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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110512

Dossier : T-1056-10

Référence : 2011 CF 544

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

NICOLE HÉROLD, alias NORA HÉROLD

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA (ARC)

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), en date du 26 mai 2010, de ne pas renvoyer sa plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), au Tribunal canadien des droits de la personne, au motif que la plainte était frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi.

 

[2]               Dans son avis de demande, la demanderesse sollicite un certain nombre de recours différents, notamment : les dépens ou, si la demande de contrôle judiciaire est rejetée, aucune adjudication des dépens; des dommages-intérêts se chiffrant à 5 millions $, au titre du stress et du salaire perdu; des dommages-intérêts exemplaires ou majorés se chiffrant à 10 millions $; une enquête sur la conduite de divers employés de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), et une ordonnance invalidant le paragraphe 9(2) de la Loi. Ces recours dépassent largement la compétence de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire. Dans la mesure où la question constitutionnelle a été soulevée, elle l’a été sans qu’avis en ait été donné, ni preuve à l’appui, et elle ne sera pas considérée.

 

[3]               À mon avis, il n’y a aucune erreur donnant lieu à réformation dans la décision de la Commission de rejeter la plainte. La Commission a mené une enquête approfondie et impartiale comme le requiert la jurisprudence. Elle pouvait très bien, au vu de la preuve, arriver aux conclusions de fait qu’elle a tirées, et, en concluant que la plainte était frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, elle exerçait raisonnablement le pouvoir discrétionnaire que lui a conféré le législateur.

 

Les faits

[4]               La demanderesse a été embauchée à l’ARC à Vancouver en 1999, puis mutée au bureau de Toronto en novembre 2000.

 

[5]               Elle a affirmé que, après avoir atteint l’âge de 65 ans, elle avait été victime à l’ARC de discrimination fondée sur l’âge. Plus précisément, elle a dit qu’on lui avait refusé des promotions ou des mutations à l’intérieur de l’ARC, que ses tâches étaient devenues plus répétitives et qu’on lui avait refusé la possibilité de participer à des comités en milieu de travail. La demanderesse soulevait cinq points dans son formulaire de plainte :

                    i.          prétendu harcèlement imputé à Jean Kast;

                   ii.          prétendu harcèlement imputé à la superviseure Claudia Deluy;

                 iii.          refus de son syndicat de la représenter;

                 iv.          prétendue discrimination fondée sur l’âge lorsqu’elle posait sa candidature à des postes;

                  v.          le fait que l’ARC n’avait pas détruit deux documents, un rapport confidentiel et une chronologie explicative.

 

[6]               La demanderesse considérait que les cinq griefs susmentionnés s’inscrivaient dans une conspiration générale ou une campagne orchestrée pour la contraindre à quitter l’ARC.

 

[7]               Un enquêteur de la Commission a rédigé un rapport sur la plainte de la demanderesse (le rapport d’enquête), pour permettre à la Commission de dire si elle devait ou non statuer sur la plainte. Le rapport d’enquête a été remis aux deux parties, qui ont alors eu la possibilité de présenter des observations sur les faits et les points qu’il abordait. La demanderesse reconnaît qu’elle a eu cette possibilité, mais, devant la Cour, elle a fait valoir que le rapport d’enquête était erroné parce qu’il contenait le point de vue d’autres employés et celui de sa supérieure hiérarchique. Je résumerai les conclusions du rapport qui a été remis à la Commission.

 

Prétendu harcèlement imputé à Jean Kast

[8]               Jean Kast était un collègue de la demanderesse à l’ARC. La demanderesse a affirmé que M. Kast la persécutait, répandait des mensonges et des rumeurs à son sujet et froissait ses copies papier à l’imprimante.

 

[9]               La demanderesse s’est plainte la première fois de M. Kast en 2005. Elle a entamé une médiation et signé une entente de règlement avec M. Kast en mars 2006. Il semble que, avant de signer cette entente, la demanderesse s’était adressée à son syndicat, mais avait refusé l’avis du syndicat et s’était engagée dans la médiation sans l’intervention du syndicat. La demanderesse a tenté de rouvrir l’affaire plus tard en 2006, affirmant qu’elle n’était pas satisfaite de l’issue de la médiation, mais elle fut informée que le dossier était clos.

 

[10]           Le formulaire de plainte de la demanderesse révélait aussi qu’elle avait reçu un avis de mesure disciplinaire et que cela avait mis fin à son rêve d’obtenir un autre poste. La demanderesse croyait que M. Kast était pour quelque chose dans l’avis de mesure disciplinaire.

