils devaient essayer arbitrairement et illégalement de dépouiller un citoyen d’un élément de son statut de citoyen.

 

 

[27]           Les demandeurs affirment que, même s’il est loisible à la SCCI d’infliger des sanctions disciplinaires à ses membres, elle ne peut le faire à titre de mesure de représailles à des critiques (voir Desjardins c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada) (1986), 3 F.T.R. 52, [1986] A.C.F. no 237 (QL), au paragraphe 6).

 

[28]           Pour déterminer si une décision discrétionnaire repose sur des considérations irrégulières, la Cour doit d’abord définir l’objet de la loi habilitante. Toute ambiguïté quant à la question de savoir si la décision administrative entrait dans le cadre de la loi habilitante de l’auteur de la décision doit profiter au demandeur (Shell Canada Products Ltd. c. Vancouver (Ville)) (1993), [1994] 1 R.C.S. 231, [1994] A.C.S. no 15 (QL), aux paragraphes 97 et 98).

 

[29]           La loi habilitante de la SCCI a pour objet de protéger le public contre les consultants peu scrupuleux (Onuschak c. Société canadienne de consultants en immigration, 2009 CF 1135, aux paragraphes 15 et 17). Les demandeurs affirment que cet objet n’est pas compatible avec l’objectif véritable du dépôt de la plainte par la SCCI, c’est‑à‑dire réduire au silence les opposants et punir ceux qui la critiquaient. L’utilisation à une fin non autorisée des pouvoirs qui lui sont délégués constitue, de la part de l’auteur de la décision, un excès de compétence qui peut être sanctionné dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Jones et De Villars, Principles of Administrative Law, 4e éd. (Scarborough, Thomson Carswell, 2004) [Jones et De Villars], à la page 169).

 

Les décisions sont discriminatoires

 

[30]           Les demandeurs affirment que rien ne justifie la décision de la SCCI de rejeter la plainte en ce qui concerne tous les autres membres du conseil d’administration de l’ACCPI sauf les demandeurs. Cette décision était discriminatoire, en ce sens qu’elle « s’appliqu[e] de façon inégale à différentes classes » (Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 144, au paragraphe 23). Une décision administrative discriminatoire est ultra vires et elle peut être annulée (Guy Régimbald, Canadian Administrative Law (Markham, LexisNexis, 2008) à la page 208).

 

Les décisions portent atteinte à la liberté d’expression des demandeurs

 

[31]           Les demandeurs affirment qu’en décidant de faire enquête et d’infliger des sanctions disciplinaires à des membres qui avaient formulé des commentaires sur des questions d’intérêt public, la SCCI a violé le droit à la liberté d’expression garanti à l’alinéa 2b) de la Charte. La protection de la liberté d’expression d’opinions politiques est un des objectifs fondamentaux de l’alinéa 2b). Ainsi que le juge en chef Brian Dickson de la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt R. c. Keegstra (1990), 117 N.R. 1, [1990] A.C.S. no 131 (QL), au paragraphe 89 :

Le lien entre la liberté d’expression et le processus politique est peut‑être la cheville ouvrière de la garantie énoncée à l’al. 2b), et ce lien tient dans une large mesure à l’engagement du Canada envers la démocratie. La liberté d’expression est un aspect crucial de cet engagement démocratique, non pas simplement parce qu’elle permet de choisir les meilleures politiques parmi la vaste gamme des possibilités offertes, mais en outre parce qu’elle contribue à assurer un processus politique ouvert à la participation de tous. Cette possibilité d’y participer doit reposer dans une mesure importante sur la notion que tous méritent le même respect et la même dignité. L’État ne saurait en conséquence entraver l’expression d’une opinion politique ni la condamner sans nuire jusqu’à un certain point au caractère ouvert de la démocratie canadienne et au principe connexe de l’égalité de tous. 

 

 

[32]           Les demandeurs se fondent sur l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson (1989), 59 D.L.R. (4th) 416, [1989] A.C.S. no 45 (QL), au paragraphe 87, pour affirmer que la cour de révision peut annuler une décision administrative qui viole la Charte. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada déclare :

 

Le fait que la Charte s’applique à l’ordonnance rendue par l’arbitre en l’espèce ne fait, à mon avis, aucun doute. L’arbitre est en effet une créature de la loi; il est nommé en vertu d’une disposition législative et tire tous ses pouvoirs de la loi. La Constitution étant la loi suprême du pays et rendant inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit, il est impossible d’interpréter une disposition législative attributrice de discrétion comme conférant le pouvoir de violer la Charte à moins, bien sûr, que ce pouvoir soit expressément conféré ou encore qu’il soit nécessairement implicite. Une telle interprétation nous obligerait en effet, à défaut de pouvoir justifier cette disposition législative aux termes de l’article premier, à la déclarer inopérante. [...] Une disposition législative conférant une discrétion imprécise doit donc être interprétée comme ne permettant pas de violer les droits garantis par la Charte.

 

 

[33]           Les demandeurs soutiennent également que, comme la décision initiale d’ouvrir une enquête portait atteinte aux droits que leur garantit la Charte, toutes les décisions ultérieures découlant de cette enquête illégale, y compris les lettres de mise en garde, devraient être annulées (Kuntz c. Saskatchewan Association of Optometrists (1992), [1993] 3 W.W.R. 651, [1992] S.J. No 644 (QL) (CBR)).

 

La SCCI a manqué à son obligation d’équité procédurale

 

[34]           Toutes les enquêtes et décisions disciplinaires sont assujetties à l’obligation d’agir avec équité (décision Kuntz, précitée). S’agissant de l’enquête, les demandeurs affirment que, dans le cas qui nous occupe, la SCCI ne leur a pas fourni de détails suffisants au sujet de l’allégation et qu’elle ne leur a pas accordé une possibilité raisonnable de répondre (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne) (1989), [1989] 2 R.C.S. 879, [1989] A.C.S. no 103 (QL)). De plus, l’enquête avait une portée trop large. La SCCI a réclamé des documents et des renseignements qui débordaient le cadre de l’enquête et elle s’est lancée dans une « recherche à l’aveuglette ». Les questions que la SCCI a posées avec insistance au sujet de l’identité des membres du conseil d’administration de l’ACCPI au moment où la lettre a été publiée débordaient le cadre de l’enquête.

 

[35]           En ce qui concerne les mesures disciplinaires, les demandeurs signalent que, dans la décision par laquelle il inflige une sanction disciplinaire administrative, M. Mooney ne précise pas quels commentaires formulés dans la lettre étaient inexacts. Quant aux lettres de mise en garde, les demandeurs soutiennent qu’elles constituent également un manquement à l’équité procédurale parce qu’elles faisaient suite aux enquêtes trop poussées de la SCCI sur l’identité des membres du conseil d’administration de l’ACCPI.

 

L’enquête et les décisions soulèvent une crainte raisonnable de partialité

 

[36]           Le critère de la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander si l’observateur relativement bien renseigné percevrait de la partialité chez l’auteur de la décision (Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities) (1992), [1992] 1 R.C.S. 623, [1992] A.C.S. no 21 (QL), au paragraphe 22). Les demandeurs affirment que l’enquête et les décisions de la SCCI soulèvent une crainte raisonnable de partialité pour les raisons suivantes :

a)         La directrice des Plaintes et de la Discipline agissait comme juge et partie du fait qu’elle avait déposé la plainte et pris une décision au sujet de l’enquête;

b)         La plainte ne concernait qu’une seule lettre, mais la SCCI a de façon injustifiable pris plus de 17 mois pour mener son enquête;

c)         L’enquête a porté sur des questions qui n’avaient aucun rapport avec la plainte, dont les opérations internes de l’ACCPI, ses rouages et ses points de vue traditionnels sur la SCCI et des activités de la SCCI;

d)         Les décisions ont eu pour effet d’empêcher les demandeurs de se porter candidats à des postes du conseil d’administration de la SCCI et l’on craint depuis longtemps que la SCCI ne recoure à des mesures disciplinaires pour empêcher des membres de poser leur candidature;

e)         La plainte était motivée par les critiques envers la SCCI.

 

            La défenderesse

 

 

Le Code et la Politique relative à la discipline de la SCCI ne visaient pas une fin non autorisée

 

[37]           La Cour d’appel fédérale a reconnu que la SCCI était titulaire de pouvoirs subdélégués qui lui permettaient d’établir des règles et des politiques pour remplir son mandat (décision Barreau du Haut‑Canada, précitée). La défenderesse affirme que le Code de déontologie et la Politique relative aux plaintes et à la discipline constituent des mesures législatives subordonnées édictées dans le cadre de la loi habilitante de la Société et que, pour cette raison, elles sont valides (Jones et De Villars, précité, aux pages 100, 105, 107 et 108).

 

[38]           Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, rien ne permet de penser que le Code ou la Politique ont été adoptés de mauvaise foi ou à une fin étrangère (et, partant, irrégulière) au mandat de la Société qui, suivant ses lettres patentes, consiste à réglementer les activités des consultants dans l’intérêt du public conformément aux politiques et aux procédures de la Société. L’adoption du Code et de la Politique ne constitue pas un abus de pouvoir discrétionnaire. En conséquence, rien ne justifie l’intervention de la Cour (Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8).

 

Les décisions ne sont pas discriminatoires

 

[39]           Les demandeurs affirment que les décisions les ciblent et les soumettent à un traitement particulier qui est plus sévère que celui qui est réservé aux autres membres de la SCCI qui siégeaient au sein du conseil d’administration de l’ACCPI au moment où la lettre a été publiée. La défenderesse affirme que cela n’est pas exact. M. Mooney a fait l’objet d’une mesure disciplinaire parce qu’il a écrit la lettre en question et parce qu’il l’a publiée sans consulter les autres membres, contrairement à ce que prévoit la procédure de l’ACCPI. Mme Williams et M. Damitz ont fait l’objet de mesures disciplinaires parce qu’ils ont retenu et dissimulé des renseignements au cours de l’enquête. S’ils avaient collaboré, la plainte portée contre ces deux personnes aurait été rejetée, tout comme elle l’avait été dans le cas des dix autres membres du conseil d’administration de l’ACCPI.

 

Le Code et la Politique de la SCCI ne violent pas la Charte

 

[40]           Le Code de déontologie et la Politique relative aux plaintes et à la discipline de la SCCI obligent les membres à se comporter envers la Société avec respect et à ne pas jeter le discrédit sur la Société en agissant de manière à saper le mandat et les principes directeurs de la Société. Les organismes de réglementation imposent fréquemment des obligations semblables à leurs membres. Les tribunaux ont déjà confirmé que de telles obligations ne contrevenaient pas à la Charte (Perry c. Association of Professional Engineers and Geoscientists of the Province of British Columbia, 2005 BCSC 1102, aux paragraphes 8, 14 et 15; Ahrens c. Alberta Teachers Association (1994), 15 Alta L.R. (3d) 388, [1994] A.J. No 30 (QL) (C.B.R.), au paragraphe 2; Histed c. Law Society of Manitoba, 2007 MBCA 150, au paragraphe 54).

 

[41]           Par ailleurs, suivant les tribunaux, la liberté d’expression n’est pas un droit absolu. Les tribunaux ont jugé sans hésiter que le droit à la liberté d’expression d’un membre ne l’emporte pas sur l’intérêt qu’a le public à ce que le code de déontologie de l’organisme de réglementation soit respecté. Le fait que ces codes de déontologie servent à défendre d’importantes valeurs sociales a été reconnu et a résisté à un examen minutieux à l’occasion de contestations fondées sur la Charte (décision Perry, précitée, aux paragraphes 14, 15 et 19 à 21; décision Ahrens, précitée, aux paragraphes 18, 19, 22 et 23; arrêt Histed, précité, aux paragraphes 40, 46, 54, 55, 60 à 63 et 67 à 79).

 

L’équité procédurale a été respectée

 

[42]           La défenderesse affirme qu’à l’étape de l’enquête, il n’est pas nécessaire de faire connaître le détail de la plainte et qu’il suffit d’en préciser la nature (Kutsogiannis c. Association of Regina Realtors Inc. (1989), 79 Sask. R. 214, [1989] S.J. No 439 (QL) (C.B.R.), à la page 8; Strauts c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia (1997), 36 B.C.L.R. (3d) 106, [1997] B.C.J. No 1518 (QL) (CA), aux paragraphes 13 à 16).

 

[43]           Toutes les personnes inscrites comme membres du conseil d’administration sur le site Web de l’ACCPI, y compris les demandeurs, se sont néanmoins vu communiquer le détail des allégations formulées contre elles par le biais d’un avis de plainte et d’enquête. Cet avis citait les articles 16.5 et 16.6 du Code ainsi que les passages précis de la lettre qui contrevenaient à ces articles. On a rappelé aux membres du conseil d’administration qu’au cours de l’enquête, ils étaient tenus en vertu du Code de la SCCI de fournir les documents demandés, de répondre sans délai aux demandes de renseignements et de collaborer avec l’enquêteur.

 

[44]           Suivant la défenderesse, les demandeurs ont reçu un avis suffisant de la plainte. En matière de mesures disciplinaires professionnelles, l’obligation d’équité procédurale est limitée, surtout à l’étape de l’enquête, en raison du rôle important que les organismes professionnels jouent en matière de protection de l’intérêt public (Butterworth c. College of Veterinarians of Ontario, [2002] O.J. No 1136 (QL) (Cour div.), au paragraphe 2; Silverthorne c. Ontario College of Social Workers and Social Service Workers (2006), 264 D.L.R. (4th) 175, [2006] O.J. No 207 (QL) (Cour div.), aux paragraphes 15 à 18; arrêt Strauts, précité, aux paragraphes 6 et 7).

