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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110517

Dossier : IMM-5801-10

Référence : 2011 CF 559

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2011

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

SEWCHAND PRASAD

HEMWANTIE PRASHAD

KEITH PRASAD

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

I.        Aperçu

 

[1]               En 2008, M. Sewchand Prasad, ainsi que son épouse et son fils, ont déposé une demande d’asile au Canada après avoir quitté leur domicile au Guyana. Ils ont allégué qu’ils risquaient d’être victimes de criminels qui avaient battu et volé M. Prasad en 2007.

 

[2]               En 2010, un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les membres de la famille n’avaient pas la qualité de personnes à protéger, compte tenu de la disponibilité de la protection de l’État au Guyana. Les demandeurs ont cependant soutenu que la Commission avait commis une erreur en omettant de tirer une conclusion quant à la crédibilité de leur crainte alléguée à l’égard d’autres agressions. Ils ont également fait valoir que l’analyse de la Commission concernant la protection de l’État était erronée. Ils me demandent donc d’infirmer la décision de la Commission et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience.

 

[3]               Je ne vois rien qui justifierait une annulation de la décision de la Commission; par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. À mon sens, il était superflu que la Commission tire une conclusion à propos de la crainte subjective des demandeurs. En outre, sa conclusion à l’égard de l’existence de la protection de l’État n’était pas déraisonnable.

 

[4]               Les questions en litige sont les suivantes :

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en n’évaluant pas la crédibilité des demandeurs?
  2. La conclusion de la Commission à l’égard de la protection de l’État était-elle déraisonnable?

 

II.     La décision de la Commission

 

[5]               La Commission a pris acte du motif sur lequel les demandeurs ont fondé leur demande d’asile, à savoir qu’on avait volé et battu M. Prasad en 2007. Les assaillants savaient où habitait M. Prasad, lequel craignait de subir d’autres agressions.

 

[6]               La Commission a ensuite entrepris de déterminer si les demandeurs pouvaient bénéficier de la protection de l’État guyanais, en faisant d’abord remarquer que M. Prasad n’était pas allé voir la police après l’agression. M. Prasad a expliqué que, comme les assaillants portaient des masques, la police ne pouvait rien faire. Qui plus est, dans des circonstances semblables, quelques-uns de ses voisins avaient cherché protection auprès la police, mais n’en avaient pas obtenu.

 

[7]               La preuve relative à la protection de l’État mentionnée par la Commission comprenait des articles de journaux faisant état d’autres crimes commis au Guyana. La Commission a relevé que ces articles décrivaient également la réponse de la police à ces incidents, notamment des enquêtes et des suivis. Les demandeurs ont eux-mêmes déclaré être au courant que la police réagissait aux crimes. La preuve documentaire indiquait que le crime était un grave problème au Guyana, mais que l’État avait déployé des ressources considérables pour réagir à la situation.

 

[8]               En conclusion, la Commission a déterminé que, comme ils n’étaient pas allés voir la police, les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils ne pouvaient pas bénéficier de la protection de l’État.

 

[9]               La Commission a ensuite conclu que le risque auquel étaient exposés les demandeurs était un risque généralisé, qui ne leur était pas particulier, et qu’en conséquence, ils n’étaient pas visés par l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR] (voir en annexe les dispositions légales citées).

 

III.   Première question - La Commission a-t-elle commis une erreur en n’évaluant pas la crédibilité des demandeurs?

[10]           Les demandeurs ont fait valoir que la Commission était tenue de tirer une conclusion définitive sur la nature du risque auquel ils étaient confrontés avant d’aborder la question de la protection de l’État. Ils se sont appuyés à cet égard sur deux décisions du juge Robert Mainville : Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503, et Jimenez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 727. Dans Jimenez, le juge Mainville a fait la déclaration suivante :

Une décision concernant la crainte subjective de persécution, ce qui comprend entre autres une analyse concernant la crédibilité du demandeur d’asile et la vraisemblance de son récit, devrait être prise par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin de fixer un cadre approprié pour procéder, s’il y a lieu, à une analyse de la disponibilité de la protection de l’État qui tient compte de la situation particulière du demandeur d’asile en cause. [Paragraphe 4.]