 

[11]           Comme l’a noté la Commission, hormis cet incident, la demanderesse n’a pas été en mesure de prouver que M. Kast l’avait harcelée ou qu’un prétendu harcèlement avait quelque chose à voir avec son âge. Si je comprends bien l’argument de la demanderesse, elle dit que la discrimination fondée sur l’âge venait de la direction, non de M. Kast, mais que la direction se servait du climat hostile instauré par M. Kast pour donner libre cours à sa politique de discrimination fondée sur l’âge.

 

Prétendu harcèlement imputé à la superviseure Claudia Deluy

[12]           Dans son formulaire de plainte, la demanderesse affirmait que sa superviseure, Claudia Deluy, la harcelait en trouvant sans cesse des failles dans son travail, en particulier en 2006, et en lui signalant son manque de connaissances des procédures et sa mauvaise attitude envers ses collègues et les clients. Selon la demanderesse, tous ses autres chefs d’équipe étaient satisfaits de son travail, comme le montraient ses évaluations de rendement antérieures.

 

[13]           Cependant, le rapport mentionnait que la demanderesse avait bien eu des problèmes de rendement alors qu’elle était sous la surveillance d’autres chefs d’équipe. Entre 2002 et 2005, quatre chefs d’équipe avaient fait état de problèmes dans le rendement de la demanderesse au travail, notamment dans son aptitude à la communication et dans ses rapports avec ses collègues.

 

[14]           Devant la Cour, la demanderesse a prétendu que Mme Deluy interceptait, puis modifiait ses courriels avant qu’ils ne soient envoyés, afin de compromettre sa position dans le milieu de travail. Elle a aussi prétendu que certains de ses supérieurs hiérarchiques n’avaient pas la compétence nécessaire pour se prononcer comme ils l’avaient fait sur son rendement au travail.

 

[15]           La demanderesse a aussi allégué que Mme Deluy lui avait refusé la possibilité de participer en mai 2006 au Comité sur les langues officielles.

 

Le rapport confidentiel et la chronologie

[16]           En juin 2006, la défenderesse a ordonné à sa section des ressources humaines de rédiger un rapport confidentiel et une chronologie explicative concernant les problèmes de rendement au travail de la demanderesse. Le rapport confidentiel commence par une phrase où la demanderesse est désignée ainsi : [traduction] « une francophone dans la fin de la soixantaine ».

 

[17]           Cette phrase sur l’âge de la demanderesse constitue la base de sa plainte de discrimination fondée sur l’âge.

 

[18]           Le rapport confidentiel révèle que, durant les cinq ans et demi d’emploi de la demanderesse au bureau de l’ARC à Toronto, elle s’était montrée incapable ou peu désireuse de tisser des liens positifs ou amicaux avec ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques. Ses supérieurs hiérarchiques se plaignaient que la demanderesse passait un temps [traduction] « énorme » sur le système de courriel, ce qui nuisait à son rendement. Le rapport confidentiel cite aussi des cas où elle avait manqué de jugement, pris une attitude inadmissible ou fait des observations inacceptables, utilisé mal à propos le système de courriels et a été la source de brèche dans la sécurité. Le rapport confidentiel contient aussi des solutions censées corriger le rendement de la demanderesse et son comportement en milieu de travail.

 

[19]           La chronologie est un document de 40 pages qui passe en revue les antécédents professionnels de la demanderesse, avec des observations semblables à celles du rapport confidentiel.

 

[20]           La demanderesse fait largement fond sur la première phrase du rapport confidentiel, qui est la preuve selon elle d’une discrimination fondée sur l’âge. Elle conteste l’ensemble des conclusions du rapport confidentiel. Plus précisément, elle affirme que ses prétendues difficultés à interagir avec les autres s’inscrivaient dans [traduction] « un programme délibérément conçu » pour la contraindre à partir en raison de son âge.

 

[21]           La défenderesse admet que la phrase où la demanderesse est désignée par les mots [traduction] « une francophone dans la fin de la soixantaine » n’était pas appropriée et a accepté de détruire le rapport confidentiel. Elle a également accepté d’apporter certains changements à la chronologie. La demanderesse a exigé que d’autres changements soient apportés à la chronologie, mais la défenderesse a estimé que ces changements n’étaient pas acceptables. La défenderesse a fini par proposer la destruction des deux documents, mais elle affirme que la demanderesse n’a pas répondu à cette offre.