 

[45]           Les demandeurs soutiennent également qu’on ne leur a pas offert la possibilité de répondre à la plainte et à l’enquête. La défenderesse affirme que, dans le cas des organismes administratifs comme la SCCI, on n’exige pas la perfection procédurale (Knight c. Indian Head School Division No 19 (1990), 69 D.L.R. (4th) 489, [1990] A.C.S. No 26 (QL), au paragraphe 49). On doit faire preuve d’une retenue considérable envers le décideur que la loi habilite à établir sa propre procédure (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39, au paragraphe 27). Néanmoins, les demandeurs ont été invités à faire valoir leur point de vue, à présenter des éléments de preuve et à répondre aux demandes de renseignements de l’enquêteur. Les demandeurs ont réclamé à de nombreuses reprises des prorogations de délai, qui leur ont été accordées. Contrairement à ce que les demandeurs prétendent, la SCCI a respecté son obligation d’équité procédurale.

 

[46]           En ce qui concerne la question de savoir si la décision était suffisamment motivée, la défenderesse souligne que l’ordonnance administrative disciplinaire précise en toutes lettres que M. Mooney était l’auteur de la lettre et que les mesures étaient prises contre lui pour avoir diffusé des renseignements trompeurs et inexacts au sujet de la SCCI et pour avoir sapé le mandat et les principes directeurs de la SCCI. De même, les lettres de mise en garde indiquent clairement que des mesures disciplinaires sont prises contre Mme Williams et M. Damitz pour avoir retenu et dissimulé des renseignements au cours de l’enquête. La Cour suprême du Canada a expliqué, dans l’arrêt R c. REM, 2008 CSC 51, aux paragraphes 17 et 25, que les motifs sont suffisants s’ils révèlent aux personnes dont les droits, les privilèges ou les intérêts sont touchés par la décision, les raisons pour lesquelles cette décision a été rendue et lorsqu’ils permettent un véritable contrôle judiciaire. En l’espèce, ces exigences minimales ont été respectées. La SCCI n’était pas tenue d’articuler chacune des conclusions l’ayant conduite à ses décisions (arrêt REM, précité, au paragraphe 35).

 

Les allégations de crainte raisonnable de partialité sont sans fondement

 

[47]           La défenderesse affirme que l’allégation de crainte raisonnable de partialité est sans fondement. C’est à celui qui accuse quelqu’un d’autre de partialité qu’il incombe de démontrer qu’il existe une réelle probabilité de partialité; un simple soupçon est insuffisant (Zündel c. Citron (2000), [2000] 4 C.F. 225, [2000] A.C.F. no 679 (QL) (CA), au paragraphe 36).

 

[48]           La défenderesse affirme que le service des plaintes et de la discipline de la SCCI est indépendant de tous les autres services de la Société. Le fait que la directrice ait exercé « des fonctions qui se chevauchaient » en ouvrant une enquête et en imposant une réparation ne soulève pas en principe de crainte raisonnable de partialité (Brosseau c. Alberta (Securities Commission) (1989), 57 D.L.R. (4th) 458, à la page 464, [1989] A.C.S. no 15).

 

[49]           En ce qui concerne l’enquête, M. Briand est un enquêteur qui compte 29 années d’expérience. Il s’est joint à la SCCI moins d’un mois avant d’entreprendre son enquête. Les enquêteurs qui examinent une plainte professionnelle sont justifiés d’être suspicieux et on doit leur laisser de la latitude (College of Physicians and Surgeons of the Province of Alberta c. JH, 2008 ABQB 205, aux paragraphes 81, 116, 124 et 127).

 

[50]           Le fait que l’enquête a duré 17 mois s’explique en grande partie par les agissements des demandeurs, qui ont soumis des éléments de preuve incomplets et contradictoires, ont demandé et obtenu des prorogations de délai pour répondre aux demandes de communication de documents et de renseignements et qui ont changé d’avocats. La défenderesse se fonde sur l’arrêt Blencoe c. Colombe‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, aux paragraphes 101 à 104 pour soutenir qu’en tout état de cause, le retard qu’accuse une enquête ne cause une iniquité que s’il empêche une personne de répondre à la plainte. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce.

 

[51]           Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, l’ordonnance administrative disciplinaire n’empêche pas M. Mooney d’exercer sa profession au Québec, car il est toujours un membre en règle de la SCCI. De plus, les mesures disciplinaires n’ont pas été prises dans le but d’empêcher MM. Mooney et Damitz de poser leur candidature lors des élections de 2010 de la SCCI. Comme il avait déjà fait l’objet d’une mesure disciplinaire en 2008, M. Mooney était déjà inadmissible à se présenter aux élections. M. Damitz avait reçu une lettre de mise en garde parce qu’il avait refusé de collaborer pleinement à l’enquête. S’il avait collaboré, la plainte portée contre lui aurait été rejetée, comme elle l’avait été dans le cas des autres membres du conseil d’administration de l’ACCPI.

 

Les décisions étaient raisonnables

 

[52]           La défenderesse affirme que les présentes décisions appartiennent aux issues raisonnables acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir, précité. La directrice des Plaintes et de la Discipline de SCCI a estimé que la lettre en question contenait des commentaires au sujet de la SCCI et de ses règles, de sa structure et de son mode de fonctionnement, qu’elle jetait le discrédit sur la SCCI et sur la profession et qu’elle minait l’indépendance, l’intégrité et l’efficacité de la SCCI et en sapait le mandat et les principes directeurs, en plus de diffuser à large échelle dans le public des renseignements inexacts au sujet de la SCCI et de son rôle en tant qu’organisme de réglementation. Le rôle qu’a joué M. Mooney en rédigeant et en publiant la lettre constituait une contravention aux articles 16.5 et 16.6 du Code de déontologie, ce qui justifiait la prise de mesures disciplinaires. De même, la conduite affichée par Mme Williams et M. Damitz en retenant et en dissimulant des renseignements au cours de l’enquête sur la publication de la lettre contrevenait à l’article 2.6 de la Politique relative aux plaintes et à la discipline. Pour cette raison, ces actes méritaient les lettres de mise en garde.

 

Réponse des demandeurs

 

[53]           Les demandeurs affirment que la défenderesse a mal énoncé et a mal qualifié la nature de leur contestation fondée sur la Charte. Cette contestation vise la décision de la SCCI d’infliger des sanctions disciplinaires à M. Mooney pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression, droit qui est protégé par la Constitution; elle ne vise pas la constitutionnalité des articles 16.5 et 16.6 du Code eux‑mêmes. Il s’ensuit que la défenderesse introduit ainsi des éléments de preuve dénués de pertinence au sujet de la similitude entre les articles 16.5 et 16.6 et les dispositions de codes de déontologie d’autres organismes de réglementation.

 

[54]           Dans l’arrêt Whatcott c. Saskatchewan Assn. of Licensed Practical Nurses, 2008 SKCA 6, aux paragraphes 31, 32, 36, 43 et 56, la Cour d’appel de la Saskatchewan propose le bon cadre d’analyse pour trancher cette question. Je paraphrase le résumé des demandeurs comme suit :

a)         La décision d’un tribunal administratif peut être contestée au motif que la décision porte elle‑même atteinte à des droits reconnus par la Charte.

b)         Le tribunal administratif qui agit en vertu des pouvoirs qui lui sont délégués commet un excès de compétence s’il rend une ordonnance qui contrevient à la Charte.

c)         Pour analyser si une décision contrevient à la Charte, on ne doit pas utiliser la norme de contrôle qui s’applique en droit administratif. La norme applicable est celle de la décision correcte. La question à trancher est celle de l’effet de la décision sur la liberté d’expression garantie par la Constitution.

d)         Lorsque la constitutionnalité d’une décision est en litige, il faut procéder à une analyse constitutionnelle.

e)         Lorsque l’alinéa 2b) de la Charte est en cause, la Cour doit d’abord déterminer s’il y a eu ou non violation de l’alinéa 2b). Le critère à deux volets applicable est celui qui est énoncé dans l’arrêt Irwin Toy c. Québec (Procureur général) (1989), [1989] 1 R.C.S. 927, [1989] A.C.S. no 36 : la première étape consiste à déterminer si l’activité en cause est protégée par la liberté d’expression; la seconde étape consiste à se demander si, par son objet ou son effet, la décision contestée porte atteinte à cette protection.

f)          Si l’on a porté atteinte à l’alinéa 2b), la Court doit se demander si la décision peut être sauvegardée par application de l’article premier de la Charte. Aux termes de l’article premier, il incombe à l’auteur de la décision de convaincre la Cour, par de solides éléments de preuve, que cette atteinte peut se justifier « dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

 

[55]           Les demandeurs se fondent sur l’arrêt Whatcott, précité, aux paragraphes 56 à 79, pour soutenir que les décisions portent atteinte à la liberté d’expression de M. Mooney. Il incombait à la SCCI de présenter des éléments de preuve démontrant que cette atteinte se justifiait, mais elle ne l’a pas fait.

 

[56]           Les demandeurs allèguent également que certains aspects de la preuve de la défenderesse sont intéressés et sans fondement. En premier lieu, M. Mooney nie l’allégation que les renseignements contenus dans la lettre sont inexacts. La défenderesse n’a pas présenté d’éléments de preuve démontrant le contraire. En second lieu, la défenderesse n’a pas précisé l’identité des membres du conseil d’administration de l’ACCPI qui affirmaient avoir été privés de la possibilité de commenter ou d’approuver la lettre. Les demandeurs affirment que, comme ces « éléments de preuve » ont servi à justifier la sanction disciplinaire infligée à M. Mooney, la défenderesse doit les présenter pour que les demandeurs puissent en évaluer la fiabilité.

 

Mémoire complémentaire de la défenderesse

 

[57]           La défenderesse soutient que M. Mooney a manqué à son devoir de s’assurer que chacun des membres du conseil d’administration de l’ACCPI avait la possibilité de voter au sujet de la lettre. M. Mooney a admis que des déclarations qu’il attribuait à d’autres membres du conseil d’administration et au rapport étaient en fait les siennes. Il a également admis que certains passages de la lettre étaient inexacts. Par exemple, M. Mooney n’avait pas vérifié l’exactitude de son affirmation selon laquelle les décisions de la Société ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle judiciaire; cette affirmation est en fait inexacte. En conséquence, la défenderesse affirme que les mesures disciplinaires infligées à M. Mooney n’étaient pas sévères.

 

[58]           La défenderesse ajoute que les mesures disciplinaires prises contre Mme Williams et M. Damitz étaient elles aussi peu sévères. Comme elles avaient participé à la nomination des membres du conseil d’administration de l’ACCPI, ces personnes avaient accès à des renseignements qui étaient nécessaires pour l’enquête, mais elles n’ont pas communiqué les renseignements en question. La mesure disciplinaire prise contre eux était corrective.

 

[59]           Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la décision d’infliger une sanction disciplinaire aux demandeurs était appropriée et elle n’était pas discriminatoire. Les autres administrateurs de l’ACCPI n’ont pas fait l’objet de mesures disciplinaires parce que, comme ils avaient joué un rôle beaucoup plus limité en ce qui concerne les événements en question, ils ne méritaient pas de sanctions disciplinaires. À la différence de M. Mooney, ils n’ont pas écrit la lettre, et à la différence de Mme Williams et de M. Damitz, ils n’ont pas refusé de communiquer des renseignements. Il y a lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 212, dans laquelle la même politique n’avait pas été appliquée de façon uniforme, contrairement à ce qui s’est produit en l’espèce. Le fait que certains administrateurs aient fait l’objet d’une mesure disciplinaire et que d’autres en aient été exemptés s’explique par la conduite différente propre à chacun des administrateurs de l’ACCPI.

 

[60]           La défenderesse affirme également que l’enquête n’avait pas une portée trop large. Les demandes de renseignements sur les activités de l’ACCPI et ses règlements administratifs visaient plutôt à découvrir si les membres du conseil d’administration de l’ACCPI cherchaient à discréditer la Société et elles visaient à obtenir des éclaircissements au sujet des renseignements contradictoires communiqués au sujet de la nomination des administrateurs.

 

[61]           Enfin, les mesures disciplinaires qui ont été prises ne portent pas atteinte à l’alinéa 2b) de la Charte. Les droits garantis par la Charte ne sont pas absolus. L’article premier permet de justifier une atteinte à ces droits lorsque cette atteinte est prévue « par une règle de droit » et « la justification [de cette atteinte peut] se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

 

[62]           La défenderesse soutient que les décisions étaient conformes aux articles 16.5 et 16.6 du Code. Ces articles constituent des « règles de droit » qui restreignent des droits. Les tribunaux ont confirmé des décisions prises en vertu de codes de déontologie semblables (voir, par exemple, l’arrêt Histed, précité).

 

[63]           Les décisions se justifient par ailleurs dans le cadre d’une société libre et démocratique. Elles font suite aux mesures prises par la Société pour s’acquitter de sa mission de réglementer les activités des consultants en immigration dans l’intérêt du public. Un corollaire nécessaire de cette mission est la protection de l’intégrité de la profession de consultant en immigration, ce qui comporte l’examen de toute conduite de ses membres qui risque de jeter le discrédit sur la Société en sapant son mandat ou ses principes directeurs.