 

 

[11]           Dans la décision Flores, le juge Mainville a noté que l’article 97 de la LIPR, à l’instar de l’article 96, supposait à la fois une composante subjective et une composante objective (paragraphe 26), mais que la question de la protection de l’État n’était pertinente qu’à l’égard de la composante objective (paragraphe 27). Sur la base de ces conclusions, les demandeurs ont affirmé que la Commission avait commis une erreur en traitant de la protection de l’État sans évaluer leur crédibilité quant à leur crainte subjective de subir des mauvais traitements, même si leur demande s’appuyait seulement sur l’article 97 de la LIPR.

 

[12]           À mon avis, l’observation du juge Mainville au sujet de l’article 97 n’était pas essentielle à sa conclusion. Dans Flores, les articles 96 et 97 de la LIPR étaient tous les deux en cause. L’affirmation principale du juge Mainville selon laquelle il y aurait lieu d’évaluer les facteurs objectifs après que la crainte subjective d’un demandeur ait été établie se rapportait clairement à l’article 96. Elle l’a mené à conclure que la Commission avait fait erreur en traitant de la protection de l’État sans préciser le risque auquel on demandait à l’État de réagir. Le juge Mainville n’était pas appelé à se prononcer sur l’approche applicable dans un cas où, comme en l’espèce, seul l’article 97 était en jeu.

 

[13]           Étant donné que la Cour d’appel fédérale a clairement déterminé que l’article 97 contenait seulement une composante objective (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, au paragraphe 33), je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur en omettant de tirer une conclusion définitive quant à la crédibilité de la crainte subjective des demandeurs. En même temps, je conviens avec le juge Mainville que la protection de l’État ne devrait pas être analysée dans le vide. Il faudrait au moins déterminer la nature de la crainte du demandeur, pour ensuite analyser la capacité et la volonté de l’État à réagir aux circonstances du demandeur.

 

[14]           En l’espèce, je suis convaincu que la Commission a précisé la nature du risque redouté par les demandeurs, et qu’elle a ensuite considéré la question de savoir s’ils pouvaient bénéficier de la protection de l’État. Je ne vois aucune erreur dans sa démarche.

 

IV.   Deuxième question - La conclusion de la Commission à l’égard de la protection de l’État était‑elle déraisonnable?

 

[15]           Les demandeurs ont soutenu que la Commission avait omis de tenir compte des raisons pour lesquelles M. Prasad n’avait pas demandé la protection de l’État, à savoir qu’il était incapable d’identifier ses assaillants, et qu’il savait que d’autres personnes qui s’étaient retrouvées dans la même situation que lui n’avaient pas obtenu protection de l’État.

 

[16]           À mon avis, la Commission a pris en compte le témoignage de M. Prasad, mais elle a conclu que son témoignage ne réfutait pas la présomption de l’existence d’une protection de l’État, compte tenu de l’existence d’une preuve documentaire montrant la capacité et la volonté de l’État guyanais de répondre aux actes criminels. La croyance subjective d’une personne que l’État est incapable de la protéger ne suffit pas.

 

[17]           Par conséquent, je ne peux conclure que l’analyse de la Commission concernant la protection de l’État était déraisonnable.

 

V.     Conclusion et dispositif

 

[18]           À mes yeux, l’approche adoptée par la Commission et les conclusions qu’elle a tirées n’étaient pas déraisonnables au regard de la preuve dont elle disposait. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. L’affaire ne soulève aucune question de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice

 

 

 


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Définition de « réfugié »

 

 96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

 97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

 (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

 98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Convention refugee

 

 96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

 

 97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

Person in need of protection

 

 (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

Exclusion — Refugee Convention

 

 

 98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5801-10

 

INTITULÉ :                                       SEWCHAND PRASAD, ET AUTRES

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph S. Farkas

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Kareena R. Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joseph S. Farkas

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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