 

La décision contestée

 

[22]           La Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte de la demanderesse en invoquant l’alinéa 41(1)d) de la Loi. Selon elle, la plainte était frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi.

 

[23]           Les motifs de la Commission puisaient largement au rapport d’enquête. La Commission a estimé que la mention de l’âge de la demanderesse dans le rapport confidentiel constituait un renseignement présenté comme un simple fait et dépourvu de toute discrimination. Le rapport confidentiel se limitait à décrire les comportements attestés de la demanderesse dans le milieu de travail et proposait plusieurs solutions susceptibles d’améliorer son rendement et son comportement en milieu de travail. Le rapport confidentiel ne donnait aucunement à penser que l’âge de la demanderesse posait une difficulté pour son employeur.

 

[24]           Je reconnais que la mention de l’âge de la demanderesse dans le rapport confidentiel n’avait aucune incidence sur le fond du rapport lequel était entièrement axé sur des questions de rendement.

 

[25]           Par ailleurs, la Commission a noté que toutes les parties s’étaient entendues pour que le rapport confidentiel soit détruit. Elle a donc conclu que tous les points soulevés par la mention de l’âge de la demanderesse dans le rapport confidentiel avaient été résolus par la défenderesse.

 

[26]           La Commission a conclu que les passages du rapport confidentiel où l’on donnait à entendre que le comportement de la demanderesse en milieu de travail était source de problèmes étaient motivés par une préoccupation liée au rendement et non à l’âge de la demanderesse, et, selon elle, la défenderesse avait exercé les droits de la direction de veiller à ce que la demanderesse se concentre sur les tâches prévues dans sa description d’emploi afin de venir à bout des problèmes en question. C’était là l’unique raison pour laquelle la demanderesse s’était vu refuser des possibilités d’avancement. La Commission a estimé qu’il n’était pas établi que la demanderesse avait été victime d’une discrimination fondée sur l’âge.

 

La question en litige

[27]           La demanderesse n’a pas précisé de question en litige dans son exposé des faits et du droit. Selon moi donc, la question est de savoir si la décision de la Commission était raisonnable.

 

Les dispositions applicables

 

[28]           La Loi contient plusieurs dispositions qui interdisent explicitement la discrimination fondée sur l’âge dans le milieu de travail :

a.       Selon l’article 7 de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ou le fait de le défavoriser en cours d’emploi.

b.      Selon l’article 10, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu, le fait, pour l’employeur, d’appliquer des lignes de conduite.

c.       Selon l’article 14, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d’emploi.

 

[29]           L’article 41 énonce les cas où la Commission n’est pas tenue de statuer sur une plainte dont elle est saisie :

Irrecevabilité

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants:

 

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

Commission to deal with complaint

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

 

 

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

[30]           L’article 44 prévoit la mesure que la Commission doit prendre après que l’enquêteur a rendu son rapport. La Commission peut faire l’une de trois choses : renvoyer le plaignant à une instance plus apte à statuer sur la plainte, demander au président du Tribunal canadien des droits de la personne (le tribunal) de désigner un membre pour instruire la plainte, ou bien rejeter la plainte :

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

Suite à donner au rapport

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas:

 

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

 

 

 

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission:

 

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue:

 

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,

 

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue:

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

Action on receipt of report

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

 

 

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

 

 

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

 

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

[31]           En l’espèce, la Commission a décidé de rejeter la plainte parce que, selon elle, la plainte était frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, motif prévu à l’alinéa 41(1)d).

 

Analyse

[32]           Toute analyse du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission par l’alinéa 41(1)d) doit tenir compte de quatre critères préliminaires.

 

[33]           Premièrement, la Commission a toute latitude de rejeter une plainte lorsqu’elle est d’avis qu’une instruction plus poussée n’est pas justifiée. Dans l’arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.F), au paragraphe 38, la Cour d’appel fédérale concluait que « [l]a Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête ». Le législateur ne souhaitait donc pas que la Cour intervienne à la légère dans les décisions de la Commission.

 

[34]           Deuxièmement, la Commission n’est pas un organisme juridictionnel et ne tire pas de conclusions de droit. Elle évalue simplement la pertinence de la preuve qui lui est soumise et décide si une audience en règle du tribunal est justifiée. Dans la décision Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, au paragraphe 56, le juge Nadon concluait qu’il fallait faire montre de retenue judiciaire à l’égard des décideurs appelés à évaluer la preuve de cette nature. Il ajoutait que l’intervention de la Cour lors du contrôle judiciaire ne s’imposera que lorsque des omissions déraisonnables sont apparentes, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante.