 

[64]           Les demandeurs invoquent l’arrêt Whatcott, précité, à l’appui de la proposition qu’il n’existe pas de lien rationnel entre la mesure disciplinaire prise par la Société et la protection de l’intégrité de la profession. Dans cette affaire, la cour avait conclu à l’absence de lien rationnel parce que l’infirmier en cause avait fait du piquetage devant une clinique de planning familial en dehors de ses heures de travail. Il convient d’établir une distinction entre ces faits et ceux de la présente affaire. M. Mooney a fait des déclarations inexactes en sa qualité de consultant en immigration. Ces déclarations ont été publiées sur un site Web accessible au grand public et elles visaient directement l’intégrité et le mandat de la Société en tant qu’organisme de réglementation. Il existe un lien rationnel entre la décision de prendre des mesures disciplinaires et la mission de la Société de protéger le public et de veiller à ce que la profession soit respectée.

 

[65]           De plus, les décisions portent atteinte de façon minimale aux droits garantis à M. Mooney par l’alinéa 2b). Il a fait l’objet d’une ordonnance administrative disciplinaire et a été condamné à une amende de 1 000 $. Il n’a jamais été suspendu et il ne s’est jamais vu retirer son droit d’exercer comme consultant en immigration ou interdire de faire d’autres déclarations au sujet du rapport ou de la Société. Les objectifs consistant à assurer le respect et l’intégrité de la profession et de protéger l’intérêt du public l’emportent sur les conséquences négatives subies par M. Mooney.

 

ANALYSE

            Philip Mooney

 

[66]           La décision relative à M. Mooney se trouve dans l’ordonnance en date du 18 mars 2010 par laquelle une sanction disciplinaire administrative a été infligée par Mme Woodman en tant que directrice des Plaintes et de la Discipline. Je crois qu’il est utile de citer le texte intégral de cette décision :

[traduction]

 

J’ai examiné les renseignements disponibles au sujet de l’affaire à l’origine du processus de plainte et de discipline, y compris votre réponse et le rapport de l’enquêteur, M. Pierre Briand, en vue de déterminer s’il convenait, dans l’intérêt public, de rendre une autre décision que celle de renvoyer l’affaire à une audience disciplinaire.

 

Il a été conclu que vous avez contrevenu aux articles 16.5 et 16.6 du Code de déontologie lorsque, le 24 juin 2008, vous avez signé et publié un article sur le site Web de l’Association canadienne des conseillers professionnels en immigration (l’ACCPI) intitulé [traduction] « Commentaires de la SCCI au sujet du rapport du Comité permanent ».

 

Article 16.5 du Code de déontologie

 

L’article publié sur le site Web renfermait des affirmations relatives à l’organisme de réglementation qui n’étaient pas fiables et qui étaient présentées comme des déclarations factuelles. En tant que membre de la SCCI et auteur de cet article, vous n’avez pas assuré l’intégrité de la publication en vérifiant l’exactitude des renseignements auprès de l’organisme de réglementation avant de les publier. De plus, vous n’avez pas cherché à obtenir la réaction de l’organisme de réglementation et à faire état avec exactitude de sa réponse. L’article a été publié sur la page d’accueil du site Web le 24 juin 2008 et a été diffusé jusqu’en octobre 2008, de sorte que des renseignements inexacts au sujet de l’organisme de réglementation ont été largement diffusés auprès du public et des membres de la SCCI qui consultaient le site.

 

Article 16.6 du Code de déontologie

 

L’article ne vise pas une politique gouvernementale ou législative et ne constitue donc pas un commentaire sur une politique publique ou sur le rapport du Comité permanent. L’article se veut plutôt une réaction à la réponse de l’organisme de réglementation au rapport du Comité permanent et un commentaire sur cette réponse. L’article qui a été publié a pour effet de saper le mandat et les principes directeurs de l’organisme de réglementation.

 

En tant que membre de la SCCI, vous avez des comptes à rendre à l’organisme de réglementation et à la profession, ce qui vous oblige également à vous conformer aux dispositions du Code de déontologie. Vous n’êtes pas dispensé de cette obligation parce que vous êtes membre d’une association de consultants en immigration. Les membres du SCCI sont censés se conformer au Code de déontologie et de respecter l’esprit du Code en tout temps.

 

Ordonnance

 

En vertu de l’alinéa 3.3g) de la Politique relative aux plaintes et à la discipline, vous êtes condamné à une amende de mille dollars (1 000 $). Pour vous conformer à la présente ordonnance, vous devez acquitter la somme due en la payant à la Société canadienne de consultants en immigration au plus tard à 17 h le vendredi 9 avril 2010.

 

 

[67]           Mme Woodman indique clairement que, pour arriver à sa décision, elle a [traduction] « examiné les renseignements disponibles au sujet de l’affaire à l’origine du processus de plainte et de discipline […] » Cette affirmation est toutefois inexacte. Mme Woodman n’a pas examiné « les renseignements disponibles » avant de parvenir à sa décision.

 

[68]           Le 1er décembre 2010, au cours de son contre‑interrogatoire, Mme Woodman a confirmé ce qui suit :

a)         Elle s’est fondée sur la note de fin d’enquête du 12 décembre 2009 de M. Briand pour arriver à sa décision;

b)         Elle a procédé ainsi parce qu’elle présumait qu’en tant qu’enquêteur, M. Briand lui offrirait une opinion équilibrée de la preuve qui avait été recueillie ainsi que des conclusions tirées à partir de la preuve;

c)         Elle n’a pas examiné la transcription des entrevues réalisées par M. Briand;

d)         Elle pouvait consulter la transcription des entrevues et elle aurait pu la demander. Elle a choisi de ne pas le faire parce qu’elle avait demandé à M. Briand de lui communiquer les renseignements pertinents recueillis lors des entrevues en se fondant sur la note de fin d’enquête de M. Briand;

e)         Mme Woodman n’était pas au courant des éléments de preuve recueillis lors des entrevues et des documents que M. Briand avait choisi de ne pas mentionner dans sa note de fin d’enquête.

 

[69]           Il est donc évident que, pour rendre sa décision au sujet de M. Mooney — et c’est également le cas de Mme Williams et de M. Damitz —, Mme Woodman n’a pas tenu compte de tous les « renseignements disponibles » mais qu’elle a plutôt choisi de se fier au compte rendu sélectif que M. Briand avait fait des entrevues qu’il avait menées et des conclusions qu’il avait tirées de ce compte rendu sélectif et dont il avait tenu compte dans sa note de fin d’enquête.

 

[70]           La décision de Mme Woodman tient également pour acquis que M. Mooney était le seul auteur de la lettre publiée sur le site Web de l’Association canadienne des conseillers professionnels en immigration. En fait, cela semble être la raison pour laquelle seul M. Mooney a été accusé d’avoir contrevenu aux articles 16.5 et 16.6 du Code : [traduction] « le 24 juin 2008, vous avez signé et publié un article […] ».

 

[71]           Mme Woodman n’explique pas comment elle est arrivée à cette conclusion. Suivant la preuve, même s’il a pris l’initiative de rédiger la lettre, M. Mooney n’en était pas l’unique auteur et d’autres administrateurs étaient d’accord avec son approche. Selon toute vraisemblance, la conclusion de Mme Woodman était fondée uniquement sur les conclusions de M. Briand qui se trouvaient dans sa note de fin d’enquête plutôt que sur une évaluation personnelle du dossier que Mme Woodman aurait faite.

 

[72]           Il est intéressant de signaler que cette conclusion est contredite par M. Briand lui‑même qui, lorsque cela fait son affaire, rend tous les administrateurs de l’ACCPI collectivement responsables de la publication de la lettre, incluant même ceux qui n’ont pas participé activement à sa rédaction. Dans une lettre écrite à Mme Janet Burton le 24 août 2009, voici ce que M. Briand écrit à ce sujet :

[traduction] Je suis convaincu que vous n’avez pas participé à la rédaction de l’article publié par Phil Mooney (sic) et que vous ne lui avez pas répondu lorsqu’il vous a fait suivre un courriel à ce sujet. Toutefois, en tant que membres du conseil d’administration de la Société, vous êtes solidairement responsables des mesures prises par son président et par ses membres. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[73]           M. Briand reconnaît ici que tous les administrateurs étaient [traduction] « également et mutuellement responsables » de la lettre. Pourtant, Mme Woodman, qui affirme s’être fondée sur la note de fin d’enquête de M. Briand, ne semble pas être au courant de la position de M. Briand à ce sujet et ne prend des mesures disciplinaires que contre M. Mooney. L’explication la plus plausible de cette décision est le fait que la position de M. Briand au sujet de la responsabilité « égale » et « mutuelle » des administrateurs en ce qui concerne la lettre n’est pas précisée dans sa note de fin d’enquête.

 

[74]           La lettre adressée par M. Briand à Mme Burton montre aussi clairement que M. Briand était parfaitement au courant que M. Mooney avait envoyé un courriel à Mme Burton et lui avait offert la possibilité, en tant qu’administratrice de l’ACCPI, de faire valoir son point de vue et de formuler ses commentaires au sujet de la teneur et de la présentation de la lettre. On est loin à mon avis de l’administrateur rebelle qui agit seul. Il s’agit plutôt d’un administrateur qui a pris l’initiative de rédiger cette lettre mais qui a cherché à obtenir l’avis et l’appui de ses collègues administrateurs. Ce que je trouve étrange, c’est que M. Briand n’a pas repris clairement sa position au sujet de la responsabilité « égale » et « mutuelle » dans la note de fin d’enquête qu’il a adressée à Mme Woodman. Dans l’hypothèse où M. Briand ne l’a pas fait, Mme Woodman a commis une erreur de fait fondamentale en prononçant une ordonnance disciplinaire contre M. Mooney parce qu’elle n’avait pas examiné de façon indépendante les principaux éléments de preuve et qu’elle s’en est remis à M. Briand pour qu’il lui fasse part de ses conclusions, estimant que M. Briand avait une opinion équilibrée de la preuve. Si par contre M. Briand a bien exposé sa position sur la responsabilité « égale » et « mutuelle » dans sa note de fin d’enquête, la décision disciplinaire prononcée contre M. Mooney par Mme Woodman est également entachée d’une erreur susceptible de révision parce qu’elle attribue la paternité et l’entière responsabilité de la lettre exclusivement à M. Mooney.

 

[75]           Mme Woodman conclut que M. Mooney a contrevenu à l’article 16.5 du Code de déontologie parce que (et je paraphrase) :

a)         La lettre renfermait, au sujet de l’organisme de réglementation, des affirmations qui n’étaient pas fiables et qui étaient présentées comme des affirmations de fait;

b)         En tant que membre de la SCCI et auteur de l’article, M. Mooney ne s’est pas assuré de l’intégrité de la publication en vérifiant l’exactitude des renseignements auprès de la SCCI avant de les publier;

c)         M. Mooney n’a pas cherché à obtenir la réaction de l’organisme de réglementation et à faire état avec exactitude de sa réponse;

d)         La lettre a été publiée sur la page d’accueil du site Web le 24 juin 2008 et a été diffusée jusqu’en octobre 2008, de sorte que des renseignements inexacts au sujet de l’organisme de réglementation ont été largement diffusés auprès du public et des membres de la SCCI qui consultaient le site.

 

[76]           L’ordonnance disciplinaire est loin d’être suffisamment motivée et justifiée. Elle donne à penser que le membre qui publie un article dans lequel il critique la SCCI sans solliciter sa réaction et sa confirmation contrevient à l’article 16.5 du Code de déontologie. Or, l’article 16.5 indique seulement qu’« un consultant en immigration doit se comporter envers la Société avec respect et dignité ». Le respect et la dignité n’exigent pas de consulter avant de publier. Mme Woodman semble estimer que les membres ne devraient pas critiquer publiquement la SCCI sans avoir d’abord obtenu l’approbation ou la confirmation de la SCCI. Il n’y a rien à mon avis dans le Code de déontologie ou dans la jurisprudence applicable qui appuie un tel point de vue, qui donne à penser que la SCCI souhaite simplement contrôler ou censurer les membres de l’ACCPI et de la SCCI.

 

[77]           À l’instruction de la présente demande le 13 janvier 2011 à Toronto, l’avocat de la SCCI a précisé, pour le compte de la Cour, que la SCCI n’adoptait pas le point de vue que les critiques adressées publiquement à la SCCI par ses membres contrevenaient en soi au Code de déontologie. L’avocat a expliqué que le problème dans le cas qui nous occupe réside dans le fait que les critiques étaient fondées sur des inexactitudes. En d’autres termes, la thèse de la SCCI est que M. Mooney a contrevenu à l’article 16.5 et qu’il n’a pas agi envers la Société avec respect et dignité parce que l’article qu’il a publié était inexact.

 

[78]           Mme Woodman parle d’inexactitude dans ses motifs, mais elle ne précise pas en quoi la lettre est inexacte. Sur ce point, la décision est par conséquent inéquitable sur le plan procédural parce qu’elle n’explique pas à M. Mooney en quoi la lettre est inexacte. La décision renferme des assertions, mais pas de motifs ou d’explications (VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports (2000), [2001] 2 C.F. 25, [2000] A.C.F. no 1685 (QL) (CA)).