 

[35]           Troisièmement, le critère à appliquer pour savoir si une plainte est ou non frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi est le suivant : compte tenu de la preuve, apparaît-il manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec?

 

[36]           Finalement, la norme de contrôle devant s’appliquer à la décision de la Commission de rejeter une plainte, au lieu de la renvoyer au tribunal, est la raisonnabilité : Wu c. Banque Royale du Canada, 2010 CF 307, et c’est le cas également pour une décision selon laquelle une plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi : Morin c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1355, paragraphe 33.

 

[37]           Gardant à l’esprit ces critères préliminaires, j’analyserai maintenant la décision de la Commission.

 

[38]           La Commission disposait d’un dossier qui faisait état de problèmes récurrents à propos du rendement de la demanderesse, et de conflits interpersonnels récurrents entre la demanderesse et ses collègues et superviseurs. Lors d’un examen par ailleurs favorable du rendement de la demanderesse, un superviseur trouvait que la demanderesse [traduction] « avait eu des difficultés à traiter avec certains collègues et n’acceptait pas de bonne grâce les idées et opinions des autres ». Puis le rapport faisait observer que l’amélioration des aptitudes de la demanderesse à la communication l’aiderait à éviter des conflits avec ses collègues, et que la demanderesse avait du mal à se montrer respectueuse envers ses collègues. Pareillement, dans un examen ultérieur, un autre superviseur écrivait que :

[traduction]

 

Les difficultés qu’elle a à communiquer par courriel devaient être examinées avec elle, puis aplanies, pour faire en sorte qu’elle se montre respectueuse lorsqu’elle communique par écrit. C’est là un aspect qui appelle l’attention immédiate de Nora.

 

 

 

[39]           Le rapport confidentiel se focalise pour l’essentiel sur ce qui semble être des questions légitimes de rendement. Hormis la phrase liminaire, le rapport ne parle pas de l’âge de la demanderesse, ni ne laisse apparaître aucune volonté de voir la demanderesse quitter son poste, ou de la forcer à s’en aller. Au contraire, le rapport se termine par une liste de solutions dont l’objet est de prévenir tout comportement inopportun et de maintenir la demanderesse dans le milieu de travail.

 

[40]           La Commission fait donc une bonne appréciation de la preuve lorsqu’elle arrive à la conclusion que le rapport confidentiel s’intéressait principalement aux attitudes attestées de la demanderesse en milieu de travail, plutôt qu’à son âge. Est aussi raisonnable la conclusion de la Commission selon laquelle la recommandation faite à la demanderesse de se consacrer aux tâches indiquées dans sa description d’emploi visait à résoudre ses problèmes de comportement en milieu de travail, et cette recommandation entrait parfaitement dans les droits de la direction.

 

[41]           La demanderesse a tout simplement été incapable de prouver d’une manière convaincante que les mesures prises contre elle l’avaient été en raison de son âge ou dans le cadre d’une campagne menée pour la contraindre à quitter l’ARC. La seule preuve avancée par la demanderesse pour dire qu’elle était victime d’une discrimination fondée sur l’âge était la première phrase du rapport confidentiel et le fait que, selon elle, les critiques liées à son travail s’étaient intensifiées après qu’elle avait atteint l’âge de 65 ans. Devant la preuve tangible que les mesures prises contre elle avaient trait à des problèmes attestés de rendement en milieu de travail qui avaient commencé bien avant qu’elle atteigne l’âge de 65 ans, la Commission pouvait parfaitement conclure qu’il était manifeste et évident que sa plainte était vouée à l’échec.

 

[42]           Finalement, j’observe que la Commission a respecté son obligation d’équité. Elle n’a pas laissé de côté un élément de preuve essentiel ni fait montre d’une quelconque partialité contre la demanderesse. Elle a remis à toutes les parties, avant de rendre sa décision, une copie du rapport d’enquête, et elle leur a donné l’occasion d’y répondre. En somme, la Commission s’est acquittée de son mandat dans le respect des principes juridiques, et il n’y a aucune raison pour la Cour d’intervenir.

 

[43]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1056-10

 

INTITULÉ :                                       NICOLE HÉROLD, alias NORA HÉROLD

c.

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA (ARC)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 mars 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nicole (Nora) Hérold

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Debra L. Prupas

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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