 

[79]           Il est vrai que, dans la lettre du 24 juin 2008 dans laquelle il expose la plainte à M. Mooney, M. Briand explique ce qui suit :

[traduction]

 

Sachez que la Société, qui agit comme plaignante dans la présente affaire, a ouvert une enquête pour faire suite aux allégations suivant lesquelles vous avez contrevenu au Code. Il est plus précisément allégué ce qui suit :

 

Le 24 juin 2008, vous avez diffusé publiquement sur le site Web de l’ACCPI une lettre qui contenait des commentaires au sujet de la Société et de ses règles, de sa structure et de son mode de fonctionnement, jetant ainsi le discrédit sur la SCCI et sur la profession. Votre article mine l’indépendance, l’intégrité et l’efficacité de la SCCI. Votre lettre contient des affirmations trompeuses et inexactes au sujet de la SCCI et de son rôle en tant qu’organisme de réglementation. Les déclarations contenues dans la lettre jettent le discrédit sur la SCCI et sur ses membres.

 

Vous avez contrevenu à l’article 16.5, qui dispose : « Un consultant en immigration doit se comporter envers la Société avec respect et dignité ». Vous avec déclaré ce qui suit :

 

1.      Nous croyons que ce qui est « inacceptable », c’est que le processus des plaintes et de la discipline ne s’applique pas aux consultants qui ne sont assujettis à aucune réglementation et qu’on ne peut recourir à la loi pour assurer l’exécution des décisions rendues dans le cadre de ce processus, et ce, même dans le cas des membres de la Société, parce que celle‑ci ne bénéficie pas de l’appui d’une loi. Il est également inacceptable que ses décisions échappent à tout contrôle judiciaire, de sorte que des membres pourraient perdre leur droit d’exercer leur profession même si une erreur est commise au cours du processus.

 

2.      M. Ryan affirme que la SCCI a un plan stratégique. C’est la première fois que la plupart d’entre nous en entendent parler, et nous n’avons jamais vu de tel plan. Il ne figure nulle part sur notre site Web. C’est peut‑être la raison pour laquelle tant de personnes estiment qu’au lieu d’écouter, la SCCI s’affaire à intervenir auprès de nous.

 

3.      M. Ryan affirme également que la SCCI présente des états financiers vérifiés à ses membres. Là encore, rien de tout cela n’est mentionné sur le site Web de la Société, et autant que nous le sachions, on n’en a pas vu depuis deux ans. Par le passé, les états vérifiés que nous avons pu consulter n’étaient pas d’une qualité suffisante pour permettre aux membres de voir si leurs frais d’adhésion étaient dépensés de façon utile.

 

16.6 Un consultant en immigration ne doit pas jeter le discrédit sur la Société en agissant de manière à saper ou à menacer de saper le mandat et/ou les  principes directeurs de la Société.

 

En publiant votre article faisant état des commentaires de la SCCI relativement au rapport du Comité permanent, vous dénaturez les faits. Par ces commentaires, vous avez démontré un manque de respect envers la Société, et vous sapez le mandat et les principes directeurs de la Société. Vos commentaires en tant que président de l’ACCPI et membre de la SCCI ont également été formulés au nom du conseil d’administration de l’ACCPI.

 

 

[80]           M. Mooney était donc au courant de la nature de la plainte mais on ne lui a jamais dit quels aspects de la plainte avaient été établis par l’enquête et/ou acceptés par Mme Woodman, qui a rédigé l’ordonnance administrative disciplinaire.

 

[81]           Même en supposant que Mme Woodman ait accepté que tous les aspects de la plainte avaient été établis par l’enquête, elle n’en souffle mot dans sa décision. Des éclaircissements avaient été fournis après la décision, mais ils ne permettent pas de comprendre pourquoi M. Mooney a été accusé d’avoir contrevenu à l’article 16.5. Je vais examiner à tour de rôle chacun des motifs articulés dans la plainte.

 

[82]           En tout premier lieu, M. Mooney est accusé d’inexactitude parce que, dans sa lettre, il affirme qu’il est inacceptable que les décisions de la SCCI « échappent à tout contrôle judiciaire, de sorte que des membres pourraient perdre leur droit d’exercer leur profession même si une erreur est commise au cours du processus ».

 

[83]           Comme il a par la suite été démontré, les décisions de la SCCI sont susceptibles de contrôle judiciaire, même si ce n’est pas nécessairement devant la Cour fédérale. L’affirmation de M. Mooney est donc inexacte. Mais il doit en rendre compte parce que, comme Mme Woodman semble le laisser entendre [traduction] : « vous n’avez pas assuré l’intégrité de la publication en vérifiant l’exactitude des renseignements auprès de l’organisme de réglementation avant de les publier ». Il faut situer cette allégation dans son contexte.

 

[84]           Le Rapport du Comité permanent de la citoyenneté et l’immigration qui a été publié en juin 2008 offre l’explication suivante, à la page 3, au sujet des raisons pour lesquelles la SCCI devrait être liquidée et un nouveau régime de réglementation devrait être créé :

Ces griefs ont différentes causes et nul doute que bon nombre d’entre eux sont attribuables au fait que la SCCI est une organisation relativement jeune, qui cherche encore à trouver un juste équilibre dans sa façon de réglementer une profession qui jusqu’ici ne l’était pas. Le Comité est toutefois d’avis que les problèmes à la SCCI ne sont pas que passagers. Au départ, la Société n’a pas été dotée des outils nécessaires pour pouvoir bien s’acquitter de son mandat d’organisme de réglementation. À titre d’entité constituée en vertu d’une loi fédérale, la SCCI n’est pas habilitée à sanctionner les consultants en immigration qui n’en sont pas membres et elle n’a pas le pouvoir de demander l’exécution judiciaire des mesures disciplinaires qu’elle impose à ses membres. De plus, parce que la compétence de la SCCI n’est pas régie par une loi, il est impossible aux membres insatisfaits ou à quiconque d’autre d’exercer une quelconque influence sur le fonctionnement interne de la Société par le biais d’un examen judiciaire. De l’avis du Comité, il faudrait légiférer pour remédier à ces lacunes.

 

 

[85]           SCCI était bien au courant de ces propos puisqu’elle a pris connaissance du rapport du Comité permanent et qu’elle a exprimé publiquement son rejet catégorique des raisons invoquées pour proposer la dissolution de la SCCI et la mise sur pied d’un nouveau régime. C’est à la suite de cette réaction que l’ACCPI est arrivée à la conclusion que la SCCI n’était pas à l’écoute de ses membres, de sorte que la lettre a été écrite et publiée à titre de réponse de la SCCI au rapport du Comité permanent.

 

[86]           Dans sa réponse au rapport du Comité permanent, la SCCI a sévèrement critiqué le rapport, mais sans aller jusqu’à dire qu’il renfermait des inexactitudes au sujet de la possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire.

 

[87]           Ainsi, dans l’état où le débat était au moment où la lettre a été rédigée, rien ne permettait de penser que ce que le Comité permanent avait dit au sujet de l’impossibilité d’introduire une demande de contrôle judiciaire était inexact. M. Mooney avait précisé que son opinion au sujet de l’impossibilité d’introduire une demande de contrôle judiciaire était fondée sur le rapport du Comité permanent et sur l’avis que des avocats lui avaient donné. Il soutient que c’est ce que tout le monde pensait. Nous ne savons pas comment ni quand la SCCI a adopté un point de vue contraire. Mais je n’ai certainement pas l’impression que M. Mooney a fait preuve de négligence ou d’irresponsabilité en exprimant son point de vue sur la question. Il me semble que c’était l’opinion généralement répandue à l’époque et que c’était certainement celle du Comité permanent.

 

[88]           N’ayant pas réussi à démontrer à ses membres que la position du Comité permanent au sujet du contrôle judiciaire n’était pas exacte, la SCCI a alors infligé des sanctions disciplinaires à M. Mooney pour avoir commis une erreur au sujet de l’impossibilité d’introduire une demande de contrôle judiciaire. La SCCI affirme maintenant que M. Mooney a contrevenu à l’article 16.5 parce qu’il n’a pas confirmé personnellement l’exactitude de la position au sujet du contrôle judiciaire. C’est un fardeau onéreux que l’on place ainsi sur les épaules d’un membre au sujet de l’exactitude, surtout si l’on tient compte du fait que le Comité permanent avait manifestement déjà effectué ses propres recherches et que la SCCI n’avait pas informé ses membres que les déclarations du Comité permanent sur la question étaient inexactes. Il n’est de toute évidence pas habituel que la SCCI impose un tel fardeau à d’autres membres ou à ses propres dirigeants. Mme Woodman a elle‑même révélé qu’elle ne se sentait pas tenue d’examiner les « renseignements disponibles » avant d’infliger une sanction disciplinaire à un membre, mais qu’elle estimait qu’il lui était loisible de se fier à la note de fin d’enquête présentée par M. Briand, laquelle était partiale et inexacte et qui, selon ce que croyait Mme Woodman, était quelque chose de différent de ce que M. Briand avait produit.

 

[89]           À strictement parler, il est vrai que M. Mooney – ainsi que les autres personnes responsables de la rédaction de la lettre – était inexact au sujet de la possibilité d’introduire une demande de contrôle judiciaire. Ce qui n’est pas clair, c’est la question de savoir s’il s’agit de l’inexactitude à laquelle Mme Woodman faisait allusion dans l’ordonnance administrative infligeant une sanction disciplinaire à M. Mooney, et à quel point cette inexactitude a influencé sa décision d’infliger une sanction disciplinaire à M. Mooney, de même que la nature de cette sanction disciplinaire. À mon avis, il ne s’agit pas là du comportement dont on s’attendrait de la part d’un organisme de réglementation responsable et objectif qui inflige une sanction disciplinaire à l’un de ses membres. Ce comportement révèle plutôt qu’on a affaire à un organisme de réglementation tatillon qui cherchait un moyen d’infliger une sanction exemplaire à M. Mooney.

 

[90]           Le second motif allégué dans la plainte concernant la violation de l’article 16.5 par M. Money est que la lettre est inexacte lorsqu’elle indique ce qui suit :

[traduction] M. Ryan affirme que la SCCI a un plan stratégique. C’est la première fois que la plupart d’entre nous en entendent parler, et nous n’avons jamais vu de tel plan. Il ne figure nulle part sur notre site Web. C’est peut‑être la raison pour laquelle tant de personnes estiment qu’au lieu d’écouter, la SCCI s’affaire à intervenir auprès de nous.

 

[91]           La lettre ne dit pas que la SCCI n’a pas de plan stratégique, mais bien que, si elle en a un, c’est la première fois que la plupart de ses membres en entendent parler parce qu’ils ne l’ont jamais vu.

 

[92]           On ne m’a soumis aucun élément de preuve tendant à démontrer que cette affirmation ne constitue pas un compte rendu fiable des faits, ainsi que Mme Woodman l’aurait affirmé dans l’ordonnance disciplinaire prononcée contre M. Mooney.

 

[93]           M. Briand offre d’autres éclaircissements sur cette question au paragraphe 17 de son affidavit :

[traduction] De plus, la lettre du 24 juin laissait entendre que la Société n’a pas de plan stratégique, ce qui est inexact. La Société a un plan stratégique qu’elle cite d’ailleurs dans son Rapport annuel que ses membres pouvaient consulter sur son site Web avant que la lettre du 24 juin ne soit écrite. L’annexe E ci‑jointe est une copie du Rapport annuel 2005‑2006 de la Société qui a été publié sur le site Web de la Société.

 

 

[94]           En premier lieu, il est inexact de la part de M. Briand de dire que la lettre laisse entendre que la Société n’a pas de plan stratégique. La lettre dit que, s’il existe un plan stratégique, c’est la première fois que la plupart des membres en entendent parler parce qu’ils ne l’ont jamais vu.

 

[95]           Si l’on examine l’annexe E et le rapport annuel mentionné par M. Briand, on trouve le court paragraphe suivant à la page 5 :

[traduction] Le conseil, l’équipe administrative et les comités poursuivent leur travail pour mettre au point le plan stratégique de la SCCI. Ce plan prévoit notamment une stratégie relative à l’organisme de réglementation qui porte sur tous les aspects du travail de la Société.

 

 

[96]           De toute évidence, il n’est pas mentionné dans cet extrait que la SCCI a un plan stratégique. Il y est précisé que la SCCI est en train d’élaborer un plan stratégique et on n’y réfute d’aucune façon ce que la lettre dit a sujet de l’absence de plan stratégique pour les membres. En fait, ce document confirme la teneur de la lettre parce qu’il est peu probable que l’on ait montré aux membres un plan stratégique qui est encore en voie d’élaboration.

 

[97]           Il me semble que les inexactitudes au sujet de l’existence d’un plan stratégique sont toutes le fait de la SCCI, et non de M. Mooney ou du conseil d’administration de l’ACCPI. Et pourtant, il est possible que M. Mooney se soit vu infliger une sanction disciplinaire pour cette présumée inexactitude.

 

[98]           La troisième inexactitude qui figure dans la plainte portée contre M. Mooney a trait à la déclaration suivante que l’on trouve dans la lettre :

[traduction] M. Ryan affirme également que la SCCI présente des états financiers vérifiés à ses membres. Là encore, rien de tout cela n’est mentionné sur le site Web de la Société, et autant que nous le sachions, on n’en a pas vus depuis deux ans. Par le passé, les états vérifiés que nous avons pu consulter n’étaient pas d’une qualité suffisante pour permettre aux membres de voir si leurs frais d’adhésion étaient dépensés de façon utile.

 

 

[99]           L’ordonnance administrative disciplinaire ne précise pas à M. Mooney quels aspects de cette déclaration la SCCI considère comme inexacts ou faux. La SCCI semble se fier à la plainte en ce qui concerne les motifs et les explications qui manquent dans l’ordonnance disciplinaire, mais la plainte se contente de reprendre le texte de la lettre.

 

[100]       On n’a présenté à la Cour aucun élément de preuve tendant à démontrer :

a)         soit que le site Web de la SCCI mentionnait, au moment des faits, que la SCCI présentait des états financiers vérifiés à ses membres;

b)         soit que, par le passé, les états vérifiés n’étaient pas d’une qualité suffisante pour permettre aux membres de voir si leurs frais d’adhésion étaient dépensés de façon utile.

Dans son mémoire complémentaire des faits et du droit, la défenderesse renvoie la Cour aux passages de son contre‑interrogatoire dans lesquels M. Mooney aborde ces questions, mais il est loin d’être clair que ce qui s’est produit lors du contre‑interrogatoire enlève toute valeur aux critiques formulées par M. Mooney. M. Mooney admet que la question a été mal formulée. Un état financier a effectivement été publié sur le site Web en septembre 2007 et M. Mooney l’a vu. Ce qu’il essaie de dire, c’est que deux années s’étaient écoulées depuis la réception par les membres des renseignements financiers actualisés.

 

[101]       Les seuls éléments de preuve dont je dispose donnent à penser qu’en date du 24 juin 2008, les renseignements financiers les plus récents divulgués par la SCCI portaient sur la période se terminant le 31 octobre 2006.

 

[102]       En ce qui concerne les allégations d’inexactitude que Mme Woodman a formulées sans fournir d’explications pour conclure que M. Mooney avait contrevenu à l’article 16.5 du Code de déontologie, j’estime que la seule inexactitude portant à conséquence qui semble s’être glissée dans la lettre portait sur l’impossibilité d’exercer un recours en contrôle judiciaire, et on ne sait pas avec certitude quel rôle ce facteur a joué en ce qui concerne la décision de Mme Woodman d’infliger une sanction disciplinaire à M. Mooney et si Mme Woodman était même au courant que M. Mooney ne faisait que reprendre l’opinion du Comité permanent et se fiait à l’avis qu’il avait obtenu des avocats qu’il avait consultés.

 

[103]       Prises globalement, les présumées inexactitudes me donnent à penser que la SCCI a elle‑même été inexacte et qu’elle a réservé un traitement trop dur à M. Mooney. Il me semble que la SCCI cherchait davantage à infliger une sanction exemplaire à M. Mooney qu’à trouver des raisons exactes et objectives d’agir de la sorte.

 

[104]       Il est à mon avis fort révélateur que, lorsque M. Briand a interrogé M. Mooney au cours de l’enquête, il ne lui a jamais demandé d’expliquer la raison pour laquelle il faisait ses déclarations dans sa lettre au sujet du contrôle judiciaire, du plan stratégique et des états financiers vérifiés.

 

[105]       Même si M. Mooney avait été le seul auteur de la lettre, Mme Woodman n’avait aucune raison évidente de rendre l’ordonnance administrative lui infligeant une sanction disciplinaire pour avoir contrevenu à l’article 16.5. Au cours de la présente instance, il est apparu que la SCCI s’en est prise à M. Mooney parce qu’elle le considérait comme le seul auteur de la lettre, ce qui confirme la sévérité de l’ordonnance disciplinaire.

 

[106]       Les raisons invoquées par Mme Woodman pour justifier la mesure disciplinaire qu’elle a prise contre M. Mooney en tant qu’auteur unique de la lettre sont contredites par les faits suivants :

                     i.                        M. Mooney a modifié la lettre pour tenir compte des commentaires reçus d’autres membres du conseil d’administration. Tad Kawecki a dit à M. Briand au cours de son entrevue qu’il avait fait un commentaire à M. Mooney au sujet de la publication. La lettre a par la suite été modifiée. Ron Liberman a envoyé ses commentaires à M. Mooney par courriel et ces commentaires ont été incorporés à la lettre. M. Briand avait une copie des courriels envoyés par M. Mooney aux membres du conseil d’administration de l’ACCPI en vue d’obtenir leurs commentaires. Il avait également reçu un courriel de Ron Liberman au sujet des modifications qu’il proposait. Ces courriels ne sont pas mentionnés dans la note de fin d’enquête de M. Briand au sujet de M. Mooney;

                   ii.                        La lettre a été considérablement modifiée entre le 23 et le 24 juin. Les courriels envoyés les 23 et 24 juin précisaient que ces changements faisaient suite aux réactions reçues des autres membres du conseil d’administration. Mme Woodman a admis qu’elle n’avait pas examiné les documents pour voir si des modifications avaient été apportées, et elle ne se souvenait pas d’avoir examiné les courriels dans lesquels M. Mooney invitait les membres du conseil d’administration à lui faire part de leurs commentaires. Elle a pu être induite en erreur par M. Briand, qui croyait à tort que l’ébauche n’avait pas été modifiée. Lors du contre‑interrogatoire, M. Briand a admis que le fait qu’il croyait que l’ébauche n’avait pas été modifiée avait joué un rôle important dans sa conclusion que M. Mooney était le seul auteur de la lettre.

 

[107]       Les conclusions de Mme Woodman suivant lesquelles M. Mooney était le seul auteur de la lettre et que la procédure suivie pour publier la lettre était inusitée ont sans aucun doute été influencées par la note de fin d’enquête incomplète rédigée par M. Briand au sujet de M. Mooney. Dans cette note, M. Briand cite le témoignage suivant donné par M. Tad Kawecki lors de la deuxième entrevue :

                     i.                        Il était inusité qu’un document soit affiché aussi rapidement;

                   ii.                        M. Kawecki considérait que M. Mooney était le seul auteur de la lettre.

 

[108]       M. Briand n’a cependant pas informé Mme Woodman des faits suivants :

                     i.                        Suivant le témoignage donné par M. Kawecki au cours de sa première entrevue, il n’existait pas au sein de l’ACCPI de règle sur la façon dont les communications émanant du conseil d’administration devaient être publiées;

                   ii.                        Suivant le témoignage de Gerd Damitz, de Ron Liberman et de Praveen Shrivastava, la lettre avait été affichée conformément à l’usage habituel de l’ACCPI. L’usage habituel consistait à envoyer par courriel une ébauche aux administrateurs. Si personne ne s’opposait à l’ébauche, et que celle‑ci était modifiée conformément aux suggestions des administrateurs, l’article était publié;

                  iii.                        Tad Kawecki et Ron Liberman avaient fait part à M. Mooney de leurs commentaires au sujet de la lettre avant que celle‑ci ne soit publiée, ce qui avait donné lieu à certaines modifications;

                 iv.                        Rhonda Williams, Gerd Damitz, Julia Brodyansky, Russell Monsurate, Ron Liberman, Praveen Shrivastava et Tarek Allam avaient dit à M. Briand qu’ils étaient d’accord avec la teneur de la lettre;

                   v.                        M. Briand avait conclu, d’après la preuve, que Tarek Allam, Ron Liberman et Russell Monsurate étaient d’accord pour que la lettre soit publiée. Dans la lettre finale qu’il avait adressée à chacun d’entre eux, M. Briand déclarait : [traduction] « Le geste que vous avez fait en acceptant que le document soit publié tel quel a été interprété comme une contestation de la SCCI, qui est l’organisme chargé de réglementer vos activités »;

                 vi.                        M. Briand croyait que tous les administrateurs de l’ACCPI étaient responsables de la lettre. Dans sa note de fin d’enquête du 24 août 2009 destinée à Janet Burton, M. Briand explique que [traduction] « en tant que membre du conseil d’administration de la Société, vous êtes également et mutuellement responsable des mesures prises par son président et par ses membres ».

 

[109]       En ce qui concerne la contravention par M. Mooney de l’article 16.6 du Code de déontologie, l’ordonnance administrative disciplinaire prévoit ce qui suit :

[traduction] L’article [la lettre] ne vise pas une politique gouvernementale ou législative et ne constitue donc pas un commentaire sur une politique publique ou sur le rapport du Comité permanent. L’article se veut plutôt une réaction à la réponse de l’organisme de réglementation au rapport du Comité permanent et un commentaire sur cette réponse. L’article qui a été publié a pour effet de saper le mandat et les principes directeurs de l’organisme de réglementation.

 

 

[110]       À mon avis, cette affirmation est inexacte. La lettre renvoie effectivement au rapport du Comité permanent et souligne que l’ACCPI a retenu les deux principales recommandations formulées dans ce rapport. Elle demande à la SCCI d’accepter les changements recommandés par le rapport [traduction] « dans l’intérêt supérieur de la profession ».

 

[111]       La lettre visait donc de toute évidence une politique gouvernementale ou législative, de même que la position que la SCCI devait adopter au sujet de l’orientation de cette politique. Le fait que la lettre porte sur la réponse de la SCCI au rapport du Comité permanent ne signifie pas qu’elle ne vise pas une politique gouvernementale ou législative. Mme Woodman semble laisser entendre qu’il est loisible aux membres de discuter du rapport du Comité permanent mais pas de discuter de la réponse de la SCCI à ce même rapport. Rien à l’article 16.6 ne justifie une telle position.

 

[112]       Mme Woodman n’explique pas comment le fait de discuter de la réponse de la SCCI au rapport du Comité permanent et d’exprimer son désaccord avec ce rapport [traduction] « a pour effet de saper le mandat et les principes directeurs de l’organisme de réglementation ». Mme Woodman tient simplement pour acquis que ce désaccord avec la réponse de la SCCI doit nécessairement saper le mandat et les principes directeurs de l’organisme de réglementation. En fait, cela revient à affirmer que tout désaccord avec les principales recommandations du Comité permanent mine le mandat et les principes directeurs de la SCCI. Une telle assertion est à mon avis dénuée de tout fondement.

 

[113]       Le rapport du Comité permanent et ses principales recommandations constituent de toute évidence une tentative légitime et sensée de suggérer des façons de réformer la SCCI pour l’aider à mieux remplir son mandat et à mieux respecter ses principes directeurs. La lettre écrite à l’appui de ces réformes vise elle aussi les mêmes objectifs.

 

[114]       La lettre a de toute évidence été composée par des gens qui souhaitent améliorer la protection du public contre les consultants en immigration peu scrupuleux et incompétents et à améliorer la réglementation de la profession. Il peut exister des désaccords légitimes sur la meilleure façon de favoriser le mandat et les principes directeurs de l’organisme de réglementation, mais les dirigeants actuels de la SCCI n’ont pas le monopole de ce débat. En sanctionnant M. Mooney, on a tenté d’empêcher les membres de la SCCI de faire valoir leur point de vue sur la façon dont la SCCI pourrait mieux remplir son mandat et respecter ses principes directeurs si cette opinion ne concordait pas avec la leur. À mon avis, c’est n’est pas une façon légitime d’utiliser le Code de déontologie de la SCCI. L’avocat de la SCCI a admis lors de l’examen de la présente demande qu’à part les présumées inexactitudes contenues dans la lettre, la SCCI n’a pas considéré le reste de la lettre comme une contravention du Code de déontologie. J’y vois une reconnaissance du fait que les critiques légitimes entourant le débat sur le rapport du Comité permanent ne constituent pas une contravention du Code. La preuve dont je dispose permet de penser que la lettre n’était rien de plus qu’une contribution légitime à ce débat. La sensibilité de la SCCI à la critique est compréhensible, mais je ne vois aucune raison de cibler pour autant M. Mooney pour lui infliger des sanctions disciplinaires.

 

[115]       De plus, la décision est inéquitable sur le plan procédural. La SCCI aurait dû signaler les détails de la plainte à M. Mooney au cours de l’enquête pour lui donner la possibilité de les expliquer et d’y répondre. En outre, Mme Woodman aurait dû expliquer, dans son ordonnance disciplinaire, quels aspects de la plainte avaient été établis à sa satisfaction. L’ordonnance disciplinaire est déraisonnable parce qu’elle part à tort du principe que M. Mooney agissait seul lorsqu’il a rédigé et publié la lettre, et elle est inéquitable du fait qu’elle le cible pour lui infliger une sanction disciplinaire alors même que l’enquêteur, M. Briand, s’était dit d’avis, ainsi qu’il avait été précisé à Mme Burton, que tous les administrateurs étaient [traduction] « également et mutuellement responsables des mesures prises par son président et par ses membres ». Ou bien M. Briand n’a pas expliqué ce principe directeur à Mme Woodman ou bien cette dernière l’a mal compris. La conclusion de Mme Woodman suivant laquelle M. Mooney était le seul auteur de la lettre semble avoir été provoquée par la note de fin d’enquête partiale dans laquelle M. Briand cite le témoignage donné par Tad Kawecki lors de sa deuxième entrevue suivant lequel il était inusité qu’un document soit affiché aussi rapidement sur un site Web et suivant lequel M. Kawecki croyait que la lettre était l’œuvre uniquement de M. Mooney. M. Briand semble avoir ignoré les éléments de preuve qui contredisaient directement ses conclusions. Il ne dit pas à Mme Woodman qu’il existe des éléments de preuve qui contredisent directement ses conclusions. Il ne dit pas non plus à Mme Woodman que :

                     i.                        M. Kawecki avait déclaré au cours de sa première entrevue qu’il n’existait pas de règle au sein de l’ACCPI sur la façon de publier les communications émanant du conseil d’administration;

                   ii.                        Suivant les témoignages de Gerd Damitz, de Ron Liberman et de Praveen Shrivastava, la lettre avait été affichée conformément à l’usage habituel de l’ACCPI. L’usage habituel consistait à envoyer par courriel une ébauche aux administrateurs. Si personne ne s’opposait à l’ébauche, et que celle‑ci était modifiée conformément aux suggestions des administrateurs, l’article était publié;

                  iii.                        Tad Kawecki et Ron Liberman avaient fait part à M. Mooney de leurs commentaires au sujet de la lettre avant que celle‑ci ne soit publiée, ce qui avait donné lieu à certaines modifications;

                 iv.                        Rhonda Williams, Gerd Damitz, Julia Brodyansky, Russell Monsurate, Ron Liberman, Praveen Shrivastava et Tarek Allam ont dit à M. Briand qu’ils étaient d’accord avec la teneur de la lettre;

                   v.                        M. Briand a conclu, d’après la preuve, que Tarek Allam, Ron Liberman et Russell Monsurate étaient d’accord pour que la lettre soit publiée. Dans la lettre finale qu’il a adressée à chacun d’entre eux, M. Briand déclare : [traduction] « Le geste que vous avez fait en acceptant que le document soit publié tel quel a été interprété comme une contestation de la SCCI, qui est l’organisme chargé de réglementer vos activités »;

                 vi.                        M. Briand croyait que tous les administrateurs de l’ACCPI étaient responsables de la lettre. Dans sa note de fin d’enquête du 24 août 2009 destinée à Janet Burton, M. Briand explique que [traduction] « en tant que membre du conseil d’administration de la Société, vous êtes également et mutuellement responsable des mesures prises par son président et par ses membres ».

 

[116]       En principe, les organismes disciplinaires définissent leurs propres règles de conduite professionnelle et, à moins qu’elles ne concluent que l’organisme a rendu une décision déraisonnable, les cours de justice n’interviennent pas lorsqu’un tribunal disciplinaire décide qu’il y a contravention à ces règles (Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 254).

 

[117]       Il est toutefois également de jurisprudence constante que lorsque la décision contrôlée est déraisonnable, l’intervention de la Cour est justifiée. L’affaire Salway c. Assn. of Professional Engineers and Geoscientists of British Columbia, 2010 BCCA 94 (autorisation d’appel refusée à [2010] C.S.C.R. no 122), au paragraphe 32, est un exemple récent et particulièrement éclairant, parce qu’on y applique l’arrêt Dunsmuir dans le contexte des mesures disciplinaires professionnelles. Dans cet arrêt, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a jugé à l’unanimité que :

[traduction] La norme de contrôle de la décision raisonnable reconnaît l’existence d’« issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». La norme de la décision raisonnable oblige les tribunaux à faire preuve de retenue envers l’interprétation qu’un organisme professionnel fait de ses propres règles de conduite professionnelle dès lors qu’elles sont justifiées, transparentes et intelligibles. Les décisions antérieures à l’arrêt Dunsmuir que cite l’intimée, dont l’arrêt Reddoch, ne définissent plus l’inconduite professionnelle comme toute conduite déshonorante, scandaleuse, criante ou cavalière. C’est le comité disciplinaire de l’organisation professionnelle qui définit ses propres règles de conduite professionnelle. Dès lors que sa décision appartient aux issues raisonnables et qu’elle est justifiée, transparente et intelligible, les tribunaux ne peuvent substituer leur opinion à celle du comité disciplinaire en ce qui concerne la question de savoir si la conduite d’un membre constitue une inconduite professionnelle.

 

 

[118]       Dans la décision Onuschak c. Société canadienne de consultants en immigration, 2009 CF 1135, au paragraphe 15, le juge Harrington a conclu que les neufs objets déclarés de la SCCI « se résument en un seul » :

[traduction] Réglementer, dans l’intérêt public, les activités des personnes admissibles qui sont membres de la Société et qui conseillent ou représentent des personnes physiques, des groupes et des entités dans le cadre du processus d’immigration canadien […] conformément aux politiques et procédures publiées par la société.

 

 

[119]       Dans l’arrêt Association des courtiers et agents immobiliers du Québec c. Proprio Direct inc., 2008 CSC 32 [Association des courtiers], la Cour suprême s’est penchée sur la norme de contrôle applicable aux décisions d’un comité disciplinaire dans le contexte de la protection du consommateur. Les commentaires de la Cour au sujet de la protection du consommateur sont utiles en l’espèce, compte tenu du fait que, comme le juge Harrington l’a estimé, la SCCI a pour objet de protéger les consommateurs et que la SCCI affirme que M. Mooney a causé un préjudice au public et a terni l’image publique de la SCCI en publiant des renseignements erronés dans la lettre.

 

[120]       Dans l’affaire Association des courtiers, Proprio Direct inc., un courtier immobilier, demandait aux vendeurs de lui verser des « frais d’adhésion » non remboursables à la signature d’un contrat de courtage exclusif, en plus de la commission payable à la vente de l’immeuble, le cas échéant. Des vendeurs se sont plaints de cette pratique auprès de l’Association appelante. Le comité de discipline a conclu que Proprio Direct se livrait à une pratique qui contrevenait à la Loi sur le courtage immobilier (la LCI). La Cour du Québec a souscrit à cette opinion, mais pas la Cour d’appel. La Cour d’appel a estimé que même si la LCI était une loi d’ordre public adoptée pour assurer la protection du consommateur, les parties étaient libres de définir les modalités de leur entente contractuelle. La Cour suprême du Canada a fait droit au pourvoi, deux juges étant dissidents. La Cour a conclu que la question en litige dans cette affaire était l’interprétation par le comité de discipline de sa loi constitutive et que cette question relevait clairement de l’expertise du comité et des responsabilités que la loi lui attribuait. La norme applicable était celle de la décision raisonnable et la décision du comité de discipline était raisonnable. Le sens ordinaire des dispositions législatives appuyait cette conclusion. La LCI avait pour objet d’assurer la protection du consommateur et le législateur avait expressément limité la liberté contractuelle des parties en faisant de la clause sur la rétribution une condition obligatoire du contrat. La protection du consommateur primait la liberté contractuelle :

17          La LCI a pour objet d’assurer la protection du consommateur. Comme l’indique l’art. 66 de la LCI, l’Association a pour « principale mission » d’assurer la protection du public contre les manquements aux règles de déontologie par les membres de la profession.

 

18     Le rôle fondamental du comité de discipline est d’assurer le respect de ces règles de déontologie et la Cour d’appel du Québec a toujours appliqué la norme de la décision raisonnable aux décisions qu’il rend sous le régime de la LCI. Cette méthode d’analyse empreinte de déférence a été établie par le juge Chamberland, dans Pigeon c. Daigneault, [2003] R.J.Q. 1090, et par le juge Dalphond, dans Pigeon c. Proprio Direct inc., J.E. 2003‑1780, SOQUIJ AZ‑50192600. Dans la première affaire, comme en l’espèce, il n’existait aucune clause privative. Le juge Chamberland a expliqué que, en dépit de l’absence de cette mesure de protection, l’expertise du comité dictait une norme de contrôle empreinte de déférence :

 

[B]ien que la loi prévoie un droit d’appel des décisions du Comité de discipline, l’expertise de ce comité, l’objet de la loi et la nature de la question en litige militent tous en faveur d’un degré plus élevé de déférence que la norme de la décision correcte. La norme de contrôle appropriée est donc celle de la décision raisonnable . . . [par. 36]

 

19     Dans la deuxième affaire où, en raison d’un régime législatif légèrement différent, une forme de clause privative était en jeu, le juge Dalphond a étoffé ce raisonnement favorable à la déférence envers l’expertise du comité :

 

Quant à l’expertise du Comité de discipline, comme le souligne mon collègue le juge Chamberland dans l’arrêt François Pigeon c. Stéphane Daigneault, [. . .] elle ne fait pas de doute. En effet, le Comité est composé, majoritairement, de gens du milieu du courtage immobilier (art. 131 de la Loi) qui connaissent intimement ce secteur d’activités économiques. Le législateur a donc voulu une justice par des pairs, conscient qu’en matière de déontologie les normes de comportement attendues sont généralement mieux définies par des personnes qui œuvrent dans le secteur et qui peuvent mesurer à la fois les intérêts du public et les contraintes d’un secteur économique donné (Pearlman c. Manitoba Law Society, [1991] 2 R.C.S. 869). Par contre, le juge œuvrant à la chambre civile de la Cour du Québec [. . .] ne saurait prétendre posséder une expertise particulière en matière de discipline professionnelle et, encore moins, en matière de courtage immobilier. Ce deuxième facteur milite encore une fois en faveur d’un degré de retenue quant à l’interprétation des normes de conduite propres au courtier et l’imposition des sanctions appropriées. [Je souligne; par. 27.]

 

20     La décision dont nous sommes saisis s’écarte de cette démarche empreinte de déférence. J’estime, avec égards, qu’il faut privilégier la norme de contrôle que les juges Dalphond et Chamberland ont appliqué dans ces arrêts antérieurs et qui est davantage conforme à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9 (par. 54 et 55). Précisons plus particulièrement que l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, quoique pertinente, n’est pas déterminante (Dunsmuir, par. 52).

 

21     En l’espèce, la question en litige est l’interprétation, par le comité de discipline, composé d’experts, de sa loi constitutive (Dunsmuir, par. 54; voir aussi Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19; Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 32). Le législateur a confié à l’Association le mandat d’assurer la protection du public et de statuer sur la conformité des activités de ses membres avec les règles de déontologie, mandat dont elle s’acquitte en faisant appel à l’expérience et à l’expertise de son comité de discipline et qui suppose forcément l’interprétation des dispositions pertinentes. La question de savoir si Proprio Direct a enfreint ces règles en facturant des frais indépendants non remboursables relève clairement de l’expertise du comité et des responsabilités que la loi attribue à l’Association. Je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion du comité de discipline selon laquelle les dispositions qui subordonnent la rétribution du courtier ou de l’agent immobilier à la survenance d’une vente sont d’application obligatoire.

 

 

[121]       J’infère de ce qui précède qu’il se peut que la directrice des Plaintes et de la Discipline, Mme Woodman, possède en l’espèce une expertise en ce qui concerne l’interprétation du Code et des politiques de la SCCI et en ce qui concerne également ce qui constitue une violation du Code et des politiques. J’estime toutefois que, comme l’exercice qu’elle a fait de son pouvoir discrétionnaire en décidant de punir les demandeurs et comment les punir repose sur des erreurs de fait, ses décisions ne sont pas raisonnables.

 

[122]       Mme Woodman a fondé les conclusions suivantes sur une interprétation erronée et déraisonnable des éléments de preuve présentés dans la note de fin d’enquête de l’enquêteur : M. Mooney était le seul auteur de la lettre, la lettre était fondée sur des inexactitudes et Mme Williams et M. Damitz avaient délibérément retenu et dissimulé des renseignements au cours de l’enquête au sujet de la composition du conseil d’administration de l’ACCPI. Les décisions de Mme Woodman sont directement visées par le libellé de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, en ce sens qu’elles sont fondées sur des conclusions de fait erronées « tirée[s] de façon déraisonnable ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [elle] dispos[ait] ». À mon avis, peu importe le degré de déférence que l’on utilise, rien ne saurait rectifier ces conclusions erronées.

 

[123]       Ce que nous avons en l’espèce c’est la note de fin d’enquête « partiale » et non concluante de l’enquêteur, qui visait à justifier les décisions. Et nous avons les décisions, qui ont été rendues sans tenir régulièrement compte de la preuve. Les décisions sont déraisonnables aux deux étapes : à l’étape de l’enquête et à celle de la décision elle‑même.

 

[124]       En ce qui concerne l’« autre question », à savoir l’exercice du pouvoir discrétionnaire, c’est‑à‑dire la décision de la directrice des Plaintes et de la Discipline quant à l’opportunité d’infliger des sanctions disciplinaires aux demandeurs et à la manière de le faire, cette décision est également assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 51).

 

[125]       Le juge Trainor de la Cour suprême de l’Ontario – Haute Cour de justice a fait observer, au paragraphe 33 de la décision Spring c. Law Society of Upper Canada (1988), 50 D.L.R. (4th) 523, 64 O.R. (2d) 719 (QL), que [traduction] « la tâche consistant à rassembler les preuves, à juger les faits, à statuer sur la crédibilité et tous les autres aspects indispensables du processus décisionnel ne saurait guère être qualifiée de fonction étrangère à la profession juridique ». Certes, les consultants en immigration ne sont pas nécessairement des juristes. Mais, comme elle l’a précisé dans son affidavit, Mme Woodman est avocate. Elle était à tout le moins tenue de faire reposer ses conclusions de fait sur la preuve. J’estime toutefois qu’elle a fait fausse route dans la façon dont elle a « rassemblé » les preuves. Les éléments de preuve cités dans la note de fin d’enquête et dans les transcriptions n’étaient pas concluants sur des points essentiels, à savoir que M. Mooney était le seul auteur de la lettre et que Mme Williams et M. Damitz avaient délibérément refusé de communiquer des renseignements au cours de l’enquête. Néanmoins, la directrice des Plaintes et de la Discipline a considéré la preuve comme si elle était concluante, et elle a utilisé ces éléments de preuve pour justifier les sanctions disciplinaires qui ont été infligées. Les décisions qui reposent sur des fondations aussi fragiles ne peuvent être confirmées.

 

[126]       La jurisprudence est peu abondante en ce qui concerne la SSCI et il n’existe donc pas de jurisprudence sur la question de savoir si la directrice des Plaintes et de la Discipline peut être considérée comme un tribunal expert. Dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de contrôle appropriée dans le cas de procédures de discipline professionnelle dans un contexte juridique (qui portait cependant sur des avocats et non sur des consultants en immigration) est celle de la décision raisonnable simpliciter. Au paragraphe 34, la Cour explique qu’en ce qui concerne la sanction qui devrait être infligée pour une inconduite, un tribunal administratif « possède une expertise plus grande que les cours » :

L’expertise relative du comité de discipline ne se situe pas dans un domaine spécialisé sortant des connaissances générales de la plupart des juges (comme la réglementation des valeurs mobilières dans Pezim, précité, ou la réglementation de la concurrence dans Southam, précité). Toutefois, en raison de sa composition et de son expérience dans le domaine particulier des sanctions pour faute professionnelle dans des contextes divers, il est permis de penser que le comité de discipline possède une expertise plus grande que les cours dans le choix de la sanction à imposer.

 

 

[127]       Dans la décision Kinsey c. Canada (Procureur général), 2007 CF 543, aux paragraphes 43 à 47, le juge de Montigny a reconnu que le choix que le tribunal administratif fait en ce qui concerne la sanction à infliger a droit à « une grande retenue judiciaire » :

Il ne fait aucun doute que le commissaire (et le comité d’arbitrage dont il examine la décision en appel) possède une plus grande expertise que la Cour en ce qui concerne la réalité et les exigences du travail des gendarmes, et en ce qui concerne les peines qui s’imposent pour assurer l’intégrité et le professionnalisme des membres de la GRC. Ce facteur justifie que la décision du commissaire bénéficie d’une grande retenue judiciaire.

 

Quant à l’objet du texte législatif, la Loi sur la GRC confère à la GRC, suivant les directives du commissaire, la responsabilité première dans l’élaboration et le maintien des normes de professionnalisme et de discipline qui doivent être respectées dans ses propres rangs. Par conséquent, lorsqu’il exerce cette fonction, le commissaire n’établit pas simplement les droits des parties : il pondère les intérêts du membre de la GRC visé par les mesures disciplinaires et ceux de la GRC et du public canadien en s’assurant que les gendarmes qui se sont conduits de façon scandaleuse sont punis d’une manière qui préserve la confiance du public envers la GRC. Puisque ce facteur requiert la pondération des intérêts de différentes parties, il appelle également une grande déférence envers les décisions du commissaire relatives à la peine.

 

En dernier lieu, la détermination des peines qui sanctionnent la conduite scandaleuse d’un membre de la GRC est une décision qui repose principalement sur les faits et dont la nature est discrétionnaire. Là encore, cela signifie que le Parlement avait l’intention que les décisions du commissaire appellent une grande déférence.

 

Compte tenu de l’analyse qui précède, la norme de contrôle applicable à une peine infligée par le commissaire en vertu de l’article 45.16 de la Loi sur la GRC est de toute évidence celle du caractère manifestement déraisonnable. C’est d’ailleurs cette même norme que mes collègues ont appliquée aux décisions du commissaire d’infliger une peine aux membres qui ont contrevenu au code de déontologie (voir Gill c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1106; Gordon c. Canada (Solliciteur général), 2003 CF 1250; Lee c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), [2000] A.C.F. no 887 (QL)). La décision du commissaire ne devrait donc être annulée que si elle est clairement irrationnelle ou de toute évidence non conforme à la raison (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52).

 

S’agissant des questions relatives à la partialité et à l’équité procédurale, elles ne font pas intervenir une analyse de la norme de contrôle. Elles sont toujours examinées en tant que questions de droit. Si le décideur n’a pas respecté ses obligations de par la manière dont il a rendu sa décision, celle‑ci doit être annulée (Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404).

 

 

[128]       Tout cela étant dit, le degré de déférence dont une cour de justice doit faire preuve à l’égard d’un tribunal administratif spécialisé dépend de la réponse à la question de savoir si ce tribunal a agi d’une manière qui repose sur la preuve. Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. (1997), [1997] 1 R.C.S. 748, [1996] A.C.S. no 116 (QL) [Southam], au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada cite l’ouvrage de R.P. Kerans, Standards of Review Employed by Appellate Courts (Edmonton, Juriliber, 1994), qui fait observer ce qui suit : [traduction] « L’expertise ne commande la retenue que si l’expert est cohérent. L’expertise perd le droit à la retenue, lorsque les opinions exprimées sont indéfendables ».

 

[129]       Dans le cas qui nous occupe, la Cour ne peut ignorer le fait qu’il n’existe aucune conclusion déterminante et que la note de fin d’enquête de l’enquêteur présente des contradictions, qu’elle n’aborde pas les éléments de preuve qui se contredisent et que la directrice des Plaintes et de la Discipline a par la suite fait défaut de fonder ses décisions sur la preuve contenue dans la note de fin d’enquête. Si l’on applique l’arrêt Southam, précité, ni la note de fin d’enquête ni les décisions ne sont défendables. La note de fin d’enquête de l’enquêteur tire des conclusions qui ne sont pas appuyées par les transcriptions et les décisions tirent des conclusions qui ne sont pas appuyées par la note de fin d’enquête. J’estime en outre que la note de fin d’enquête et les décisions sont inéquitables sur le plan procédural pour les motifs qui ont déjà été exposés.

 

[130]       J’estime donc que l’ordonnance administrative disciplinaire à M. Mooney doit être annulée au motif qu’elle est inéquitable sur le plan procédural et qu’elle est déraisonnable. Je suis également d’avis, ainsi que je vais l’expliquer en détail plus loin, que les lettres de mise en garde adressées à Mme Williams et à M. Damitz devraient aussi être annulées.

 

[131]       Les demandeurs ont invoqué divers autres moyens pour affirmer que des erreurs susceptibles de révision ont été commises dans le cas de M. Mooney. Vu les conclusions fondamentales que j’ai tirées au sujet de l’équité procédurale et du caractère déraisonnable, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’aborder ces autres moyens.

 

Rhonda Williams et Gerd Damitz

 

[132]       Dans la lettre de mise en garde qu’elle avait adressée à Mme Williams, Mme Woodman précisait qu’elle avait [traduction] « examiné les renseignements disponibles au sujet de l’affaire […] ». Ainsi que je l’ai souligné dans le cas de M. Mooney, cette affirmation ne reflète pas fidèlement la façon dont Mme Woodman est arrivée à ses conclusions. Elle semble une fois de plus s’être fiée au compte rendu partial et incomplet de M. Briand qui se trouvait dans la note de fin d’enquête de ce dernier et elle semble mal comprendre ce à quoi la note de fin d’enquête de M. Briand était censée servir.

 

[133]       Mme Woodman conclut que Mme Williams [traduction] « a contrevenu à l’article 2.6 de la Politique relative aux plaintes et à la discipline en retenant ou en dissimulant des renseignements raisonnablement requis aux fins d’une enquête […] ».

 

[134]       À la différence de ce qu’elle a fait dans le cas de M. Mooney, Mme Woodman poursuit en expliquant en détail pourquoi elle est arrivée à cette conclusion. Il semble essentiellement que Mme Williams n’ait pas indiqué clairement qui était membre du conseil d’administration de l’ACCPI en date du 24 juin 2008 et qui ne l’était pas, et que Mme Woodman croit que Mme Williams aurait dû être en mesure de confirmer ce fait parce que [traduction] « c’est elle qui dressait les procès‑verbaux et qui agissait comme secrétaire » lors de la réunion du 13 juin 2008 du conseil d’administration de l’ACCPI qui portait sur l’élection des nouveaux administrateurs. On reproche en particulier à Mme Williams de ne pas avoir révélé le fait que Katarina Onuschak et Ed Dennis étaient présents en leur qualité d’administrateurs lors de la réunion du 13 juin 2008. La SCCI considère que cette omission était importante pour son enquête parce qu’elle cherchait à connaître l’identité des membres du conseil d’administration de l’ACCPI qui étaient responsables de la lettre du 24 juin 2008.

 

[135]       Mme Woodman résume comme suit la plainte portée contre Mme Williams, ainsi que ses conclusions :

[traduction] En tant que membre de la SCCI, vous avez l’obligation de collaborer à l’enquête et de répondre aux questions de l’enquêteur qui peuvent concerner l’objet de l’enquête. Votre devoir de collaborer avec l’enquêteur vous oblige notamment à vous rafraîchir la mémoire avant l’entrevue et d’examiner les documents pertinents. Vous ne pouvez vous contenter de répondre : « je ne crois pas » comme vous l’avez fait en dressant le procès‑verbal de l’assemblée du 13 juin 2008 du conseil d’administration. Pareille réponse induit en erreur et revient à retenir et à dissimuler des renseignements.

 

[136]       Rien ne permet de penser que Mme Williams a délibérément dissimulé des renseignements.

 

[137]       La lettre de mise en garde adressée à M. Damitz est semblable à celle envoyée à Mme Williams, à l’exception près qu’il est ciblé et qu’on lui adresse une mise en garde pour refus de collaborer et pour avoir retenu ou dissimulé des renseignements. La lettre de mise en garde informe M. Damitz qu’à la rencontre du 13 juin 2008 du conseil d’administration :

[traduction] Vous avez été identifié comme l’administrateur qui a appuyé la motion no 2 approuvant la nomination de Sol Gombinsky comme président du chapitre de l’Ontario et celle d’Ed Dennis et de Katarina Onuschak comme membres réguliers. Le procès‑verbal faisait état de quinze membres présents le 13 juin 2008, y compris Katarina Onuschak et Ed Dennis. Dans le procès‑verbal de la réunion du 13 juin 2008, il était également mentionné qu’on leur avait souhaité la bienvenue en tant que nouveaux administrateurs. En tant qu’administrateur, il vous incombe de vérifier et de confirmer l’exactitude des procès‑verbaux du conseil d’administration. Aucune modification au procès‑verbal de la réunion du 13 juin 2008 n’a été signalée au cours de l’enquête.

 

 

[138]       Tout comme dans le cas de Mme Williams, rien ne permet de penser que M. Damitz a délibérément dissimulé des renseignements.

 

[139]       La plainte portée contre ces deux personnes semble les cibler en vue de leur adresser une mise en garde, alors que d’autres administrateurs qui étaient présents à la réunion du 13 juin 2008 n’ont pas fait l’objet d’une mise en garde, parce que Mme Williams a dressé le procès‑verbal de la réunion et que M. Damitz a appuyé la motion visant à approuver les nominations.

 

[140]       Il ressort du dossier qu’il existait une véritable confusion parmi les administrateurs au sujet de la composition précise du conseil d’administration de l’ACCPI en date du 24 juin 2008 et, en particulier, au sujet du statut de M. Dennis et de Mme Onuschak, qui semblent tous les deux avoir été présents et avoir participé aux rencontres du conseil d’administration même si leur statut d’administrateur n’était pas clair à l’époque.

 

[141]       Avant de procéder aux entrevues, M. Briand a demandé et obtenu une liste des administrateurs de l’ACCPI en date du 24 juin 2008. La liste remise à M. Briand ne comprenait pas le nom d’Ed Dennis ou de Katarina Onuschak. Il semble que ces deux personnes avaient été autorisées à agir comme administrateurs lors de la réunion du conseil d’administration de l’ACCPI qui avait eu lieu le 13 juin 2008, mais qu’ils n’étaient pas des administrateurs le 24 juin 2008 étant donné qu’aucun n’avait encore été autorisé à agir comme administrateur. Cette autorisation n’a été donnée qu’en août 2008.

 

[142]       Dans le cadre de son enquête, M. Briand a obtenu le procès‑verbal de la réunion du conseil d’administration du 13 juin 2008 qui indiquait que Sol Gombinsky, Ed Dennis et Katarina Onuschak étaient présents. Le procès‑verbal précisait : [traduction] « On souhaite la bienvenue aux nouveaux membres ».

 

[143]       Dans une lettre à l’avocat des demandeurs, M. Briand mentionne les approbations contenues dans le procès‑verbal et réclame des éclaircissements au sujet de la composition du conseil d’administration de l’ACCPI en date du 24 juin 2008. L’avocat a répondu ce qui suit le 15 septembre 2009 :

[traduction]

 

Ed Dennis et Katerina (sic) Onuschak étaient pressentis pour devenir membres du conseil d’administration de l’ACCPI le 24 juin 2008, mais n’étaient pas membres. Ils ne sont devenus membres qu’en août 2008, lorsqu’ils ont signé un consentement à agir comme administrateur de l’ACCPI. Leurs consentements sont joints à la présente. Tant que ces consentements n’avaient pas été signés, Ed et Katerina (sic) n’étaient pas membres du conseil d’administration de l’ACCPI.

 

Comme on peut le constater à partir de ce qui précède, la liste des membres du conseil d’administration qui vous a été remise au cours de votre enquête était exacte.

 

[144]       D’autres échanges ont eu lieu entre M. Briand et l’avocat au sujet du moment où M. Dennis et Mme Onuschak avaient été nommés membres du conseil d’administration de l’ACCPI.

 

[145]       Les éléments de preuve relatifs au moment où M. Dennis et Mme Onuschak se sont joints au conseil d’administration sont confus. La preuve documentaire sur la question est contradictoire. Les administrateurs interrogés par M. Briand au sujet de la composition du conseil d’administration en date du 24 juin avaient du mal à s’en souvenir.

 

[146]       Au cours des entrevues des administrateurs de l’ACCPI menées par M. Briand, personne n’a affirmé avec certitude que M. Dennis et Mme Onuschak étaient des administrateurs en date du 24 juin 2008. M. Mooney a expliqué que la liste remise à M. Briand était exacte mais que des personnes s’étaient par la suite ajoutées. Tad Kawecki, Praveen Shrivastava et Tarek Allam ont dit à M. Briand qu’ils ne pouvaient dire avec certitude qui faisait partie du conseil en date du 24 juin 2008. Keith Frank et Janet Burton ont déclaré qu’ils ne croyaient pas que M. Dennis et Mme Onuschak faisaient partie du conseil d’administration en date du 24 juin 2008.

 

[147]       M. Damitz et Mme Williams ont témoigné dans le même sens que les autres administrateurs. M. Damitz a expliqué que M. Dennis et Mme Onuschak n’étaient pas des administrateurs en date du 24 juin 2008, mais qu’il s’agissait d’une période de transition et qu’il ne pouvait se rappeler la date exacte à laquelle ils étaient devenus membres du conseil d’administration. Après qu’on lui eut fait lecture d’une liste d’administrateurs qui comprenait le nom de M. Dennis, mais pas celui de Mme Onuschak, Mme Williams a répondu qu’elle ne croyait pas qu’il manquait de noms sur cette liste.

 

[148]       Bien qu’il eût pu le faire, M. Briand n’a jamais contacté M. Dennis ou Mme Onuschak pour leur demander quand ils étaient devenus administrateurs.

 

[149]       Il ressort des courriels échangés entre M. Dennis et Mme Onuschak le 10 juillet 2008 qu’à cette date, ils ne se considéraient pas comme des administrateurs de l’ACCPI. Ils ont tous les deux mentionné le fait qu’ils n’avaient pas le droit de voter au sein du conseil d’administration de l’ACCPI à cette date.

 

[150]       M. Briand a reconnu dans son affidavit et dans son contre‑interrogatoire que la preuve ne lui permettait pas de déterminer si M. Dennis et Mme Onuschak étaient des administrateurs en date du 24 juin 2008. Pourtant, M. Briand a formulé ses recommandations en partant du principe que M. Dennis et Mme Onuschak étaient des administrateurs.

 

[151]       Mme Williams et M. Damitz semblent tous les deux avoir cru à raison que M. Dennis et Mme Onuschak n’étaient pas des administrateurs le 24 juin 2008. En tout état de cause, ni Mme Williams ni M. Damitz n’avaient prévu avant leur entrevue qu’on leur poserait des questions au sujet de la composition du conseil d’administration. On ne leur a pas demandé non plus de suivi sur cette question. Il ressort de la transcription des entrevues que M. Briand semblait satisfait des réponses données par M. Damitz et par Mme Williams. Dans ces conditions, il n’y avait aucune raison pour eux de se rafraîchir la mémoire ou de consulter le procès‑verbal. S’ils l’avaient fait, ils auraient vraisemblablement confirmé que M. Dennis et Mme Onuschak n’étaient pas des administrateurs en date du 24 juin 2008.

 

[152]       Dans la note de fin d’enquête qu’il a soumise à Mme Woodman, M. Briand n’a pas révélé :

                     i.                        que la preuve ne lui permettait pas de savoir avec certitude si M. Dennis et Mme Onuschak étaient ou non des administrateurs au 24 juin 2008;

                   ii.                        qu’il n’avait pas demandé à Mme Williams ou à M. Damitz (avant, pendant ou après les entrevues) d’examiner leurs dossiers pour confirmer qui faisait partie du conseil en date du 24 juin 2008.

 

[153]       La SCCI a justifié la décision qu’elle a prise contre M. Damitz en faisant valoir que celui‑ci avait appuyé une motion approuvant la nomination des nouveaux administrateurs. Le fait qu’il avait appuyé cette motion le plaçait vraisemblablement dans une situation différente de celle des administrateurs de l’ACCPI qui s’étaient contentés de participer à la réunion et qui avaient voté en faveur de la motion.

 

[154]       La SCCI a justifié la décision qu’elle a prise contre Mme Williams en expliquant que c’est cette dernière qui avait dressé le procès‑verbal. Pourtant, M. Briand avait cru comprendre que tous les administrateurs pouvaient consulter les procès‑verbaux et que tous les administrateurs étaient bien placés pour examiner leurs dossiers. Mme Woodman a laissé entendre, dans son contre‑interrogatoire, que c’était le fait qu’elle avait dressé le procès‑verbal qui avait placé Mme Williams dans une position unique par rapport aux autres administrateurs.

 

[155]       Il est difficile de concilier les décisions prises contre Mme Williams et M. Damitz avec les conclusions de faute (non assorties de mesures disciplinaires) que la SCCI a tirées au sujet de certains autres des administrateurs de l’ACCPI. Ainsi :

 

                     i.                        Dans sa lettre finale à Tarek Allam, M. Briand déclare :

[traduction] Vous avez également été interrogé lors de votre entrevue au sujet de ce que vous saviez des personnes qui étaient membres du conseil d’administration de l’ACCPI en date du 24 juin 2008. Vous avez répondu que vous ignoriez qui exactement était membre du conseil d’administration à l’époque. Suivant la preuve, vous étiez présent lors de la réunion du 13 juin 2008 du conseil d’administration au cours de laquelle Katarina Onuschuk (sic), Ed Dennis et Sol Gombinsky ont été acceptés comme administrateurs. Suivant la preuve, vous avez des trous de mémoire, mais vous étiez bel et bien présent lors de la réunion du 13 juin. À l’avenir, vous devriez vérifier vos dossiers et rappeler l’enquêteur pour rectifier votre réponse.

 

                   ii.                        Dans sa lettre finale à Janet Burton, M. Briand déclare :

[traduction]

 

Au cours de l’entrevue […] je vous ai interrogée au sujet des personnes qui étaient membres du conseil d’administration au moment où l’article a été diffusé sur le site Web de l’ACCPI. Vous m’avez cité quelques noms, mais pas ceux de Sol Gombinsky, Ed Dennis et Katarina Onuschuk (sic). La preuve recueillie démontre clairement que, le 13 juin 2008, vous avez participé à la réunion au cours de laquelle la nomination de trois nouveaux membres du conseil d’administration a été approuvée et que vous faisiez partie des membres du conseil d’administration qui étaient présents et qui ont approuvé ces nominations. Vous étiez donc parfaitement au courant de leur présence au sein du conseil d’administration au moment où Phil Mooney a publié son article, ce qui démontre selon moi que vous n’avez pas pleinement collaboré à l’enquête, contrevenant ainsi à l’article 2.6 de la Politique relative aux plaintes et à la discipline […]

 

[…]

 

Compte tenu de ce qui précède, vous devez répondre avec franchise à toutes les questions de l’enquêteur. Un trou de mémoire ne constitue pas une réponse satisfaisante alors qu’il est écrit que vous étiez présent à ces réunions […]

 

 

[156]       J’ai examiné attentivement les parties de la transcription de l’entrevue où M. Briand interroge Mme Williams et M. Damitz au sujet de la composition du conseil d’administration de l’ACCPI en date du 24 juin 2008.

 

[157]       Dans le cas de Mme Williams, elle offre son aide, par exemple, en soulignant que Marc Haan (dont le nom était inscrit sur la liste que M. Briand avait en sa possession) n’était pas un administrateur, mais un membre du personnel et que Kay Adebogun ne faisait pas partie du conseil en juin. Ces faits mis à part et se fiant à sa mémoire, Mme Williams ne croit pas que d’autres personnes dont le nom ne figure pas sur la liste faisaient partie du conseil d’administration. Elle ajoute toutefois : [traduction] « Je ne notais pas les noms, alors… »

 

[158]       Ce qui est frappant, c’est que M. Briand semble entièrement satisfait de la façon dont Mme Williams aborde la question et qu’il va même jusqu’à le lui dire :

[traduction] Je ne crois pas que j’ai d’autres questions pour vous. Vous avez jusqu’à maintenant répondu à mes questions au sujet du rôle que vous avez joué.

 

[159]       Juste avant qu’il ne fasse cette affirmation, Mme Williams lui avait dit qu’elle ne pouvait être absolument certaine de la composition du conseil d’administration au 24 juin 2008 :

[traduction] « Je ne crois pas. Je ne notais pas les noms, alors… »

 

[160]       M. Briand savait donc que Mme Williams n’était pas entièrement certaine et qu’elle faisait de son mieux en se fiant à sa mémoire. S’il n’était pas satisfait de sa réponse, rien ne l’empêchait de lui demander de vérifier les documents applicables de l’ACCPI et de lui fournir ensuite les précisions demandées. S’il avait agi ainsi, l’exactitude des souvenirs de Mme Williams aurait été confirmée comme elle l’a été ultérieurement par l’avocat. Pourtant, M. Birand n’a jamais utilisé ce moyen et il laisse Mme Williams avec un message clair : [traduction] « Vous avez répondu à mes questions […] »

 

[161]       En raison de la façon dont M. Briand s’est comporté envers elle lors de l’enquête, Mme Williams ne pouvait avoir la moindre idée qu’il s’attendait à ce qu’elle sache (ou que Mme Woodman s’attendrait plus tard qu’elle sache) qu’elle aurait une image nette de la composition du conseil d’administration en raison du fait que c’est elle qui dressait le procès‑verbal. On n’a pas donné à Mme Williams la possibilité de faire enquête sur ce qui s’est avéré depuis être une question fort complexe, en l’occurrence la question de savoir si M. Dennis et Mme Onuschak étaient effectivement des administrateurs au moment des faits. En fait, elle a été amenée à croire qu’elle avait répondu aux questions de M. Briand.

 

[162]       Cibler Mme Williams en vue de lui adresser une mise en garde dans ce contexte constituait une mesure inéquitable et déraisonnable. Elle a été amenée à croire qu’elle avait répondu de façon satisfaisante aux questions que M. Briand lui avait posées lors de son enquête. Qui plus est, bien que la preuve ne soit pas parfaitement claire à cet égard, il semble qu’il était fort possible que la réponse qu’elle a donnée était exacte, et ce, même si elle prévient M. Briand qu’elle ne se fie qu’à ses souvenirs et qu’elle ne notait pas les noms.

 

[163]       Mme Woodman adresse cette mise en garde en se fondant sur le fait que Mme Williams était tenue de collaborer avec l’enquêteur, ce qui l’obligeait notamment [traduction] « à se rafraîchir la mémoire avant son entrevue et d’examiner les documents pertinents ». Tous les administrateurs sont évidemment assujettis à cette obligation, bien sûr, mais dix d’entre eux n’ont jamais été avertis qu’ils y étaient tenus. De plus, rien ne permet de penser que Mme Williams ne s’est pas rafraîchi la mémoire avant la rencontre. Il se trouve que le statut de M. Dennis et Mme Onuschak au moment des faits constitue une question très complexe et il n’y a aucune preuve concluante établissant que Mme Williams a mal compris la nature de ce statut lors de son entrevue avec M. Briand. De plus, les conclusions de Mme Woodman ne concordent pas avec la déclaration de M. Briand, lors de l’entrevue, suivant laquelle Mme Williams avait répondu à ses questions. M. Briand n’a d’ailleurs pas laissé entrevoir qu’il souhaitait confirmer ce que Mme Williams lui avait dit de mémoire. Là encore, la lettre de mise en garde adressée à Mme Williams contredit directement le principe posé par M. Briand – et déclaré à Mme Burton – au sujet de la responsabilité égale et mutuelle de tous les administrateurs.

 

[164]       Il ne s’agit en l’espèce que du contrôle d’une décision disciplinaire, mais il me semble que Mme Williams n’a pas été traitée équitablement. Elle n’a jamais été mise au courant de la preuve qu’elle devait faire (Swanson c. Institute of Chartered Accountants of Saskatchewan, 2007 SKQB 480). De plus, la décision de lui servir une mise en garde ne reposait sur aucun fondement objectif.

 

[165]       En ce qui concerne M. Damitz, il ressort clairement de la transcription de son entrevue avec M. Briand qu’il a fait de son mieux pour confirmer de mémoire la liste des administrateurs, mais qu’il ne pouvait être absolument sûr parce que le conseil d’administration était alors au beau milieu d’une « période de transition ». Là encore, M. Briand aurait aisément pu demander à M. Damitz de vérifier la situation et de lui fournir des éclaircissements plus tard, mais la transcription de l’entrevue ne renferme aucun indice permettant de penser qu’il était insatisfait de la réponse nuancée que M. Damitz lui a donnée en se basant sur ses souvenirs.

 

[166]       Je conclus que, en grande partie pour les mêmes raisons que dans le cas de Mme Williams, il était déraisonnable et inéquitable de cibler M. Damitz en vue de lui servir une mise en garde alors que d’autres administrateurs ont été excusés, et que M. Damitz n’a jamais été mis au courant de la preuve qu’il devait faire et qu’on ne lui a jamais donné la possibilité de répondre aux plaintes portées contre lui.

 

Dispositif

 

[167]       Pour les motifs qui ont été exposés, force m’est de conclure que les décisions prises contre les trois demandeurs doivent toutes être annulées.

 

[168]       Les avocats sont priés de déposer et de signifier leurs observations au sujet de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours de la réception des présents motifs du jugement. Chacune des parties disposera d’un délai supplémentaire de trois jours pour déposer et signifier sa réponse aux observations de la partie adverse, à la suite de quoi un jugement sera rendu.

 

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2077‑10

 

INTITULÉ :                                                   PHILIP MOONEY, RHONDA WILLIAMS et GERD DAMITZ
et
SOCIÉTÉ CANADIENNE DE CONSULTANTS EN IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 13 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT                           LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 avril 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adam J. Stephens

Nafisah Chowdhury

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John E. Callaghan

Benjamin Na

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Miller Thomson, LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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